Nous : Comment avez-vous découvert la science-fiction ? Certains auteurs vous ont-ils marqués plus que d'autres ?
Claire et Robert Belmas : Notre principale source de découvertes a été la lecture, associée à quelques petits films que l'on qualifierait maintenant de série B. Du côté des livres, la collection " Anticipation " du Fleuve Noir a joué pour nous un rôle déterminant. Ensuite, sont venus les ouvrages publiés chez Marabout, puis chez J'ai Lu, Denoël et, enfin, les collections plus récentes que tous les fans connaissent bien. Les auteurs qui nous ont le plus marqués (et ce doit être sensible dans nos textes) sont ceux qui ont mis en évidence la fragilité de notre réalité et le dérisoire de notre " establishment " (que d'autres présentaient comme indestructibles) : Lovecraft, Philip K. Dick, Ballard...
Nous : Il est assez rare que deux auteurs s'associent sur la longue durée comme vous. Comment travaillez-vous à deux ? Que vous apporte à chacun cette collaboration ?
Claire et Robert Belmas : Les couples littéraires ne sont pas si rares (Boileau-Narcejac, Charles et Nathalie Henneberg, Catherine Moore et Henry Kuttner, Jean-Claude Dunyach et Ayerdhal...), mais il est vrai qu'ils restent très minoritaires dans le monde des auteurs. Notre technique de travail se rapproche beaucoup de celle de Boileau-Narcejac au sens où nous sommes " spécialisés " : Robert s'occupe de l'intrigue, de la dramatisation et de la conception des personnages tandis que Claire se concentre sur les éléments symboliques, les psychologies et le style. Dans le détail, Robert écrit une première version du texte qui est ensuite enrichie par Claire. Nous effectuons alors plusieurs lectures critiques communes qui se traduisent à chaque fois par des modifications. Tous nos textes subissent ainsi quatre à cinq remaniements qui nous permettent de garantir la qualité de l'écriture. L'ultime étape (la plus redoutable) est celle du gueuloir, cher à Flaubert. Ainsi pouvons-nous affirmer que nos textes sont intégralement écrits par chacun d'entre nous. C'est une expérience de communication très enrichissante.
Nous : Vos métiers respectifs, scientifique et littéraire, sont-ils des sources d'inspiration pour vos écrits ?
Claire et Robert Belmas : Uniquement dans le détail. La formation de Claire nous est surtout très utile pour tout ce qui relève de l'écriture. Les aspects scientifiques, bien que présents dans nos textes, ne sont pas des sujets d'intrigues en eux-mêmes, mais des adjuvants de la narration. Notre inspiration, nous la puisons plutôt dans la presse, le quotidien et les observations de terrain.
Nous : Comment est née l'idée du futur que vous explorez dans les Chroniques des Terres Mortes ?
Claire et Robert Belmas : Au cours de nos randonnées pédestres dans la France profonde, nous sommes fréquemment tombés sur des vallées complètement fermées par la végétation, sur d'anciennes exploitations encore prospères au début du siècle, mais englouties aujourd'hui sous les arbres et les ronciers, ou encore sur les derniers habitants de certains hameaux qui nous ont raconté comment c'était du temps de leur jeunesse quand tout l'espace autour d'eux était cultivé. Aujourd'hui, il n'y a plus que des broussailles impénétrables " où un renard ne passerait pas ". C'est dans ce contexte qu'a germé l'idée des Terres Mortes qui sont une extrapolation de cette situation : un espace (presque) complètement vidé de ses habitants. Par la suite, les Hypercités, pendant de ce territoire déserté, se sont intégrées tout naturellement dans cette approche du futur.
Nous : La situation dans les campagnes françaises semble avoir compté dans l'élaboration de ce monde. Que vous inspire la situation actuelle ?
Claire et Robert Belmas : Les Terres Mortes sont en germe dans le monde rural actuel. Elles existeront (en fait, elles existent déjà), mais le phénomène n'aura peut-être pas l'ampleur que nous avons imaginée pour nos besoins dramatiques. En voici une petite illustration que nous n'osons pas qualifier de "mathématique".
On peut écrire l'équation suivante :
S = Sh + Sc + Sa + Sje
où S est la surface totale du territoire, Sh, la surface habitée (mégalopoles, villes, villages...), Sc, la surface cultivée, Sa, la surface "abandonnée (i.e. anciennement cultivée) et Sje la surface qui n'a jamais été exploitée (sommets de montagnes, endroits inaccessibles, etc.). La surface des Terres Mortes est égale à Sa + Sje.
Les valeurs de ces surfaces sont très différentes ( Sc, Sa et Sje sont très supérieures à Sh) mais l'important est la façon dont ces étendues évoluent en fonction des mouvements de population. Mille personnes de plus dans une grande ville n'entraînent qu'une faible augmentation de Sh. En effet, ces nouveaux citadins vont se loger dans des édifices déjà existants ou de faible emprise au sol s'ils sont nouvellement construits.
Au contraire, la disparition de quelques individus (voire d'un seul) dans le monde agricole peut se traduire par une décroissance de Sc de centaines d'hectares qui passent alors dans la catégorie Sa.
Ainsi peut-on imaginer dans le futur une très faible augmentation de Sh, une diminution importante de Sc et une croissance de Sa (S restant invariable, bien entendu). A l'heure actuelle, Sa croît de 33 000 hectares par an, mais la fragilité du tissu rural peut laisser craindre un emballement du processus. Nous n'imaginons pas, par ailleurs, que la rurbanisation suffise à enrayer ce phénomène. Tout au plus pourra-t-elle le limiter. Du reste, cette rurbanisation elle-même peut être vue comme une forme de désertification, dans la mesure ou elle ne saurait restaurer le tissu rural en cours de destruction.
Nous : Comment présenteriez-vous votre univers à des lecteurs qui ne l'auraient pas encore découvert ?
Claire et Robert Belmas : Comme un monde qui est allé jusqu'au bout de sa logique, bonne ou mauvaise, et qui s'est scindé en deux zones d'incubation d'où émergeront les composantes de son futur. D'un côté, un territoire immense, presque totalement déserté, qui se transforme très rapidement et devient étranger à l'homme. De l'autre, un monde surpeuplé qui engendre lui aussi une situation d'exclusion par son progrès technologique exponentiel que les populations ne peuvent assimiler en temps réel. C'est la toile de fond sur laquelle viennent se greffer les intrigues de nos textes.
Nous : Faut-il y voir le message d'amoureux de la nature et, pourquoi pas, une mise en garde ?
Claire et Robert Belmas : Même si nous ne cachons pas notre goût pour la nature et la campagne qui ont bercé notre jeunesse, nous nous gardons bien de faire de l'angélisme : les Terres Mortes comme les Hypercités présentent leurs bons côtés et leurs désagréments, comme les campagnes et les villes d'aujourd'hui. Nos personnages en font, à l'occasion, la cuisante expérience. Quant à mettre en garde, ce serait très prétentieux de notre part : nous ne nous prenons pas pour des visionnaires, et même si nous pensons que notre vision du futur se vérifiera partiellement, les Terres Mortes et les Hypercités demeurent pour nous un décor de science-fiction où nous prenons par contre beaucoup de plaisir à situer nos intrigues. Notre souhait est que ce plaisir soit partagé par nos lecteurs.
Nous : Sur votre site internet, on trouve la présentation de lieux réels quelque peu mystérieux. Quelle part ces endroits ont-ils prise dans la constitution de ce recueil et dans votre inspiration ?
Claire et Robert Belmas : Nous nous inspirons beaucoup des lieux et des situations que nous découvrons, en particulier au cours de nos randonnées. Peu de gens imaginent à quel point certains endroits constituent, sans qu'il soit nécessaire de forcer son imagination, des décors d'histoires fantastiques ou de science-fiction. C'est avec ces briques que nous avons construit le patchwork géographique (imaginaire, lui) des Terres Mortes.
Nous : On trouve aussi dans votre livre une réflexion sur la génétique et l'évolution de l'homme. Vous sentez-vous concernés par les débats sur la bioéthique et le clonage humain ?
Claire et Robert Belmas : C'est même l'un des sujets principaux du recueil, sinon le sujet principal. Les différentes nouvelles sont organisées selon une progression chronologique qui s'étend sur une centaine d'années et montre deux évolutions indissociables : celle de l'homme et celle de son environnement. Il nous semble en effet impensable que l'humanité puisse traverser le siècle à venir sans subir de profondes transformations. En particulier, il serait naïf de croire que le génie génétique, compte tenu des enjeux économiques qu'il présente, sera entravé par la législation. A partir de là, nous avons essayé d'imaginer ce que pourrait être un futur où humains ordinaires, hommes modifiés et artefacts de toutes sortes seront amenés à cohabiter et où, inévitablement, la première catégorie sera progressivement remplacée par les autres, mieux adaptées aux nouveaux environnements.
Nous : En même temps, vous semblez plus attirés dans vos écrits par la science- fiction que par la fantasy, pourtant souvent porteuse de mythes. Pourquoi ? Est-ce parce que l'alliance des légendes qui se reconstruisent dans les Terres Mortes et de la technologie de pointe des villes possède une saveur particulière ?
Claire et Robert Belmas : Nous ne recherchons pas à nous situer dans un genre particulier, et s'il est bien clair que les Chroniques des Terres Mortes sont avant tout un ouvrage de science-fiction, la fusion avec d'autres thèmes comme le fantastique, le polar ou le roman noir s'y fait naturellement. La fantasy n'est pas totalement absente, elle non plus (voir Au Bois des Epivants).
Ceci dit, la dualité Terres Mortes / Hypercités était effectivement une belle occasion de créer un cycle de récits qui possède une identité propre. Là encore, c'est le lecteur qui nous dira si nous y avons réussi.
Les Terres Mortes redeviennent très rapidement un territoire vierge et inexploré comme il n'en existe plus sur notre planète. Elles symbolisent la part inconsciente de nous-mêmes, d'où émergent des puissances à la fois immémoriales et très structurées. C'est un univers propice à la re-création de l'homme ou de ses avatars. Les Hypercités sont au contraire le monde du sur-moi, qui fabrique sa part de nouvelles formes d'humanité, mais de façon beaucoup plus anarchique. Ces deux mondes s'ignorent presque et pourtant ils se sont réciproquement engendrés et c'est de leur association que naîtra le devenir de l'humanité. C'est en tout cas la conclusion de notre recueil.
Nous : De nombreux auteurs parlent de relations particulières et fortes avec leurs personnages. De votre côté, vous réutilisez certains héros dans plusieurs nouvelles. Quelles relations entretenez-vous avec eux ?
Claire et Robert Belmas : Imaginer des personnages, leur donner une substance et les faire vivre est un des principaux plaisirs de l'écriture, pour ce qui nous concerne. Ce faisant, nous n'avons pas le sentiment de manipuler ces personnages, mais plutôt de les faire entrer dans notre association littéraire. En quelque sorte, ils font partie de la famille : nous vivons avec eux le temps d'une nouvelle ou d'un roman. Par la suite, ils continuent de nous habiter comme des présences vivantes, si bien que lorsque nous en créons de nouveaux, nous les situons non pas par rapport à des modèles réels, mais par rapport aux personnages précédents.
Nous : Vous avez écrit, depuis plusieurs années, de nombreuses nouvelles dont les intrigues se déroulent dans cet univers. Comment s'est fait le choix pour ce recueil et avec quel objectif ?
Claire et Robert Belmas : Notre volonté était double : produire un ensemble de récits imbriqués qui constitue un " roman en pointillés " des cent ans à venir, et proposer au lecteur une large part de textes inédits (le recueil en comporte soixante-dix pour cent). L'imbrication se fait, par exemple, par l'intermédiaire de personnages que l'on retrouve d'une nouvelle à l'autre, ou bien par des événements annoncés dans un texte et dont on voit les conséquences dans un autre. Le tout conduit à une certaine cohérence et resserre fortement les liens entre les nouvelles.
Il est vrai par ailleurs que certains textes du cycle des Terres Mortes et des Hypercités, absents du recueil, ont été publiés dans d'autres supports : Le Bal des Ardents dans Galaxies n°22, Sangre dans Utopia 1 (Editions Galaxiales), Homo Ludivaguens dans l'anthologie Hyperfuturs (hors-série de Galaxies).
Nous : Chroniques des Terres mortes est votre premier recueil, comment avez-vous ressenti sa publication ? Comme une consécration ? Un aboutissement ? Une étape ? Quels sont vos projets ?
Claire et Robert Belmas : Il serait vain de nier le plaisir d'un auteur lors de la publication de son premier ouvrage. La consécration, toutefois ne pourra venir que des lecteurs : ce sont eux qui décideront in fine du sort du recueil. Il est bien clair que nous n'entendons pas en rester là. D'ores et déjà d'autres manuscrits sont chez les éditeurs ou en cours d'élaboration. Nous pensons en particulier approfondir l'univers des Terres Mortes et des Hypercités dans un roman qui en fera découvrir de nouveaux aspects, mais dans l'immédiat, nous venons de soumettre à Imaginaires Sans Frontières, qui semble emballé, un autre roman où le lecteur sera emporté bien loin du monde des Chroniques...
Claire et Robert Belmas : Notre principale source de découvertes a été la lecture, associée à quelques petits films que l'on qualifierait maintenant de série B. Du côté des livres, la collection " Anticipation " du Fleuve Noir a joué pour nous un rôle déterminant. Ensuite, sont venus les ouvrages publiés chez Marabout, puis chez J'ai Lu, Denoël et, enfin, les collections plus récentes que tous les fans connaissent bien. Les auteurs qui nous ont le plus marqués (et ce doit être sensible dans nos textes) sont ceux qui ont mis en évidence la fragilité de notre réalité et le dérisoire de notre " establishment " (que d'autres présentaient comme indestructibles) : Lovecraft, Philip K. Dick, Ballard...
Nous : Il est assez rare que deux auteurs s'associent sur la longue durée comme vous. Comment travaillez-vous à deux ? Que vous apporte à chacun cette collaboration ?
Claire et Robert Belmas : Les couples littéraires ne sont pas si rares (Boileau-Narcejac, Charles et Nathalie Henneberg, Catherine Moore et Henry Kuttner, Jean-Claude Dunyach et Ayerdhal...), mais il est vrai qu'ils restent très minoritaires dans le monde des auteurs. Notre technique de travail se rapproche beaucoup de celle de Boileau-Narcejac au sens où nous sommes " spécialisés " : Robert s'occupe de l'intrigue, de la dramatisation et de la conception des personnages tandis que Claire se concentre sur les éléments symboliques, les psychologies et le style. Dans le détail, Robert écrit une première version du texte qui est ensuite enrichie par Claire. Nous effectuons alors plusieurs lectures critiques communes qui se traduisent à chaque fois par des modifications. Tous nos textes subissent ainsi quatre à cinq remaniements qui nous permettent de garantir la qualité de l'écriture. L'ultime étape (la plus redoutable) est celle du gueuloir, cher à Flaubert. Ainsi pouvons-nous affirmer que nos textes sont intégralement écrits par chacun d'entre nous. C'est une expérience de communication très enrichissante.
Nous : Vos métiers respectifs, scientifique et littéraire, sont-ils des sources d'inspiration pour vos écrits ?
Claire et Robert Belmas : Uniquement dans le détail. La formation de Claire nous est surtout très utile pour tout ce qui relève de l'écriture. Les aspects scientifiques, bien que présents dans nos textes, ne sont pas des sujets d'intrigues en eux-mêmes, mais des adjuvants de la narration. Notre inspiration, nous la puisons plutôt dans la presse, le quotidien et les observations de terrain.
Nous : Comment est née l'idée du futur que vous explorez dans les Chroniques des Terres Mortes ?
Claire et Robert Belmas : Au cours de nos randonnées pédestres dans la France profonde, nous sommes fréquemment tombés sur des vallées complètement fermées par la végétation, sur d'anciennes exploitations encore prospères au début du siècle, mais englouties aujourd'hui sous les arbres et les ronciers, ou encore sur les derniers habitants de certains hameaux qui nous ont raconté comment c'était du temps de leur jeunesse quand tout l'espace autour d'eux était cultivé. Aujourd'hui, il n'y a plus que des broussailles impénétrables " où un renard ne passerait pas ". C'est dans ce contexte qu'a germé l'idée des Terres Mortes qui sont une extrapolation de cette situation : un espace (presque) complètement vidé de ses habitants. Par la suite, les Hypercités, pendant de ce territoire déserté, se sont intégrées tout naturellement dans cette approche du futur.
Nous : La situation dans les campagnes françaises semble avoir compté dans l'élaboration de ce monde. Que vous inspire la situation actuelle ?
Claire et Robert Belmas : Les Terres Mortes sont en germe dans le monde rural actuel. Elles existeront (en fait, elles existent déjà), mais le phénomène n'aura peut-être pas l'ampleur que nous avons imaginée pour nos besoins dramatiques. En voici une petite illustration que nous n'osons pas qualifier de "mathématique".
On peut écrire l'équation suivante :
S = Sh + Sc + Sa + Sje
où S est la surface totale du territoire, Sh, la surface habitée (mégalopoles, villes, villages...), Sc, la surface cultivée, Sa, la surface "abandonnée (i.e. anciennement cultivée) et Sje la surface qui n'a jamais été exploitée (sommets de montagnes, endroits inaccessibles, etc.). La surface des Terres Mortes est égale à Sa + Sje.
Les valeurs de ces surfaces sont très différentes ( Sc, Sa et Sje sont très supérieures à Sh) mais l'important est la façon dont ces étendues évoluent en fonction des mouvements de population. Mille personnes de plus dans une grande ville n'entraînent qu'une faible augmentation de Sh. En effet, ces nouveaux citadins vont se loger dans des édifices déjà existants ou de faible emprise au sol s'ils sont nouvellement construits.
Au contraire, la disparition de quelques individus (voire d'un seul) dans le monde agricole peut se traduire par une décroissance de Sc de centaines d'hectares qui passent alors dans la catégorie Sa.
Ainsi peut-on imaginer dans le futur une très faible augmentation de Sh, une diminution importante de Sc et une croissance de Sa (S restant invariable, bien entendu). A l'heure actuelle, Sa croît de 33 000 hectares par an, mais la fragilité du tissu rural peut laisser craindre un emballement du processus. Nous n'imaginons pas, par ailleurs, que la rurbanisation suffise à enrayer ce phénomène. Tout au plus pourra-t-elle le limiter. Du reste, cette rurbanisation elle-même peut être vue comme une forme de désertification, dans la mesure ou elle ne saurait restaurer le tissu rural en cours de destruction.
Nous : Comment présenteriez-vous votre univers à des lecteurs qui ne l'auraient pas encore découvert ?
Claire et Robert Belmas : Comme un monde qui est allé jusqu'au bout de sa logique, bonne ou mauvaise, et qui s'est scindé en deux zones d'incubation d'où émergeront les composantes de son futur. D'un côté, un territoire immense, presque totalement déserté, qui se transforme très rapidement et devient étranger à l'homme. De l'autre, un monde surpeuplé qui engendre lui aussi une situation d'exclusion par son progrès technologique exponentiel que les populations ne peuvent assimiler en temps réel. C'est la toile de fond sur laquelle viennent se greffer les intrigues de nos textes.
Nous : Faut-il y voir le message d'amoureux de la nature et, pourquoi pas, une mise en garde ?
Claire et Robert Belmas : Même si nous ne cachons pas notre goût pour la nature et la campagne qui ont bercé notre jeunesse, nous nous gardons bien de faire de l'angélisme : les Terres Mortes comme les Hypercités présentent leurs bons côtés et leurs désagréments, comme les campagnes et les villes d'aujourd'hui. Nos personnages en font, à l'occasion, la cuisante expérience. Quant à mettre en garde, ce serait très prétentieux de notre part : nous ne nous prenons pas pour des visionnaires, et même si nous pensons que notre vision du futur se vérifiera partiellement, les Terres Mortes et les Hypercités demeurent pour nous un décor de science-fiction où nous prenons par contre beaucoup de plaisir à situer nos intrigues. Notre souhait est que ce plaisir soit partagé par nos lecteurs.
Nous : Sur votre site internet, on trouve la présentation de lieux réels quelque peu mystérieux. Quelle part ces endroits ont-ils prise dans la constitution de ce recueil et dans votre inspiration ?
Claire et Robert Belmas : Nous nous inspirons beaucoup des lieux et des situations que nous découvrons, en particulier au cours de nos randonnées. Peu de gens imaginent à quel point certains endroits constituent, sans qu'il soit nécessaire de forcer son imagination, des décors d'histoires fantastiques ou de science-fiction. C'est avec ces briques que nous avons construit le patchwork géographique (imaginaire, lui) des Terres Mortes.
Nous : On trouve aussi dans votre livre une réflexion sur la génétique et l'évolution de l'homme. Vous sentez-vous concernés par les débats sur la bioéthique et le clonage humain ?
Claire et Robert Belmas : C'est même l'un des sujets principaux du recueil, sinon le sujet principal. Les différentes nouvelles sont organisées selon une progression chronologique qui s'étend sur une centaine d'années et montre deux évolutions indissociables : celle de l'homme et celle de son environnement. Il nous semble en effet impensable que l'humanité puisse traverser le siècle à venir sans subir de profondes transformations. En particulier, il serait naïf de croire que le génie génétique, compte tenu des enjeux économiques qu'il présente, sera entravé par la législation. A partir de là, nous avons essayé d'imaginer ce que pourrait être un futur où humains ordinaires, hommes modifiés et artefacts de toutes sortes seront amenés à cohabiter et où, inévitablement, la première catégorie sera progressivement remplacée par les autres, mieux adaptées aux nouveaux environnements.
Nous : En même temps, vous semblez plus attirés dans vos écrits par la science- fiction que par la fantasy, pourtant souvent porteuse de mythes. Pourquoi ? Est-ce parce que l'alliance des légendes qui se reconstruisent dans les Terres Mortes et de la technologie de pointe des villes possède une saveur particulière ?
Claire et Robert Belmas : Nous ne recherchons pas à nous situer dans un genre particulier, et s'il est bien clair que les Chroniques des Terres Mortes sont avant tout un ouvrage de science-fiction, la fusion avec d'autres thèmes comme le fantastique, le polar ou le roman noir s'y fait naturellement. La fantasy n'est pas totalement absente, elle non plus (voir Au Bois des Epivants).
Ceci dit, la dualité Terres Mortes / Hypercités était effectivement une belle occasion de créer un cycle de récits qui possède une identité propre. Là encore, c'est le lecteur qui nous dira si nous y avons réussi.
Les Terres Mortes redeviennent très rapidement un territoire vierge et inexploré comme il n'en existe plus sur notre planète. Elles symbolisent la part inconsciente de nous-mêmes, d'où émergent des puissances à la fois immémoriales et très structurées. C'est un univers propice à la re-création de l'homme ou de ses avatars. Les Hypercités sont au contraire le monde du sur-moi, qui fabrique sa part de nouvelles formes d'humanité, mais de façon beaucoup plus anarchique. Ces deux mondes s'ignorent presque et pourtant ils se sont réciproquement engendrés et c'est de leur association que naîtra le devenir de l'humanité. C'est en tout cas la conclusion de notre recueil.
Nous : De nombreux auteurs parlent de relations particulières et fortes avec leurs personnages. De votre côté, vous réutilisez certains héros dans plusieurs nouvelles. Quelles relations entretenez-vous avec eux ?
Claire et Robert Belmas : Imaginer des personnages, leur donner une substance et les faire vivre est un des principaux plaisirs de l'écriture, pour ce qui nous concerne. Ce faisant, nous n'avons pas le sentiment de manipuler ces personnages, mais plutôt de les faire entrer dans notre association littéraire. En quelque sorte, ils font partie de la famille : nous vivons avec eux le temps d'une nouvelle ou d'un roman. Par la suite, ils continuent de nous habiter comme des présences vivantes, si bien que lorsque nous en créons de nouveaux, nous les situons non pas par rapport à des modèles réels, mais par rapport aux personnages précédents.
Nous : Vous avez écrit, depuis plusieurs années, de nombreuses nouvelles dont les intrigues se déroulent dans cet univers. Comment s'est fait le choix pour ce recueil et avec quel objectif ?
Claire et Robert Belmas : Notre volonté était double : produire un ensemble de récits imbriqués qui constitue un " roman en pointillés " des cent ans à venir, et proposer au lecteur une large part de textes inédits (le recueil en comporte soixante-dix pour cent). L'imbrication se fait, par exemple, par l'intermédiaire de personnages que l'on retrouve d'une nouvelle à l'autre, ou bien par des événements annoncés dans un texte et dont on voit les conséquences dans un autre. Le tout conduit à une certaine cohérence et resserre fortement les liens entre les nouvelles.
Il est vrai par ailleurs que certains textes du cycle des Terres Mortes et des Hypercités, absents du recueil, ont été publiés dans d'autres supports : Le Bal des Ardents dans Galaxies n°22, Sangre dans Utopia 1 (Editions Galaxiales), Homo Ludivaguens dans l'anthologie Hyperfuturs (hors-série de Galaxies).
Nous : Chroniques des Terres mortes est votre premier recueil, comment avez-vous ressenti sa publication ? Comme une consécration ? Un aboutissement ? Une étape ? Quels sont vos projets ?
Claire et Robert Belmas : Il serait vain de nier le plaisir d'un auteur lors de la publication de son premier ouvrage. La consécration, toutefois ne pourra venir que des lecteurs : ce sont eux qui décideront in fine du sort du recueil. Il est bien clair que nous n'entendons pas en rester là. D'ores et déjà d'autres manuscrits sont chez les éditeurs ou en cours d'élaboration. Nous pensons en particulier approfondir l'univers des Terres Mortes et des Hypercités dans un roman qui en fera découvrir de nouveaux aspects, mais dans l'immédiat, nous venons de soumettre à Imaginaires Sans Frontières, qui semble emballé, un autre roman où le lecteur sera emporté bien loin du monde des Chroniques...