- le  
Interview 2018 : Ben H. Winters pour Underground Airlines
Commenter

Interview 2018 : Ben H. Winters pour Underground Airlines

 

ActuSF : Bonjour Ben et merci d'avoir accepté de répondre à notre interview. Pour commencer, pourriez-vous vous présenter en quelques mots aux lecteurs français qui ne vous connaîtraient peut-être pas encore ? 
Ben H. Winters : Bonjour (NdT, en français dans le texte), lecteurs français. Merci de me lire. Je suis un auteur américain et j’écris avant tout des romans policiers de toute sorte. Je suis né à Washington, D.C., mais j’ai vécu dans tout le pays. Actuellement je suis à Los Angeles avec ma famille.

 
 
ActuSF : Underground Airlines est assez différent de votre série policière Dernier meurtre avant la fin du monde (The Last Policeman) qui a été traduite chez nous. D'où vous est venue l'idée de ce roman ? 
Ben H. Winters : Oui, j’imagine qu’il est assez différent, même si Dernier meurtre avant la fin du monde et Underground Airlines sont tous deux inscrits dans les traditions et les formes de la fiction policière afin d’aborder des problèmes réels ou des thèmes philosophiques. En vérité, c’est ainsi que m’est venue l’idée de Underground Airlines ; j’avais le sentiment que ce qui donnait sa force à Dernier meurtre avant la fin du monde, et ce qu’appréciaient les lecteurs, était le fait que je ne faisais pas que raconter une histoire de meurtre – je posais des questions plus grandes sur la nature de l’existence, et sur ce que cela signifie de vivre une vie sous le spectre de la mort. Cependant, je (ainsi que beaucoup d’américains) suis furieux et frustré par le fait que mon pays soit incapable de faire plus de pas vers une société plus égalitaire. Il m’a donc semblé que je pouvais utiliser mes capacités d’écrivain, cette habileté spéciale à transformer une histoire policière en une sorte de question, concernant ce grand problème de notre temps : le cauchemar du racisme anti-noir en Amérique.
 
ActuSF : Le héros, Victor, est un personnage torturé, un ancien esclave obligé de chasser ses pairs pour sa propre survie. Comment se met-on dans la tête d'un tel homme ? 
Ben H. Winters : Eh bien, avec force tâtonnements au début. Trouver la voix de Victor n’a pas été chose facile – en effet, même en construisant tout un monde et toute une histoire, je dirais que trouver l’esprit et la voix de Victor a été l’un des plus gros défis de ce roman. Il me fallait imaginer ce que je ressentirais en ayant vécu ses expériences, assisté à ce qu’il avait connu, et vivre avec la peur et les horreurs qu’il avait endurées. Puis combiner tout cela à ses capacités d’inspecteur, de charmeur, de change-forme.
 
ActuSF : Au-delà de l'enquête, le roman frappe par sa résonance sociétale actuelle. C'est important pour vous, ce côté "militant" dans vos romans ? 
Ben H. Winters : Je n’aime pas trop le terme « messages », car si je voulais transmettre des messages j’écrirais des pamphlets et non pas un roman. J’aime dire que le travail d’un auteur n’est pas de dire ce qu’il faut penser, mais donner de la matière à penser. Voici un sujet important ; voici quelque chose qui a de l’importance ; vis un petit moment dans cet univers et vois quel effet cela peut te faire. Donc oui, les chevauchements avec notre propre société ont un but et sont, je l’espère, difficiles à manquer. Mais j’espère également que le roman existe et fonctionne en tant qu’histoire, en tant que cheminement d’un personnage et pas simplement en tant que récit polémique se centrant sur la race en Amérique. 
 
ActuSF : Vous avez choisi l'angle de l'uchronie. Est-ce un genre que vous appréciez particulièrement ou est-ce que cela s'est imposé naturellement ? 
Ben H. Winters : Oh, j’adore l’uchronie. C’est fascinant dans son genre, en tant qu’exercice d’imagination, et elle nous propose – quand elle est bien exécutée ! – un miroir fascinant au travers duquel nous pouvons scruter nos propres vies. Je l’aime tout autant quand elle est appliquée à un personnage ; comment est-ce que quelqu’un pourrait être différent, si le monde avait été comme cela. Comment est-ce qu’une personne pourrait être la même ?
 
 
ActuSF : En tant que Français, on ne connaît pas forcément bien tout ce qui touche à la Guerre civile américaine. Est-ce que l'écriture du roman a nécessité beaucoup de recherche pour bâtir cette Amérique alternative ? 
Ben H. Winters : C’est le cas en effet. En vérité, pour que le livre fonctionne comme je l’entendais, j’ai réellement dû construire toute une uchronie de l’Amérique, depuis 1863 jusqu’à nos jours, j’ai donc effectué beaucoup de recherches sur l’époque de la Guerre de Sécession mais également sur les décennies qui ont suivi : sur les relations qu’entretenait l’Amérique avec les autres pays, sur la reconstruction et l’époque des guerres mondiales et sur les mouvements des droits civiques, sur la guerre du Vietnam. Il est vrai, que beaucoup de ce travail ne se retrouve pas dans ce livre, mais cela fait partie du processus pour insuffler la vie à un monde non réel.
 
ActuSF : À la sortie du livre, on vous a reproché de vous être "approprié" une question noire en tant qu'homme blanc mais aussi que vous avez eu plus de visibilité que des auteurs noirs qui parleraient du même sujet . Aviez-vous conscience, en écrivant ce livre, que cela pourrait être adressé ? Qu'avez-vous envie de répondre à cette polémique ? 
Ben H. Winters : Je l’ai dit à plusieurs reprises dans plusieurs interviews, mais les gens qui estiment que l’on m’a donné plus de visibilité qu’à d’autres auteurs noirs ont totalement raison – l’édition et les médias, comme tant d’autres secteurs de la société américaine, peuvent être assez racistes. J’ai essayé, quand je l’ai pu, d’utiliser mes réseaux pour mettre sur le devant de la scène des auteurs noirs que j’aime et qui m’ont inspiré, surtout Octavia Butler, dont le roman sur l’esclavage Kindred est un classique de la science-fiction. J’espère également que ceux qui liront Underground Airlines verront ce que j’essaie de faire : non pas exploiter l’histoire (et le présent) raciale de l’Amérique pour en faire une histoire sympa, mais plutôt d’utiliser mes capacités en tant qu’écrivain de roman policier, pour faire la lumière sur le problème, et, dans l’idéal, engendrer de l’empathie et établir une discussion entre mes lecteurs.
 
ActuSF : Vos derniers romans mélangent enquête policière et anticipation. Qu'est-ce qui vous attire dans ce mélange ? Y a-t-il d'autres genres que vous aimeriez explorer dans le futur ? 
Ben H. Winters : Ha ! J’aimerais m’essayer à tous les genres. Si j’en avais les capacités, j’aimerais écrire un opéra si je le pouvais. Je suis toujours étonné de la façon dont, au travers des genres et des médias, certaines bases de la narration peuvent toujours s’appliquer. Par exemple, sans un bon personnage, vous n’avez rien.
 
ActuSF : Les lecteurs français auront le plaisir de vous rencontrer aux Utopiales en novembre et vous serez d'ailleurs au sommaire de l'anthologie publiée pour l'occasion. Pouvez-vous nous dire deux mots sur la nouvelle ? 
Ben H. Winters : C’est la traduction d’une de mes nouvelles, racontant l’histoire d’un dictateur qui dispose d’un contrôle tellement absolu sur sa société qu’il commence à s’ennuyer, par manque de défis. Donc (d’une façon plutôt brutale), il essaie de se créer de nouvelles sources d’intérêt.
 
 
ActuSF : Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ? 
Ben H. Winters : J’ai un nouveau roman à paraître en 2019 en Amérique, Golden State. Et je travaille au suivant…
 
 
Merci à Erwan Devos et Hermine Hémon pour la traduction !
(c) Nicola Goode pour la photo

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?