Actusf : D’où vous vient votre passion pour la bande dessinée ? Pouvez-vous retracer rapidement le parcours qui vous a amené à la place de choix que vous occupez aujourd’hui dans le paysage de la bande dessinée française ?
Christophe Bec : C’est une passion qui remonte à l’enfance, j’habitais dans un petit village de l’Aveyron et j’avais peu de contacts avec la BD, mais les quelques rares que j’ai eus, ont été vraiment marquants, comme Corentin de Paul Cuvelier, Astérix ou Tintin, et surtout William Vance dont la découverte des albums à 13 ou 14 ans à été un véritable choc, notamment les Bruno Brazil et Bruce J. Hawker. Aujourd’hui, c’est un auteur un peu raillé à cause de ses « faces-profils » mais c’est là mal connaître la diversité de son travail et de ses périodes, c’est surtout ne voir que les éventuelles faiblesses – une systématique mise en place sur la fin de sa carrière – et être aveugle sur toutes ses qualités. C’est l’un des meilleurs dessinateurs d’ambiances et d’éléments déchaînés : neige, pluie, tempêtes…
Pendant mon adolescence, j’ai créé avec mon frère Guilhem (auteur de la série Zarla chez Dupuis) quelques fanzines qu’on essayait de vendre dans la cour du collège, avant de passer à un niveau supérieur avec « Esquisse », journal publié par un imprimeur et dont il n’y a eu qu’un seul numéro, mais qui nous a valu une nomination au festival d’Angoulême. Puis je suis rentré sur concours à l’école de BD de cette même ville de Charente où j’ai côtoyé des jeunes auteurs de talent, c’était un vivier incroyable, ça m’a fait beaucoup progresser, j’ai pris de sérieux raccourcis grâce à des auteurs maintenant réputés comme Servain, David Prudhomme ou Eric Hübsch. En 1992, j’ai signé avec les éditions Soleil mon premier contrat, des débuts difficiles avec des échecs commerciaux, des mauvais choix surtout, comme celui de travailler avec Rocca. J’étais dans des univers qui ne me correspondaient pas, j’ai alors pris les choses en main avec Zéro Absolu. C’était une époque où je « bouffais » peut-être cent films par mois, et j’ai toujours été attiré par le Fantastique, la Science-fiction ou l’Anticipation. J’ai juste décidé de faire ce que j’aimais, et ce fut là une des meilleures décisions de toute ma vie, celle qui m’a conduit là où je suis aujourd’hui. Je ne sais pas si c’est une « place de choix », je ne le ressens pas comme cela, je n’ai pas eu un parcours facile et j’ai toujours été assez controversé. Je n’ai par exemple pas le sentiment d’être vraiment accepté par la profession. Mais peu importe, je fais les livres pour moi avant tout, j’ai ensuite la petite chance que certains d’entre eux aient trouvé un lectorat suffisamment important pour que quelques éditeurs continuent à me suivre dans ma démarche et mes intentions.
Actusf : Vous travaillez sur de nombreux projets simultanément : Ténèbres, Prométhée, Deus, Sarah, Rédemption, Le Temps des loups, Carthago, Bunker... Comment parvenez-vous à tous les gérer en même temps ?
Christophe Bec : On peut déjà en écarter deux : Deus et Rédemption, qui sont des séries arrêtées aujourd’hui par leur éditeur, pour des raisons différentes, j’y reviendrai plus tard… Gérer tout cela est juste une question d’organisation et je ne suis pas aux 35 heures, plutôt aux 70… Je suis cependant à la limite de la charge de travail que je peux tolérer, et j’ai moins d’énergie qu’à une époque, je vais donc me recentrer prochainement sur les séries qui fonctionnent et les projets qui me tiennent vraiment à cœur.
Actusf : Vous semblez attiré par le fantastique et la science fiction. Pourquoi ces genres de l'imaginaire vous attirent-ils ? Pourriez-vous faire du polar ou une BD dans un autre genre ?
Christophe Bec : Je ne sais pas pourquoi je suis attiré par ces genres, je ne veux même pas le savoir, ça ne m’intéresse pas, je n’aime pas analyser pourquoi je fais les choses. Et bien évidemment que je peux écrire dans d’autres genres, je crois que je l’ai déjà fait et prouvé avec la série Carême ou l’album Anna. Des projets qui vont sortir prochainement comme WADLOW ou DIAMOND seront également assez différents de ma production habituelle. Le premier sera une biographie romancée de celui qui fut l’homme le plus grand du monde ; le second est un one-shot qui inaugurera la prochaine collection de David Chauvel après « 7 » et qui a pour thème le casse du siècle. Je crois avoir à peu près fait le tour de ce que j’avais à dire dans le Fantastique, Pandémonium restera mon œuvre la plus aboutie dans ce genre, mon petit chef d’œuvre à moi, je sais que je ne pourrai plus faire mieux, alors je pense que je vais me diriger dans les années qui viennent vers des récits plus personnels, j’ai quelques histoires en tête qui vont dans ce sens et que j’espère concrétiser dans les années qui viennent. Mais avant j’ai quelques chantiers en cours à terminer !
Actusf : Êtes-vous d'accord si l’on dit que vous êtes attiré par les grands espaces, les lieux confinés inquiétants et les fins du monde ? Pourquoi ces sujets de prédilection ?
Christophe Bec : Oui, en effet ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il me semble que c’est propice pour parler de l’Humain. Et le confronter à des éléments, des événements qui le dépassent, permet de révéler sa véritable nature. Pour les lieux confinés, c’est plus complexe, je pense que ça doit remonter à une terreur d’enfance, mais comme je l’ai déjà dit, je n’aime pas creuser là-dedans. Je le ferai peut-être un jour, mais pour l’instant je ne me sens pas prêt à faire ce travail-là. J’ai aussi peur que du coup cela édulcore les choses et que j’aie tout à coup moins d’aptitude à transmettre ces sentiments d’angoisse et de terreur.
Actusf : Vous êtes un artiste protéiforme, capable de passer du crayon à la plume selon les projets. Comment choisissez-vous vos projets ? Avez-vous la même approche selon le rôle que vous exercez en leur sein ?
Christophe Bec : C’est une question que l’on me pose souvent, et je suis un peu lassé d’y répondre. Je vais donc un peu l’évacuer et la contourner. Je dirais moi, comment peut-on faire de la vraie BD autrement ? Comment peut-on être un bon scénariste de BD sans avoir une culture graphique ? Comment peut-on être un bon dessinateur de BD sans avoir de véritable notion de ce qu’est une narration ?
Actusf : Vous travaillez avec un grand nombre de collaborateurs, parfois étrangers, comme Stephano Rafaelle pour Sarah. Pourquoi cette diversité ? Et travailler avec des auteurs étrangers est-il plus compliqué qu’avec des auteurs français (barrière de la langue notamment) ?
Christophe Bec : Non, travailler avec des auteurs étrangers n’est pas compliqué. C’est toujours une question de personne et pas de langage. J’ai une relation très compliquée avec un de mes dessinateurs, on ne se comprend pas et pourtant il est français. Avec Stefano Raffaele, qui est italien, j’ai trouvé mon parfait alter ego. On est sur la même longueur d’onde, on a les mêmes envies, et c’est un gars adorable, droit, fidèle, bourré de talent et qui sait se remettre en question à chaque album. C’est le collaborateur idéal ! Ensuite, il est vrai que lorsque j’ai décidé que le scénario prendrait une part importante de ma vie, c’était aussi pour cela : multiplier les collaborations, se confronter et s’enrichir de la vision d’autres artistes.
Actusf : Parlons de votre dernière parution, Ioen, le premier tome de la série Ténèbres, chez Soleil, avec Iko aux dessins. Cet album est parcouru d’influences manifestes – la plus évidente étant Le Seigneur des Anneaux, pour la cité du roi, son château et les statues en particulier. Est-ce volontaire et revendiqué ?
Christophe Bec : Rien dans le script original n’était influencé par Le Seigneur des Anneaux, je ne suis jamais parvenu à lire le livre, ado j’étais plutôt Conan de Robert E. Howard. C’est Iko qui visiblement a été très marqué par Tolkien ou ceux qui l’ont illustré. À vrai dire je n’avais même pas vu ces influences, n’étant pas fan du roman, et ayant juste vu les films de Peter Jackson, elles m’avaient échappé, même si visiblement certaines sont assez frappantes. Cela n’enlève rien au talent formidable de Iko. Ça n’a d’ailleurs pas assez été soulevé à mon goût, certains critiques croyant faire les malins en étalant leur culture et mettant en avant ces quelques ressemblances sont aussi complètement passés à côté de son graphisme épatant, le comparant à un autre auteur que je ne citerai pas, mais qu’il surpasse largement, seulement pour voir cela il faut avoir 20 ou 25 ans de culture graphique et savoir ce qu’est le dessin académique. Non, les influences pour Ténèbres en ce qui me concerne sont surtout Thorgal, Conan et les comics.
Actusf : Vous dites que vous avez écrit ce scénario pour l’enfant que vous étiez. Effectivement, bien que l’on baigne dans une heroic fantasy plutôt sombre, ce premier tome est tout à fait lisible par des adolescents. Ioen leur est-il plus particulièrement destiné ?
Christophe Bec : Je dirais même que c’est essentiellement destiné aux jeunes adolescents vierges de toute lecture d’Heroic Fantasy. J’ai écrit cette BD pour un gamin qui va découvrir ce genre au travers de cette BD. Pour tous les autres, les fans du genre, cela ne va sans doute sembler pour eux qu’un amas de poncifs sans grand intérêt, donc qu’ils passent leur chemin ! Ensuite, je ne peux pas m’empêcher de toujours glisser des choses un peu plus ambitieuses, on le découvrira dans le tome 2, il y a une petit astuce assez subtile qui je pense va non seulement surprendre, mais aussi permettre à la série d’être un ton au-dessus de ce qui se fait au même niveau. Disons que j’essaie de m’amuser dans un carcan que j’ai volontairement défini et qui est ultra codifié. Pour vous donner un exemple de l’influence majeure de Thorgal, je tenais absolument que dans l’album il y ait un concours de tir, comme dans Les Archers, qui est un chef d’œuvre absolu, un des 3 ou 4 meilleurs Thorgal.
Actusf : Ténèbres, cycle d’heroic fantasy, est à part dans votre production. D’où vous est venue cette envie ?
Christophe Bec : À part ? Non, je ne trouve pas. On retrouve pas mal de points communs et de thématiques communes avec Bunker. D’ailleurs, c’est parti d’une grosse scène qui devait figurer dans Bunker et que l’on a supprimée. Sinon, je m’étais juré de ne jamais faire d’Heroic Fantasy. Il y en a tellement… Puis cette idée basique est venue : une citadelle assiégée, des volcans, des créatures volantes… et je me suis lancé, sans d’autre ambition que d’écrire un récit basique et surtout pas chiant !
Actusf : Avez-vous d’ores et déjà quelques pistes à nous livrer pour le tome 2 ? Et combien la série doit-elle comporter de tomes ?
Christophe Bec : Je pensais faire 3 tomes, mais en cours d’écriture du 2, je me rends compte qu’il y a des choses que j’ai envie de développer. Alors je parierai plutôt sur 4. Iko a bien entamé le tome 2, il a fait une dizaine de pages, et l’accueil du tome 1 a été plutôt bon avec des ventes encourageantes. Il se pourrait finalement que Ténèbres devienne une de mes séries phares ! (rires)
Actusf : Également chez Soleil, votre série Prométhée, pour laquelle vous êtes seul aux commandes, et qui compte pour le moment deux tomes. Vous aviez arrêté le dessin au moment de la série Bunker pour reprendre avec Prométhée. Pour quelle raison ?
Christophe Bec : Pour une raison simple : je n’arrivais plus à cohabiter avec mon dessin ! À 20 ans, j’aspirais à dessiner comme un Gillon, un De la Fuente ou un Breccia, bref un virtuose du dessin réaliste avec une grosse maîtrise du noir et blanc. Après quelques années, je me suis rendu compte que j’étais à cent mille lieues d’avoir leur talent, que j’étais même un dessinateur ultra stéréotypé, mon style naturel, si je le dépouillais de toute influence et de l’appui de la photographie ou de la 3D ressemblerait à celui de Jean Graton. Sans déprécier l’immense carrière de ce grand Monsieur, ce n’est pas ce à quoi j’aspirais tout simplement. L’utilisation de béquilles me permet de monter mon niveau mais pas de façon suffisante. J’ai donc fait une grosse dépression artistique. Au même moment, il y a eu cette histoire de photographe qui est venu me chercher des noises dans le seul but de se faire du pognon sur mon dos, et qui n’a rien arrangé. J’ai vraiment arrêté de dessiner totalement pendant un an.
Puis j’ai recommencé un petit peu, mais juste pour moi, sans optique de publication. Peu après, sont arrivés les ennuis financiers des Humanos, j’avais beaucoup investi chez eux et je me suis retrouvé dans une situation financière compliquée. Comme avec le succès de Sanctuaire j’avais malgré tout plus de crédit en tant que dessinateur que scénariste, ça a été alors plus simple et surtout plus rapide de me sortir de cette ornière en reprenant le dessin. Et aujourd’hui je ne le regrette nullement. Certes, j’ai renoncé à mes ambitions de jeunesse, mais je me concentre essentiellement sur le récit, mon dessin est actuellement juste un outil qui me permet de raconter des choses. En l’abordant comme cela, je le tolère mieux, je vis mieux avec. J’ai toujours d’énormes lacunes, mais j’ai une technique d’encrage dont je suis fier, peu de dessinateurs ont mes capacités à ce niveau-là, mais évidemment aujourd’hui, tout le monde se moque de cela, mais ce n’est pas grave, je sais que j’ai au moins cela pour moi et cela m’aide à continuer tant bien que mal.
Actusf : Le sujet du complot extraterrestre est un classique de la SF. En quoi la série Prométhée renouvelle-t-elle le thème ?
Christophe Bec : Tout simplement parce qu’il ne s’agira pas d’un complot à la X-Files ni d’une invasion massive à la Independance Day, ce sera autre chose, que je ne peux bien évidemment pas révéler. Ensuite oui, je joue avec toutes ces théories du complot, pour brouiller les pistes. Mais la vérité sera ailleurs ! (rires)
Actusf : En quoi la théorie du complot vous intéresse-t-elle ?
Christophe Bec : Ça ne m’intéresse pas plus que tout un tas d’autres sujets, mais c’est une thématique qui peut se prêter au feuilleton. Je considère l’écriture de Prométhée comme étant du feuilleton ou de la série TV. Je crois que c’est le site WarTmag qui a parlé de Prométhée comme étant le Lost de Bec, et ils n’ont pas tout à fait tort, même si niveau séries je suis plus fan de Rome ou Dr. House. Et puis il y a Van Hamme qui a écrit une série avec un tatoué amnésique qui a pas mal marché sur ce même thème… (rires)
Actusf : Vous êtes-vous beaucoup documenté pour concevoir Prométhée ?
Christophe Bec : Documenté oui, mais surtout j’y ai mis des ingrédients provenant de lectures anciennes. Ensuite je me suis entouré de personnes qui me conseillent sur certains sujets, cela permet de ne pas dire trop de bêtises, même s’il y en a forcément, comme dans toute fiction. Mon but n’est pas de faire du vrai, mais du crédible. Je tiens à dire que ces personnes sont juste des conseils et je ne prétends à aucune caution scientifique. Il y avait eu un petit malentendu au départ là-dessus avec certains lecteurs aux jugements arbitraires.
Actusf : On trouve dans vos BD beaucoup de vaisseaux extraterrestres plantés dans le sol, suite à un crash. Pourquoi une telle fascination pour ce phénomène ?
Christophe Bec : Je ne sais pas si on peut parler de « fascination » ? Peut-être est-ce que je radote tout simplement ! (rires) Promis, dans mes prochaines séries, je n’en mettrai plus !
Actusf : Pour finir, une petite question sur la série Rédemption, chez Dupuis. Il semble qu’elle ne doive pas avoir de suite. Quelle en est la raison ? Y a-t-il un espoir d'en connaître la fin ?
Christophe Bec : Je ne peux encore m’exprimer sur les raisons réelles de l’arrêt de Rédemption, officiellement c’est pour des mauvaises ventes, mais je sais très bien que cela cache des manœuvres politiques. J’ai encore des choses en cours chez Dupuis, je règlerai mes comptes avec eux en temps voulu et si les personnes concernées sont toujours en poste.
Christophe Bec : C’est une passion qui remonte à l’enfance, j’habitais dans un petit village de l’Aveyron et j’avais peu de contacts avec la BD, mais les quelques rares que j’ai eus, ont été vraiment marquants, comme Corentin de Paul Cuvelier, Astérix ou Tintin, et surtout William Vance dont la découverte des albums à 13 ou 14 ans à été un véritable choc, notamment les Bruno Brazil et Bruce J. Hawker. Aujourd’hui, c’est un auteur un peu raillé à cause de ses « faces-profils » mais c’est là mal connaître la diversité de son travail et de ses périodes, c’est surtout ne voir que les éventuelles faiblesses – une systématique mise en place sur la fin de sa carrière – et être aveugle sur toutes ses qualités. C’est l’un des meilleurs dessinateurs d’ambiances et d’éléments déchaînés : neige, pluie, tempêtes…
Pendant mon adolescence, j’ai créé avec mon frère Guilhem (auteur de la série Zarla chez Dupuis) quelques fanzines qu’on essayait de vendre dans la cour du collège, avant de passer à un niveau supérieur avec « Esquisse », journal publié par un imprimeur et dont il n’y a eu qu’un seul numéro, mais qui nous a valu une nomination au festival d’Angoulême. Puis je suis rentré sur concours à l’école de BD de cette même ville de Charente où j’ai côtoyé des jeunes auteurs de talent, c’était un vivier incroyable, ça m’a fait beaucoup progresser, j’ai pris de sérieux raccourcis grâce à des auteurs maintenant réputés comme Servain, David Prudhomme ou Eric Hübsch. En 1992, j’ai signé avec les éditions Soleil mon premier contrat, des débuts difficiles avec des échecs commerciaux, des mauvais choix surtout, comme celui de travailler avec Rocca. J’étais dans des univers qui ne me correspondaient pas, j’ai alors pris les choses en main avec Zéro Absolu. C’était une époque où je « bouffais » peut-être cent films par mois, et j’ai toujours été attiré par le Fantastique, la Science-fiction ou l’Anticipation. J’ai juste décidé de faire ce que j’aimais, et ce fut là une des meilleures décisions de toute ma vie, celle qui m’a conduit là où je suis aujourd’hui. Je ne sais pas si c’est une « place de choix », je ne le ressens pas comme cela, je n’ai pas eu un parcours facile et j’ai toujours été assez controversé. Je n’ai par exemple pas le sentiment d’être vraiment accepté par la profession. Mais peu importe, je fais les livres pour moi avant tout, j’ai ensuite la petite chance que certains d’entre eux aient trouvé un lectorat suffisamment important pour que quelques éditeurs continuent à me suivre dans ma démarche et mes intentions.
Actusf : Vous travaillez sur de nombreux projets simultanément : Ténèbres, Prométhée, Deus, Sarah, Rédemption, Le Temps des loups, Carthago, Bunker... Comment parvenez-vous à tous les gérer en même temps ?
Christophe Bec : On peut déjà en écarter deux : Deus et Rédemption, qui sont des séries arrêtées aujourd’hui par leur éditeur, pour des raisons différentes, j’y reviendrai plus tard… Gérer tout cela est juste une question d’organisation et je ne suis pas aux 35 heures, plutôt aux 70… Je suis cependant à la limite de la charge de travail que je peux tolérer, et j’ai moins d’énergie qu’à une époque, je vais donc me recentrer prochainement sur les séries qui fonctionnent et les projets qui me tiennent vraiment à cœur.
Actusf : Vous semblez attiré par le fantastique et la science fiction. Pourquoi ces genres de l'imaginaire vous attirent-ils ? Pourriez-vous faire du polar ou une BD dans un autre genre ?
Christophe Bec : Je ne sais pas pourquoi je suis attiré par ces genres, je ne veux même pas le savoir, ça ne m’intéresse pas, je n’aime pas analyser pourquoi je fais les choses. Et bien évidemment que je peux écrire dans d’autres genres, je crois que je l’ai déjà fait et prouvé avec la série Carême ou l’album Anna. Des projets qui vont sortir prochainement comme WADLOW ou DIAMOND seront également assez différents de ma production habituelle. Le premier sera une biographie romancée de celui qui fut l’homme le plus grand du monde ; le second est un one-shot qui inaugurera la prochaine collection de David Chauvel après « 7 » et qui a pour thème le casse du siècle. Je crois avoir à peu près fait le tour de ce que j’avais à dire dans le Fantastique, Pandémonium restera mon œuvre la plus aboutie dans ce genre, mon petit chef d’œuvre à moi, je sais que je ne pourrai plus faire mieux, alors je pense que je vais me diriger dans les années qui viennent vers des récits plus personnels, j’ai quelques histoires en tête qui vont dans ce sens et que j’espère concrétiser dans les années qui viennent. Mais avant j’ai quelques chantiers en cours à terminer !
Actusf : Êtes-vous d'accord si l’on dit que vous êtes attiré par les grands espaces, les lieux confinés inquiétants et les fins du monde ? Pourquoi ces sujets de prédilection ?
Christophe Bec : Oui, en effet ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il me semble que c’est propice pour parler de l’Humain. Et le confronter à des éléments, des événements qui le dépassent, permet de révéler sa véritable nature. Pour les lieux confinés, c’est plus complexe, je pense que ça doit remonter à une terreur d’enfance, mais comme je l’ai déjà dit, je n’aime pas creuser là-dedans. Je le ferai peut-être un jour, mais pour l’instant je ne me sens pas prêt à faire ce travail-là. J’ai aussi peur que du coup cela édulcore les choses et que j’aie tout à coup moins d’aptitude à transmettre ces sentiments d’angoisse et de terreur.
Actusf : Vous êtes un artiste protéiforme, capable de passer du crayon à la plume selon les projets. Comment choisissez-vous vos projets ? Avez-vous la même approche selon le rôle que vous exercez en leur sein ?
Christophe Bec : C’est une question que l’on me pose souvent, et je suis un peu lassé d’y répondre. Je vais donc un peu l’évacuer et la contourner. Je dirais moi, comment peut-on faire de la vraie BD autrement ? Comment peut-on être un bon scénariste de BD sans avoir une culture graphique ? Comment peut-on être un bon dessinateur de BD sans avoir de véritable notion de ce qu’est une narration ?
Actusf : Vous travaillez avec un grand nombre de collaborateurs, parfois étrangers, comme Stephano Rafaelle pour Sarah. Pourquoi cette diversité ? Et travailler avec des auteurs étrangers est-il plus compliqué qu’avec des auteurs français (barrière de la langue notamment) ?
Christophe Bec : Non, travailler avec des auteurs étrangers n’est pas compliqué. C’est toujours une question de personne et pas de langage. J’ai une relation très compliquée avec un de mes dessinateurs, on ne se comprend pas et pourtant il est français. Avec Stefano Raffaele, qui est italien, j’ai trouvé mon parfait alter ego. On est sur la même longueur d’onde, on a les mêmes envies, et c’est un gars adorable, droit, fidèle, bourré de talent et qui sait se remettre en question à chaque album. C’est le collaborateur idéal ! Ensuite, il est vrai que lorsque j’ai décidé que le scénario prendrait une part importante de ma vie, c’était aussi pour cela : multiplier les collaborations, se confronter et s’enrichir de la vision d’autres artistes.
Actusf : Parlons de votre dernière parution, Ioen, le premier tome de la série Ténèbres, chez Soleil, avec Iko aux dessins. Cet album est parcouru d’influences manifestes – la plus évidente étant Le Seigneur des Anneaux, pour la cité du roi, son château et les statues en particulier. Est-ce volontaire et revendiqué ?
Christophe Bec : Rien dans le script original n’était influencé par Le Seigneur des Anneaux, je ne suis jamais parvenu à lire le livre, ado j’étais plutôt Conan de Robert E. Howard. C’est Iko qui visiblement a été très marqué par Tolkien ou ceux qui l’ont illustré. À vrai dire je n’avais même pas vu ces influences, n’étant pas fan du roman, et ayant juste vu les films de Peter Jackson, elles m’avaient échappé, même si visiblement certaines sont assez frappantes. Cela n’enlève rien au talent formidable de Iko. Ça n’a d’ailleurs pas assez été soulevé à mon goût, certains critiques croyant faire les malins en étalant leur culture et mettant en avant ces quelques ressemblances sont aussi complètement passés à côté de son graphisme épatant, le comparant à un autre auteur que je ne citerai pas, mais qu’il surpasse largement, seulement pour voir cela il faut avoir 20 ou 25 ans de culture graphique et savoir ce qu’est le dessin académique. Non, les influences pour Ténèbres en ce qui me concerne sont surtout Thorgal, Conan et les comics.
Actusf : Vous dites que vous avez écrit ce scénario pour l’enfant que vous étiez. Effectivement, bien que l’on baigne dans une heroic fantasy plutôt sombre, ce premier tome est tout à fait lisible par des adolescents. Ioen leur est-il plus particulièrement destiné ?
Christophe Bec : Je dirais même que c’est essentiellement destiné aux jeunes adolescents vierges de toute lecture d’Heroic Fantasy. J’ai écrit cette BD pour un gamin qui va découvrir ce genre au travers de cette BD. Pour tous les autres, les fans du genre, cela ne va sans doute sembler pour eux qu’un amas de poncifs sans grand intérêt, donc qu’ils passent leur chemin ! Ensuite, je ne peux pas m’empêcher de toujours glisser des choses un peu plus ambitieuses, on le découvrira dans le tome 2, il y a une petit astuce assez subtile qui je pense va non seulement surprendre, mais aussi permettre à la série d’être un ton au-dessus de ce qui se fait au même niveau. Disons que j’essaie de m’amuser dans un carcan que j’ai volontairement défini et qui est ultra codifié. Pour vous donner un exemple de l’influence majeure de Thorgal, je tenais absolument que dans l’album il y ait un concours de tir, comme dans Les Archers, qui est un chef d’œuvre absolu, un des 3 ou 4 meilleurs Thorgal.
Actusf : Ténèbres, cycle d’heroic fantasy, est à part dans votre production. D’où vous est venue cette envie ?
Christophe Bec : À part ? Non, je ne trouve pas. On retrouve pas mal de points communs et de thématiques communes avec Bunker. D’ailleurs, c’est parti d’une grosse scène qui devait figurer dans Bunker et que l’on a supprimée. Sinon, je m’étais juré de ne jamais faire d’Heroic Fantasy. Il y en a tellement… Puis cette idée basique est venue : une citadelle assiégée, des volcans, des créatures volantes… et je me suis lancé, sans d’autre ambition que d’écrire un récit basique et surtout pas chiant !
Actusf : Avez-vous d’ores et déjà quelques pistes à nous livrer pour le tome 2 ? Et combien la série doit-elle comporter de tomes ?
Christophe Bec : Je pensais faire 3 tomes, mais en cours d’écriture du 2, je me rends compte qu’il y a des choses que j’ai envie de développer. Alors je parierai plutôt sur 4. Iko a bien entamé le tome 2, il a fait une dizaine de pages, et l’accueil du tome 1 a été plutôt bon avec des ventes encourageantes. Il se pourrait finalement que Ténèbres devienne une de mes séries phares ! (rires)
Actusf : Également chez Soleil, votre série Prométhée, pour laquelle vous êtes seul aux commandes, et qui compte pour le moment deux tomes. Vous aviez arrêté le dessin au moment de la série Bunker pour reprendre avec Prométhée. Pour quelle raison ?
Christophe Bec : Pour une raison simple : je n’arrivais plus à cohabiter avec mon dessin ! À 20 ans, j’aspirais à dessiner comme un Gillon, un De la Fuente ou un Breccia, bref un virtuose du dessin réaliste avec une grosse maîtrise du noir et blanc. Après quelques années, je me suis rendu compte que j’étais à cent mille lieues d’avoir leur talent, que j’étais même un dessinateur ultra stéréotypé, mon style naturel, si je le dépouillais de toute influence et de l’appui de la photographie ou de la 3D ressemblerait à celui de Jean Graton. Sans déprécier l’immense carrière de ce grand Monsieur, ce n’est pas ce à quoi j’aspirais tout simplement. L’utilisation de béquilles me permet de monter mon niveau mais pas de façon suffisante. J’ai donc fait une grosse dépression artistique. Au même moment, il y a eu cette histoire de photographe qui est venu me chercher des noises dans le seul but de se faire du pognon sur mon dos, et qui n’a rien arrangé. J’ai vraiment arrêté de dessiner totalement pendant un an.
Puis j’ai recommencé un petit peu, mais juste pour moi, sans optique de publication. Peu après, sont arrivés les ennuis financiers des Humanos, j’avais beaucoup investi chez eux et je me suis retrouvé dans une situation financière compliquée. Comme avec le succès de Sanctuaire j’avais malgré tout plus de crédit en tant que dessinateur que scénariste, ça a été alors plus simple et surtout plus rapide de me sortir de cette ornière en reprenant le dessin. Et aujourd’hui je ne le regrette nullement. Certes, j’ai renoncé à mes ambitions de jeunesse, mais je me concentre essentiellement sur le récit, mon dessin est actuellement juste un outil qui me permet de raconter des choses. En l’abordant comme cela, je le tolère mieux, je vis mieux avec. J’ai toujours d’énormes lacunes, mais j’ai une technique d’encrage dont je suis fier, peu de dessinateurs ont mes capacités à ce niveau-là, mais évidemment aujourd’hui, tout le monde se moque de cela, mais ce n’est pas grave, je sais que j’ai au moins cela pour moi et cela m’aide à continuer tant bien que mal.
Actusf : Le sujet du complot extraterrestre est un classique de la SF. En quoi la série Prométhée renouvelle-t-elle le thème ?
Christophe Bec : Tout simplement parce qu’il ne s’agira pas d’un complot à la X-Files ni d’une invasion massive à la Independance Day, ce sera autre chose, que je ne peux bien évidemment pas révéler. Ensuite oui, je joue avec toutes ces théories du complot, pour brouiller les pistes. Mais la vérité sera ailleurs ! (rires)
Actusf : En quoi la théorie du complot vous intéresse-t-elle ?
Christophe Bec : Ça ne m’intéresse pas plus que tout un tas d’autres sujets, mais c’est une thématique qui peut se prêter au feuilleton. Je considère l’écriture de Prométhée comme étant du feuilleton ou de la série TV. Je crois que c’est le site WarTmag qui a parlé de Prométhée comme étant le Lost de Bec, et ils n’ont pas tout à fait tort, même si niveau séries je suis plus fan de Rome ou Dr. House. Et puis il y a Van Hamme qui a écrit une série avec un tatoué amnésique qui a pas mal marché sur ce même thème… (rires)
Actusf : Vous êtes-vous beaucoup documenté pour concevoir Prométhée ?
Christophe Bec : Documenté oui, mais surtout j’y ai mis des ingrédients provenant de lectures anciennes. Ensuite je me suis entouré de personnes qui me conseillent sur certains sujets, cela permet de ne pas dire trop de bêtises, même s’il y en a forcément, comme dans toute fiction. Mon but n’est pas de faire du vrai, mais du crédible. Je tiens à dire que ces personnes sont juste des conseils et je ne prétends à aucune caution scientifique. Il y avait eu un petit malentendu au départ là-dessus avec certains lecteurs aux jugements arbitraires.
Actusf : On trouve dans vos BD beaucoup de vaisseaux extraterrestres plantés dans le sol, suite à un crash. Pourquoi une telle fascination pour ce phénomène ?
Christophe Bec : Je ne sais pas si on peut parler de « fascination » ? Peut-être est-ce que je radote tout simplement ! (rires) Promis, dans mes prochaines séries, je n’en mettrai plus !
Actusf : Pour finir, une petite question sur la série Rédemption, chez Dupuis. Il semble qu’elle ne doive pas avoir de suite. Quelle en est la raison ? Y a-t-il un espoir d'en connaître la fin ?
Christophe Bec : Je ne peux encore m’exprimer sur les raisons réelles de l’arrêt de Rédemption, officiellement c’est pour des mauvaises ventes, mais je sais très bien que cela cache des manœuvres politiques. J’ai encore des choses en cours chez Dupuis, je règlerai mes comptes avec eux en temps voulu et si les personnes concernées sont toujours en poste.