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Interview d'Eric Simard
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Interview d'Eric Simard

Actusf : Bonjour, Eric. Votre dernier livre paru chez Syros, l'Arche des Derniers Jours, nous plonge dans un monde post apocalyptique. Le qualifieriez-vous de roman d'anticipation ? D'où vient votre goût pour le genre ?
Eric Simard : Je n'ai pas spécialement de goût pour ce genre. C'est le déploiement de mon imaginaire qui crée le contexte dont il a besoin. Quand j'écris, je me déplace d'un endroit de mon imaginaire à un autre. J'ai parfois l'impression d'être en apnée. Je me débrouille comme je peux, j'essaie de ne pas sombrer avant d'arriver au bout, avant de remonter à la surface des bribes d'émotions et de sentiments enfouis. Les étiquettes de genre arrivent après l'expédition...

Actusf : Le monde que vous présentez est assez sombre : seuls les plus riches s'en sortent, la différence devient un prétexte à l'expérimentation voire à la déshumanisation. Votre propos tourne autour de la liberté et de la fusion avec la nature, thème que l'on retrouve dans certains de vos romans. En quoi ces thèmes vous intéressent-ils ?
Eric Simard : J'ai une formation initiale de scientifique qui ne m'a pas satisfaite. J'ai refusé d'exercer mon métier d'ingénieur parce que je réalisais que j'allais passer ma vie à gérer le monde avec ma tête. Toute une partie de ce que je suis allait être étouffé au profit d'une rationalité dévorante. Et ça ne m'intéressait pas. A 23 ans, la rencontre d'un écrivain m'a permis de franchir un cap. J'ai décidé d'appréhender le monde autrement, en laissant s'exprimer les émotions, les sentiments qui m'habitent. Grâce à l'écriture, j'ai l'impression de m'être affranchi d'un certain « formatage social» qui me pendait au nez et c'est peut-être pour cette raison que le thème de la liberté est si présent dans mes romans. Quant au thème de  la nature, il découle de ce que j'ai dit précédemment. S'ouvrir à ses émotions, à ses sentiments, c'est appréhender la vie et les êtres autrement, c'est ne plus voir la nature par le soupirail froid de son mental, mais par d'autres voies où s'invite le ressenti. C'est rouvrir des territoires d'enfance où tout est possible. A un moment de ma vie, ma rencontre avec des représentants de peuples premiers (indiens d'Amérique, aborigènes) m'a aidé à retrouver cette « qualité d'enfance » propice à une relation différente, fusionnelle avec la nature.

Actusf : Quelles sont vos vues sur la littérature jeunesse ? A votre avis, a-t-elle des fonctions, des visées particulières ?
Eric Simard : Il n'y a pas de littérature générale ou de littérature jeunesse. Il n'y a que des bons ou des mauvais livres. Certaines fictions mettent en place et développent un univers qui vont toucher plus particulièrement les jeunes. Mais un roman n'a pas d'autres fonctions ou de visées pour moi que de répondre à une nécessité d'écriture.

Actusf : Comment travaillez-vous actuellement ? Votre technique de travail est-elle la même qu'à vos débuts ?
Eric Simard : Non, je n'écris pas comme à mes débuts. Je grandis avec l'écriture. C'est comme une histoire d'amour : les premières années sont presque idylliques. On explore des territoires nouveaux. On s'enflamme à la première idée. On chute, on se relève, persuadé qu'on a trouvé le « médium » de sa vie. Puis les choses se gâtent. Les déceptions arrivent. Le doute aussi. On ne se reconnaît plus dans ses mots. On s'accroche. Les premières années insouciantes font place à une lucidité assassine. On déteste ce qu'on écrit. On déprime. On se demande pourquoi on écrit. Et puis arrive une écriture nouvelle, le désir de tout recommencer, de tout dire avec ce qu'on a nouvellement « compris ». Ce regard nouveau, cette maturation, peut venir d'un auteur qu'on avait lu il y a des années sans l'avoir compris. Un maître, un pionnier. De lui ou d'elle peut venir l'étincelle, le désir d'un nouveau départ.

Actusf : Neil Gaiman a récemment déclaré que l'Etrange Vie de Nobody Owens était le premier roman qui ressemblait exactement à ce qu'il avait dans la tête, donc le plus abouti. Avez-vous eu ce sentiment pour un de vos livres ? Le cas échéant, à quoi ressemblerait votre livre idéal ?
Eric Simard : Pour moi, écrire un roman est partir en quête de sa réalité en jonglant avec l'illusion d'une histoire. Mes personnages en disent plus sur moi que tout ce que je pourrais dire. Ecrire est une prise de risque ou ce n'est pas écrire. Maintenant, je ne crois pas au roman abouti. Je pense même qu'on peut être dupe de ce qui est abouti ou pas. Je me méfierais d'un roman qui ressemblerait trop à ce que j'avais dans la tête. Je préfère la surprise des forces inconscientes, irrationnelles entrant en jeu au cours d'une création.
Le livre idéal n'existe pas parce qu'écrire est l'aveu d'un manque impossible à combler.

Actusf : Quel était votre livre préféré ?
Eric Simard : Enfant, je ne lisais pas énormément de romans. Je partageais mon temps entre les terrains de basket, la télévision et les livres documentaires,  historiques  ou scientifiques. Au collège, je me souviens avoir lu « Le seigneur du fleuve » de Bernard Clavel, Je garde de cette lecture le souvenir d'une grande tristesse et d'une profonde mélancolie. La lecture de romans me ramenait souvent à l'amer de la vie. Je n'en sortais pas indemne. Puis ont surgi Rimbaud, Baudelaire... leurs mots comme de véritables brûlures.

Actusf : Et le roman jeunesse que vous recommanderez dans les dernières parutions ?
Eric Simard : J'ai beaucoup aimé récemment le livre de Guy Jimenez intitulé « L'enfant de Guernica »  paru aux éditons Oskar jeunesse. Un roman subtil, une écriture fine sur la mémoire, celle d'un pays, l'Espagne, et d'une jeune femme découvrant le passé de son père.

Actusf : Quels sont vos projets ?
Eric Simard : Cet été, je vais poursuivre la série « Le souffle de la pierre d'Irlande » commencée il y a onze ans. J'en suis au cinquième tome et mes héros me surprennent toujours. Il y a de l'amer et de l'amour. La vie, quoi... Ils me touchent. J'ai du mal à les quitter. Et comme je suis amoureux de l'Irlande...

Merci!

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