Actusf : Avant de parler de votre nouvelle série, Marie des Dragons, pouvez-vous rapidement nous présenter votre parcours dans le milieu de la bande dessinée ?
Ange : D’abord, précisons que nous sommes deux… Anne et Gérard, ce qui, en prenant les deux premières lettres de notre prénom, forme le pseudo « Ange ». Ce qui est parfait, étant donné que les anges sont asexués…
Nous avons commencé dans la BD il y a à peu près trois millions d’années, en tant que scénaristes chez Glénat puis chez Vents d’Ouest. Après un petit intermède chez l’éditeur Le Téméraire, nous sommes passés chez notre éditeur actuel, Soleil, qui nous fait vraiment confiance et qui nous a permis de développer les séries sur lesquelles nous travaillons en ce moment… Le Collège Invisible, La Geste des Chevaliers Dragons, Paradis Perdu, etc.
Actusf : Entrons dans le vif du sujet. Avec Marie des Dragons, vous frappez fort, avec un scénario d’une complexité étonnante dont on aimerait déjà explorer toutes les possibilités. Il paraît pourtant évident que ce premier tome est loin de dévoiler les mystères de cet univers. Avez-vous déjà prévu un scénario sur plusieurs volumes, ou allez-vous avancer pas à pas avec l’héroïne selon l’inspiration ?
Ange : Nous avons prévu une histoire sur plusieurs volumes. Nous connaissons déjà la fin, et nous avons préparé un certain nombre de « points forts », de « passages obligés » pour les personnages et pour le monde. Nous savons les conflits que nous allons mettre en place, et comment les résoudre… mais il reste quand même, comme dans tous nos scénarios, une grande part de souplesse… Nous pourrons nous adapter à la longueur de la série, et aux envies d’ambiance de Thierry Démarez, le dessinateur… qui, par exemple, préfère le nord à la Méditerranée, a envie de dessiner un certain genre d’architecture, etc. Mais même si le nombre d’histoires que nous avons à raconter dans cet univers est grand, nous savons où nous allons.
Actusf : Le monde de Marie des Dragons est une approche fantastique, décalée de notre passé. Ce n’est pas un récit historique – du moins dans ce qui ressort du premier tome –, pourtant tout nous renvoie à notre histoire, à la France des Rois Maudits, d’une manière à la fois crue et qui sonne juste. Pourquoi avoir choisi cette époque et l’avoir mise en avant avec autant de vérité ?
Ange : Nous avons choisi cette époque pour Les Rois Maudits, justement. Nous sommes amoureux de la série… aussi bien la série de romans que le feuilleton (le premier, celui qui n’avait presque pas de décor, et qui était d’une théâtralité réjouissante !).
Il faut dire que c’est une époque fascinante que celle de Philippe le Bel… La France oscille entre l’obscurantisme et les prémices d’une certaine modernité, la renaissance frémit en Italie, toutes les contradictions religieuses et politiques se posent… Et pour parler graphisme, la France reste encore moyenâgeuse, avec toute la beauté, la violence, l’âpreté de cette époque – tellement belle à illustrer – mais c’est, en même temps, le début d’un certain luxe… Ce qui sera tout simplement agréable à dessiner, quand les lecteurs en auront assez de voir nos héros patauger dans la boue !
Actusf : Vous avez déclaré avoir été inspirés par Thorgal dans votre réalisation, et vouloir écrire une série grand public. Pourtant, il y a une nette différence dans le ton du propos comme dans l’énergie et la noirceur du récit entre votre album et les histoires souvent simples de Van Hamme. Le grand public d’aujourd’hui demande-t-il plus aux auteurs qu’à l’époque des débuts de Thorgal ?
Ange : Nous pensons que oui. Entre Thorgal et aujourd’hui, il y a eu l’arrivée des séries américaines et des mangas… qui ont habitué le public à des scénarios beaucoup plus complexes, beaucoup plus développés (forcément, aussi bien les mangas que les séries américaines ont du temps, de la place pour raconter leurs histoires, alors que nous autres pauvres scénaristes franco-belges, nous sommes coincés dans 46 pages). Il est beaucoup plus difficile de surprendre les lecteurs, blasés par vingt ans de romans, BD, jeux vidéos, séries, films de science-fiction et de fantasy…
Thorgal, dont nous sommes tous les deux des adorateurs absolus, fonctionne par son humanité, la qualité de sa narration, et la simplicité archétypale de son personnage principal (les personnages secondaires, eux, sont complexes). Mais justement, un archétype, en fantasy d’aujourd’hui, ça ne suffirait plus. Nous sommes au moins à la quatrième génération d’auteurs de fantasy après Tolkien, et à chaque fois, tout se complique !
Maintenant, il y aussi le fait que nous aimons la noirceur, et que nos histoires y tendent naturellement. Vous devriez assister à nos discussions de « création d’histoires ». Régulièrement, nous essayons de faire un scénario plus léger… plus fun… plus optimiste… avec un beau happy end… et au bout de trente pages, nous craquons et nous tuons tout le monde.
Ou nous introduisons des thèmes un peu plus intéressants, comme des révolutions, des guerres, des luttes politiques…
Même dans Le Collège Invisible, notre série jeunesse qui est vraiment la plus joyeuse et la plus humoristique de nos BD, il y a des petits morceaux de noirceurs qui percent… Désolés ! Le dark side est en nous… (Et encore, vous n’avez pas lus nos romans… c’est pire !)
Actusf : Pour continuer à parler des séries « grand public », elles proposent bien souvent un héros droit et juste qui lutte contre le Mal, quelle que soit sa forme dans l’histoire. Mais Marie est une femme qui possède les hommes et vend son bras, William assassine comme il respire et Jean, sous des apparences droites, est suffisamment fanatique pour rejeter la possibilité d’un amour. C’est là un sévère contrepied aux représentations habituelles. Pourquoi ce choix ?
Ange : Marie est libre sexuellement, c’est vrai, et c’est une mercenaire, mais elle incarne quand même « l’héroïne droite et juste ». Elle veut retrouver les assassins de sa famille, elle est de nature généreuse, loyale, forte, fidèle en amitié… C’est une héroïne. Et malgré ce que nous disions à la question précédente, Marie est archétypale, à sa manière … « le dernier survivant d’un massacre qui, des années plus tard, loue ses services comme guerrier mais qui secrètement cherche vengeance », c’est un archétype… sauf que c’est un archétype plus souvent masculin.
Le fait que Marie couche avec qui elle le sent ne choquerait pas du tout si c’était un homme… ce serait un séducteur, regardez Largo Winch ! (Ou XIII !) Mêmes archétypes, en vérité… Bref, à notre avis, Marie est vraiment une héroïne « classique ».
Par contre, William et Jean… Ah, c’est plus compliqué ! Mais justement, on peut s’amuser avec les personnages secondaires. William est un mercenaire sans foi ni loi, qui n’est fidèle qu’à son amitié pour Marie, et qui tue sans remords… déjà dans le tome un, mais vous n’avez pas encore lu le tome deux, il y a une scène avec lui qui risque de choquer les âmes sensibles. Ce n’est pas un monstre, c’est un « aventurier » de son temps. La vie humaine avait moins de valeur, et il fallait survivre… Nous avons eu pas mal de discussions avec Thierry, sur « l’angle » donné à William dans le tome 2. Thierry a eu peur que nous l’ayons écrit « trop dur », mais nous ne voulions pas qu’il tourne guimauve, qu’il devienne le mercenaire au cœur tendre. William est un tueur. Un tueur cynique, drôle, loyal envers ceux qu’il aime, généreux quand ça l’amuse, coureur de jupons… mais un tueur.
Jean, le chevalier, pourrait en apparence être un héros plus « facile ». Il doit combattre le mal, être chaste, sincère, bon, etc. Et il l’est. Mais de la même manière que William est un « mercenaire » réaliste de son époque, Jean est un chevalier « réaliste » de son époque, c’est-à-dire que son travail, c’est de tuer. Nos deux protagonistes masculins sont tous deux des violents, et en effet, ni l’un ni l’autre ne sont des héros au sens classique du terme. Mais c’est cela qui est drôle…
Actusf : Concernant Marie elle-même, à l’époque des Rois Maudits, la femme, si elle était reconnue en tant que telle, avait des limites dans ses possibilités d’action, de liberté. Limites que vous transgressez allégrement avec Marie en la faisant se battre, coucher, agir comme un homme. De fait, ne s’agit-il pas plus d’une héroïne de maintenant que du Moyen-Âge ?
Ange : Nous transgressons en effet les limites, mais pas si allégrement que ça. Le Moyen-Âge était encore un âge chaotique, et le chaos implique plus de liberté. Il y avait quelques femmes qui se battaient… Des femmes bandits, des meurtrières, des femmes chefs de village, des femmes menant des bandes d’hérétiques à la révolte, des châtelaines dirigeant leurs soldats… Quelques histoires parlent de femmes montant à cheval et se battant… Attention, quelques unes, très rares, et jamais les femmes n’étaient reconnues par la chevalerie ou par les autorités en place. Mais disons qu’une femme comme Marie n’est pas absolument totalement impossible. Elle est juste très improbable. Après tout, il y a Jeanne d’Arc !
Je pense que le personnage de William aide à la crédibilité de l’existence de Marie. Il aurait été très difficile à Marie de survivre toute seule. Soyons réalistes… elle se serait fait capturer, violer et tuer. Mais là, ils sont deux. Même si Marie est la plus célèbre (à cause de son lien avec les « créatures », les soi-disant « dragons »), William et Marie sont engagés ensemble, comme « couple de combattants ». Et ils se protègent mutuellement.
Maintenant, nous ne pensons pas que Marie soit une héroïne moderne. Le XIIIe siècle, c’est aussi le temps des hérésies, et pour revenir à ce que nous disions au paragraphe précédent, il y a eu des femmes hérétiques menant des mouvements puissants, et ces hérésies prônaient justement la liberté sexuelle. En fait, il y a eu des Woodstock avant l’heure au XIIIe et au XIVe siècle. Voir dans Le Nom de la Rose (le livre), entre autres… Et puis, sans aller jusque-là, il y a toujours eu des courtisanes, des « filles à soldats », des nonnes en rupture de ban faisant leur vie avec un séduisant brigand, puis un autre… Si l’Église se battait pour imposer le mariage et la chasteté… c’est bien qu’il y en avait qui n’étaient pas chastes !
Actusf : Au risque de poser des questions cent fois rebattues sur l’idée, le pourquoi et le comment de cette histoire et le fait d’écrire à deux les scénarios : vous avez en vous-même une dualité, une différence qui se retrouve dans les personnages, à la fois forts et faibles, brutaux et sensibles... Pensez-vous que le double regard que vous portez sur vos héros vous permet de les rendre plus profonds, plus attachants, plus humains ?
Ange (1) : Oui !
Ange (2) : Non !
Actusf : Pour finir, autre question incontournable : en dehors de Marie des Dragons, que pourra-t-on lire de vous en 2010 ?
Ange : Nous avons une nouvelle série qui débute en février / mars, qui s’appelle Tibill le Lilling, avec Laurent Cagniat au dessin. C’est une série de Fantasy, avec tous les éléments que nous aimons. Nous allons suivre les aventures d’un Lilling, qui doit juste sauver le monde pour pouvoir retourner vivre dans son village d’où il a été banni pour avoir fait une boulette de trop… C’est une série très riche que nous avons en « production » depuis plusieurs années maintenant, et que nous avons pu mener à bien suite à notre rencontre avec Laurent. Pour nous, c’est une série très importante… Tout est dans le titre, on adore les titres comme Bilbo le Hobbit, Conan le Barbare, Erik le Viking, la définition du personnage est dans le titre, c’est un Lilling et il s’appelle Tibill… et nous espérons vraiment qu’il aura beaucoup de lecteurs.
Nous aurons aussi le démarrage de Jack Black au second semestre, une série d’Hyper Thriller avec un rythme très rapide, très comics, et un concept de base assez semblable à la Geste sur lequel plusieurs dessinateurs pourront travailler de front, et pourquoi pas plusieurs scénaristes… Et bien sûr, La Geste des Chevaliers Dragons avec le tome 10 en avril, dessiné par Édouard Guiton, un ancien designer de jeux de figurines, Le Collège Invisible avec le tome 9 à la fin de l’année, les deuxième et troisième tomes de Paradis Perdu Psaume 2, quelques albums des Blondes, peut-être un western si le planning nous le permet et quelques projets encore totalement top secret dont nous ne pouvons dire un mot si nous ne voulons pas que les ninjas nous attendent à la sortie… comme vous voyez, une année bien remplie…
Et en principe, le premier tome de la Geste sera publié par Marvel Comics en février / mars. Et ça, pour nous qui avons été élevés en partie à grands coups de Strange, en plus de notre éducation franco-belge, ce n’est absolument pas anecdotique...
Ange : D’abord, précisons que nous sommes deux… Anne et Gérard, ce qui, en prenant les deux premières lettres de notre prénom, forme le pseudo « Ange ». Ce qui est parfait, étant donné que les anges sont asexués…
Nous avons commencé dans la BD il y a à peu près trois millions d’années, en tant que scénaristes chez Glénat puis chez Vents d’Ouest. Après un petit intermède chez l’éditeur Le Téméraire, nous sommes passés chez notre éditeur actuel, Soleil, qui nous fait vraiment confiance et qui nous a permis de développer les séries sur lesquelles nous travaillons en ce moment… Le Collège Invisible, La Geste des Chevaliers Dragons, Paradis Perdu, etc.
Actusf : Entrons dans le vif du sujet. Avec Marie des Dragons, vous frappez fort, avec un scénario d’une complexité étonnante dont on aimerait déjà explorer toutes les possibilités. Il paraît pourtant évident que ce premier tome est loin de dévoiler les mystères de cet univers. Avez-vous déjà prévu un scénario sur plusieurs volumes, ou allez-vous avancer pas à pas avec l’héroïne selon l’inspiration ?
Ange : Nous avons prévu une histoire sur plusieurs volumes. Nous connaissons déjà la fin, et nous avons préparé un certain nombre de « points forts », de « passages obligés » pour les personnages et pour le monde. Nous savons les conflits que nous allons mettre en place, et comment les résoudre… mais il reste quand même, comme dans tous nos scénarios, une grande part de souplesse… Nous pourrons nous adapter à la longueur de la série, et aux envies d’ambiance de Thierry Démarez, le dessinateur… qui, par exemple, préfère le nord à la Méditerranée, a envie de dessiner un certain genre d’architecture, etc. Mais même si le nombre d’histoires que nous avons à raconter dans cet univers est grand, nous savons où nous allons.
Actusf : Le monde de Marie des Dragons est une approche fantastique, décalée de notre passé. Ce n’est pas un récit historique – du moins dans ce qui ressort du premier tome –, pourtant tout nous renvoie à notre histoire, à la France des Rois Maudits, d’une manière à la fois crue et qui sonne juste. Pourquoi avoir choisi cette époque et l’avoir mise en avant avec autant de vérité ?
Ange : Nous avons choisi cette époque pour Les Rois Maudits, justement. Nous sommes amoureux de la série… aussi bien la série de romans que le feuilleton (le premier, celui qui n’avait presque pas de décor, et qui était d’une théâtralité réjouissante !).
Il faut dire que c’est une époque fascinante que celle de Philippe le Bel… La France oscille entre l’obscurantisme et les prémices d’une certaine modernité, la renaissance frémit en Italie, toutes les contradictions religieuses et politiques se posent… Et pour parler graphisme, la France reste encore moyenâgeuse, avec toute la beauté, la violence, l’âpreté de cette époque – tellement belle à illustrer – mais c’est, en même temps, le début d’un certain luxe… Ce qui sera tout simplement agréable à dessiner, quand les lecteurs en auront assez de voir nos héros patauger dans la boue !
Actusf : Vous avez déclaré avoir été inspirés par Thorgal dans votre réalisation, et vouloir écrire une série grand public. Pourtant, il y a une nette différence dans le ton du propos comme dans l’énergie et la noirceur du récit entre votre album et les histoires souvent simples de Van Hamme. Le grand public d’aujourd’hui demande-t-il plus aux auteurs qu’à l’époque des débuts de Thorgal ?
Ange : Nous pensons que oui. Entre Thorgal et aujourd’hui, il y a eu l’arrivée des séries américaines et des mangas… qui ont habitué le public à des scénarios beaucoup plus complexes, beaucoup plus développés (forcément, aussi bien les mangas que les séries américaines ont du temps, de la place pour raconter leurs histoires, alors que nous autres pauvres scénaristes franco-belges, nous sommes coincés dans 46 pages). Il est beaucoup plus difficile de surprendre les lecteurs, blasés par vingt ans de romans, BD, jeux vidéos, séries, films de science-fiction et de fantasy…
Thorgal, dont nous sommes tous les deux des adorateurs absolus, fonctionne par son humanité, la qualité de sa narration, et la simplicité archétypale de son personnage principal (les personnages secondaires, eux, sont complexes). Mais justement, un archétype, en fantasy d’aujourd’hui, ça ne suffirait plus. Nous sommes au moins à la quatrième génération d’auteurs de fantasy après Tolkien, et à chaque fois, tout se complique !
Maintenant, il y aussi le fait que nous aimons la noirceur, et que nos histoires y tendent naturellement. Vous devriez assister à nos discussions de « création d’histoires ». Régulièrement, nous essayons de faire un scénario plus léger… plus fun… plus optimiste… avec un beau happy end… et au bout de trente pages, nous craquons et nous tuons tout le monde.
Ou nous introduisons des thèmes un peu plus intéressants, comme des révolutions, des guerres, des luttes politiques…
Même dans Le Collège Invisible, notre série jeunesse qui est vraiment la plus joyeuse et la plus humoristique de nos BD, il y a des petits morceaux de noirceurs qui percent… Désolés ! Le dark side est en nous… (Et encore, vous n’avez pas lus nos romans… c’est pire !)
Actusf : Pour continuer à parler des séries « grand public », elles proposent bien souvent un héros droit et juste qui lutte contre le Mal, quelle que soit sa forme dans l’histoire. Mais Marie est une femme qui possède les hommes et vend son bras, William assassine comme il respire et Jean, sous des apparences droites, est suffisamment fanatique pour rejeter la possibilité d’un amour. C’est là un sévère contrepied aux représentations habituelles. Pourquoi ce choix ?
Ange : Marie est libre sexuellement, c’est vrai, et c’est une mercenaire, mais elle incarne quand même « l’héroïne droite et juste ». Elle veut retrouver les assassins de sa famille, elle est de nature généreuse, loyale, forte, fidèle en amitié… C’est une héroïne. Et malgré ce que nous disions à la question précédente, Marie est archétypale, à sa manière … « le dernier survivant d’un massacre qui, des années plus tard, loue ses services comme guerrier mais qui secrètement cherche vengeance », c’est un archétype… sauf que c’est un archétype plus souvent masculin.
Le fait que Marie couche avec qui elle le sent ne choquerait pas du tout si c’était un homme… ce serait un séducteur, regardez Largo Winch ! (Ou XIII !) Mêmes archétypes, en vérité… Bref, à notre avis, Marie est vraiment une héroïne « classique ».
Par contre, William et Jean… Ah, c’est plus compliqué ! Mais justement, on peut s’amuser avec les personnages secondaires. William est un mercenaire sans foi ni loi, qui n’est fidèle qu’à son amitié pour Marie, et qui tue sans remords… déjà dans le tome un, mais vous n’avez pas encore lu le tome deux, il y a une scène avec lui qui risque de choquer les âmes sensibles. Ce n’est pas un monstre, c’est un « aventurier » de son temps. La vie humaine avait moins de valeur, et il fallait survivre… Nous avons eu pas mal de discussions avec Thierry, sur « l’angle » donné à William dans le tome 2. Thierry a eu peur que nous l’ayons écrit « trop dur », mais nous ne voulions pas qu’il tourne guimauve, qu’il devienne le mercenaire au cœur tendre. William est un tueur. Un tueur cynique, drôle, loyal envers ceux qu’il aime, généreux quand ça l’amuse, coureur de jupons… mais un tueur.
Jean, le chevalier, pourrait en apparence être un héros plus « facile ». Il doit combattre le mal, être chaste, sincère, bon, etc. Et il l’est. Mais de la même manière que William est un « mercenaire » réaliste de son époque, Jean est un chevalier « réaliste » de son époque, c’est-à-dire que son travail, c’est de tuer. Nos deux protagonistes masculins sont tous deux des violents, et en effet, ni l’un ni l’autre ne sont des héros au sens classique du terme. Mais c’est cela qui est drôle…
Actusf : Concernant Marie elle-même, à l’époque des Rois Maudits, la femme, si elle était reconnue en tant que telle, avait des limites dans ses possibilités d’action, de liberté. Limites que vous transgressez allégrement avec Marie en la faisant se battre, coucher, agir comme un homme. De fait, ne s’agit-il pas plus d’une héroïne de maintenant que du Moyen-Âge ?
Ange : Nous transgressons en effet les limites, mais pas si allégrement que ça. Le Moyen-Âge était encore un âge chaotique, et le chaos implique plus de liberté. Il y avait quelques femmes qui se battaient… Des femmes bandits, des meurtrières, des femmes chefs de village, des femmes menant des bandes d’hérétiques à la révolte, des châtelaines dirigeant leurs soldats… Quelques histoires parlent de femmes montant à cheval et se battant… Attention, quelques unes, très rares, et jamais les femmes n’étaient reconnues par la chevalerie ou par les autorités en place. Mais disons qu’une femme comme Marie n’est pas absolument totalement impossible. Elle est juste très improbable. Après tout, il y a Jeanne d’Arc !
Je pense que le personnage de William aide à la crédibilité de l’existence de Marie. Il aurait été très difficile à Marie de survivre toute seule. Soyons réalistes… elle se serait fait capturer, violer et tuer. Mais là, ils sont deux. Même si Marie est la plus célèbre (à cause de son lien avec les « créatures », les soi-disant « dragons »), William et Marie sont engagés ensemble, comme « couple de combattants ». Et ils se protègent mutuellement.
Maintenant, nous ne pensons pas que Marie soit une héroïne moderne. Le XIIIe siècle, c’est aussi le temps des hérésies, et pour revenir à ce que nous disions au paragraphe précédent, il y a eu des femmes hérétiques menant des mouvements puissants, et ces hérésies prônaient justement la liberté sexuelle. En fait, il y a eu des Woodstock avant l’heure au XIIIe et au XIVe siècle. Voir dans Le Nom de la Rose (le livre), entre autres… Et puis, sans aller jusque-là, il y a toujours eu des courtisanes, des « filles à soldats », des nonnes en rupture de ban faisant leur vie avec un séduisant brigand, puis un autre… Si l’Église se battait pour imposer le mariage et la chasteté… c’est bien qu’il y en avait qui n’étaient pas chastes !
Actusf : Au risque de poser des questions cent fois rebattues sur l’idée, le pourquoi et le comment de cette histoire et le fait d’écrire à deux les scénarios : vous avez en vous-même une dualité, une différence qui se retrouve dans les personnages, à la fois forts et faibles, brutaux et sensibles... Pensez-vous que le double regard que vous portez sur vos héros vous permet de les rendre plus profonds, plus attachants, plus humains ?
Ange (1) : Oui !
Ange (2) : Non !
Actusf : Pour finir, autre question incontournable : en dehors de Marie des Dragons, que pourra-t-on lire de vous en 2010 ?
Ange : Nous avons une nouvelle série qui débute en février / mars, qui s’appelle Tibill le Lilling, avec Laurent Cagniat au dessin. C’est une série de Fantasy, avec tous les éléments que nous aimons. Nous allons suivre les aventures d’un Lilling, qui doit juste sauver le monde pour pouvoir retourner vivre dans son village d’où il a été banni pour avoir fait une boulette de trop… C’est une série très riche que nous avons en « production » depuis plusieurs années maintenant, et que nous avons pu mener à bien suite à notre rencontre avec Laurent. Pour nous, c’est une série très importante… Tout est dans le titre, on adore les titres comme Bilbo le Hobbit, Conan le Barbare, Erik le Viking, la définition du personnage est dans le titre, c’est un Lilling et il s’appelle Tibill… et nous espérons vraiment qu’il aura beaucoup de lecteurs.
Nous aurons aussi le démarrage de Jack Black au second semestre, une série d’Hyper Thriller avec un rythme très rapide, très comics, et un concept de base assez semblable à la Geste sur lequel plusieurs dessinateurs pourront travailler de front, et pourquoi pas plusieurs scénaristes… Et bien sûr, La Geste des Chevaliers Dragons avec le tome 10 en avril, dessiné par Édouard Guiton, un ancien designer de jeux de figurines, Le Collège Invisible avec le tome 9 à la fin de l’année, les deuxième et troisième tomes de Paradis Perdu Psaume 2, quelques albums des Blondes, peut-être un western si le planning nous le permet et quelques projets encore totalement top secret dont nous ne pouvons dire un mot si nous ne voulons pas que les ninjas nous attendent à la sortie… comme vous voyez, une année bien remplie…
Et en principe, le premier tome de la Geste sera publié par Marvel Comics en février / mars. Et ça, pour nous qui avons été élevés en partie à grands coups de Strange, en plus de notre éducation franco-belge, ce n’est absolument pas anecdotique...