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Interview d'Armand Cabasson
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Interview d'Armand Cabasson

ActuSF : Comment en êtes-vous venu à aimer le fantastique ? 
Armand Cabasson : J’ai toujours aimé le fantastique et je l’associe facilement à la nouvelle. Plusieurs auteurs américains comme Poe, Lisa Tuttle ou Steve Rasnic Tem m’ont fortement marqué.
 
ActuSF : L’écriture vient à quel moment pour vous ? 
Armand Cabasson : En fait, je suis un fou des mots. Je suis psychiatre de profession : toute la journée j’écoute des gens, je note leurs phrases. Je suis en permanence plongé dans les mots. Littérature, psychiatrie, psychologie : pour moi, c’est toujours le même espace. 
 
ActuSF : Comment reliez-vous psychiatrie et écriture ? 
Armand Cabasson : La psychologie est le thème majeur de mes histoires. Dans tout ce que j’écris, je prête une attention extrême à la psychologie des personnages et aux mots. Inversement, la littérature éclaire beaucoup la psychologie humaine. 
 
ActuSF : Vous avez commencé à écrire en étant psychiatre ou cela a commencé avant ? 
Armand Cabasson : C’était avant. 
 
ActuSF : Et est-ce que cela a changé quelque chose ? 
Armand Cabasson : Avant d’être psychiatre, j’avais déjà la passion de la psychologie humaine et de l’écriture. D’ailleurs, lorsque je faisais mes études de médecine, il n’y avait que moi à ne pas avoir tout de suite réalisé que j’étais fait pour être psy. Tous mes camarades de promo me le disaient... Mais c’est typique de ce que l’on appelle l’inconscient (rires). On est aveugle à soi-même.
Pour revenir à votre question du lien entre psychiatrie et écriture : pour moi, les deux vont parfaitement ensemble. Le titre de mon premier recueil de nouvelles (paru aux Éditions de l’Oxymore) est Loin à l’intérieur. Mais j’ai l’impression que tous mes livres pourraient avoir ce titre... Ils sont tous une plongée dans la psychologie humaine, pour le meilleur et pour le pire.
 
ActuSF : Souvent pour le pire (rires). 
Armand Cabasson :  Forcément ! (rires) Non, en fait, cela dépend des personnages. Certains vont subir les événements. D’autres vont réagir avec panache, brio ! En tout cas, dans ce recueil, les personnages sont tous très différents les uns des autres, et ils réagissent de manière très diverse aux événements. Tous vont subir de profonds changements. C’est l’un de mes thèmes majeurs.
 
ActuSF : Et il n’y a pas vraiment de « gentils » dans vos personnages... 
Armand Cabasson : J’ai voulu m’éloigner du manichéisme. Ce recueil, c’est l’exploration de l’âme humaine. À force d’écouter des gens toute la journée comme je le fais, on s’éloigne du concept gentil/méchant. Souvent, les gens réagissent comme ils le peuvent face à des situations compliquées. Prenez l’exemple de quelqu’un de très agressif, d’une personne qui a du mal à contrôler ses débordements émotionnels, sa violence. Il est tout aussi facile de dire : « Il est méchant » que de dire : « Le pauvre, c’est la faute de la société qui est injuste ». Et vous croyez que l’un de ces deux points de vue va l’aider ? En revanche, si, à force de parler, cette personne arrive à dénouer le nœud de souffrance qui est en elle, alors on peut espérer que son agressivité s’apaise. Ça ne marche pas toujours, mais, quelquefois, les gens veulent vraiment changer !
Dans mon recueil, certains personnages vont accepter de changer, tandis que d’autres vont faire le choix de renouer le nœud qu’ils auraient pu dénouer. Parfois, un personnage peut être très noir mais une dernière lueur brille encore en lui. Ou alors, il peut s’obstiner à suivre sa « noire logique », à appliquer son système de valeurs perverties. Au moins, dans ce recueil, j’espère que vous rencontrerez des personnages qui vous interpelleront ! 
 
ActuSF : Quel est votre rapport à vos personnages ? 
Armand Cabasson : Du fait de ma passion pour la psychologie, ils deviennent vite très présents. Je finis par les connaître. J’aime bien parfois me demander : « Comment ce personnage prend-il son petit déjeuner ? » C’est une expression qui ­signifie : « Vois-les vivre ! Tu dois en savoir cent fois plus sur eux que ce que tu en écriras dans la nouvelle. » L’essentiel d’un être se cache aussi dans les « détails ».
 
ActuSF : Comment naissent vos personnages ? 
Armand Cabasson : C’est très varié. Par exemple, la nouvelle « 1348 » se déroule à Londres, en 1348, en pleine épidémie de peste noire. J’ai essayé de visualiser ce monde en ruine. C’est à partir de ces reconstitutions imaginaires qu’a émergé le personnage principal.
Dans « Le Minotaure de Fort Bull », le héros est indissociable de la forteresse labyrinthique qu’il a construite et qu’il commande. Elle est à son image, et plus encore : elle est une part de lui-même.
Dans « Les Mange-Sommeil », l’histoire est assez dure. Elle est née d’une expérience marquante que j’ai vécue.
Bref, mes personnages viennent par tous les chemins possibles. (rires)
 
ActuSF : Et comment choisissez-vous les périodes historiques dans lesquelles vous racontez vos histoires ? 
Armand Cabasson : En fait, on retrouve le plus souvent le Moyen Âge et le xixe siècle (ou bien parfois le xvie siècle japonais, l’une des « périodes d’or » des samouraïs). Ce sont des espaces à la fois historiques et imaginaires que je me réapproprie. Ils sont vivants et mouvants. Rien n’est figé. Ces deux époques influencent encore énormément notre quotidien : dans les expressions, le cinéma, la peinture, la littérature, les monuments, les traditions, les rituels, le regard que nous ­portons sur le monde, notre psychologie... Elles offrent des clefs pour mieux comprendre notre présent. 
 
ActuSF : Et puis il y a aussi les lieux et notamment les États-Unis. Vous avez fait un recueil qui s’appelait Noir américain et, dans celui que nous éditons, il y a deux nouvelles sur la guerre de Sécession...
Armand Cabasson : J’aime beaucoup les États-Unis et le xixe siècle. Du coup, quand ces deux sujets se rencontrent, on aboutit vite à la guerre de Sécession. C’est une époque cruciale qui a façonné l’Amérique.
 
ActuSF : Sur le Moyen Âge, ce qui est étonnant, c’est la diversité des lieux dans votre recueil La Chasse Sauvage du colonel Rels. On va en Angleterre, en Russie, en Espagne...
Armand Cabasson : J’aime tellement le Moyen Âge que j’ai voulu inviter à voyager à cette époque. Au fil des nouvelles, le lecteur devient une sorte de chevalier errant qui traverse ­l’Europe médiévale. Bien évidemment, chaque pays est différent et affronte ses propres démons. C’est ça qui est ­passionnant. 
 
ActuSF : Ça veut dire qu’il y a beaucoup de documentation ? 
Armand Cabasson : Oui ! Mais heureusement, j’adore apprendre. Tant pis si, parfois, il aura fallu un travail de titan pour écrire une seule nouvelle ! La documentation est ­essentielle pour que l’histoire « sonne juste », qu’elle soit authentique. 
 
ActuSF : En même temps, vous ne vous documentez pas seulement sur l’Histoire, mais aussi sur les légendes, les superstitions...
Armand Cabasson : Oui, je me documente sur tout, en fait. Je m’intéresse « à tout sur tout » quand je veux écrire sur un pays : à son Histoire, sa peinture, son architecture, sa géographie, son climat, ses spécialités culinaires, ses romans, etc. J’essaie de m’immerger totalement. Cela concerne donc aussi effectivement les légendes, la langue, les expressions, les proverbes... Dans mon métier, j’ai la chance de recevoir des gens du monde entier. Ils me parlent de leurs pays, de leurs croyances… Cette richesse est essentielle. Si vous voulez écrire une nouvelle qui se passe en Iran, commencez par boire du thé iranien, ce sera un bon début. Si vous accueillez un ami étranger en France, vous allez bien sûr lui montrer des monuments. Mais, la France, c’est aussi le goût du pain tout juste sorti du four du boulanger, un café que l’on déguste en terrasse, les phrases « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! » ou « Non, rien de rien, je ne regrette rien… »…
 
ActuSF : Je voudrais qu’on revienne sur la nouvelle « Giacomo Mandeli » qui se déroule en Espagne, pendant l’Inquisition. Comment est née l’idée ? 
Armand Cabasson : Je voulais situer une nouvelle en Espagne (un autre pays que j’aime beaucoup) et j’ai songé à l’Inquisition. J’ai donc commencé à me documenter sur ce sujet. Or les inquisiteurs écrivaient des traités sur la manière de mener leurs enquêtes. Quand vous vous plongez dans Le Manuel des inquisiteurs (ou Le Directoire des inquisiteurs) de Nicolas Eymerich (un célèbre inquisiteur du xive siècle), vous avez l’impression d’être un jeune moine qui assiste à un cours sur l’Inquisition ! Ces livres sont des plongées dans la psychologie des inquisiteurs et cela m’a aidé à écrire cette nouvelle.
 
ActuSF : Ce qui est intéressant dans cette nouvelle, c’est que l’on n’est pas très loin de la folie et de l’obsession. 
Armand Cabasson : Oui, et c’est aussi la question de ­l’artiste face à un pouvoir totalitaire. Faut-il oser protester, se révolter ? Ou bien se taire, vendre son âme pour survivre ? Ou alors chercher à ruser ? 
 
ActuSF : Dans ce recueil, vous aviez envie d’explorer une époque et vous avez donc conçu le sommaire de cette manière ? Ou au contraire les récits sont venus au fil de l’eau de votre imaginaire ? 
Armand Cabasson : Les nouvelles sont venues au fil de l’eau (j’adore cette expression). Elles peuvent se lire indépendamment, mais en même temps elles nouent entre elles des liens thématiques.
 
ActuSF : Pourquoi dans ces nouvelles y a-t-il irruption du fantastique ? 
Armand Cabasson : En fait, j’écris sans tenir compte du genre. Parfois, les nouvelles restent réalistes, parfois le fantastique surgit. Il faut écrire ce qui vous plaît, savoir se laisser traverser par l’écriture. J’adore glisser quelques nouvelles réalistes dans mes recueils « fantastique » et vice versa. J’aime ­surprendre le lecteur, cela crée une sorte d’instabilité de ­lecture, tout peut arriver. 
 
ActuSF : Comment est-ce que vous travaillez ? 
Armand Cabasson : J’ai le même problème que tout le monde : trouver du temps. Néanmoins, avec l’expérience, même 45 minutes de liberté (45 minutes « volées » entre deux contraintes) me suffisent pour écrire quelques lignes.
Avant de me lancer dans l’écriture d’une nouvelle ou d’un roman, j’aime prendre le temps de réfléchir, de laisser venir les idées. Je les note toutes, même celles qui aboutissent à des impasses. Même une idée « ratée » peut contenir un éclat de vérité. Petit à petit, je commence à m’immerger… Alors apparaissent des phrases, des scènes que j’ai envie d’écrire… 
 
ActuSF : Cela fait plusieurs fois que vous parlez « d’éclats de vérité ». Est-ce que c’est ce que vous cherchez dans l’écriture ? 
Armand Cabasson : Je cherche une intensité émotionnelle, une émotion juste. Ce que j’appelle « trouver un éclat de vérité », c’est arriver à révéler un peu de la profondeur des gens. Cela nous renvoie à nous-mêmes. Par l’écriture, je veux aller au-delà des apparences, « loin à l’intérieur »… 
 

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