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Interview 2018 : Bertrand Campeis pour Dimension Uchronie
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Interview 2018 : Bertrand Campeis pour Dimension Uchronie

ActuSF : Dimension uchronie sort chez Rivière Blanche cette fin d’année sous votre direction. L’uchronie semble revenir en force ces dernières années dans les littératures de l’imaginaire. Pourquoi selon vous ?

Bertrand Campeis : Honnêtement je n’ai pas vraiment de réponse. Je n’ai que des idées et je ne prétends pas qu’elles puissent donner une réponse claire. Pour moi, il s’agit avant tout d’un concours de circonstance : En 1999 lorsqu’Eric Henriet sort son essai (L’Histoire revisitée. Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes, Les Belles Lettres – encrage) il remet en avant un mot oublié : l’uchronie. Près de 20 ans plus tard, le mot a acquis une certaine réalité, que ce soit à travers des romans, des bandes-dessinées, des mangas, jeux vidéos, etc. Maintenant on connaît Le maître du haut-château à la fois en tant que roman ET en tant que série TV (qui développe qui plus est une autre histoire), on peut également jouer à exterminer virtuellement des nazis en jouant à Wolfenstein, qui est devenue une franchise uchronique depuis Wolfenstein The New Order. Le mot uchronie apparaît dans des vidéos youtube de spécialistes (je pense notamment à History’s Creed), des quatrième de couverture, des films, des séries TV. Tout ne marche pas forcément, mais on saisit à la fois le mot et ce qu’il recouvre quand on parle. Pour moi, cela fait partie d’un autre succès : celui du fantastique, c’est-à-dire de la Science-Fiction et de la Fantasy. On assiste à bon nombre de succès qui permettent de constater que l’on regarde (sur écran ou en lisant) de la Science-Fiction. Que ce soit pour se divertir, pour jouer à se faire peur, pour extrapoler, pour réfléchir il y a un succès certain et je pense que l’uchronie, même modestement, y contribue. L’autre chose c’est le côté locomotive : l’adaptation en série TV du Maître du haut-château a fortement contribué à ceci, on nous (Karine Gobled et moi) citait quasi systématiquement le livre quand on dédicaçait le Guide de l’uchronie en salons, je pense que l’adaptation faite par Amazon, qui est devenue à la fois sa locomotive et sa vache à lait en matière de séries financée par la firme, à permis d’expliquer l’uchronie. L’autre question que l’on peut se poser est : y-aura-t-il autre chose après ? Aurons-nous, comme souvent, bon nombre de clones où on verra / lira des uchronies nazies jusqu’à l’écœurement ? Le fait que Netflix ait annoncé sa première série polonaise et que celle-ci soit une uchronie tournant autour d’une survie de l’URSS et du rideau de fer nous permettra de voir si on peut développer d’autres thématiques et si celles-ci peuvent fonctionner auprès du public (1983, série prévue pour 2018 sur Netflix).

 

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ActuSF : Comment avez-vous abordé cette direction d’ouvrage ? Quelle ligne directrice vouliez-vous donner à cette Dimension Uchronie ?

Bertrand Campeis : J’avoue que j’ai abordé la direction comme un amateur au grand cœur (rires). J’ai reçu bon nombre de nouvelles et, au départ, je donnais mon accord très vite en déclarant « ça me plaît beaucoup, je vais la prendre ». Assez rapidement, j’ai commencé à me rendre compte qu’il était nécessaire d’instaurer un dialogue : « je suis intéressé par votre nouvelle, accepteriez-vous qu’on en discute, que vous modifiez certaines choses ? ». Et c’est là que j’ai pigé qu’il fallait le faire comme cela : en discutant. Tout le monde a joué le jeu et je me suis retrouvé avec près de trente nouvelles. C’est là où j’ai commencé à me dire qu’une anthologie ne suffirait pas (rires). La ligne directrice c’était de se faire plaisir et de voir ce que l’on pouvait m’apporter. Les nouvelles brassent bon nombre d’imaginaires, de possibilités, de celle relevant complètement de la Science-Fiction à celle s’efforçant de dépeindre une réalité plausible. À force de lire et de relire les nouvelles, j’ai eu l’impression que le thème qui semblait émerger, au-delà de la peur, ou de la réflexion sur nos sociétés, c’est celui de la rencontre : que ce soit d’autres cultures, d’autres mentalités, d’autres possibles.

ActuSF : Quinze nouvelles francophones composent le recueil. Comment s’est faite cette sélection ?

Bertrand Campeis : Pas mal de thèmes se retrouvent, je me suis donc dit qu’il fallait mettre en place une espèce de classement chronologique avec des uchronies relevant de l’antiquité, du Moyen-Âge, etc. A partir de là, il fallait faire un choix mélangeant autrices et auteurs confirmés avec d’autres qui débutent ou ont déjà un joli bon bout de chemin en matière d’écriture de nouvelles. Je me suis fait plaisir en mettant systématiquement une nouvelle, en avant-dernier de chaque recueil, qui m’a particulièrement impressionnée. Pour le premier recueil ce fût celle de Zoé Dangles, dont la sensibilité et le thème traité m’ont bluffé. J’ai déjà choisi les deux autres ainsi que leur ordre de passage : Amélie Bousquet sera dans le tome 2 avec une nouvelle traitant de la thématique du temps et Bénédicte Coudière sera dans le tome 3 où elle nous parlera d’un royaume aztéco-viking en Amérique. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : j’ai aimé chacune des nouvelles que j’ai acceptées, certaines partant dans des directions inattendues (je pense à une nouvelle imaginant une autre histoire du cinéma, qui est dans le tome 1, où à celle qu’a écrite Florie Vignon qu’elle m’a résumée lors d’une partie de jeu de plateau chez des amis). Que ce soit par la façon dont elles sont écrites ainsi que par les thèmes qu’elles abordent, j’estime avoir eu beaucoup de chance.

 

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ActuSF : Il y a également un texte étranger, Alerte Rouge (Red Alert) par Jerry Oltion suivie d’une interview (Traduction : Hermine Hémon et Erwan Devos). Vous pouvez nous en dire quelques mots s’il vous plait ?

Bertrand Campeis : Vu qu’il s’agissait de se faire plaisir, j’ai complètement craqué en fait… Cette nouvelle est la seule nouvelle uchronique qu’ait écrite Jerry Oltion, je l’ai donc contacté, lui ai proposé de l’acheter et il a accepté avec plaisir. Du coup je l’ai également interviewé pour qu’il nous explique sa genèse. Je dois beaucoup à Hermine et Erwan, qui m’ont permis de dialoguer avec lui autrement qu’en smileys et ont fait un boulot plus que formidable sur la nouvelle. Nous avons eu beaucoup d’échanges autour de celle-ci et le résultat nous plaît énormément.

Pour ce qui concerne l’histoire disons qu’il s’agit d’un conflit opposant une Amérique restée amérindienne aux européens qui menacent une paix fragile depuis la presqu’île de Manhattan, seule concession appartenant aux blancs dans le nouveau monde. C’est top Gun rencontrant la crise des missiles de Cuba, et c’est complètement fun.

Ne souhaitant pas m’arrêter en si bon chemin, je suis en train de boucler l’achat d’une autre nouvelle américaine et je regarde pour en prendre une en japonais ainsi qu’éventuellement une autre en anglais. À mes yeux c’est un bonus non négligeable pour chacune des anthologies, et cela me permet de comprendre un petit peu comment cela se passe pour l’achat d’une nouvelle à l’étranger (si j’ai négocié avec l’auteur directement pour Red Alert, j’ai dû passer par un cabinet américain pour la deuxième qui m’a mis en relation avec… Un cabinet français !)

  ActuSF : Au final, est-ce qu’une thématique particulière émerge de ce recueil, ou les textes représentent-ils au contraire un éventail des différents types d’uchronies possibles ?

Bertrand Campeis : Pas vraiment de thématique, mais effectivement un bel éventail, de nouvelles jouant sur l’uchronie. J’ai ainsi renommé la première nouvelle « Les spartiates dans l’espace » : elle montre ainsi qu’un mode de pensée archaïque ne pourrait guère survivre dans un futur où on s’emploie à régler des conflits avec des jolies phrases balancées dans l’espace. Tout le reste est l’avenant.

ActuSF : La couverture est signée de Tiffanie Uldry. Comment avez-vous travaillé avec elle ? Comment s’est fait le choix de l’illustration ?

Bertrand Campeis : J’ai pensé à elle parce que j’avais déjà vu des illustrations qu’elle avait réalisé et qu’elles m’avaient beaucoup plu. Du coup je l’ai contacté avec une idée complètement folle et parfaitement irréalisable, cela va de soi. Je voulais faire des fausses affiches publicitaires situées dans des mondes uchroniques. L’idée a débouché sur autre chose, à savoir des éléments que l’on percevrait comme uchronique. Etant fan de l’exposition universelle de 1889, je me suis dit « Tiens si au lieu d’une Tour Eiffel, on faisait une gigantesque statue à la place, un peu comme si on avait notre statue de la liberté en somme » à partir de là j’ai extrapolé un contexte uchronique : la Révolution Française l’emporte et la France ne connaît que le régime républicain depuis 1789. Pour fêter cela, une représentation de Marianne est inaugurée en lieu et place de la Tour Eiffel. J’ai explicité rapidement le contexte dans un petit texte situé au début de l’anthologie. La couverture est en train d’être légèrement remaniée afin de rentrer pleinement dans la charte graphique de Rivière Blanche.

Par la suite nous aurons une statue dans un Japon uchronique et une autre dans une Amérique différente. Le tout formant un triptyque que j’ai pompeusement baptisé « Les trois grâces » ^^

ActuSF : La sortie de l’ouvrage sera-t-elle accompagnée de rencontres ou d’évènements en particulier ?

Bertrand Campeis : Le challenge était de sortir le premier volume pour les rencontres de l’imaginaire de Sèvres fin novembre 2018. L’autre challenge sera de sortir les deux derniers quasi simultanément pour Sèvres 2019.

ActuSF : Quels sont vos autres projets en cours ?

Bertrand Campeis : J’ai rédigé une postface au roman Underground Airlines qui sort chez ActuSF en octobre 2018. Je travaille sur des articles pour le magazine Animeland et j’écris deux articles pour un mook qui va sortir aux éditions Ynnis sur le studio Dreamworks où j’aborde deux dessins-animés que j’aime énormément (Dragons et Megamind) à travers la figure de l’animal mythique et de la thématique du Héros. Je dois également écrire une préface pour la suite de L’Ange blond de Laurent Poujois, tout en bouclant les deux Dimension Uchronie. Après je pense sauter le pas et commencer à écrire un roman sur une idée qui me trotte dans la tête depuis un certain temps, mais comme toujours, cela prend du temps.

 

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