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Interview de Ian R. MacLeod
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Interview de Ian R. MacLeod

Du moins pour nous autres Français, qui ne l'avons découvert que tardivement, notamment par le biais de quelques nouvelles (dont l'une parue chez Lunes d'Encre dans l'anthologie Continents Perdus de Thomas Day), et grâce à ses Îles du soleil, paru en inédit chez Folio en 2005. Cet amoureux de la forme, patient orfèvre du mot, a un franc-parler et un sens de l'humour assez inattendu. Ce qui fait de lui, comme on le dit parfois, "un bon client". Et même un excellent client.





ActuSF
: Est-ce que vous pourriez vous présentez ?
Ian R.MacLeod : Je suis un pur produit des banlieues ouvrières de Birmingham des années 50/60. J'ai grandi dans des HLM, et y ai passé énormément de temps à me balader et à rêvasser. Les livres ne m'intéressaient pas vraiment, jusqu'à ce que je découvre John Wyndham . J'avais à peu prêt treize ans, et à partir de là – et jusqu'à la fin de mon adolescence – je n'ai pas lu grand-chose d'autre que de la science fiction. Puis, comme il fallait bien que je choisisse un métier, j'ai entrepris des études de droit, parce que j'aimais bien l'allure des gros bouquins reliés en cuir qu'il y avait dans les cabinets d'avocats. Cela dit, je me voyais mal passer quarante ans de ma vie à défendre des divorces et à rédiger des contrats. Au lieu de ça, j'ai passé une quinzaine d'années à partager mon temps entre mon travail dans la Fonction Publique et l'écriture de fiction. Des choses que j'aurais aimé lire si j'en avais trouvé. Majoritairement un mélange de fantastique et de réel. Finalement, mes histoires ont commencées à se vendre, et aujourd'hui, je vis avec ma femme et ma fille à Bewdley , et partage mon temps entre l'écriture et l'enseignement.

ActuSF : Quels sont les écrivains qui vous ont le plus influencés ?
Ian R.MacLeod : Il y en a tellement. Je cite toujours Keith Roberts, même si ça n'est forcément connoté SF. Il a un réel souci du style et un sens du décor et des personnages, qui est rare dans ce genre, mais auquel je suis, moi aussi, particulièrement sensible. Et puis, je pourrais citer J.G Ballard, Brian Aldiss , ou Delany et Ellison pour les Américains. En littérature blanche, les livres que j'ai probablement le plus lus sont Amants et fils de D.H Lawrence, Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald. Proust aussi, mais hélas pas français. J'adore la langue, mais je ne la parle pas.

ActuSF : Quand on vous lit, on a l'impression que vous êtes aussi très influencés par des peintres. Lesquels ?
Ian R.MacLeod : Je n'ai pas la prétention de comprendre la peinture aussi bien que je comprends la littérature ou la musique, mais je citerais Max Ernst, et le Pré-Raphaélites . Tout simplement parce que je les ai découvert très jeune. Je crois que ce que vous ressentez d'influences visuelles dans ce que mon style, provient plutôt du cinéma. Ma prédilection va toujours vers des réalisateurs qui ont un style très marqué, presque surréaliste. David Lynch par exemple, qui, si je ne m'abuse, a aussi étudié l'art et peint.

ActuSF : Les Îles du soleil et L'Âge des lumières sont tous les deux uchronies. Pourquoi cette prédilection ?
Ian R.MacLeod : En fait, je crois que ce qui me fascine, se sont ces carrefours entre réalité et imaginaire.

Cette prétendue Heroic-Fantasy , qui met en scène des mondes totalement imaginaires, peut très bien fonctionner (même si j'ai le sentiment que ça a été une peu surexploité ces dernières années), mais la plupart de ces univers ne sont que des carbones du nôtre sur lequel vient se greffer un canevas médiéval, ou oriental, par exemple. Pour ma part, il m'a toujours semblé plus intéressant d'utiliser de vrais noms et des références qui nous sont familières. Londres, par exemple, qui tient une grande place dans L'Âge des lumières, a déjà une telle charge dramatique, sans même parler des légendes qui s'y attachent, qu'elle a plus de pouvoir de suggestion que n'importe quelle cité imaginaire. Attention ! Ce n'est pas que je sois contre l'invention, simplement je ne voulais pas écrire un livre avec une carte sur la première page qui indiquerait l'emplacement des Montagnes Ténébreuses, du Bois des Loups ou n'importe quoi d'autre avec une suite imprononçable de voyelles et de consonnes.

ActuSF : Robert Silverberg dans La Porte des mondes ou Sterling et Gibson dans La Machine à différence sont l'un et l'autre très précis sur le moment où l'histoire de leur monde a divergé d'avec la nôtre. En revanche, vous, dans L'Âge des lumières, êtes très vague sur votre échelle de temps. À dessein ?
Ian R.MacLeod : Je vois ce livre comme relevant, avant tout, de l'imaginaire. Ce que je voulais faire, c'était jouer avec nos référents historiques, plutôt que d'y coller littéralement. D'autre part, le livre est écrit du point de vue d'un habitant du monde que j'ai créé. Je suis certain que si cette personne se retrouvait à son tour dans notre monde, elle se creuserait la tête pour comprendre comment et quand notre réalité a divorcé de la sienne. Je n'aime pas ces romans où, d'un coup, une bonne âme vient prendre le héros par la main pour tout lui expliquer. Je trouve le procédé immature et irréaliste. Bien-sûr, quand nous étions enfant, et parfois aussi dans notre vie d'adulte, on aimerait que ça se passe comme ça, mais ce n'est jamais le cas. Et pour moi, c'est même une erreur récurrente dans la SF, que de créer un monde trop évidemment assimilable. Un simple coup d'œil dans le monde où nous vivons suffit à nous démontrer que ce n'est pas le cas.

ActuSF : Êtes-vous plus intéressé par l'air du temps que par la précision historique ?
Ian R.MacLeod : Complètement. La précision factuelle est impossible à atteindre. Vous vous devez de faire de votre mieux pour y coller le plus possible, mais aussi vous faire à l'idée que par moment, vous ne pouvez pas faire autrement de vous en éloigner. De toute façon, si l'atmosphère générale est là, les lecteurs vous pardonneront vos écarts.

ActuSF : Est-ce que, pour vous, la description est plus importante la dramaturgie ?
Ian R.MacLeod : Non, mais je pense que la dynamique et la sensation générale qui se dégage de mes livres, reflète mon amour de la littérature. Un amour qui va bien au-delà des limites du genre. Cela dit, à mes yeux, L'Âge des lumières a son comptant d'action et de conflist , en même temps qu'il pose un regard sur des sujets qui ont souvent tendance à être négligés dans la littérature de genre.

ActuSF : Et justement, est-ce que vous vous considérez comme appartenant à cette mouvance littéraire politiquement engagée, où l'on retrouve des auteurs comme Iain M.Banks , China Miéville ou Charles Stross ?
Ian R.MacLeod : Non, mais j'aime traiter des questions sociales. C'est, je pense, inhérent à toute histoire construite sur des "Et si…".

Mais plus spécifiquement, j'ai toujours été frappé de constater que dans les romans de SF ou de fantasy qui ont une structure proche de celle de L'Âge des lumières, les personnages tiennent leur statut pour acquis. Je veux dire par-là qu'il est rare qu'on y voit une princesse s'interroger sur sa nature de princesse. De même qu'on n'y voit jamais un gobelin, qui pourrait parfaitement en avoir assez d'être méprisé et détesté, faire tout ce qui est en son pouvoir s'élever au-dessus de sa condition. Pourtant, si on veut s'attacher au réalisme de son histoire, c'est exactement ce genre de choses qu'il faut mettre en avant. Et en l'occurrence, c'est même un point qui ne pouvait que surgir avec le très pesant système de guildes que je décris.

ActuSF : La duplicité est au centre de l'intrigue des Îles du soleil et de L'Âge des lumières. Pensez-vous que le pouvoir ne peut se construire que sur le mensonge ?
Ian R.MacLeod : Non, mais je pense que le pouvoir engendre le mensonge à mesure qu'il cherche à se pérenniser.

ActuSF : Et vous pensez que la vérité est le chemin vers un monde meilleur ?
Ian R.MacLeod : Oui et non. En fait, ce qui m'intéresse c'est de voir comment la tentation du bien se fait systématiquement corrompre, et par le fait que le mal n'est jamais bien loin sous la surface. D'ailleurs qu'est-ce que ça signifie, le bien ou le mal ? Tout comme la vérité j'aurais tendance à penser qu'il s'agit là de notions très relatives, dans lesquelles seules nos inclinaisons naturelles nous incitent à trouver un absolu. N'importe quelle personne avec deux sous de jugeote sait que sa vérité sera un mensonge pour autrui. Même ce qui passe pour être la vérité scientifique a beaucoup changé au cours des siècles et continuera vraisemblablement de le faire dans le futur. Je ne suis pas en train de nier le concept même de réalité, ou de réfuter les lois fondamentales de l'univers. Simplement, je me dis que, nous autres humains, ne sommes peut-être pas les plus aptes à en démonter les mécanismes.

ActuSF : Aussi bien dans Les Îles du soleil que dans L'Âge des lumières, le changement vient par la violence. Vous êtes un révolutionnaire ?
Ian R.MacLeod : Je ne crois pas en une vision d'une monde évoluant de manière graduelle. C'est une évidence dès qu'on se penche un peu sur notre histoire. Si on ne s'était pas parfois rebellé contre notre destin, on serait probablement encore en train de vivre dans des cavernes et de creuser le sol pour trouver des racines. Mais le problème est, qu'en voulant améliorer les choses, vous courrez le risque les rendre bien pires. Et même si vous parvenez à améliorer le sort de certains, ce sera au prix de la souffrance pour d'autres. Et c'est exactement le genre de paradoxes et d'ambiguïtés qui fournissent un bon matériau dramatique. J'aime à croire qu'on les trouve dans mes romans.

ActuSF : Qu'est au juste cet âge des lumières ?
Ian R.MacLeod : C'est tout autant un jeu autour du terme "l'âge des ténèbres", qui renvoie à cette période d'obscurantisme qu'a connue l'Europe à la chute de l'empire romain, qu'une référence à la manière dont les personnages de mon univers appréhendent leur époque. Il y a là une sorte d'auto-satifaction de leur part. Quelque chose qui lancerait à la face du monde "regardez jusqu'où nous avons su nous élever". Même si, de notre point de vue, leur manière de vivre semble plutôt archaïque. Et puis il y a la lumière elle-même, et toute les promesses qu'elle porte en elle. Et l'éther bien-sûr.

ActuSF : Et justement, qu'est-ce que l'éther ?
Ian R.MacLeod: L'éther est une substance de mon invention, même si pour la créer je me suis inspiré du fameux cinquième élément de Platon. C'est en fait une forme de pouvoir qui infuse sous terre, et qu'un savant à la fin de "l'Âge de la Raison", a trouvé le moyen d'extraire et d'exploiter. L'éther permet aux hommes de plier la matière à leur volonté. Concrètement elle rend les machines plus performantes, permet de prendre des libertés avec les sciences et de tricher avec les lois fondamentales de la physique. C'est une forme contrôlable de magie, même si, dans les fait, il lui arrive de ne pas vouloir être contrôlée.

ActuSF : Et comment avez-vous eu l'idée de ce monde alternatif ?
Ian R.MacLeod: L'idée de base était de décrire un monde qui soit si proche du nôtre que certains éléments le rendraient parfois impossible à différencier. Du moins d'un point de vue historique. Je voulais que ce monde donne l'impression d'être sorti tout droit de nos rêves, de nos mythes ou de nos cauchemars.

ActuSF : En lisant L'Âge des lumières, on pense forcément à Dickens. Était-ce un hommage volontaire, et si oui, pourquoi ?
Ian R.MacLeod: En fait Dickens est régulièrement cité comme une influence majeure pour L'Âge des lumières, et je pense que ça vient du fait qu'une des scènes du début évoque l'univers de David Copperfield. Et puis il y a aussi cette vision semi-victorienne de Londres qui y est pour beaucoup. Mais c'est tout. Certes j'en étais conscient au cours de l'écriture, mais je pourrais citer beaucoup d'autres auteurs dont l'influence me semblait bien plus prégnante, et dont on ne me parle jamais. Et ce n'est pas moi qui le ferais.

Mais quand vous écrivez, très vite, vous vous apercevez que ce que vos possibilités ne sont pas infinies, et nécessairement vous vous confrontez à d'autres écrivains, voire à des films, des chansons ou des peintures. C'est quelque chose que vous apprenez à ignorer, et vous ne vous en souciez pas vraiment, du moment que vous aimez ce que ça vous évoque. J'aime, et admire, l'œuvre de Dickens, et à certains égards la comparaison me flatte, mais mon intention n'était en rien de lui rendre hommage.

ActuSF : Pensez-vous que les guildes dirigent le monde aujourd'hui ?
Ian R.MacLeod: Vous avez sans doute pu déduire de ce que j'ai dit plus haut que je ne pense pas qu'aujourd'hui, quiconque "dirige" effectivement quoique ce soit. Cela dit, L'Âge des lumières laisse parfois l'impression au lecteur que le futur de l'humanité à été en quelque sorte détourné par la découverte de l'éther. Comme je le dis à une ou deux reprises dans le roman, c'est une substance qui a une volonté propre. Alors, certes, ce n'est pas exactement un personnage en soi, mais c'est sans doute ce qui se rapproche le plus d'une influence dominante dans le monde de L'Âge des lumières.

ActuSF : L'univers que vous avez créé est très dense, et seulement partiellement exploité. Vous avez l'intention d'écrire d'autres romans mettant en scène le monde de l'éther, ou la page est tournée ?
Ian R.MacLeod: Oh non, la page n'est pas tournée. D'une part il y a mon roman The House of Storms, qui même s'il est assez différent, s'y rattache largement. Et par ailleurs, en mai prochain, une novellase déroulant dans le monde de l'éther fera la une du Magazine of FantasyandScience Fiction. J'aimerais aussi y revenir pour un roman, mais mes idées ne sont pas encore tout à fait arrivées à maturité.

ActuSF : Savez-vous que vous avez presque tué un traducteur par désespoir ?
Ian R.MacLeod: Le pauvre ! Je n'imaginais pas que c'était à ce point. Mais écrire ce roman a été compliqué aussi, notamment à cause des différents niveaux de lecture, et de la densité de l'univers, donc que tout cela donne du fil à retordre aux traducteurs ne m'étonne pas vraiment. D'ailleurs pour avoir eu l'occasion de correspondre avec certains d'entre-eux, j'ai aussi pu me rendre compte des difficultés qu'ils rencontraient avec la terminologie que j'emploie et avec mon style.

ActuSF : Vous êtes plutôt durs avec les Français. Dans Les Îles du soleil vous dépeignez De Gaulle comme un démagogue de seconde zone, et dans L'Âge des lumières vous faites plusieurs fois allusions à "ces maudits Français". Vous savez, ici pourtant, on vous aime bien ?
Ian R.MacLeod: Oh là ! Merci de ne pas me tenir pour responsable des actes et opinions de mes personnages. Plus sérieusement, j'adore la France et tout ce qui s'y réfère. Je dirais qu'en dehors de l'Angleterre, c'est le pays que je connais le mieux. Avec les Pays de Galle et l'Écosse, que je vous saurais gré de ne pas inclure dans l'Angleterre. Mais maintenant que vous en parlez, je me demande si le fait d'aimer les Français ne me fait pas me sentir plus libre d'être durs avec eux dans mes romans. Cela dit, je ne suis pas si dur que ça. Si ?

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