- le  
Interview 2018 : Adrien Party, vampirisme et littérature policière
Commenter

Interview 2018 : Adrien Party, vampirisme et littérature policière

Actusf : Bonjour Monsieur Party, tout d'abord, merci de prendre de votre temps pour ce questionnaire. Le vampire est un être protéiforme, qui a su s'infiltrer dans de nombreux genres littéraires, quid du polar?
Adrien Party : Le polar ne fait pas exception, les vampires y ont eu droit de citer depuis leur avènement dans les littératures de fiction. Jouer sur l’hésitation entre le réel et le surnaturel a toujours été un des fondements du fantastique, et les auteurs de récits policiers n’ont pas occulté cette dimension. Comment oublier Le vampire du Sussex de Sir Arthur Conan Doyle, l’une des rares nouvelles mettant en scène le duo Sherlock Holmes et Watson qui distille un fort parfum de récit horrifique ? Par la suite, les détectives de l’étrange, héritier du duo holmésien comme pur roman gothique, se frotteront régulièrement avec des buveurs de sang. Le Jules de Grandin de Seabury Quinn, le Harry Dickson de Jean Ray, le Carnacki de William Hope Hodgson, … tous ces enquêteurs se sont à un moment ou un autre confronté à des vampires, que ces derniers se révèlent être de vraies créatures surnaturelles ou des meurtriers bien en chair. Et même avant eux, comment ne pas voir dans Abraham van Helsing, Némésis de Dracula, une figure du détective ?

Depuis, la figure du vampire dans la littérature policière a beaucoup évolué. Popularisé également par des films comme La Marque du vampire de Tod Browning, le faux vampire est devenu un genre à part entière. 

Plus près de nous, Fred Vargas envoyait elle-même son enquêteur fétiche, Adamsberg, sur les traces d’un tueur – vampire, dans le roman Un lieu incertain. Un roman à part, en cela qu’il tisse également des liens avec certaines figures folkloriques emblématiques attachées à la figure du vampire, Arnold Paole et Peter Plogojowitz. Et enfin, donc, Harry Mole de Jo Nesbø, qui, dans le roman La Soif, se retrouve à enquêter sur un meurtrier qui a des penchants vampiriques, à savoir cette irrépressible envie de boire du sang, qu’il prélève grâce à l’incontournable morsure. À la lecture du roman, on ressent aisément le souci de recherche de l’auteur, qui semble s’être longuement documenté sur les pathologies associées à la figure du vampire.

Actusf : Pouvez-vous nous citer quelques œuvres qui, pour vous, seraient des lectures intéressantes sur les créatures de la nuit dans des romans policiers?
Adrien Party : Il y a peu d’essais sur ce sujet précis, hormis quelques articles devenus difficiles à trouver (notamment celui de Jean Marigny, publié dans le numéro 3 de la revue Temps Noir).
Au niveau des romans ou textes que je trouve intéressants ou importants sur le sujet, et en dehors de ceux que je citais plus haut, je dirais néanmoins :
- La Vierge de glace de Marc Behm, à la fois roman de vampires et histoire de gangster. Il y a eu une adaptation BD par Beinex, à partir du storyboard d’un film qu’il n’a pas réalisé, mais les albums sortis ne valent franchement pas qu’on s’y intéresse.  

- Nuit de Terreur de Jeff Rice, qui marquait les débuts du personnage de Kolchak, un journaliste particulièrement versé dans le surnature.

- Dracula fait maigre de Stuart Kaminski, qui met en scène un détective engagé notamment par Bela Lugosi pour sa protection. Et de l’acteur emblématique pour son Dracula, on dérive rapidement sur des meurtres à fortes consonances vampiriques.

- Vampiriques Fredaines de Carter Brown, qui met en scène deux producteurs-scénaristes sur le tournage d’un film d’horreur.

- Le corps et le sang d’Eymerich de Valerio Evangelisti, qui met à son habitude en parallèle une trame contemporaine et médiévale, centrée autour du personnage de l’inquisiteur Nicolas Eymerich. 

Après, même si le projet n’est pas parfait, je me dois également de citer la saison 2 de Sable Noir, Vampyres. À la base, il s’agit d’un projet pluri-média : des auteurs se voient confier l’écriture de nouvelles centrées autour du village de Sable Noir, histoires qui sont déclinées en BD et en courts et moyens métrages. Le recueil de départ propose des nouvelles d’auteurs comme Colin Thibert, Cary Férey, Brigitte Aubert, Ann Scott, Pierre Pelot et surtout Thierry Jonquet, qui domine de très loin l’exercice. Lequel Thierry Jonquet a également consacré son dernier roman inachevé aux bêtes à crocs, en imposant à son texte une ambiance digne de ses meilleurs polars : Vampires.

Actusf : J'ai récemment découvert la série Les Vampires (1915), qu'en pensez-vous?
Adrien Party : On touche là à une autre facette du vampire qui flirte avec la fiction policière. On est très loin du vampire surnaturel comme du vampire au sens pathologique. Mais Musidora, qui campe le personnage d’Irma Vep (anagramme évidente de vampire) campe un personnage aussi séduisant que mystérieux, égérie autant du public que du groupe de malfaiteurs dont elle fait partie, les Vampires. Ce faisant, elle est une des vamp les plus emblématiques, avec Theda Bara et quelques autres. Ce sont des femmes qui hypnotisent et réduisent à leur merci (métaphoriquement) les hommes qui tombent dans les mailles de leur filet. Et c’est à Rudyard Kipling à qui on doit l’adoption du terme Vamp, le premier film qui a popularisé cette figure du cinéma étant une adaptation (avec Theda Bara dans le rôle-titre) de son poème A fool there was.


Le feuilleton audiovisuel (l'intégralité des épisodes est disponible gratuitement ici) de Louis Feuillade est un grand classique, mais je n’ai jamais vu l’intégralité des épisodes, malgré la sortie récente d’une intégrale des serials de Feuillade.

Actusf : Il y a un aspect réaliste, un versant médical et clinique du vampire, pouvez-vous nous en parler? (syndrome de Renfield notamment) Pouvez-vous nous citer des ''cas'' réels?
Adrien Party : L’obsession de boire du sang, et de se comporter comme un vampire, a trouvé au XXe siècle résonance en psychologie. En 1992, le psychologue Richard Noll utilise pour la première fois le nom de Syndrome de Renfield pour désigner ce qu’on appelait jusque-là le vampirisme clinique : le besoin d'ingérer du sang, que ce soit le sien ou celui d'autrui. La fiction rejoignait dès lors la réalité. Mais la liste des meurtriers qu’on associe aujourd’hui avec cette pathologie remonte bien plus loin : John Haigh dans la deuxième partir des années 40, Richard Chase à la fin des années 70, Peter Kürten au début du XXe siècle… autant de criminels qu’on a rapidement affublés du pseudonyme de vampire : Vampire de Londres, de Sacramento, de Düsseldorf... La mise en scène de criminels, la plupart du temps des tueurs en série, atteints d’une envie irrépressible de boire du sang a donc tout naturellement trouvé sa place dans les topos des littératures policières. Mais cela a rarement été utilisé de manière aussi poussée que dans La Soif de Jo Nesbø, qui met en scène un psychologue spécialisé sur le sujet et intègre une réflexion assez poussée sur la caractérisation des crimes du genre.

 

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?