Actusf : Comment est né ce livre-univers ?
Ketty Steward : C’est l’aboutissement d’une belle aventure qui commence avec la rencontre de Davy Athuil, l’individu, puis l’éditeur et la lecture de Moi, Peter Pan.
J’ai eu envie de rejoindre ces gens, cette dynamique, cet état d’esprit et j’ai cherché lequel de mes projets en cours j’allais pouvoir proposer à Mü. Je n’avais que le tiers du présent ouvrage, mais une vision assez claire de ce que je voulais en faire. J’en ai discuté pour la première fois avec l’éditeur pendant les Imaginales 2017. Entre-temps est née la collection de Li Cam, qui m’a accueillie et avec qui j’ai finalisé le texte. Je ne pouvais pas mieux tomber.
Actusf : De quoi cela parle-t-il ?
Ketty Steward : Les thématiques sont nombreuses et imbriquées.
S’agit-il de récits fantastiques, d’une illustration du syncrétisme religieux, de découverte d’un surnaturel méconnu, d’une réflexion sur la place et le rôle de la femme, sur la poésie et la magie qui se cachent dans les recoins du quotidien, d’une galerie de portraits étranges… ?
J’y ai mis un peu de tout ça, mais c’est sans compter sur le lecteur qui va y trouver bien davantage, comme souvent ! Il faudra me dire.
"Les confessions sont des récits et des poèmes qu’on pourrait lire indépendamment et dans le désordre ; mais ce serait passer à côté de la construction du monde auquel ils se rattachent."
Actusf : Vous parlez de livre-univers, pourquoi ?
Ketty Steward : Oui. L’appellation vient de la directrice littéraire et je la trouve juste, car elle rend justice au travail effectué sur le texte.
Les confessions sont des récits et des poèmes qu’on pourrait lire indépendamment et dans le désordre ; mais ce serait passer à côté de la construction du monde auquel ils se rattachent.
L’Île de la Séancière, qu’on pourrait cartographier, on la découvre vue du dessus, on la visite de jour, de nuit, dans les terres, sur ses côtes, accompagné par des personnages de tous âges, genres et milieux, qui s’interpellent d’un récit à l’autre.
Les poèmes participent de l’ambiance d’un même lieu, d’une même époque, où se mettent en scène la multiplicité des points de vue et la diversité des habitants. Rien n’est laissé au hasard.
Actusf : L’une des parts a-t-elle pris le pas sur l’autre ?
Ketty Steward : Je ne sais pas. J’imagine être arrivée à un bon équilibre, mais comment savoir ?
On sait que les souvenirs sont une forme de narration qui n’a parfois que peu à voir avec ce qu’on appelle « la réalité » et qui peut évoluer. Quant à la fiction, comment peut-on prétendre qu’elle se distingue absolument de ce qu’on est ? La séancière, c’est beaucoup de moi, beaucoup de ce que j’ai vu ou entendu, beaucoup de ce que j’ai inventé. Je ne saurais pas dissocier les ingrédients de la recette et je ne suis pas certaine d’en avoir envie.
"La fiction permet une approche plus distanciée, peut-être, et plus libre, sans doute.
En m’affranchissant de la nécessité de raconter une vérité, j’en ai peut-être dit davantage."
Actusf : Est ce que ce roman livre vous a permis d’aborder des choses qui vous tenaient à cœur et que vous n’aviez pas encore eu l’occasion ou l’envie de coucher sur le papier ?
Ketty Steward : Certainement. Je reviens sur des thèmes comme les croyances et les superstitions, par exemple, ou les préjugés, déjà présents dans mon roman autobiographique Noir sur Blanc et sa suite à paraître, mais je les aborde autrement. La fiction permet une approche plus distanciée, peut-être, et plus libre, sans doute.
En m’affranchissant de la nécessité de raconter une vérité, j’en ai peut-être dit davantage.
Le thème de la condition féminine qui apparaît également en filigrane, fera sans doute écho à la Fabrique des sorcières, à paraître également.
Il y a donc surtout de nouvelles manières d’aborder ces sujets autour desquels je tourne de façon assez obsessionnelle.
Actusf : Sorcellerie, magie, souvenirs, quelles sont vos sources d’inspiration ? Avez-vous dû faire beaucoup de recherches ?
Ketty Steward : Dans mon enfance, la séparation entre le matériel et le spirituel n’était pas nette. Tout se mélangeait. La fréquentation assidue de l’église adventiste et des récits bibliques pendant près de 20 ans m’a sans doute facilité la tâche en matière d’invention.
Il m’a donc fallu assez peu de recherche. Une courte immersion dans l’ambiance du carnaval, un peu de recherche sur la musique antillaise et c’est tout !
Actusf : Avez-vous eu d’autres influences littéraires et/ou artistiques lorsque tu as écrit ton récit en dehors de la dimension biographique ?
Ketty Steward : En écrivant ce livre, j’ai convoqué, non seulement l’enfance, mais aussi beaucoup de ce qui a nourri mon imagination et mes réflexions depuis de nombreuses années.
La Rue Case Nègre et les récits d’enfance de Chamoiseau rencontrent la Sorcière de Michelet et le fantastique de Maupassant…
Certains contes viennent de récits entendus, d’autres, de lectures. Le reste est complètement inventé, si tant est qu’on puisse créer ex nihilo.
Le début du Peigne, par exemple, est clairement relié, pour moi, au souvenir que j’ai de La pli bel an ba la bay, tiré des « Contes et Légendes des Antilles » publié chez Fernand Nathan, lu et relu dans mon enfance ; Pessyet, vient à la fois de ma grand-mère et d’un recueil de contes écrits en langue créole, que j’ai lu quand j’étais au collège…
L’exégèse biblique et l’étude de la psychologie m’ont donné le goût d’aller regarder ce qui se raconte derrière les légendes et l’envie de les réécrire pour les revisiter. C’est la première fois que je joue à ça sur des récits que j’ai moi-même en grande partie inventés.
Il n’y a pas une influence, il y a des tas de petites choses et l’envie de construire là-dessus quelque chose de cohérent.
"Refaire un peu de poésie pour les Confessions d’une séancière m’a donné envie de me pencher de nouveau sur ce genre-là. Certains textes existants vont devenir des chansons, d’autres resteront des poèmes…"
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Ketty Steward : Plusieurs projets sont lancés. L’anthologie SOS Terre et Mer en faveur des migrants devrait paraître sous peu. J’ai rendu le texte de la fiction radiophonique de science-fiction que j’ai écrite pour France Culture. Mon deuxième livre autobiographique est en lecture chez l’éditeur.
Aujourd’hui, je travaille en parallèle sur des nouvelles de SF pour un projet proposé à La Volte et sur un texte plus éloigné des littératures de l’imaginaire qui n’a pas encore trouvé son éditeur. Refaire un peu de poésie pour les Confessions d’une séancière m’a donné envie de me pencher de nouveau sur ce genre-là. Certains textes existants vont devenir des chansons, d’autres resteront des poèmes…
Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?
Ketty Steward : Je suis devenue de plus en plus casanière, mais la séancière mérite d’être rencontrée. Avec elle, je serai aux Utopiales, aux rencontres de l’Imaginaire de Sèvres, aux Imaginales, et dans plusieurs librairies.