Actusf : Dans LES VEILLEURS, on découvre un Paris en proie aux chaos avec des monstres rodant dans les rues... des survivants plutôt jeunes coincés derrière une enceinte encerclant la capitale... Comment est née l'idée de ce roman ?
Jean-Luc Bizien : Le projet est né il y a une dizaine d’années déjà. À l’époque, le « young adult » était encore balbutiant en France, mais ce public très particulier m’intéressait. Je voulais proposer des sujets importants, aborder des thèmes essentiels avec des lecteurs matures mais jeunes encore. Permettre à des parents de discuter de certains sujets avec leurs enfants, après avoir lu un roman dans lequel chacun peut trouver matière à réflexion.
J’ai eu l’idée d’opposer les générations dans un décor effroyable, qui pousserait chacun à agir pour la survie. Le sujet n’avait pas encore été traité de cette façon-là. Hélas, le monde de l’Édition est ainsi fait que j’ai dû me consacrer à d’autres projets et laisser le projet de côté…
Mais l’envie était là et je suis très heureux que ces VEILLEURS voient enfin le jour, malgré le rideau de ténèbres qui les sépare du monde.
Actusf : Y'a-t-il une jubilation particulière à peupler les rues de la capitale de loups-garous, de goules et de vampires ?
Jean-Luc Bizien : Bien sûr ! C’est formidable de pouvoir jouer avec les codes, dans un décor familier. Paris est une ville merveilleuse, que tout le monde croit connaître… mais que personne ne cerne réellement.
Partir à sa (re)découverte en compagnie de monstres était particulièrement jouissif.
Il y avait presque la même excitation à décrire les cavalcades des monstres qu’à travailler sur un récit de cape et d’épée.
LES VEILLEURS, c’est à la fois un thriller fantastique, une dystopie… et un roman d’aventure.
Actusf : Plutôt que de suivre un ou deux personnages, vous avez choisi d'en avoir plusieurs. Pour quelles raisons ?
Jean-Luc Bizien : Je ne voulais pas me limiter à un ou deux personnages principaux. Le sujet était trop sensible, je redoutais de réduire mon propos, de passer à côté de ce qui constituait le cœur de mon récit.
LES VEILLEURS, c’est un roman qui se nourrit de sujets qui me touchent vraiment. Je voulais parler de différence, de tolérance, des peurs primales qui poussent certains à rejeter l’autre, à construire des murs pour repousser les migrants, à s’enfermer pour ne plus voir l’étranger, à condamner les comportements qu’ils jugent déviants. À accueillir l’étranger – alien en anglais – quel qu’il soit.
Mon souci était d’offrir au lecteur un message clair. Je voulais que tous les lecteurs puissent s’identifier. Il me semble qu’en l’état un grand adolescent, un jeune adulte ou des parents peuvent y trouver leur compte. Chacun aura sa lecture du roman, à l’aulne de son parcours et de son vécu.
[...] je tenais à offrir aux lecteurs un « conte réaliste ».
Actusf : Vous avez un roman avec des moments très durs, assez chocs, mais en même temps des moments plein d'humanité. Qu'aviez-vous envie de faire ?
Jean-Luc Bizien : Essayer d’imaginer au plus vrai ce que serait cette vie-là. L’existence, les doutes, les difficultés des survivants dans un tel chaos. Et faire ressentir à mes lecteurs les mêmes sentiments, très forts, très prégnants.
Je voulais proposer un conte, en jouant avec tous les codes de cette narration particulière… mais je tenais à offrir aux lecteurs un « conte réaliste ».
C’est pourquoi il y a effectivement des moments très durs, mais ils sont tous au service de l’histoire. Ils sont nécessaires et aucun d’eux n’est gratuit ou complaisant.
Encore une fois, ces sujets me sont chers et j’ai saisi l’opportunité de les traiter en privilégiant l’émotion et la sincérité.
Il me fallait en passer par là – certaines scènes n’étaient pas prévues au début du roman, elles se sont imposées au fil de l’écriture – et j’espère que les lecteurs ressentiront autant d’émotion à sa lecture que j’en ai éprouvé en écrivant ce livre.
Actusf : Vous parcourez les rues de la capitale de manière assez précise pour suivre certains de tes héros. Vous avez bossé avec une carte de Paris sous les yeux ?
Jean-Luc Bizien : J’ai surtout vécu 15 ans à Paris et arpenté des heures durant les lieux que je décris dans le livre. J’aime parler de lieux que je connais, inviter le lecteur à m’y accompagner. J’adore me souvenir de sentiments éprouvés ici ou là, au détour d’une rue, à la faveur d’une éclaircie ou sous la pluie. Je pense que le partage de ces émotions donne corps au récit.
J’ai habité plusieurs années dans le 14ème arrondissement. J’ai vécu aussi au-dessus du parc des Buttes-Chaumont. Je connais par cœur le cimetière du Père-Lachaise (une partie de ma famille y repose), j’ai connu de formidables moments rue de la Roquette…
Mais cela ne m’a pas empêché de travailler avec un plan, pour éviter que ma mémoire capricieuse me joue de vilains tours !
"J’adore entraîner le lecteur dans un récit vivant, partager avec lui les images que j’ai en tête – tout en sachant que son esprit les déformera et lui permettra de se les approprier."
Actusf : Il y a des scènes très cinématographiques. Vous aviez des images de films en tête en écrivant ?
Jean-Luc Bizien : Oui ! Et j’adorerais travailler un jour à une adaptation cinéma ou TV. Je crois que plus j’avance en écriture – en âge, aussi, autant l’avouer – et plus ma narration emprunte à l’image.
C’est un véritable retour aux sources, pour moi : je viens du jeu de rôle et de la BD (j’ai longtemps dessiné, même si je n’ai jamais publié aucun dessin), d’univers où l’image tient une très grande place. Il faut proposer une narration très visuelle, très rythmée pour obtenir l’attention des joueurs ou des lecteurs.
Je sais, pour l’avoir enseignée, combien la lecture demande un gros effort. Et je sais aussi que plus le texte est visuel, plus il est rythmé et moins on ressent l’effort fourni.
J’adore entraîner le lecteur dans un récit vivant, partager avec lui les images que j’ai en tête – tout en sachant que son esprit les déformera et lui permettra de se les approprier.
À l’arrivée…
Il y aura autant d’adaptations des VEILLEURS que de lecteurs, mais chacun aura mis en scène son film !
"Parce que la littérature ne sert qu’à cela : nous rappeler ce que nous sommes et nous inviter à réfléchir à ce que nous devrions être. Pointer du doigt nos grands courages, nos petites lâchetés, nos défauts quotidiens."
Actusf : L'histoire devrait se poursuivre. Qu'est-ce que vous pouvez déjà nous en dire ?
Jean-Luc Bizien : J’ai quasiment fini de scénariser le tome 2, à présent. Je ne voudrais pas en déflorer le sujet, mais disons que j’y aborde d’autres thèmes qui me sont chers – la parentalité, l’héritage, la transmission… mais aussi la fraternité, l’amour et la trahison.
La vie, en somme.
Parce que la littérature ne sert qu’à cela : nous rappeler ce que nous sommes et nous inviter à réfléchir à ce que nous devrions être. Pointer du doigt nos grands courages, nos petites lâchetés, nos défauts quotidiens.
Ce second tome devrait surprendre les lecteurs : ce sera la suite et la conclusion du récit, mais après avoir invité les humains à témoigner…
Je raconterai l’aventure du point de vue des créatures.
Qui seront, au final, les plus monstrueux ?
Ce sera à VOUS, lecteurs, de décider !
J’espère simplement que je parviendrai à boucler ce cycle dans le second tome, dont l’écriture s’annonce fort excitante.