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Interview  de Fabrice Colin et de David Calvo
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Interview de Fabrice Colin et de David Calvo

Actusf : Qu'est-ce qui vous a donné envie de sortir ce recueil ?
David Calvo : L'appât du gain.
Fabrice Colin : Certains bouquins exigent d'être écrits et refusent de vous laisser en paix tant que vous ne leur avez pas donné naissance.

Actusf : Comment avez-vous choisi les trois nouvelles au sommaire ?
David Calvo : Ce ne sont pas des nouvelles, plutôt trois fois la même histoire, dont le point de vue se décompose. Ca forme un roman, c'est pas du copier/coller . La première partie était effectivement une nouvelle, qu'on a publié il y a deux ans dans un recueil chez Nestiqvenen (NDR Jour de l'An 2000), et qu'on a largement retravaillé, notamment d'un point de vue historique. Des gens nous ont reproché de ne pas aller au bout de notre idée à la fin de cette nouvelle, de ne pas montrer ce qui arrivait réellement à Kelvo et Collins, les implications de leurs actes. On l'a donc fait, d'abord avec des poires, puis avec des rats. Au final, ça forme un court roman pas trop cher, qui fait rire et qui se lit vite.
Fabrice Colin : Les nouvelles forment un tout. Il s'agit plus d'un roman en trois parties, trois projecteurs braqués sur une même scène : quand on modifie l'éclairage, les personnages et le décor semblent changer. Alors qu'en fait, ils sont toujours les mêmes.

Actusf : Atomic Bomb va sortir d'ici quelques jours, avant que nous n'en connaissions la teneur, comment présenteriez-vous ce recueil et chacune de ses histoires ?
David Calvo : C'est une histoire d'amitié entre deux personnes qui se détestent.
Fabrice Colin : Dans la première partie, les héros sont déjà fatigués : ils ont tout connu, ils veulent crever, ils veulent des drogues, ils ont besoin d'amour. La bombe atomique est la solution à tous leurs problèmes. Ils préparent leurs planches de surf et se remémorent le passé. Dans la deuxième partie, des poires extraterrestres débarquent sur Terre après avoir été témoins d'une explosion atomique. Leur vaisseau repart sans elle. Les poires essaient de "finir" tellement elles sont écœurées. Elles font du ski, sortent en boîte de nuit, font des kwak, vont voir des films pornos. La troisième partie met en scène des rats en Tokyo. Ces rats-là ont pas mal de problèmes. Ils sont hantés par l'apocalypse nucléaire, et liés contre leur gré à un complot terroriste. Tout ça fonctionne sur le thème de la narration alternée, un personnage chacun, un gentil petit ballet amour / haine, un grand-huit, une spirale, ad nauseam.

Actusf : Ce livre vous a-t-il demandé beaucoup de temps et de travail ?
David Calvo : Quelque chose comme deux ans de boulot. La première partie était déjà écrite, la deuxième était plutôt fun et rapide à faire. La troisième, par contre, c'était l'enfer. On a dû mettre un an à la pondre. Je ne sais pas pourquoi. Je crois qu'on ne savait pas trop où on allait, mais cette indécision, c'était justement ce qui a fini par nous sauver, elle nous a donné notre sujet : comment vivre la décomposition d'une idée, comment survivre aux radiations de nos conneries ? Au bout d'un moment, on a cessé de se prendre la tête, et on a juste pété les plombs.
Fabrice Colin : Je ne sais pas. La dernière fois que j'ai regardé un calendrier, nous nous trouvions en 1917.

Actusf : Comment travaillez-vous à deux?
David Calvo : On travaille dans le même bureau tous les jours. On a le temps de se parler, de partager pleins de trucs très cool, écouter de bons disques (le dernier Flaming Lips est très bien), boire du coca, tout ça.
Fabrice Colin : Hypothèse 1- Je le ligote sur une chaise, j'allume un cigare, je retrousse mes manches et je lui braque une lampe dans la gueule. "Ecoute, mon grand. On peut y passer la nuit ou bien tu peux te mettre à table tout de suite et dormir ce soir dans un vrai lit. C'est toi qui vois."
Hypothèse 2- Je signe un chèque, je mets le chèque dans une enveloppe, je mets l'enveloppe dans la boîte aux lettres de la poste de Honokaa (Hawaï Island) et je retourne sur la plage. Au dos du chèque, ce message sibyllin : "Dave, après tout ce que j'ai fait pour toi, ça t'ennuierait d'écrire un truc pour Le Bélial et de le signer de nos deux noms ? Thanks."
Hypothèse 3- On va dans un restau chinois. On échange nos idées. On mange une salade de crevettes. On note les idées sur nos cahiers graisseux. On rentre au bureau. On se dit, 40 000 signes chacun, c'est pas la mort, on revient lundi, on met tout en commun et c'est plié. Le lundi suivant, on finit par s'avouer qu'on a rien branlé. " C'est mal ", me dit Dave. " Ouais, que je dis, c'est mal ". Mais ça peut durer comme ça de plusieurs semaines à plusieurs années.

Actusf : D'ailleurs, comment vous êtes-vous rencontré et comment avez-vous décidé d'écrire à quatre mains ?
David Calvo : Nous n'écrivons pas à quatre mains. Nous avions chacun nos personnages dont il fallait trouver la voix, les obsessions, les rêves. Ces personnages sont basés sur nous et notre vie, bien sûr, mais aussi sur un tas d'autres paramètres. La désintégration de nos noms de famille fait aussi partie du jeu. Quant à notre rencontre... j'ai oublié. J'ai l'impression de connaître Fabrice depuis mon enfance. Je me souviens quand on se battait dans un bac à sable en maternelle, pour savoir qui allait réussir à voir manger le plus de gravier, et plus tard, en sixième, comment les profs nous rouaient de coups en nous obligeant à apprendre par cœur L'Enfant et la Rivière d'Henri Bosco.
Fabrice Colin : Fabrice Colin : On s'est rencontré à Toulon, bourgade riante s'il en est. C'était l'été (ici, insérer air de saxo seventies et chorégraphie sauvage : des bonnes sœurs sur des monocycles, agitant des mains jazzy). Il y avait une convention de jeu de rôle en plein air. Le soir venu, j'ai vu un mec avec un t-shirt de rock, en train d'animer une partie de je-sais-plus-quoi. Il parlait de James Joyce. Je suis tombé instantanément amoureux. Je me suis approché.
"-Salut. T'es homo ?
- Non. Et toi ?
- Moi non plus.
- Dommage.
- Tu m'étonnes.
"
Après ça, on est devenu très copains. D'abord, on s'est dit qu'on allait écrire des livres.
Ensuite, on a décidé de devenir maîtres du monde. Puis on a reçu nos premiers relevés de vente. "Tant pis, on s'est dit. Devenons maîtres du monde quand même."
Ecrire ensemble était une évidence.
Ça devait arriver.
Désolé.

Actusf : Que vous apporte cette collaboration dans votre travail d'écrivain ?
David Calvo : Voir Fabrice travailler à ses romans et autres projets tous les jours, c'est un moteur pour moi : je publie peu, parce que je ne supporte pas de publier quelque chose qui n'est pas aussi abouti qu'il devrait l'être, et des fois, c'est douloureux de voir Fabrice avancer avec autant de rapidité et de force. Au début, ça me frustrait, mais maintenant, ça me rassure, parce que je sais qu'il n'y a pas de compétition entre nous. Il n'y en a jamais eu, mais j'étais, je crois, trop immature pour le comprendre.
Fabrice Colin : Eh bien, je suis très content de trouver quelqu'un qui soit aussi cinglé que moi, voire plus. On se fait confiance. Avec David, je me sens moins seul. Même si on est très différent sur notre traitement des choses, notre discours est le même : explosion de la réalité, fuite en avant, confusion des genres.

Actusf : Comment séparez-vous les histoires que vous souhaitez réaliser seul et celle que vous souhaitez réaliser à deux ?
David Calvo : Fabrice et moi avons pas mal d'obsessions en commun. En revanche, nous n'avons pas du tout la même façon de les filtrer. Je serai incapable de dire ce qui nous différencie. Nous avons probablement des sensibilités très différentes.
Fabrice Colin : On le sait tout de suite. C'est comme ça, c'est inné. Certains projets sont tellement personnels qu'on ne laisserait même pas Dieu s'en approcher. Les autres trucs naissent à deux.

Actusf : Envisagez-vous de faire un roman ensemble un jour ?
David Calvo : C'est possible.
Fabrice Colin : Bien sûr ! Il y a plusieurs possibilités. Pas mal de projets qui dorment dans les cartons. La seule chose qui nous manque, c'est le temps.

Actusf : Quels sont vos projets en commun tous les deux ?
David Calvo : Nous avons trop de travail chacun de notre côté pour perdre notre temps à nous mettre d'accord sur un espace à partager. Le seul projet viable qu'on envisage à long terme, c'est une adaptation du Nommé Jeudi de Chesterton, mais je ne sais pas sous quelle forme. Le rêve serait d'en faire un cartoon.
Fabrice Colin : Je ne sais pas. Notre projet principal, c'est d'être reconnus, d'envoyer un peu des gens sur Mars. Le reste est somme toute assez accessoire.

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