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Interview Daryl et Popcube
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Interview Daryl et Popcube

Actusf : Pour commencer, comment est née cette série Constellations ? Comment avez-vous décidé de travailler ensemble ?
Daryl : On s’est rencontré une fois dans une dédicace. On a parlé. On n’a pas évoqué de collaboration, on s’est juste échangé une admiration. J’adore ce qu’il fait, ça me parle à un niveau très intime. Et puis on a fini par se retrouver, par discuter d’un projet. J’avais Constellations dans mon ventre depuis des années sans trouver d’éditeur, parce que c’était un projet assez radical. J’ai créé un studio de jeu vidéo chez Ankama, qui possède aussi une maison d’édition, alors j’ai posé le projet sur le bureau de Tot, il m’a dit : bingo.
Popcube : Il y avait une sorte d'évidence. J'aime son travail, je m'y retrouve complètement et à la fois c'est complètement différent de ce que je pourrai faire. Je suis surpris, à chaque fois.

Actusf : Quelles ont été vos influences, tant au niveau du scénario que du dessin ?
Daryl : Ma volonté de départ a été de retrouver l’émerveillement de vivre dans un monde fermé, minimaliste pourtant complet, de tester mes théories sur la construction d’un world model 8bit. Le reste est venu de rêves, de musique, d’expériences de jeu, de mes souvenirs de squat.
Popcube : Mon influence c'est les textes de Daryl. La première lecture est toujours très intense. Ensuite tout mon travail est de retranscrire ce que j'ai ressenti à ce premier contact. Sur Constellations, j'ai une narration essentiellement émotionnelle. L'histoire devient la mienne, je m'approprie complètement le truc, je vis tous les personnages.

Actusf : On pense notamment à Sa Majesté des mouches, de William Golding, mais aussi à quelques auteurs de la nouvelle génération de l’imaginaire français, comme Catherine Dufour ou Daylon. Le revendiquez-vous, ou bien est-ce une interprétation de lecteur ?
Daryl : Je n’ai jamais lu Sa Majesté des mouches, mais j’ai lu La Guerre des boutons. Je n’ai pas attendu de lire de la SFF pour avoir une sensibilité.
Popcube : Ça m'a marqué ce livre, je l'ai lu gamin. Autant c'est flatteur, autant je n'y ai jamais pensé en dessinant. C'est assez éloigné de Constellations pour moi, ça parle de l'enfance, alors que dans Constellations on est avec  des adolescents ou des jeunes adultes, ça n'a rien à voir. On est déjà passé de l'autre côté. Je n'aurais pas du tout fait le même livre avec des enfants.

Actusf : Popcube, on sent une évolution dans ton travail entre les deux tomes. En particulier, ta maîtrise du noir et blanc et les nuances des tramages impriment des ambiances saisissantes, contrastées. Es-tu d’accord au sujet de cette évolution, et en as-tu eu conscience au cours de la réalisation des Anoraks ?
Popcube : Oui, plus que conscience, j'ai porté mon trait dans cette direction. Dans le premier tome, on entrait dans ce stade, sous cette nuit éternelle. J'ai voulu ça flottant, dépouillé, parfois mal fichu. Dans Les Anoraks ils essaient de construire leur monde, de lui donner corps, le dessin est donc devenu plus construit, avec plus de détail et de modelé. Mais suivant les scènes, il y a des nuances. Ce n'est pas un dessin qui retranscrit une réalité, mais un dessin à l'image de ce que ressentent les personnages, il évolue en permanence, suivant leurs humeurs.

Actusf : Il y a un dosage équilibré entre le texte et les dessins : pas de longues tirades explicatives, expression des sentiments à travers les visages plus que par des paroles. Comment êtes-vous parvenus à cet équilibre ?
Daryl : Le premier album était trop verbeux, comme toutes mes BD en général. J’étais un peu dans le mur sur ce point, il a fallu que je change radicalement mon approche. Me remettre au dessin m’a beaucoup aidé à épurer, à faire naître l’image et le mot dans un même instant spontané. Maintenant je suis bien plus à l’aise dans le silence entre deux mots, ou dans la danse comme parole.
Popcube : Dans les scripts de Daryl, il y a surtout des dialogues, peu de descriptions de lieux, d'actions ou d'expressions. J'essaie de mettre en valeur le rythme que je vois dans les paroles. J'aime les respirations, les pauses. Les regards, les positions des corps les uns par rapport aux autres.

Actusf : Daryl, au risque de faire peu original, on sent tes personnages animés d’une volonté propre, indépendante de ce qui les entoure, et surtout imprévisible. Cela les rend difficiles à juger. Est-ce prémédité, ou bien fais-tu évoluer leurs caractères de façon semi-improvisée ?
Daryl : Je n’écris pas de scénario mais des poèmes dialogués, des contextes avec quelques didascalies, en très peu de temps, après y avoir pensé pendant des mois. Les personnages sont des aspects de moi qui réagissent à des instants mythiques, je ne parle que de choses qui me font, à un moment précis de ma vie. Ces personnages ne sont pas extérieurs à moi, ils sont des bouts de moi. Parfois, ils font des choses que je n’avais pas prévues, et dont je fais sens bien plus tard, comme la danse à la fin de la fontaine blanche, qui reprend les gestes de la couverture du Heroes de Bowie, vénéré en début d’album par les fils des étoiles. Efrim et Minia reviennent au mime pour créer une nouvelle réalité, moi, je les faisais juste danser, je ne me rendais pas compte de ce motif. Il y a beaucoup d’auteurs « professionnels » qui te diront que c’est un fantasme romantique que de croire que l’écriture spontanée, on va dire semi-improvisée, peut perdurer dans ce monde terrible. Je ne me permettrais pas de juger du prévisible, je ne peux que défendre mon point de vue magique sur l’écriture et le dessin.

Actusf : Le stade est un terrain idéal pour observer une microsociété en perte de repères. En quoi ce « décor » vous a-t-il semblé intéressant ? Avez-vous cherché à vous interroger sur ce qui constitue une civilisation ?
Daryl : Je décris l’évolution de plusieurs formes d’intimité dans un contexte. C’est difficile de dire qu’on se sert d’une BD vendue en magasin pour critiquer la société qui lui permet d’exister. Après, je suppose qu’on est tous enfermés dans le stade du capitalisme, mais tu peux trouver d’autres métaphores qui marcheraient tout aussi bien : les idéologies, les systèmes hiérarchiques, la fuite dans le simulacre. On peut même y voir une analogie du foot. C’est dire tout le bien que je pense de ce sport.
Popcube : Des flux et des reflux. Je n'ai pas une grande sympathie pour les périodes glorieuses, donc ça me plait ce monde mourant, qui parasite les déchets du monde précédent.

Actusf : Le stade de Constellations est le théâtre d’une violence brute, primitive, d’une haine écrasant tout autre sentiment. Qu’avez-vous voulu exprimer à travers elle ? Doit-on l’interpréter à l’aune de notre monde actuel, ou restez-vous prudents devant l’idée d’un message adressé au lecteur ?
Daryl : De mon point de vu de citoyen ou d’humain, nous sommes perdus. Il nous reste quoi ? Le cannibalisme ou la lumière. J’aimerais pouvoir formuler une troisième voie. C’est tout le sens de l’imagination (et non de l’imaginaire, qui est une notion que j’exècre). Ça passe, pour moi, par une remise à niveau avec la première nature, et l’intégration sociale d’une seconde, basée sur l’amour de la première.
Popcube : Il n'y pas que la haine. Il y a mille autres nuances. Ils s'aiment immensément aussi.

Actusf : L’art et l’imagination semblent être les clés pour changer les choses dans le stade, au moins sont-ils porteurs d’espoir. Daniel redécouvre à ce propos tout un processus de création. Quelle place ont l’art et l’imagination, selon vous, dans notre société d’aujourd’hui ? Les considérez-vous comme l’un des piliers de notre civilisation ?
Daryl : Depuis quand la banalité et la médiocrité sont-elles devenues les mamelles d’un monde « démocratique » ? L’art, s’il existe une définition pour un concept aussi fumeux, rend à la vie sa perspective mythique, elle ne la limite pas à son environnement. C’est un cliché, mais nous avons tellement peur que l’imagination prenne le pas sur le réel que nous avons décidé de la bannir, spécialement en France. Nous avons perdu la mesure en toute chose, et la nécessaire complémentarité des opposés.
Popcube : Pas mieux.

Actusf : Les « ombres » (les êtres extérieurs au stade qui déciment les habitants) ne sont pas montrées, elles n’en sont que plus menaçantes. Pensez-vous que l’invisible a plus de force que le visible ?
Daryl : C’est une fonction de notre civilisation que de vouloir toujours observer un actif et un passif. L’invisible a autant d’importance que le visible. Ni plus, ni moins.
Pocube : Visible, invisible, c'est au même niveau oui.

Actusf : Que symbolisent les constellations, pour vous ? Les observez-vous la nuit, et si oui, qu’y cherchez-vous ?
Daryl : Rien d’autre que ce qu’elles sont : une perspective. J’habite en métropole, nos lumières chassent l’espace. Je vais surement émigrer dans un endroit plus propice à la contemplation. En attendant, j’ai Starry Night Pro sur mon PC ; tous les jours, je sais ce qui se passe au dessus de moi, même si je ne le vois pas.
Popcube : Je me souviens de la Voie Lactée telle que je la voyais enfant, immense et lumineuse. C'est présent en permanence, la conscience d’être sous ce ciel sans fin.

Actusf : Pour finir, combien de tomes sont-ils prévus et pour quand prévoyez-vous le prochain ?
Daryl : En trois tomes, on aura dit l’essentiel. Si Ankama nous suit, on verra. Sous une autre forme, peut-être. Il y a tellement de choses à faire, ce serait dommage de s’enfermer dans un stade.

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