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Interview de Gudule
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Interview de Gudule

En 2020, Actusf a 20 ans ! Et on vous propose pour l'occasion nos plus belles archives. Aujourd'hui une interview de 2001 de l'indispensable Gudule, connue aussi sous le nom d'Anne Duguël...

Nous : Dans la littérature jeunesse, vous êtes connue sous le surnom de Gudule. D'où vous vient-il ?
Gudule : C'est mon surnom depuis de nombreuses années. Bien avant d'écrire des livres, lorsque j'étais journaliste, je signais mes articles Gudule et je faisais des émissions de radio sous ce nom. Dans mon entourage, on ne m'appelle qu'ainsi, même mon compagnon, mes enfants, mes petits-enfants. D'où vient-il ? De mes origines bruxelloises, je suppose (je suis née à l'ombre des tours de la cathédrale Sainte Gudule). Mais c'est avant tout la consonance humoristique de ce pseudo qui m'a séduite.

Nous : Pourquoi signez-vous vos textes pour l'enfance par ce pseudonyme et vos textes pour "adultes" de votre vrai nom ? Attachez-vous de l'importance à bien différencier les deux ?
Gudule : Absolument pas. En fait, mes premiers romans pour adultes, qui remontent à une quinzaine d'années, étaient signés Gudule. Je n'envisageais même pas, à cette époque, de modifier ma signature en fonction de mon lectorat. Mais lorsque j'ai proposé Le Corridor à Jacques Chambon, directeur de la collection Présence du Fantastique, chez Denoël, il a accepté le manuscrit à condition que je change de pseudo. Selon lui, un roman fantastique avait déjà assez de difficultés à s'imposer avec une signature française (et non anglo-saxonne), inutile, en plus, que cette signature soit rigolote. J'ai alors décidé de me fabriquer un nouveau pseudo à partir des lettres de GUDULE, et cela a donné DUGUEL. À cela, j'ai ajouté mon vrai prénom, Anne (ce qui avait un petit côté celte tout à fait intéressant, surtout pour un auteur de fantastique). Et Denoël a adopté ce nouveau nom pour toutes les publications qui ont suivi. J'ai donc fait deux carrières parallèles jusqu'au jour où Flammarion, qui projetait de publier La mort aux yeux de porcelaine, m'a demandé, toujours pour des raisons de marketing, de reprendre mon nom de Gudule, qui entre-temps s'était fait connaître du public par la littérature jeunesse. Et le plus drôle, c'est que le représentant de chez Flammarion qui a exigé cela n'était autre que... Jacques Chambon qui avait changé de maison d'édition. Cet éditeur est donc doublement responsable de mes métamorphoses, ce qui est le comble pour quelqu'un qui propage la pensée fantastique depuis plus de vingt ans.



Nous : Choisissez-vous des thèmes différents ou écrivez-vous de manière différente en fonction du public visé ?
Gudule : Ça se fait tout seul. Lorsque j'ai une idée, le public visé s'impose d'office à moi et mon écriture suit instinctivement. Ceci dit, elle n'est jamais réellement différente, même si les textes pour adultes sont par essence plus complexes que les textes pour la jeunesse. J'ai, de toute façon, une écriture très simple, très directe, qui ne laisse pas place à l'incertitude ou à la double interprétation. D'ailleurs, plusieurs de mes livres sont à cheval sur les deux genres. La petite fille aux araignées ou Le chien qui rit sont souvent étudiés en classe alors que ce sont des romans pour adultes. Et lorsque J'irai dormir au fond du puits est paru chez Grasset-jeunesse, Jacques Chambon m'a dit : "Si tu me l'avais proposé, je te l'aurais publié en adulte.".

Nous : Dans Journal d'un clone ou Cadavre exquis, vous n'hésitez pas à choquer le lecteur. Pour quelles raisons ?
Gudule : Je ne choque pas pour le plaisir de choquer, c'est évident, mais parce que je suis d'une sincérité absolue dans ce que j'écris. Mon éthique, mes peurs, mes revendications, mes révoltes passent dans mes livres. Si ce n'était pas le cas, je considérerais que ça ne vaut même pas la peine d'écrire. Journal d'un clone, entre autres, est un texte-cri. S'il y a bien un thème au monde qui soit choquant, c'est celui du clonage et de toutes ses inévitables dérives. Je n'ai fait que les exposer. Quant à Cadavre exquis, c'est un hommage à Gabrielle Wittkop dont le livre Le Nécrophile est pour moi un pur chef d'œuvre. Mais de nouveau, je le répète, je ne choque pas pour le plaisir, j'aborde les thèmes qui me touchent, et je les aborde avec passion. Or, le "politiquement correct", ce n'est pas vraiment mon truc...

Nous : Avez-vous tout de même des sujets tabous que vous n'abordez pas dans la littérature jeunesse ?
Gudule : En fait, le seul sujet qui, pour moi, est tabou en jeunesse, c'est le désespoir. Contrairement à mes romans adultes, je fais toujours en sorte que, quelle que soit l'histoire, les choses s'arrangent à la fin même si ce happy-end peut parfois paraître irréaliste ou artificielle, comme dans L'envers du décor par exemple. Et, maintenant qu'on en parle, je me demande si ce n'est pas justement ça qui a choqué, dans Le journal d'un clone. Car dans ce texte, j'ai fait une exception : la fin est tragique. Le message le justifiait.

Nous : Vous êtes ce que l'on appelle un auteur très prolifique, surtout en tant que Gudule. Etes-vous fière de la personne que vous êtes devenue ? Et quelle est l'œuvre dont vous êtes la plus fière ?
Gudule : Je ne pense pas que terme "fière" soit approprié. Disons que le fait de pouvoir, comme on dit "vivre de ma plume" est pour moi un constant sujet d'émerveillement. C'est mon plus ancien rêve d'enfant, et je ne l'ai réalisé qu'à quarante ans passés, ce qui explique pourquoi je mets les bouchées doubles. À chaque livre qui sort, j'éprouve, vis-à-vis de l'éditeur qui me l'a publié, des lecteurs qui le liront, des journalistes qui éventuellement en parleront, une véritable reconnaissance. Et en même temps, je ne suis jamais contente de ce que je fais. D'ailleurs, une fois mes livres publiés, je ne les relis jamais : j'ai bien trop honte ! Je ne vois que les défauts, les maladresses, les erreurs. Ça aussi, c'est une des raisons pour lesquelles j'écris tant : la quête d'une perfection impossible à atteindre, "L'inaccessible étoile" de Jacques Brel.

Nous : Dans la littérature jeunesse, vous écrivez beaucoup d'histoires fantastiques et de science-fiction. Pensez-vous que l'imaginaire est un genre qui permet de toucher ou de captiver plus facilement le jeune lecteur ? Est-ce selon vous, un moyen de faire passer des messages ?
Gudule : Ça l'est d'autant plus que le fantastique et la SF sont des métaphores, et qu'à travers ces métaphores, on peut mieux comprendre et expliquer le monde qui nous entoure. Mais, de nouveau, l'aspect "didactique" de mes livres, s'il existe, n'est ni un but ni une fin en soi. J'écris ce qui m'habite, ce qui me fait rire, pleurer, ce qui m'excite, ce qui m'émerveille. Il se fait que je suis depuis mon plus jeune âge, hantée par un univers fantastique, irrationnel. Il surgit tout naturellement sous ma plume.

Nous : Quelles sont vos influences (littéraires, cinématographiques, musicales…) ? Et aujourd'hui, quelles sont vos inspirations ?
Gudule : Elles sont, bien entendu, très nombreuses et, en ce qui concerne la littérature du moins, extrêmement classiques. Les auteurs auxquels je fais référence dans La Bibliothécaire font partie de ceux qui m'ont formée : Victor Hugo, Lewis Caroll, Rimbaud, Jules Renard... Mais également La Fontaine, Colette (ah, Colette !) Prévert, Gary, Steinbeck, Gabriel Garcia Marquez, Mallarmé, J.M. Barrie, Serge Brussolo, Agatha Christie, Christiane Rochefort... J'ai, depuis toujours, une passion inconditionnelle pour le chef de file des auteurs fantastiques belges : Michel de Ghelderode. Mais en fait, hormis tous ces noms qui se bousculent, sans que j'aie même besoin d'y réfléchir, il y a chaque livre que je lis. J'ai le sentiment que chaque auteur a quelque chose à m'apprendre. Je picore. Depuis Pennac, je ne "fiche" plus à la porte, je "flanque" à la porte, par exemple. Et Brussolo m'a appris comment perdre mon lecteur sur des chemins de traverse... En ce qui concerne le cinéma, en revanche, je suis moins éclectique. Hormis des auteurs au sens noble du terme, comme Woody Allen ou Bertrand Blier, j'aime à la folie le cinéma français des années quarante (c'est le thème de mon prochain livre à paraître chez Hachette : Impasse du Nord). Musicalement, je suis restée très "chansons à texte". En fait, je suis beaucoup plus sensible aux paroles, à ce qu'elles racontent, qu'à la musique proprement dite (sauf en ce qui concerne la musique religieuse que moi, vieille parpaillote, j'adore). Et aussi, Manu Chao, qu'on retrouve dans presque tous mes livres.

Nous : Avec le succès d'Harry Potter, on ressent dans la littérature jeunesse, un regain pour l'imaginaire, le fantastique. Quels sont les auteurs qui, à votre avis, sont l'avenir de ce genre ?
Gudule : Je suis incapable de le dire. Je n'ai pas assez de recul pour ça. Tout ce que je souhaite, c'est que ce soient des auteurs français plutôt que des auteurs anglo-saxons, car avec l'apport massif de textes (en particulier américains), notre culture spécifique est en train de disparaître. Ce qui faisait la richesse, entre autres, du fantastique européen (français, belge, italien, espagnol, allemand...) est en train de se réduire à une fantasy à la Rowling ou à une épouvante à la Stephen King. Je ne dénigre pas ces auteurs, bien entendu, mais je conteste le fait que la littérature se borne de plus en plus aux courants qu'ils ont créés.

Nous : Quels sont vos projets ?
Gudule : Dans l'immédiat, je termine un livre pour adultes destiné à Albin Michel et ayant pour titre provisoire Du moment que ce n'est pas sexuel. Ensuite, j'écrirai la suite des aventures de Rose (le premier volet, La vie en Rose, sort chez Grasset-jeunesse en début mars). Ce livre s'intitulera : Soleil Rose. Et je dois spécifier que ces deux romans sont autobiographiques.

Nous : Petite question subsidiaire : qu'est-ce que vous vouliez devenir lorsque vous étiez enfant ?
Gudule : En première primaire (le CP d'aujourd'hui), la maîtresse nous avait demandé ce que nous voulions faire comme métier plus tard. J'ai répondu : "écrivain ou clown". Mais très vite, l'écrivain a pris le dessus. L'une des plaisanteries favorites de mon père lorsque je lui réclamais un peu d'argent de poche, était : "Je te le donnerai quand tu entreras à l'Académie Française". Ça l'amusait d'autant plus qu'à cette époque, l'Académie française était fermée aux femmes ; c'était bien avant Marguerite Yourcenar.

Propos recueillis par Laure Ricote

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