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Interview Audrey Petit - Mai 2007
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Interview Audrey Petit - Mai 2007

ActuSF : Comment est née l'idée de cette collection ?
Audrey Petit : Le Livre de Poche possédait déjà au catalogue la collection de référence en science-fiction, dirigée par Gérard Klein et forte d’environ 200 titres, et une collection fantastique constituée d’auteurs incontournables comme S. King ou D. Simmons. Lancer un pôle fantasy permettait de compléter le triangle des littératures de genre. Patrice Duvic, disparu récemment, a travaillé avec le Livre de Poche à l’élaboration de cette collection jusqu’à l’année dernière.
Par ailleurs, il était logique que le LdP développe le genre. C’était la seule collection de poche à grande diffusion qui proposait des titres de fantasy au sein de son catalogue – de fortes ventes, des « classiques » –, et qui n’avait pas de collection dédiée, donc pas de nouvel apport, de nouvelles plumes. Or depuis pas mal d’années, la fantasy s'est véritablement constituée en genre autonome.

ActuSF : Quels étaient l'objectif et le positionnement ?
Audrey Petit : Le LdP a toujours eu au catalogue des auteurs et des textes classiques qui sont étroitement liés à la littérature de genre, qui l’ont nourrie : Homère, les Romans de la Table Ronde, Andersen ou Dumas, pour ne citer qu’eux. Mais on y trouve également des auteurs qui ont réellement façonné le genre fantasy, et qui lui ont donné ses lettres de noblesse, comme Tolkien, Bradley, Lawhead, White, Ende ou Lagerlöf… Des références.
Il s’agit donc de fournir au genre un espace de déploiement spécifique, structuré, et qui du même coup permet d’accueillir de nouveaux talents, étrangers et francophones. Parallèlement, les classiques sont remis à l’honneur sous une nouvelle maquette et avec de nouvelles couvertures, sous une présentation plus actuelle.
Pour résumer, l’idée est à la fois d’assumer la place qu’occupe le LdP en fantasy, et d’élargir cette place ; et puis d’être présent partout, de toucher par une large diffusion plus de lecteurs, etc.

ActuSF : Comment ont été choisis les 5 premiers titres ? Et comment choisiras-tu les titres suivants ?
Audrey Petit : Les cinq titres parus en mars (D. Duncan, Les Lames du Roi 1 ; J.V. Jones, Le Livre de Mots 1 ; M. Lindholm/R. Hobb, Le Dieu dans l’ombre ; C.S. Lewis, Un Visage pour l’éternité ; P. Pevel, Les Enchantements d’Ambremer) ont été choisis dans un souci d'équilibre : entre des textes récents et d’autres plus anciens, des textes très connus et d’autres plus confidentiels, entre une manière plus classique d’aborder le matériau mythologique, et une autre plus originale. Fantasy épique, high ou moderne, le genre se décline, on le sait ; dans les cinq romans, cependant, l’aventure et l’émotion sont là, et ça ne tient pas au décor. Tous ces auteurs racontent des histoires et, à chaque fois, comme Bilbo, le lecteur « s’embarque ».
Les titres suivants seront choisis et publiés avec le même souci, et en respectant des délais raisonnables entre les différents volumes des cycles.

ActuSF : Ils sont assez diversifiés, de la fantasy de cape et d'épée de Dave Duncan, à la féérie un peu steampunk de Pierre Pevel. C'est le signe que l'on trouvera toutes les fantasy dans la collection?
Audrey Petit : Oui. Quoique je préfère dire « toute la fantasy ». Elle se décline, elle épouse différentes époques, investit différents lieux, on peut parler d’une fantasy multiforme, mais c’est toujours de la fantasy. On ne dit pas « les » science-fiction ou « les » fantastique, non ? Et puis c’est bien pour une collection, l’homogénéité d’un genre. La SF, la fantasy, le fantastique. J’aime trop les trois pour les manger en purée J.

ActuSF : Evoquons la présence de Pierre Pevel. Est-ce que ça veut dire que la collection est ouverte aux français et as-tu déjà des idées des auteurs que tu souhaites reprendre en poche ?
Audrey Petit : Pourquoi la collection serait-elle fermée aux auteurs francophones ? Ceux qui écrivent de la fantasy sont nourris à la fois des classiques anglo-saxons et d’un attachement pour l’Histoire et l’imaginaire incroyablement riche. On aurait tort de se priver d’eux. Les auteurs francophones ont montré, depuis quelques années, qu'ils pouvaient investir ce genre typiquement anglo-saxon et proposer des textes forts. Par ailleurs, d’un point de vue purement commercial, c’est tout à fait intéressant (contrairement à l’opinion assez largement répandue selon laquelle les auteurs francophones vendraient forcément moins) : j’ai plusieurs noms d’auteurs français qui me viennent en tête dont les ventes de romans de fantasy avoisinent les 150 000 exemplaires. Ensuite, il faut comprendre que les publications francophones demeurent moins nombreuses que les publications anglo-saxonnes et que donc, statistiquement, un catalogue de fantasy aura plus de textes anglo-saxons. Inutile, ensuite, de transformer un état de fait ou la « force des choses », comme dirait joliment Colin Marchika, en volonté délibérée…
J'ai en tête un certain nombre de titres francophones que je souhaiterais reprendre au LdP, mais il est bien trop tôt pour en parler, car : 1/ le planning est quasiment bouclé pour deux ans 2/ c'est un dossier « bouche cousue ».

ActuSF : Parmi tous les titres, il y a C.S. Lewis. C'est peut-être le plus surprenant des 5 titres (enfin le moins attendus, dans le sens de la surprise genre "ah oué, on n'y avait pas pensé"). Peux-tu nous parler de ce livre ?
Audrey Petit : Oui, je vois ce que tu veux dire. D’un autre côté, tu avoueras que ne pas penser à C.S. Lewis en fantasy… Je veux dire… Narnia. Et puis Tolkien dans le coin, aussi. Plus sérieusement, j’aime beaucoup les classiques, les « vieux » romans de fantasy. Et surtout, surtout, j’aime beaucoup l’idée que ces romans plus anciens soient publiés à côté des nouveautés, un peu comme un passage, comme si l’un disait à l’autre : « vas-y, petit ! » Et puis le nouveau devient grand, et tout recommence.
Un Visage pour l’éternité, c'est complètement de la fantasy : l’histoire d’un roi qui a trois filles, diversement servies par la nature ; d’un royaume barbare et brutal, mais où les esclaves grecs deviennent précepteurs ; la transmission d’un savoir mythologique et l’intervention des dieux, le sacrifice et la passion ; et puis la quête, l’initiation, le combat de l’aînée des filles, devenue reine, pour sauver une de ses sœurs et son royaume…
C’est un livre solide, admirablement écrit et dont l'histoire me touche beaucoup. Si l'on a oublié tout ce que la fantasy (et toute la littérature) doit à Homère, il faut relire ce texte.

ActuSF : Les livres viennent d'arriver en librairies. Quel est l'accueil des libraires ?
Audrey Petit : Étant donné un climat en librairie très morose – les lecteurs sont plus dans la chose politique que dans le livre, en ce moment –, l’accueil a été très bon : les libraires parviennent à demeurer enthousiastes et curieux, et c’est très motivant ; je crois également qu’ils ont bien intégré la démarche du LdP avec cette collection. Il faut ajouter que le poche s’en sort toujours mieux que le grand format dans les périodes où le marché est tendu.
Ensuite, il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions. Nous verrons après les parutions de juin et celles de l’automne.

ActuSF : Graphiquement, il y a une couverture forte mais une quatrième et une tranche blanche qui rappelle un peu le Livre de Poche version littérature générale. Quelle était l'idée de ce choix? Se fondre une fois sortie  dans la collection générale du Livre de Poche ?
Se fondre, pas tout à fait – la collection doit être identifiable en tant que telle – mais évoquer des passerelles, c'est clair. Avec les romans classiques aux origines du genre que j’ai cités plus haut, justement, ou les romans historiques comme ceux de Bernard Cornwell ou Manda Scott, par exemple.
Les choix de polices, de maquette et de première de couverture qui ont été fait me semblent suffisamment clairs pour identifier le genre. Ils ont d’ailleurs déjà été abondamment commentés, ce qui est fort bon signe dans ce milieu. Ensuite, pour le dos et la quatrième, il s'agissait de rompre avec l’habitude fermement ancrée des couleurs froides, propres à la science-fiction ; ce qui permet du même coup de se démarquer des autres collections de fantasy. Enfin, le choix du blanc permet de jouer sur les couleurs de police, de mettre davantage en valeur l’illustration, et de laisser un peu d’espace à l'imagination et au désir, en d’autres termes, de ne pas tout remplir.

ActuSF : Maintenant que les livres sont sortis, quel regard portes-tu dessus ? Y a-t-il des petites améliorations à faire ? (je crois que vous allez retravailler un peu la typo des titres)
Audrey Petit : Effectivement, nous allons modifier quelques détails : la couleur du nom de l’auteur, notamment, qui passera en blanc, pour des raisons de lisibilité ; et nous abandonnons la cinquième couleur, trop compliquée à utiliser pour les mêmes raisons, surtout placée comme elle l’était sous le titre. En revanche, nous conservons l’entrelacs, qui est un peu la « marque de fabrique » de la collection.

ActuSF : Apparemment, il y aura plusieurs "vagues" de livres de poche fantasy, c'est-à-dire 4 ou 5 romans qui sortent en même temps deux à trois fois par an. Est-ce que tu confirmes ? Et quelle est l'idée : de faire l'événement à chaque fois ?
Audrey Petit : Je confirme pour cette année, mais c'est tout. Cette année est particulière, puisque la collection démarre. Il est à la fois plus commode pour l'éditeur et pour les libraires de présenter une nouvelle collection avec plusieurs textes et auteurs ; du point de vue du marketing également. Et ça permet effectivement de « faire l'événement », comme tu dis. Dès l'année prochaine, la collection prendra son rythme de croisière à raison de 1 à 2 romans par mois, sans oublier les remises en vente du fonds sous la nouvelle maquette. Ce qui devrait nous amener à 10/12 nouveautés par an, environ.

ActuSF : Là où il n’y avait que Pocket et J’ai Lu, cela fait maintenant quatre éditeurs de poche susceptibles de reprendre de la fantasy (avec Folio SF, à l’occasion). Comment se passe cette concurrence ?
Audrey Petit : Nous avons évoqué, avec Pascal (de Folio) et Bénédicte (de Pocket) la possibilité de régler les choses lors de matchs de boxe (dans la boue). Nous ne leur avons pas demandé, mais je pense que Thibaut (de J’ai Lu) et Fabrice (de Points) seront d’accord. Donc suite au prochain round.
Bon, plus sérieusement, le marché du livre est parfois serré, mais plusieurs choses permettent de nuancer un peu : les lignes éditoriales ne sont pas complètement les mêmes, les envies des éditeurs non plus, les possibilités de chacun également. Autant de critères qui entrent en ligne de compte, à côté de l’aspect « c’est un best-seller, il nous le faut ». Et dans ces conditions… voir point petit a.

ActuSF : Globalement, comment juges-tu le marché ? Le nombre de lecteurs de fantasy peut-il encore augmenter selon toi ?
Audrey Petit : Le marché est difficile, et la période n’est sans aucun doute pas propice aux ventes. Cela dit, le problème est aussi beaucoup plus fondamental : quelle place occupe la lecture dans les loisirs et, plus généralement, dans la vie des gens ? Lire prend du temps, peu ou prou, et demande un certain effort. Il est également clair qu’en France, le genre ne touche pas tout le lectorat qu’il pourrait, par rapport aux pays anglo-saxons notamment.
Ensuite, le nombre de lecteurs de fantasy a régulièrement augmenté, ces dernières années, au sens où plus d’auteurs de fantasy sont aujourd’hui plus lus. On ne lit plus que Tolkien, ou McCaffrey. On en lit beaucoup d’autres, qui réalisent des chiffres de vente tout à fait honorables et qui deviennent des best-sellers, à côté de la littérature générale et des thrillers.
Donc je fais trois vœux : que le public redécouvre le goût de la lecture et le plaisir spécifique qui lui est associé ; qu’une partie non négligeable de ce public se précipite sur la science-fiction, la fantasy et le fantastique ; et que tout le monde ait toujours un « Livre dans la Poche » (et dans les mains).

ActuSF : Peux-tu nous donner quelques pistes sur les prochains titres à venir au Livre de Poche Fantasy ?
Audrey Petit : Je peux même te donner la liste des titres qui sortiront en juin : L’Amulette de Samarcande, le premier tome de la Trilogie de Bartiméus, de Jonathan Stroud, un gros succès en grand format, le premier volume de La Pierre de Tu-Hadj, d’Alexandre Malagoli, Le Chevalier, de Gene Wolfe et La Maison d’oubli (premier volume du cycle Reine de Mémoire) d’Elisabeth Vonarburg. Sans oublier la réédition sous de nouvelles couvertures et maquettes de Bilbo du grand J.R.R. Tolkien et des Dames du lac de la non moins grande M.Z. Bradley.
Ensuite, à l’automne, pas mal de fantasy celtique et les suites des cycles de Duncan et Jones parus en mars. Pour 2008, un équilibre entre suites et nouveaux auteurs, sans oublier, toujours, les rééditions du fonds.

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