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Interview 2018 : Nadia Coste pour Jivana
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Interview 2018 : Nadia Coste pour Jivana

 ActuSF : D'abord te souviens-tu des origines dans ton esprit de l'univers des Fedeylins ?

Nadia Coste : Oui, je m’en souviens très bien ! C’était en 2004, quelques mois après la naissance de ma fille aînée. J’écrivais beaucoup depuis 6 ans, sans ambition éditoriale, juste pour « m’entraîner » et progresser car j’avais beaucoup d’histoires à raconter, mais je ne me sentais pas encore capable de créer tout un univers et aller au bout d’un roman (les vieux restes des « peut mieux faire » de l’école, où j’étais plutôt moyenne… et nulle en orthographe ! Il me fallait me sentir légitime, au moins pour moi).

À ce moment-là, je me suis dit « Les exercices, ça suffit. L’écriture me prend du temps, pour un résultat pas terrible : maintenant, je veux faire les choses bien. Si je ne dois écrire qu’un seul roman dans ma vie, s’il n’y a qu’une seule histoire que je peux mener jusqu’à un éditeur puis jusqu’à des lecteurs en un faisant un vrai livre, qu’est-ce que ce serait ? J’ai toute la vie devant moi pour le trouver (personne ne sait que j’existe), mais je veux pouvoir en être fière si on m’en parle quand j’aurais 80 ans… ».
 
  
Ça a été le point de départ. Ensuite, il m’a fallu un an pour créer tout l’univers, sans écrire une ligne du roman, mais en prenant des notes, faisant des recherches et préparant la trame détaillée de l’histoire (c’est là que je me suis rendu compte qu’il me faudrait 4 tomes).
 
L’embryon d’histoire initiale n’a à peu près rien à voir avec le résultat final. Je crois être partie d’une mouche anarchiste qui se suicide sur un rapport humain pour éviter l’envahissement de sa planète ! L’histoire était racontée après sa mort, du point de vue du crapaud qui l’avait accompagnée dans le vaisseau spatial dans lequel ils s’étaient cachés (ils avaient du faire alliance, tout ça, et le crapaud se retrouvait seul sur Terre. C’était tragique). Mais je ne me sentais pas de gérer la vision multifacettes et éphémère d’une mouche… et je suis passée à un peuple féérique, mais sans le côté « mignon/magique » des fées. Pour retrouver un côté animal, proche de nous et de la nature. De là, ça m’a amené au concept du destin (fée, dérivé du latin « fatum », etc), et, comme c’était un thème beaucoup utilisé en fantasy sous la forme du « héros au destin extraordinaire au milieu de centaines de personnes lambda » (potentiellement l’élu de la prophétie qui devait tuer le grand méchant…), je me suis dit que j’allais utiliser ce thème à contrepied. Tout le monde aurait un destin, sauf une personne. Et c’est lui dont l’histoire serait justement intéressante à suivre. 
 
Voilà, c’est comme ça que ça a commencé !
 
ACTUSF : Raconte nous un peu l'histoire de la première série. Il s'agissait de tes premiers romans publiés. Comment cela s'est-il passé ? 

Nadia Coste : Après cette année de préparation de l’histoire, je me suis lancé dans la rédaction… j’ai passé à peu près un an sur chaque tome. Quand le premier a été terminé, relu, corrigé, j’ai commencé à l’envoyer chez des éditeurs (c’était la version 3 du manuscrit, à l’époque). J’ai continué à écrire la suite en attendant les réponses. Elles ont pris entre 3 semaines et 3 ans à arriver. Pour dire toujours la même chose : « ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». J’avais du mal à comprendre : c’était un texte de fantasy, et les éditeurs publiaient de la fantasy… 

Quand j’ai achevé le tome 4, j’ai découvert le collectif CoCyclics et je me suis dit qu’il y avait quand même peut-être un problème avec mon texte. Pour ceux qui ne connaissent pas CoCyclics, c’est un collectif de jeunes auteurs qui s’entraident pour améliorer leurs manuscrits grâce à la bêta-lecture (pas de « j’aime/j’aime pas » ou de « tu devrais faire comme ça » : le lecteur donne son ressenti, et l’auteur doit trouver ses propres solutions pour corriger son texte dans le sens qu’il souhaite). En échange, il s’engage à relire le texte de quelqu’un d’autre pour l’aider de la même façon. J’ai beaucoup appris. Plus en 3 semaines sur le forum qu’en 3 ans toute seule ! Rien que les remarques sur un seul chapitre me permettaient de corriger l’ensemble du manuscrit ! (et relire le texte des autres nous fait également comprendre des tas de choses sur ses propres textes).

Bref, après plusieurs mois (un an ?) de travail avec des personnes qui sont, pour certaines, devenue des amies proches (et des autrices de talent dont j’ai la chance de lire les manuscrits en avant-première – coucou à Lise Syven, Agnès Marot, Cindy Van Wilder et Silène Edgar), le premier tome de Fedeylins en était arrivé à la version 8 (et je comprenais beaucoup plus pourquoi les éditeurs avaient refusé la V3 !!! D’une part, il y avait du boulot, et, d’autre part, je ciblais des éditeurs adultes, alors que le roman pouvait être lu dès 13 ans, donc passer dans une collection jeunesse).

J’avais ouvert un blog d’écriture pour que les membres du collectif qui me suivaient et mes proches puissent voir mes avancées (« j’ai corrigé 50% ! Youhou ! » etc). Et, pour « monter » un peu de quoi parlait l’histoire à ceux qui ne la connaissaient pas, j’ai posté le premier chapitre. À ce moment-là, les éditions Gründ lançaient leur collection de romans jeunesse et cherchaient des auteurs francophones. Par bouche-à-oreille, Xavier Décousus, qui gérait cette collection, a entendu parler de mon roman, est allé lire le premier chapitre sur mon blog…  Il a complètement accroché à cette histoire. Il m’a demandé de tout lire (le tome 4 n’en était qu’à la V5, mais c’était lisible) et a accepté l’ensemble de la série… c’était complètement surréaliste, après 6 ans de travail et de doutes, de rencontrer, enfin, un éditeur qui y croit.
 
C’était en 2010. Le premier tome des fedeylins est sorti en 2011… et je ne me suis plus arrêtée depuis !
 
"Le premier tome de Fedeylins en était arrivé à la version 8 (et je comprenais beaucoup plus pourquoi les éditeurs avaient refusé la V3 !!!"
 
 

ACTUSF : Tu as fait plein d’autres romans entre temps, qu’est-ce qui t’a donné envie d’y revenir ? 

 Nadia Coste : Comme le point de départ était « si je n’écrivais qu’un seul roman dans ma vie » et que j’avais passé 6 ans sur les Fedeylins, c’était un peu devenu mon univers chouchou. D’autant que je l’avais pensé comme un univers qui fait du bien, positif, lumineux, pour que le lecteur (et moi aussi, au passage) se réjouisse d’y replonger après une journée de souci au boulot ou à l’école…

Au moment de l’écriture du tome 4, je n’avais pas spécialement prévu d’écrire une suite, mais je savais que j’aimais tellement cet univers qu’il n’était pas impossible que j’y revienne un jour. Alors, je me suis créé une porte par laquelle je pouvais y retourner. Le personnage de Jivana. Elle est présente, enfant, dans le tome 4, mais on sait très peu de choses sur elle. Elle semble un peu mystérieuse… mais elle a du potentiel. Je me suis donc dit que, si j’y retournais un jour, ce serait avec elle.
 
C’est en discutant avec Maëlig Duval (l’une de mes bêta-lectrice des Fedeylins, et une autre autrice de talent à suivre !) que la question de la place des femelles fedeylins qui ne voulaient pas pondre m’a sauté aux yeux. Je ne pouvais pas l’aborder avec Cahyl, mon héros des fedeylins, car ce n’est pas du tout sa problématique (lui, il cherche sa place dans son monde, et, d’une manière globale sur les quatre tomes, pose la question de la place des mâles en tant que reproducteurs dans la société. On parle d’amour, de famille, de maternité et paternité…). J’ai réalisé, après coup, que la série risquait d’être interprétée en mode « une maman et un papa pour faire des enfants », façon « manif pour tous », et ce n’était pas du tout mon intention. Mais je pouvais y remédier. Parler d’Amour avec un grand A, qui ne se limite pas à l’hétérosexualité ou à la reproduction. Et, pour cela, j’avais le personnage de Jivana !

ACTUSF : Jivana est une fedeylin un peu spéciale. Elle porte en elle une déesse. Est-ce que tu peux nous la présenter ? 

 Nadia Coste : Jivana est une fedeylin particulière car, contrairement aux autres, elle n’a pas grandi dans une bulle pendant cinq ans avant de venir au monde en sachant marcher, parler, etc. Sa mère a emporté sa bulle avec elle pour la protéger en la mettant à l’abri dans un village fedeylin des montagnes mais le voyage a été périlleux et Jivana a failli mourir… Il se trouve que l’esprit de la déesse de la nuit et de la connaissance – Savironah – était préservé à cet endroit. Savironah a tenté de quitter son tombeau pour s’incarner dans le corps de Jivana… mais elle a échoué. Son esprit est resté prisonnier de l’enfant, ce qui a sans doute participé à sa survie. Elles se sont donc liées, toutes les deux, pour grandir.

"Parler d’Amour avec un grand A, qui ne se limite pas à l’hétérosexualité ou à la reproduction. Et, pour cela, j’avais le personnage de Jivana !"

Les fedeylins, aux capacités empathiques très développées, « entendent » la voix de Savironah dans le corps de Jivana, mais ne l’expliquent pas. Beaucoup pensent donc que Jivana est folle, et qu’elle se parle toute seule… Ce n’est pas tous les jours facile pour elle, mais elle est heureuse comme ça, à vivre avec sa déesse en elle.
 
Au début du roman, Jivana a 25 ans. Elle participe à la vie du village en tant que récoltrice, et choisit des missions solitaires pour s’isoler de ses semblables dont elle se sent différente…

ACTUSF : Quelle est leur relation à toutes les deux ? 

Nadia Coste : C’est une relation très forte. Jivana doit sa survie à la déesse, et l’esprit de Savironah disparaîtrait sans Jivana. Il leur a fallu du temps pour trouver un équilibre (entre une déesse de plusieurs siècles, et une larveylin minuscule…) mais, plus Jivana grandissait, plus elles devenaient amies. Savironah conseille souvent Jivana, qui l’écoute plus ou moins ! Elles se titillent parfois, mais se réconcilient toujours.

Sans qu’elles s’en rendent compte, leurs sentiments se transforment peu à peu en un amour impossible, puisqu’elles vivent dans le même corps…
 
ACTUSF : Comment as-tu géré l'équilibre de cette relation à deux dans un même corps ? 

 Nadia Coste : Je pense que j’ai compris comment faire techniquement en lisant « Le Soldat Chamane » de Robin Hobb (qui est mon autrice préférée, même si cette série n’est pas ma favorite). D’ailleurs, j’apprends toujours beaucoup sur mon métier en lisant Robin Hobb ! 

Et le fait d’entendre des voix, la folie, la maladie, ou le dédoublement de personnalité, c’est quelque chose qui revient parfois dans ce que je traite. Peut-être parce que j’ai des histoires plein la tête et que, si elles ne sortent pas, j’ai l’impression de devenir folle (ou que ma tête va exploser) ? (heureusement, il y a un mécanisme naturel assez cool qui fait que ça se régule et que, dès qu’une histoire a libéré de la place dans mon cerveau, paf, une nouvelle arrive).
 
 "Sans qu’elles s’en rendent compte, leurs sentiments se transforment peu à peu en un amour impossible, puisqu’elles vivent dans le même corps…"
 
J’ai eu à explorer d’autres facettes de ce thème, notamment avec « Rhizome » (qui sort au Seuil début octobre) : là, mon héros aussi entend une voix en lui, mais il le perçoit beaucoup plus comme un parasite (symboliquement, il parle à son cancer). L’ambiance n’a rien à voir avec Jivana, et le contexte est beaucoup plus SF que fantasy, mais, en relisant les épreuves des manuscrits avant publication, je me suis rendu compte que le fait de se parler à soi-même (ou à un autre soi) me touchait profondément.
 
Et puis, comme Jivana est aussi un texte féministe, j’avais envie de dire que toutes les femmes portent une déesse en elles, et sont capables de sauver le monde. 

ACTUSF : Est-ce que tu as envie un jour de poursuivre dans cet univers ? 

 Nadia Coste : J’ai appris à ne jamais dire jamais ! On n’est pas à l’abri qu’une autre histoire débarque un jour, soit d’un bloc, soit par petit « et si… » qui font qu’on déroule le fil de la pelote jusqu’à se dire « il faut que je l’écrive ! ».

Pour l’instant, j’ai plein (plein) d’autres histoires à écrire, donc, dans tous les cas, ce ne sera pas pour tout de suite ! Et puis, cette fois-ci, je ne me suis pas laissé de « porte » pour revenir…

ACTUSF : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ? 

 Nadia Coste : À part les corrections pour « Comment je suis devenue un robot », un roman sur le handicap qui sort aux éditions Syros début 2019 (pour un public un peu plus jeune, je dirais à partir de 10 ans), je travaille sur le premier jet d’une nouvelle histoire de fantasy : « La Cité du Savoir ». Ce devrait être un roman autonome, si tout va bien (mais j’aime beaucoup l’univers, et, s’il se développe en cours d’écriture, je ne serais pas très surprise de faire deux tomes… je me laisse porter pour l’instant).

Normalement, le suivant sur la liste sera : « Devine de quand je t’appelle », une histoire de voyage dans le temps pour grands ados que je prépare en coécriture avec ma sœur.
 
J’ai terminé beaucoup de choses en 2018 (avec 4 sorties !), et là, je remets presque les compteurs à zéro : toutes les histoires que je compte écrire sont au stade des recherches, de la préparation… comme il me faut en moyenne 2 ans entre la première idée et la publication, j’espère terminer « La Cité du Savoir » à temps pour une sortie fin 2019, et avoir mis en route les autres projets pour 2020…
 

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