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Interview de Claude Mamier
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Interview de Claude Mamier

Actusf : Quand êtes vous tombé dans la littérature ? Y'a-t-il un ou des auteurs, ou des livres qui vous ont particulièrement marqué ?
Claude Mamier : J'ai toujours lu avec avidité, et ceci dès le plus jeune âge. Mais la rencontre qui nous intéresse, celle avec les littératures de l'imaginaire, s'est produite vers 10-11 ans en lisant coup sur coup Frankenstein de Mary Shelley et Le talisman des Territoires de King et Straub. Cela a été un véritable coup de foudre avec le genre Fantastique. Au niveau des auteurs, même si on pourrait en citer beaucoup, ma reconnaissance éternelle (comme on dit) va à Stephen King. Il a définitivement implanté le virus du Fantastique dans mes veines pendant mon adolescence, et il m'a convaincu de lire aussi bien des nouvelles que des romans. Il m'a également aidé, mais beaucoup plus tard, à comprendre qu'il faut prendre un stylo dans le but de raconter une histoire et pas dans celui de s'écouter écrire. Au niveau des livres, là encore la liste pourrait être longue, mais j'en citerai deux. D'abord le 1984 de Orwell, dont la formidable analyse du rapport entre l'homme et la langue qu'il parle m'a définitivement convaincu de me lancer dans l'écriture. Et ensuite, il y a Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. C'est pour moi l'archétype de l'histoire où un élément surnaturel simple permet de faire basculer des vies et de révéler les pires ténèbres dissimulées au fin fond des personnages.

Actusf : Quand avez vous commencé à écrire ? Y'a-t-il eu un déclic à un moment donné ?
Claude Mamier : Ça dépend de ce qu'on appelle "écrire" ! (rires) Si l'on englobe dans cette catégorie les poèmes débiles, ça a commencé à l'école primaire ! Par contre, si l'on s'en tient aux nouvelles "sérieuses" (sans tenir compte du niveau littéraire bien sûr), cela se situe vers 19 ans, comme par hasard à la même époque que ma lecture de 1984…

Actusf : Vos nouvelles sont éclectiques, certaines tiennent de la SF, d'autres du fantastique... J'imagine que vous avez une affinité particulière avec les littératures de l'imaginaire ? Et si oui pourquoi ?
Claude Mamier : C'est vrai que je suis très attaché aux littératures de l'imaginaire. Elles représentent 60 à 70% de mes lectures, et la quasi totalité de ma production. Il m'arrive d'écrire des textes de littérature générale, mais ils restent marginaux et n'ont de surcroît jamais rencontré un grand succès dans leur genre… Si l'on divise en catégories, je suis d'abord un fan de Fantastique, puis de SF, et en dernier lieu de Fantasy. Et si l'on fait attention, on remarquera que ces préférences se retrouvent également dans mon travail, à travers la proportion de textes que je consacre à chaque catégorie. Par exemple, dans mon recueil Récits des Coins d'Ombre, il y a cinq nouvelles de Fantastique, deux de SF et une de Fantasy. Quant à savoir ce qui m'intéresse particulièrement dans l'imaginaire, ce n'est pas facile à définir… Je crois que pour le Fantastique, c'est d'abord la notion de basculement qui me fascine, la manière dont des gens vont réagir face à des évènements qui n'auraient jamais dû arriver et qui pourtant arrivent, des évènements qui vont agir comme des révélateurs et faire ressortir la face cachée des personnages. Et puis le Fantastique est quand même le genre littéraire qui parle le plus ouvertement de la mort, un sujet qui devrait passionner tout le monde… Pour la SF, c'est plus l'expérimentation sociale qui m'intéresse : la description d'autres sociétés possibles, sur d'autres planètes qui vont alors devenir des miroirs de la nôtre, ou encore la façon dont notre propre société peut réagir à des innovations technologiques ou politiques (ici on en revient encore à 1984…). Mais pour conclure sur ce sujet, on pourra dire que, comme leur nom l'indique, les littératures de l'imaginaire m'attirent par la force de… l'imagination. Quelqu'un qui propose de me décrire à quoi ressemble l'Enfer ou la 8ème planète d'un système solaire éloigné, je suis prêt à l'écouter !

Actusf : Par contre une certaine noirceur se retrouve dans vos textes. Là encore pour quelle raison ? Est-ce pour susciter des émotions fortes aux lecteurs ?
Claude Mamier : J'ai tendance à penser que, si l'on peut chercher parfois dans l'art un moyen de se divertir, le rôle premier dudit art est quand même de secouer, de provoquer un questionnement, une réflexion. L'art est fait pour déranger, pas pour rassurer, et c'est donc à cela que j'essaie de m'employer dans la mesure de mes moyens. Et c'est en cela, encore une fois, que réside la force du Fantastique ou de la SF, dans cette possibilité de frapper vite et fort, de mettre le lecteur tout de suite en déséquilibre, de le transporter en quelques secondes hors de ses repères et de lui poser la question la question fatale : et maintenant, à la place du personnage, tu ferais quoi, tu penserais quoi ? L'imaginaire permet d'amener la guerre, la mort, l'horreur directement à ta porte. Quand tu ouvres un journal, tout est toujours loin : la guerre est à l'autre bout du monde, la dictature aussi, et dans la rubrique "faits divers" c'est toujours un autre qui s'est fait renverser par un camion ou qui est mort dans des circonstances inexplicables. Mais quand tu ouvres un livre de Fantastique ou de SF, tu commences à regarder dans la rue en te disant que les vies qui chavirent, cela n'arrive peut-être pas qu'aux autres. On pourra me rétorquer que la littérature générale peut aussi tenir ce rôle, et c'est vrai, mais je trouve justement qu'elle y renonce de plus en plus. Un exemple au hasard ? J'attends encore qu'un livre d'Amélie Nothomb m'apporte autre chose que des dialogues bien ficelés…

Actusf : Depuis vos débuts "professionnels" dans Hyperfuturs, vos textes se multiplient. Avez-vous identifié la manière dont vous viennent les idées ? Comment naissent vos nouvelles ?
Claude Mamier : Difficile de décrire la façon dont naît une idée… Je crois qu'il faut d'abord être ouvert à son environnement, se laisser happer par tout ce que l'on voit, tout ce qu'on entend, et l'emmagasiner non pas comme de l'information stérile et figée, mais dans la perspective qu'il pourra en naître quelque chose de différent. Comme le disait King dans une de ses préfaces, il faut toujours être prêt à se demander "tiens, et si ça se passait plutôt comme ça". A partir de là, une idée peut venir d'une phrase, d'une chanson, d'une affiche dans la rue, d'un paysage, d'un objet, de n'importe quoi ! L'important, c'est d'être en mouvement, toujours prêt à transformer.

Actusf : Comment travaillez-vous ?
Claude Mamier : Eh bien d'abord, une idée, ce n'est pas une histoire ! A partir d'une idée, j'essaie donc de développer une histoire, un scénario, de trouver un début et une fin. Bien entendu, cela ne réussit pas à chaque fois, chaque idée n'aboutit pas à un texte. Mais une fois que j'ai la trame, je peux commencer à écrire. Contrairement à des auteurs qui peuvent entamer un texte sans connaître la fin, j'ai absolument besoin de savoir où je vais : je considère que chaque phrase depuis la toute première doit contribuer au cheminement vers cette fin que j'ai choisie. Maintenant, en ce qui concerne le travail d'écriture lui-même, ça tombe bien qu'on en parle puisque c'est en train de changer ! Avant - c'est-à-dire jusqu'au début de cette année - j'écrivais à la main, au stylo plume, je corrigeais au stylo rouge, et ce n'était que dans les ultimes phases de correction que le texte parvenait sur informatique. A présent, je fais tout sur ordinateur. Pourquoi ce changement ? Pour des raisons de logistique… Je vais en effet me lancer dans les mois qui viennent dans un grand voyage autour du monde - j'espère que nous en reparlerons plus tard dans cette interview - et pour écrire il est plus pratique de voyager avec un ordinateur portable qu'avec des tonnes de feuilles… Voilà pourquoi on peut dire qu'en ce moment je "m'entraîne" à travailler uniquement devant la machine. J'étais (et je suis encore) un peu angoissé quant à l'effet que cela pourrait avoir sur mon écriture elle-même, mais j'ai été un peu rassuré il y a quelques jours quand le magazine Elegy a accepté la première nouvelle rédigée avec cette méthode… Et sinon, quelque chose qui ne change pas : relecture obligatoire du texte à voix haute ! Tous les accrocs de rythme et de sonorité apparaissent, c'est cruel mais c'est bon…

Actusf : Vous avez beaucoup de nouvelles mais pas de roman. Est-ce parce que vous vous sentez plus à l'aise dans la forme courte ?
Claude Mamier : En fait, j'ai écrit un roman il y a quelques années, qui a été refusé avec juste raison par tous les éditeurs possibles et imaginables. Mais tous ceux qui l'ont lu m'ont dit que mon écriture avait beaucoup progressé d'un bout à l'autre de l'ouvrage. Je ne me suis donc pas découragé, par contre je n'avais pas envie à l'époque de me relancer dans un texte de longue haleine, ce qui m'a poussé à revenir du côté de la nouvelle. Et il se trouve que le texte pour Hyperfuturs a été écrit et accepté peu de temps après. Aujourd'hui, je n'ai pas encore retrouvé la motivation pour tenter à nouveau l'aventure du roman. D'abord parce que je n'ai pas envie de repasser un an sur une seule idée, et aussi parce que je n'estime justement pas avoir une idée qui me permette de tenir la distance d'un livre. Affaire à suivre, donc…

Actusf : Comment avez vous conçu ce recueil ? Avez-vous récupéré des nouvelles dans vos tiroirs ou les avez-vous écrites pour l'occasion ?
Claude Mamier : Tout d'abord, la principale consigne de l'éditeur était de représenter les trois genres de l'imaginaire : Fantastique, SF et Fantasy. Ceci étant dit, il fallait voir ce que j'avais en stock. J'ai tenu en premier lieu à faire une réédition, celle de la nouvelle Musiques des Morts parue en 2001 chez Cylibris, car c'est un texte auquel je tiens beaucoup. Ensuite, Léa Silhol a accepté quatre textes existants, dont un que j'avais d'abord réécrit entièrement car il datait de 10 ans et souffrait d'horribles malformations… Il nous reste donc trois nouvelles qui ont été rédigées spécialement pour le recueil.

Actusf : Quels sont vos projets littéraires ?
Claude Mamier : J'ai deux projets de recueils de nouvelles qui me trottent dans la tête. Comme j'ai toujours été beaucoup inspiré par mes voyages, je compte bien profiter du tour du monde pour écrire des histoires prenant place dans des lieux étranges, des histoires dans lesquelles justement les lieux seraient très importants, seraient presque des personnages à part entière (comme peut l'être la ville de New York dans Musiques des Morts). Il s'agira a priori de nouvelles relevant du genre Fantastique. Par contre, mon second projet de recueil est orienté SF. Il part du principe de suivre l'évolution et l'impact sur le monde d'une découverte scientifique à travers une suite de nouvelles qui seraient séparées les unes des autres par plusieurs décennies.

Actusf : Parlez-nous un peu de ce fameux tour du monde à venir. Pourriez-vous nous présenter ce projet ?
Claude Mamier : Aaaaah, le tour du monde… Eh bien je pars cet été avec un ami photographe pour un tour du monde qui doit durer 1000 jours. Pourquoi cette durée ? En référence aux contes des 1001 nuits. En effet, notre but n'est pas seulement de voyager et de faire partager le voyage lui-même, nous avons également l'intention de collecter au fil de la route les contes des pays traversés. Et en plus de la collecte brute, nous ferons aussi voyager ces histoires en devenant conteurs à notre tour, en racontant dans un pays un conte appris dans un autre. Notre projet vient de recevoir le label de qualité de l'Unesco, mais malheureusement pas de soutien financier. Comme notre budget n'est pas encore bouclé, j'en profite pour lancer un appel : que tous ceux qui seraient intéressés nous contactent ! On peut retrouver la description du projet sur notre site web (www.1000jours1001nuits.net), et c'est également grâce à ce site que l'on pourra nous suivre pas à pas après le grand départ : carnets de route, photos et autres contes seront ajoutés régulièrement. Et pour en revenir à l'écriture de fiction, si on cherche bien dans le site, on peut trouver deux nouvelles inédites...

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