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Interview de Georges Foveau
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Interview de Georges Foveau

Nous : Les Falaises de l'Ouest viennent de sortir aux éditions Terre des Brumes. Après La Marche du Nord et Un Port au Sud…Il en manque encore un, là, non ?
Georges Foveau : Les Mines de l'Est doivent paraître, toujours chez Terre de Brume, en avril ou mai 2004. Ce roman bouclera la tétralogie de Soze par la quête d'une porte maléfique que des sorciers veulent réactiver afin de prendre le pouvoir dans l'Empire Dlée… Dès le départ, je voulais raconter la vie d'un homme sur vingt ans, en quatre points cardinaux et quatre saisons, avec des épisodes qui se déroulent à 5 ou 6 ans d'intervalle. En fait, au travers d'enquêtes et d'aventures où surgissent des forces surnaturelles dans un Empire imaginaire, je désirais évoquer des problématiques très contemporaines ou qui marquent l'histoire de l'humanité : le colonialisme, la destruction de la nature et des peuples qui y vivent, l'impérialisme, la corruption, l'amour… J'avais surtout envie de décrire la confrontation d'un homme au pouvoir et aux pouvoirs, qu'ils soient politiques, psychologiques, initiatiques ou sorciers. La question c'est : Comment agit et réagit un homme face au pouvoir, à ses avantages et à ses pièges ? Je n'avais pas vraiment envie d'animer un héros ni un anti-héros, mais de dresser le portrait d'un homme avec des désirs, des principes, des rêves. Il essaie de tirer son épingle du jeu face à un pouvoir politique autoritaire qui lui propose de devenir un de ses rouages. Soze accepte, en partie pour des raisons qui vont totalement à l'encontre des intérêts de ceux qui le confirment dans sa position.

Nous : Les Falaises de l'Ouest est un roman de fantasy écrit au présent. Plutôt rare…Pourquoi ce choix ? Fallait-il une dynamique particulière ?
Georges Foveau : : C'est une très bonne question et je vous remercie de me l'avoir posée… Je ne suis pas sûr que la réponse soit si évidente… Je travaille presque toujours de la même manière. Je laisse longuement mûrir mon scénario, en prenant des notes, puis je mets en place un synopsis détaillé. Ensuite, je passe à l'écriture… Et le temps s'impose par le récit même que j'écris.

Nous : Il paraît qu'un roman de fantasy doit s'écrire au passé ! Pourquoi ?
Georges Foveau : Certains argumentent que le passé est forcément le temps des mythes et des légendes… Je n'en suis pas persuadé. Je fais partie de ceux qui pensent que les mythes et les légendes sont éternellement vivants et ré-activables. Lorsque j'écris, l'histoire se déroule en même temps que mes doigts courent sur le clavier… Elle se déroule donc au présent. Pour la tétralogie de Soze, le présent s'est imposé pour La Marche du Nord, parce que Soze, mourant, raconte la première enquête qui a marqué toute sa vie, y compris sa décision d'avancer le plus loin possible sur le chemin du pouvoir politique de l'Empire. En fait, il revit ce voyage initiatique, juste avant son dernier souffle, mais comme s'il était resté éternellement présent dans cette histoire ; comme si cette aventure ne l'avait jamais quitté et continuait de vivre en lui. Pour les deux tomes suivant, le présent s'est imposé de même. En particulier dans Les Falaises de l'Ouest où se noue une rencontre entre ce que vit Soze au moment de cette aventure et les traditions antiques de ces falaises qui persistent malgré la volonté impériale de les murer définitivement dans le passé. La personnalité de Soze évolue constamment au cours de ces récits, et le présent rend mieux cette transformation en action, sous la férule du destin. Et puis, il me semble, et d'ailleurs beaucoup de lecteurs me l'ont fait remarquer, que le présent captive plus le lecteur dans le récit que le passé. Étrangement, Les Mines de l'Est s'écrivent au passé. Sans doute parce qu'elles clôturent la saga de Soze… Et qu'avec ce quatrième tome, cette tétralogie deviendra du passé, même pour moi en tant qu'auteur. A moins que…

Nous
: Votre série de polars pour adolescents qui flirte avec le fantastique d'Albert Leminot (Editions Rouge Safran) et Le Cratère d'Artémis (L'Ecailler du Sud), également, se passent à Marseille, votre ville. Pourtant, votre biographie parle d'une passion pour les légendes celtiques. Les légendes du sud, en langue d'oc ou d'oïl, vous inspirent-elles autant ? Des projets à ce sujet ?
Georges Foveau : Bizarrement, si je suis très inspiré par Marseille en tant que port avec toutes les mythologies que ce statut confère à une ville, je ne suis pas très porté sur les légendes provençales ou occitanes. Je me suis beaucoup intéressé aux Cathares, à une époque. Mais j'ai l'âme d'un forestier et je supporte mal la chaleur… Très jeune, je me suis intéressé aux contes et légendes nordiques, celtiques et amérindiennes, et de préférence à celles qui se déroulaient dans des forêts obscures ou enneigées. Inconsciemment, ce sont ces racines-là qui nourrissent systématiquement mon imaginaire et mon écriture. Même si Le Mystère de la Cabre d'Or, la deuxième aventure d'Albert Leminot, est inspiré d'une vieille légende provençale. Mais c'est quasiment une exception. D'ailleurs, même dans Le Cratère d'Artémis, passe un Thuata De Danan du côté de chez Circé.

Nous : Vous êtes également un passionné des chevaliers de la Table Ronde et du mythe arthurien…
Georges Foveau : Je me suis effectivement très intéressé aux cycles de la Table Ronde, mais toujours en quête d'un seul et même personnage, celui de Merlin. Je me suis rapidement retourné vers les textes celtiques, épopée et contes qui correspondent plus à ce que je cherchais. Depuis, je baigne dans un univers shamanique et magique où se croisent des Enchanteurs, des druides, des shamans sibériens ou mongols et des hommes-médecines des deux Amériques. La Marche du Nord était déjà née de quinze ans de fréquentation assidue de ces personnages, vivants ou légendaires, et de leurs arts enchantés que j'ai expérimentés. Les Falaises de l'Ouest ont été suscitées par l'envie de transformer enfin en une histoire ensorcelée et mystique, tout ce qui m'avait fait rêver, et continue de le faire, dans les épopées celtiques, en particulier celles irlandaises. C'est un hommage aux trois valeurs qui reviennent toujours dans ces légendes : la liberté qui perdure dans le sang des Gaëls jusqu'en William 'Brave Heart' Wallace ou Bobby Sands, l'amour plus fort que la mort, passionné, évident et en même temps très libre, ainsi que le respect de son environnement qu'il soit naturel ou surnaturel. J'ai toujours été ému par le grandiose de ces femmes et de ces hommes qui regardent toujours au fond de l'abîme sans jamais oublié que l'abîme regarde aussi en eux, mais qui tissent tout de même leur vie comme ils le désirent par-delà la peur et la morale étriquée.

Nous : Ouh la ! Il y a du Nietszche derrière tout ça ! Et c'est vrai que l'intérêt pour les légendes celtiques est croissant. Mais on oublie toujours, je pense, les " filtres " par lesquels elles sont passées : le 11eme siècle croisé, le 13eme fanatique, le 19eme romantique… Votre personnage, Soze, est très contemporain, cela dit. On y retrouve sans doute votre amour du polar. Une décentralisation (le mot est à la mode, je l'utilise donc) lente mais effective des genres… Quel est le bilan actuel des littératures de l'imaginaire, selon vous ?
Georges Foveau : J'aime beaucoup les littératures et les cinémas de genre. Composer avec leurs lois permet souvent l'émergence de chef-d'œuvres. Pour autant, le dogmatisme ou l'intégrisme me fatiguent et je ne m'y sens pas à l'aise. Surtout quand ils prétendent imposer des clichés bridant toute créativité. Les experts qui tranchent sur ce qui est convenable ou pas, sur comment on doit écrire quoi, au détriment de la personnalité ou de l'originalité… Je m'en moque. Certains affirment que j'écris de la Fantasy, d'autres du fantastique, d'autres de la littérature générale… Qu'est-ce que cela veut dire ? Je n'y comprends rien. Ce que j'aime écrire c'est effectivement ce que l'on englobe sous l'étiquette floue, et très libertaire, des Littératures de l'Imaginaire. Pourquoi ? Parce que même lorsque je désire écrire un polar marseillais, ça dérape vers le 'merveilleux noir', comme le dirait si bien Francis Berthelot. En fait, ce que je veux arriver à faire lorsque j'écris, c'est raconter une histoire si possible originale (c'est de plus en plus dur, depuis l'Odyssée…), du mieux possible, avec les mots les plus adéquats et la construction la plus réussie pour le lecteur. S'il me faut dans un même tome allier polar, médiéval, fantastique, horreur, érotisme, mystique… et bien, je m'y colle et je travaille mes lignes comme un ébéniste qui façonne des bois très différents pour fignoler une marqueterie, pas forcément classique. Quitte à être 'transgressif' (Cf. le même que tout à l'heure) et à déplaire aux esprits étroits détenteurs du code de bonne conduite de l'auteur de Fantasy ou de SF. Qu'importe qu'il y ait des elfes ou non et qu'importe la forme de leurs oreilles ! Salambô c'est de la fantasy et pourtant c'est du Flaubert ! Les Littératures de l'Imaginaire m'intéressent justement parce qu'elle me permettent de raconter ce que j'ai envie, sans raconter n'importe quoi. Parce qu'elles permettent de se reconnecter à cet impérissable inconscient collectif qui nous fait enfin 'plus qu'humain', loin du nombrilisme fâcheux des tenants verbeux de la littérature respectable et d'autres donneurs de leçon, archaïques ou futuristes. Je suis assez dubitatif en revanche de voir que, trop souvent, on ne propose aux lecteurs que de la Fantasy qui se répète, au risque de lasser. J'aime les auteurs qui osent et mélangent… Les Littératures de l'Imaginaire ne pourront acquérir leurs lettres de noblesse qu'en conquérant encore plus de territoires improbables tout en misant sur la qualité des récits de ces conquêtes et sur la qualité de leurs styles. Bref : de l'originalité, de la personnalité, du travail et du style… Je crois que quelques auteurs français ont déjà montré le chemin…

Nous : Et votre rapport avec vos personnages ? Votre source d'inspiration ?
Georges Foveau : Mes personnages, je les vis. Je les construis de leur naissance à leur arrivée dans une de mes histoires, afin qu'ils aient une réelle épaisseur, une réelle personnalité. Du plus important au plus insignifiant… Au cinéma, je suis un fan des films qui s'enrichissent de nombreux seconds rôles… indispensables. Mes personnages vivent, parlent - j'écris mes dialogues à haute voix - et j'ai souvent du mal à m'en séparer. Je crois que c'est pour cela que je me retrouve à écrire des séries, alors que je ne l'ai jamais vraiment envisagé. Car la fin d'un livre, c'est aussi la disparition d'une complicité avec des personnes finalement très différentes que je ne retrouverai jamais ailleurs… Sauf pour certaines qui sont franchement inspirés de connaissances plus ou moins proches. Dans mes récits, j'aime bien glisser des silhouettes familières que je façonne un peu pour les ajuster à l'histoire… Jicéi dans Un Port au Sud, par exemple, c'est un auteur aujourd'hui disparu que j'ai bien connu. Son portrait comme son nom me semblent transparents. Pourtant, même pour les lecteurs qui connaissaient celui qui m'a inspiré, Jicéi est un poète politique atypique qui ne peut être qu'un héros de roman médiéval imaginaire… Etrange… Tout m'est source d'inspiration. Un arbre, une situation réelle mais grotesque ou scabreuse, un chat, la confrontation inadéquate de deux mots ou de deux idées, etc… Après, tout infuse dans cet imaginaire qui ne se développe chez moi qu'en mouvement… Pour créer, j'ai besoin de bouger. Je ne suis pas un grand voyageur, malheureusement. Mais je ne suis certainement pas un 'imagineur' immobile. Je suis un grand marcheur et dans ces promenades ou ces randonnées, mes histoires se tissent, se compliquent, se complètent. Comme sur les lacets des petites routes montagneuses que j'adore parcourir en moto…

Nous
: Enfin, quels sont vos projets ?
Georges Foveau : Je travaille actuellement sur Les Mines de l'Est. Mais je manque un peu de temps… Lorsque j'aurais bouclé le dernier tome des aventures de Soze, j'ai en projet un polar futuriste très cyber mais où la magie a gardé une petite place. J'envisage aussi de créer une série fantastique pour les ados. Et puis… défi oblige, je travaille actuellement à quatre mains avec Bruno Leydet (Malocchio, polar envoûté chez L'Ecailler du Sud) sur un roman de Fantasy, avec des elfes et des nains, tout ça… Mais que nous espérons assez insolent par rapport aux clichés du genre…

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