Actusf : Parle nous d'abord de ton parcours. Comment as-tu rencontré la science
fiction et la fantasy et qu’est-ce qui t’a donné envie d’en écrire ?
Brice Tarvel : J’ai lu et écrit dès que j’ai su le faire. Sans grande habileté au début, puis je me suis un peu amélioré. Lecture de BD petit format et des albums de Tintin jusqu’à l’âge de douze ans, puis je suis passé aux livres sans images avec la collection Marabout Junior, en particulier les Bob Morane. Durant toute cette période, je n’ai cessé d’écrire, de dessiner, de fabriquer de minuscules « livres » que je dupliquais au papier carbone pour les vendre quelques centimes aux copains. Tout ceci n’était qu’un pâle pompage de ce que je lisais. Il y avait déjà du policier, de l’aventure, de l’espionnage, du fantastique et de la SF, dans ces ouvrages que je dévorais. Alors, influencé par ces récits, je me suis intéressé à tous les genres, et mon intérêt pour eux n’a pas changé depuis. Quand, grâce à mon père qui ramenait ces bouquins à la maison, j’ai découvert Jean Ray, Claude Seignolle, la collection Angoisse du Fleuve Noir, le fantastique m’a séduit tout particulièrement. Je suis allé ensuite de moi-même vers la SF, car mon père était tout à fait hermétique à ce genre littéraire. La fantasy ? Je dois avouer que j’en ai peu lu. Mais il est encore temps que je comble ce vide, n’est-ce pas ?
Actusf : Tu es romancier mais également scénariste de bande dessinée. Comment
choisis-tu les histoires qui vont se décliner en roman et celles qui vont
faire l'objet d'une BD ? Et travailles-tu de la même façon dans les deux cas
?
Brice Tarvel : Mon choix découlait – j’emploie l’imparfait car je ne fais plus de BD –, le plus souvent, de l’opportunité de dénicher un éditeur. Un projet de BD est ainsi parfois devenu un roman (comme « Les Chasseurs de chimères » au Fleuve Noir, par exemple), et le contraire s’est produit également. Quand on ne m’impose pas un synopsis - ce qui n’est pas arrivé si souvent et c’est tant mieux -, je démarre une histoire en ayant quelques éléments en tête, car j’improvise beaucoup, me laisse porter par mes personnages. Que ce soit pour une BD ou un roman, cela ne fait guère de différence. La différence, c’est qu’un roman demande beaucoup plus de travail, beaucoup plus de concentration.
Actusf : Dans ta bibliographie, on te retrouve sous plusieurs pseudos, notamment
François Sarkel. Quel est ton rapport avec ces pseudonymes justement ?
Comment choisis-tu tes "noms de scènes" ?
Brice Tarvel : Je les choisis comme ceux de mes personnages, à la sonorité plaisante à l’oreille. Les artistes, avec les gangsters, sont les seules personnes à prendre des pseudos ou des sobriquets. Pourquoi s’en priver ? Je trouve cela amusant. Choisir son patronyme devrait être la première des libertés, je trouve. Et puis j’ai œuvré dans tant de genres différents qu’il me fallait bien cloisonner un peu. Par exemple, je ne pouvais pas signer du même nom un roman gore ou une nouvelle sentimentale pour « Nous Deux », ni « Le Savoir-aimer », la sexualité en BD, et mes récits pour la jeunesse. Désormais, je signe tout Tarvel, c’est quand même plus simple. Michel Jeury a dit un jour qu’il était difficile de se faire un nom et qu’il fallait donc mieux éviter d’en posséder plusieurs. Il n’a pas tort.
Actusf : Tu sembles faire une pause avec la Bande dessinée. Cela fait maintenant
quelques années, sauf erreur, que nous n'avons pas eu de BD à ton nom. Pour
quelle raison fais-tu cette pause ?
Brice Tarvel : Effectivement, ma dernière BD date de 2006. Il faudrait une proposition exceptionnelle pour que je m’y remette. Je me suis attelé aux scénarii de BD pour rendre service à un copain dessinateur. Je me suis retrouvé avec ce travail durant une quinzaine d’années. Au départ, ce n’était pas mon truc, j’écrivais des nouvelles, j’essayais d’avoir le souffle de pondre un roman. Il était temps que je revienne à mes premières amours. Je suis un solitaire, le travail en collaboration ne me convient guère. Quand on écrit un roman, on exécute aussi le dessin, en quelque sorte, et puis on peut faire passer beaucoup plus de choses, ne serait-ce que les odeurs.
Actusf : Ton premier tome de Ceux des eaux mortes, l’Or et la Toise est vraiment original. Comment t’est venue l’idée de ce monde marécageux moitié grandissant, moitié rétrécissant ?
Brice Tarvel : L’arrivée d’une idée, surtout si elle n’est pas trop mauvaise, est un miracle, un processus difficilement explicable. Cela flotte quelque part et, brusquement, ça s’installe dans votre tête, ça se développe, et il ne reste qu’à habiller tout cela, à y mettre un peu d’ordre. Les idées me viennent souvent avant de m’endormir. Si c’est vraiment quelque chose de fort, ça peut même m’empêcher de trouver le sommeil. La pluie, les marécages reviennent souvent dans ce que j’écris. Avec la maladie, les malformations du corps, la forêt, le cannibalisme, ils font partie de mon univers. Pour « L’Or et la Toise », j’ai donc pris pour point de départ ce grand marais siège de toutes les exubérances que l’on retrouve dans les tomes 3 et 4 de la série BD « Mortepierre », puis j’y ai ajouté ce double sortilège de grandissement et de rapetissement pour compliquer le tout, pour me démarquer nettement de ce que j’avais déjà imaginé dans « Mortepierre ». Ne connaissant pas trop bien la fantasy, il convenait aussi que je sois en possession d’un sujet qui ait peu de chances d’avoir déjà été exploité.
Actusf : Planifies-tu de nous faire découvrir à chaque fois un monde nouveau (tome 1 les marécages, tome 2 les forêts) pour chaque nouveau tome ?
Brice Tarvel : Je l’ai dit, j’utilise beaucoup l’improvisation. Aussi, je ne planifie rien, pas consciemment, en tout cas. J’aime être surpris moi-même. C’est périlleux, je me suis jadis souvent retrouvé le bec dans l’eau, incapable de mener une histoire à son terme mais, désormais, l’expérience aidant, j’ai pris confiance, j’ai acquis une sorte de tour de main qui me permet d’avancer sans trop de soucis. Je place des éléments, des personnages secondaires dont je ne sais à quoi ils seront utiles, et puis voilà que les uns et les autres se révèlent, prennent de l’importance et jouent parfois un rôle déterminant dans l’histoire. C’est pareil pour les lieux où se déroule l’action ou ceux avoisinants. La première fois où j’ai mentionné l’Obscurie, je ne savais pas que mes héros iraient se balader par-là. Et puis le voyage s’est imposé de lui-même, d’autant que j’avais envie de parler de vampires. Ils auraient tout aussi bien pu aller se réfugier en Échelle ou dans la Grande Forêt du Sud, ce qui aurait forcément donné un récit assez différent. S’il devait y avoir un tome 3 — l’éditeur m’a dit cependant qu’il n’était pas trop chaud car, selon lui, il y a déperdition de lecteurs quand la série se prolonge ainsi —, l’histoire se déroulerait à nouveau en Fagne, une Fagne libérée de ses problèmes de variations de taille, mais en proie à des difficultés d’une autre nature qui ne seraient pas une mince affaire non plus. Rêvons de tomes 4 et 5. Dans ce cas, très certainement, l’Échelle et la Grande Forêt du Sud seraient à l’honneur. Donc, au bout du compte, on peut dire qu’il y a malgré tout une espèce de programmation.
Actusf : Ton style d’écriture est vraiment proche du vieux français. Pourquoi avoir
utilisé ce style ? Pour rappeler Rabelais?
Brice Tarvel : Niaisement, tout au long de l’écriture, je n’ai pas un seul instant pensé à Rabelais. Il a fallu qu’on me le souffle plus tard pour que j’en prenne conscience. Le vieux français, les mots en général, c’est une passion. J’ai à ma disposition une multitude de dictionnaires, sans parler de tout ce que nous offre le Web. J’ai lu des récits se déroulant à l’époque du Moyen Âge dans lesquels les personnages dialoguaient presque à la façon d’aujourd’hui. C’est quelque peu affligeant. Cela rappelle ces Indiens que l’on voyait dans certains westerns d’autrefois et qui ressemblaient à des ouvriers de chez Ford qu’on avait à peine déguisés. Je voulais tout simplement éviter cela, même si d’aucuns risquaient de trouver dérangeant l’emploi de mots et de formules oubliés. Les avis sont très tranchés, à ce sujet. On apprécie ou on déteste. Quand j’écris un récit contemporain, qu’on se rassure, j’utilise un autre vocabulaire.
Actusf : Comment vois-tu tes deux héros, les deux traine-vase Jodok et Clincorgne ?
Brice Tarvel : Ce sont les personnages des westerns de Sergio Leone qui m’ont inspiré ces héros. Des héros qui n’en sont d’ailleurs pas vraiment. Je les vois comme de pauvres bougres, des types ressemblant à beaucoup d’entre nous, des lascars qui essayent de surnager dans un monde assez féroce où on se voit parfois obligé de se comporter d’une manière dont on n’est pas toujours fier. Ils ne sont ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants, et on peut leur trouver bien des excuses. Ils sont, c’est tout, et, dans leur monde pourri, ce n’est déjà pas rien.
Actusf : Essaies-tu de faire passer des messages dans tes livres ?
Brice Tarvel : Mon but principal est de distraire. Mais, oui, quand l’occasion se présente, je place quelques petites choses ici ou là.
Actusf : Parle nous des Dossiers secrets de Harry Dickson. Pourquoi ce personnage t'a fasciné au point de lui écrire de nouvelles aventures ?
Brice Tarvel : Mon père achetait les fascicules de Harry Dickson quand ils sortaient à l’époque. Durant mon enfance, à la maison, il traînait plusieurs exemplaires reliés des aventures du Sherlock Holmes américain. Les couvertures me fascinaient, entre autres « La Prisonnière du clocher », cette femme ligotée à une cloche et menacée par un terrible battant, et « Sur la piste d’Houdini », où l’on voit un homme enchaîné dans une cage et jeté à l’eau. On peut donc dire que Harry Dickson est une passion génétique. Plus tard, j’ai lu Jean Ray dans la collection Marabout et j’ai fini par être définitivement conquis. Quel style ! Quel virtuosité à dépeindre des ambiances sombres au possible, à installer des mystères et des angoisses prenantes. Et puis ses personnages désuets et falots qui dissimulent une âme diabolique, ses repas gargantuesques... Ayant un petit côté caméléon, aimant jouer les faussaires, je ne pouvais pas passer à côté de cela. De la même façon, il me plairait d’écrire des romans à la Simenon, à la Lovecraft ou des Bob Morane de la belle époque. Qui sait ? Pour l’heure, j’ai une nouvelle écrite « à la manière de » qui doit sortir en 2012 dans une anthologie hommage à Masterton.
Actusf : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Brice Tarvel : Devinez ? Je suis sur le tome 3 des « Dossiers secrets de Harry Dickson ». Il me faut en même temps plancher sur un synopsis de roman de fantasy, réfléchir à une nouvelle pour un « De capes et d’esprits » chez Rivière Blanche — qui devrait être livrée pour novembre mais qui ne sera malheureusement pas prête à cette date —, et puis j’ai très envie de me plonger dans un roman de SF, une histoire un rien déjantée d’ambassade sur Mars. Ah, j’oubliais, j’ai promis depuis longtemps un roman jeunesse, SF ou fantastique, à quelqu’un que j’aime bien. Il y a aussi les enquêtes de Nuz Sombrelieu, mon détective cul-de-jatte des années 20, parution en fascicules chez Le Carnoplaste. Le deuxième opus doit sortir bientôt, mais il faudra songer à la suite. Sans compter les imprévus. Ça fait beaucoup.