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Interview de David Meulemans sur les éditions Aux Forges de Vulcain
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Interview de David Meulemans sur les éditions Aux Forges de Vulcain

Actusf : D'abord qui était-il et quelle est la place et l'importance de son oeuvre ?
David Meulemans : William Morris a été un de ces derniers génies universels, que les anglos-saxons nomment parfois des “Renaissance men”, dans la mesure où ils incarnent cet idéal de la Renaissance, de chercher à maîtriser tous les savoirs. Ainsi, Morris était peintre, illustrateur, écrivain, architecte, imprimeur, entrepreneur, traducteur et militant politique. Il a joué un rôle très important dans deux courants artistiques de l’époque victorienne. D’un côté, les pré-raphaëlites, ce courant pictural qui a remis au goût du jour le Moyen Âge - et a eu une immense influence, à terme, sur la Fantasy. D’un autre côté, il a été un des piliers du mouvement “Arts and Crafts”, un mouvement des arts visuels, davantage tourné vers l’artisanat de qualité. Les Français le connaissent surtout pour ses productions ornementales. En Angleterre, il a eu deux influences majeures. Il a été une des références partagées de Tolkien et Lewis. Et il a converti deux générations entières d’étudiants à sa vision de la gauche, qui mêlait générosité et indépendance d’esprit. Ainsi, sa devise, “la camaraderie avant tout” (en anglais: “fellowship is life”) est, à la fois, un slogan politique - et une des sources de la “fellowship” de Tolkien.
 
Actusf : Qu'est-ce qui vous a donné envie d'éditer ses oeuvres ?
David Meulemans : Je suis très sensible au fait que personne n’écrit seul, que toute grande oeuvre est issue d’un contexte, et porte la marque des grandes lectures qui ont marqué l’auteur. D’ailleurs, nous avons publié un classique de la théorie littéraire, L’Angoisse de l’influence, de Harold Bloom, qui parle justement de cela! J’ai toujours aimés Tolkien et, au cours d’une discussion avec une spécialiste de l’époque victorienne, j’ai découvert le Morris “romancier”. Je savais qu’il avait été peintre et militant politique, mais j’ignorais la plus grande partie de son oeuvre - son oeuvre littéraire. Je me suis mis à la lire, j’ai aimé - et je me suis dit qu’il fallait lui donner les lecteurs qu’il n’avait jamais eus!
 
D’ailleurs, pour la petite histoire, la première fois que j’ai entendu parler de Morris, c’est dans un roman: Les Vestiges d’Arcadia, de Fabrice Colin, qui avait été pour moi une merveilleuse lecture, tout simplement car il montrait un auteur français capable de faire quelque chose de populaire et de pointu à la fois. Par contre, même si j’aime beaucoup ce diptyque de Colin, il ne donne pas un rôle très sympathique à Morris…
 
Actusf : Il y a dans sa bibliographie des romans, de la poésie, des essais... comment peut-on la qualifier ? Y'a-t-il un fil conducteur à ses écrits (ou des fils) ?
David Meulemans : Ce qui est très impressionnant, c’est qu’à travers une myriades de moyens d’expression, et une période de production qui s’étend sur quatre décennies, l’oeuvre de Morris présente quelques traits récurrents, qui permettent au lecteur d’être en territoire connu - quand on voit un de ses tableaux, qu’on lit un de ses essais, qu’on s’immerge dans un de ses romans, on retrouve: sa passion pour le Moyen Âge, son imagination visuelle, son goût plastique pour la beauté, son appétit de justices, son sens de la générosité. De tout cela émane toujours une puissance et un enthousiasme remarquables.
 
Actusf : Comment avez-vous choisi les premiers titres que vous avez publiés ?
David Meulemans : En fait, nous avions décidé, dès le début, que nous allions faire l’intégrale - que les lecteurs nous suivent ou non. La question était plutôt de choisir l’ordre de publication. Comme, dans l’oeuvre de Morris, il y a des choses qui lorgnent vers le merveilleux - et d’autres qui lorgnent vers la politique, nous avons décidé de commencer par “Le Pays creux” et “Un Rêve de John Ball” - un roman merveilleux et un récit politique.
 
Actusf : Il y a plusieurs traducteurs. Comment travaillez-vous avec eux ? Est-ce que vous cherchez à harmoniser leurs traductions ? (A moins que cela ne soit tout simplement pas possible).
David Meulemans : Nous avons la chance d’avoir de très bons traducteurs sur ce projet d’intégrale. La qualité de leur travail a été saluée, à la fois, par des aides du Centre national du livre - et par le prix spécial du jury aux Imaginales 2013. Nous discutons initialement avec eux de ce qui serait bon pour Morris. Nous établissons une stratégie de traduction qui, dans les grandes lignes, consiste à rendre au texte de Morris sa vitalité initiale. En ce sens, notre souci n’est pas de nous adresser aux lecteurs férus de littérature victorienne qui pourraient désirer retrouver, encapsulé, un vestige d’une époque révolue. Nous travaillons plutôt à faire découvrir à tous les lecteurs, y compris des lecteurs peu intéressés par les littératures du 19ème siècle, une grande oeuvre. Au sein de ce cadre, les traducteurs, principalement Maxime Shelledy et Francis Guévremont, sont libres. Après coup, nous retravaillons le texte avec eux - mais j’avoue qu’ils rendent des premiers jets qui sont de très grande qualité.
 
Actusf : Parlez-nous du Pays creux qui est considéré comme le premier roman de fantasy. De quoi parle-t-il et en quoi y trouve-t-on les prémisses du genre ?
David Meulemans : Morris est à la charnière de deux grands auteurs, Walter Scott et Tolkien. Morris, comme nombre de ses contemporains, avait un goût particulier pour le Moyen Âge, qu'il nourrissait de ses lectures des romans historiques de Scott. Mais, dans le “Pays creux”, il va faire subir à ce genre une inflexion, qui va changer le cours de cette littérature - il va y introduire du merveilleux. A proprement parler, il n’invente pas le merveilleux, mais il l’importe, dans un genre où il était peu présent. Et ce croisement, cette hybridation, se fait dans le “Pays creux”, qui oscille entre un récit de bataille, et quelque chose de plus onirique, de plus mystérieux. C’est un roman très court, très élégant, mais qui conserve quelque chose d’énigmatique, d’indéchiffrable. Bien sûr, Tolkien a une oeuvre très différente de Morris, et a inventé beaucoup de choses, mais, en un sens, le “Pays creux” marque un tournant qui rend possible nombre de développements ultérieurs.
 
Actusf : Même question sur Le Puits au bout du monde. De quoi s'agit-il et quel est le sujet de cette série ?.
David Meulemans : Le Puits au bout du monde est sans doute l’oeuvre de Morris qui a le plus influencé, de son propre aveu, Tolkien - et certains des personnages (Gandalf) du Seigneur des Anneaux sont directement inspirés de personnages du Puits (Gandolphe)… Le Puits au bout du monde est le récit d’une quête initiatique, qui est, comme toute quête, à la fois une quête concrète, et une quête spirituelle pour notre héros, le Prince Rodolphe, qui est initialement parti de chez lui pour connaître des aventures, mais, ayant appris l’existence d’une eau miraculeuse, se décide de la trouver. Il rencontrera sur son chemin amis, ennemis, brigands, traîtres - et l’amour.
 
Actusf : Un rêve de John Ball est qualifié en plus de son histoire de manifeste politique. Quel en est le propos et quelles étaient les convictions de William Morris ?
David Meulemans : Un Réve de John Ball  est un roman historique, qui montre un narrateur du 19ème siècle qui s’endort pour se réveiller en 1381, pendant un événement historique qui a bien eu lieu: la révolte paysanne menée par John Ball et qui a été vue par certains marxistes comme une révolution avortée. Pour Morris, c’est l’occasion de livrer une fable sur l’évolution de la condition ouvrière britannique - une fable ambivalente dans la mesure où s’il concède que la situation des pauvres n’était guère enviable au treizième siècle, leur situation n’est pas meilleure en 1881, quand les révolutions industrielles les réduisent à une forme de nouvel esclavagisme. Morris était communiste, mais d’un communisme libertaire, qui va se retrouve pris en tenaille, à la fin du 19ème siècle, entre un communisme marxiste, et les courants anarchistes britanniques. Il aura une grande influence sur les étudiants des années 1900 et 1910, qui iront rejoindre l’aile réformiste de la gauche. En ce sens, son gauchisme est parfois un peu abstrait, naïf, et idéaliste - matinée d’un fort attachement à l’autonomie des individus. Dans cette perspective, il est proche des idées qu’Oscar WIlde expose dans un petit essai de la même époque: L’âme humaine et le socialisme.
 
Actusf : Les romans et nouvelles de William Morris sont-ils toujours "actuels" ?
David Meulemans : Bien sûr! Je vois même en eux une source d’inspiration pour des auteurs contemporains - car le but des Forges n’est pas de verser dans la nostalgie ou le patrimoine, mais d’alterner les oeuvres contemporaines et les oeuvres classiques. Et le rôle des classiques, pour nous, est très clair: montrer que des pistes sont possibles car, tout simplement, elles ont déjà été empruntées avec succès. La piste Morris, c’est: on peut être un grand conteur, un grand écrivain, savoir raconter une histoire, avoir une imagination plastique - et avoir quelque chose à dire sur le monde.
 
Actusf : Sa vie d'éditeur vous inspire-t-elle en tant qu'éditeur ? 
David Meulemans : Oui - même si je n’ai aucune de ses qualités… Disons que j’ai les mêmes ambitions que lui - et je travaille à acquérir les moyens de ces ambitions. La route va être très longue. Mais, comme le montrent les romans de Morris, ce qui est important, dans la quête, c’est les aventures et les rencontres. 
 
Actusf : Un petit mot sur les projets d'Aux Forges de Vulcain. Quelle est votre actualité cet automne ? Et quels sont les titres que vous allez publier ?
David Meulemans : En dehors des William Morris, nous sortons un livre de SF: Les Etoiles fixes de Brian Conn. Conn est un auteur américain qui a reçu le prix Bard pour ce roman. C’est un roman de SF complètement fou, post-apocalyptique, avec des monstres, un chat qui parle, des ours-garous, une épidémie, et plein de choses très étranges. J’ai hâte que les lecteurs s’en emparent. C’est traduit par Antoine Bargel, qui traduit aussi William Morris.
 
Actusf : Parlez-nous de DraftQuest-. De quoi s'agit-il ?
David Meulemans : Les but des Forges, c’est de faire lire un peu différemment. DraftQuest, c’est un projet complémentaire, qui a pour but de faire écrire différemment. Je pense que tout le monde devrait écrire, que l’art de la fiction devrait être pratiqué, par tous, quotidiennement. Donc, nous sortons fin octobre le site DraftQuest, qui est un outil d’aide à l’écriture. Et, parallèlement, nous sortons un cours en ligne consacré à l’écriture. Pour le trouver, il suffit de chercher “MOOC DraftQuest”. Les inscriptions sont ouvertes. Et, pendant huit semaines, nous allons accompagner les participants dans l’écriture de leur roman. Et, petite annonce exclusive: à la fin, les Forges publieront un des romans produits dans le cadre de ce cours. Inscrivez-vous!

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