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Interview 2018 : Black Bottom de Philippe Curval
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Interview 2018 : Black Bottom de Philippe Curval

Actusf : Black Bottom vient de paraître aux éditions de La Volte. Comment est née l’idée de ce roman ?
Philippe Curval : Depuis longtemps, j’avais envie d’écrire un roman sur l’avenir de l’art contemporain. J’avais déjà rédigé la première partie qui se passe à Paris, quand, en revenant de la Biennale de Venise, Anne, ma femme, une des meilleures historiennes de l’art qui l’avait lu et m’avait encouragé à poursuivre, est subitement décédée après cinquante-cinq ans de passionnante complicité. Il s’est trouvé à ce moment qu’une fondation américaine m’a invité à passer deux mois à Venise. J’ai pensé que ce séjour me permettrait d’échapper à mon désespoir. Cela n’a pas été exactement le cas, bien au contraire, mais je me suis livré durant ce temps à un reportage photographique sur des quartiers de la ville que bien peu de gens connaissent, surtout au cours de leur période nocturne. À partir de ce travail, j’ai écrit la deuxième partie de Black Bottom, en essayant de traduire au mieux les arcanes de Venise, l’explosion de son environnement artistique. J’y séjourne depuis fort longtemps. L’un de mes premiers romans, La forteresse de coton, en témoigne. Black Bottom, en quelque sorte, peut se lire comme un écho fantasmatique à cette œuvre de mes débuts et à la transformation de la ville.


Actusf : Qu’est-ce que vous avez eu envie de dire ? De raconter ?
Philippe Curval : En connaisseur du milieu de l’art depuis l’enfance puisque mon père était collectionneur, j’ai vu son évolution, ses dérives, ses éclats, ses réussites, ses échecs flagrants. Par ailleurs, j’ai constaté que le sentiment, que l’attrait des amateurs qui s’exerçait envers l’art contemporain avait été brouillé par le marchandising exercé par de puissants galeristes, par des potentats de la finance. À eux seuls, ils transforment l’art en marché, décident des valeurs, des talents au mépris de toute considération fondée sur les réelles qualités de l’expression artistique contemporaine. Mais je suis avant tout romancier et non polémiste. J’ai donc voulu raconter une histoire qui mêle suspense, fantastique et fiction spéculative, dont ce propos forme la toile de fond.


Actusf : Folie, écriture, vengeance… Autant d’ingrédients pour un roman qui explore beaucoup de questions, dont une vision de l’art quelque peu hors-norme. Aviez-vous des sujets qui vous tenaient particulièrement à cœur et dont vous avez parlé dans ce récit ?
Philippe Curval : L’invention de départ provient d’un texte d’Einstein qui prédit que certains événements ne se produisent ni entièrement dans le passé ni entièrement dans le futur, mais dans un intervalle entre les deux, une espèce de “présent étendu” dont la durée peut être très longue. Mon personnage principal au cours de ses études à l’école normale supérieure s’attache à découvrir le principe de ce qu’il nomme l’“aréel” et les moyens d’y accéder. Cette recherche l’amène au bord de la schizophrénie, à tel point qu’il se dédouble réellement. Mais il l’ignore. En rupture avec l’enseignement, il se met en grève maladie illimitée en compagnie d’Irène. Tous deux soupçonnent qu’une catastrophe va se produire. Sa rencontre avec Festen, un plasticien génial mais dangereux, va le mettre en contact avec les ténébreuses activités du milieu de l’art. Il s’implante une puce iCortex et commence un blog d’un style réinventé dont le succès ne cesse d’augmenter.
Mais ceci n’est qu’un prologue.
Car, en se rendant à la Biennale de Venise pour suivre Irène qui semble l’avoir abandonné, en compagnie d’une œuvre d’art vivante, il va pénétrer au cœur de la folie qui va s’emparer de l’art de demain, jusqu’à l’éclosion de l’art terroriste.
C’est donc un roman qui explore à la fois les thèmes de la schizophrénie, de l’amour fou, de l’art dans l’avenir, de son marché mondialisé, des profondeurs secrètes de Venise. Et surtout des conséquences extraordinaires que provoque la découverte de l’aréel.


Actusf : Avez-vous des inspirations en particulier ?
Philippe Curval : Tout m’inspire, en particulier ce qui provient de mes rapports sensuels avec le monde. Tout en privilégiant la vue puisque j’ai commencé dans la vie en tant que photographe professionnel. C’est en regardant le monde à travers le viseur d’un appareil photo, en voyant le résultat de mes clichés, que je réalise la différence extraordinaire entre la réalité que l’on perçoit et sa transposition, qui apparaissait autrefois sur le papier, aujourd’hui sur l’écran de mon ordinateur. Ces milliers de détails inconnus qui surgissent à travers ce regard différencié sont la source d’une multitude de surprises qui engendrent de nouvelles idées qui m’inspirent. J’ai découvert récemment, tout en étant, comme tant d’autres, un écrivain voyageur, que je suis avant tout un écrivain photographe.

Actusf : En parallèle de cette sortie, vous inaugurez aussi la nouvelle collection de La Volte : Eutopia avec Un Souvenir de Loti, De quoi cela parle-t-il ?
Philippe Curval : Il s’agit d’une longue novella qui se déroule dans un lieu utopique, Nopal, une planète artificielle, créée par Mandrake, un dieu qui n’existe pas, où se rencontrent toutes les créatures de la galaxie. Un endroit idyllique où le plaisir, l’imagination sont rois. Les Niges, créatures de rêve, s’y déploient dans un éblouissement de plumes, des poèmes naissent sur les ailes des oiseaux, les mots ont une valeur réelle, etc. Marjorie et Loti décident d’y achever leur vie. Mais, pour s’y intégrer, il fut suivre un parcours initiatique semé d’embûches sensuelles et philosophiques. C’est une histoire d’amour dédiée à ma femme disparue.


Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Philippe Curval : J’ai écrit une nouvelle à la demande des Hauts de France pour bibliomobile. Je termine une nouvelle sur le Conservatoire des êtres vivants dans la galaxie. Depuis un an, j’ai entamé un roman qui s’intitule le Paquebot immobile. Il s’agit d’une histoire inspirée par L’île à hélice de Jules Verne. Des libertaires, des athées, des opposants aux systèmes ont obtenu auprès de l’ONU la reconnaissance de l’amas de plastique du Pacifique nord en tant que continent. À partir des matériaux, ils ont créé une île gigantesque, pourvue d’une très haute technologie, protégée de toute attaque extérieure. Une sorte d’utopie où la monnaie n’existe pas, chacun est libre de travailler ou pas. Les loisirs, les jeux, les arts, la culture y sont privilégiés. Mon roman commence au moment où, après quelques décennies heureuses, quelqu’un va chercher à s’emparer du pouvoir. En même temps, sous l’effet d’un tsunami violent, l’île se sépare en deux. Est-ce vraiment l’effet du hasard ? Ou bien de l’évolution extraordinaire des bactéries mangeuses de plastique.

Actusf : Aura-t-on la chance de vous croiser en dédicace dans les mois à venir ?
Philippe Curval : Oui, je serai à la libraire Charybde le 25 septembre, le 10 octobre à la Maison de la poésie à Paris, du 2 au 4 novembre aux Utopiales, le 24 novembre aux rencontres de l’imaginaire à Sèvres.
 

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