Jacques Seval : 47 ans, de formation ingénieur en informatique, mon travail de jour se passe au ministère de la défense dans le domaine de l'interopérabilité des systèmes d'information. Le reste du temps, c'est Jekyll qui devient Hyde… À l'âge de 7 ans, j'ai dévoré l'armoire de mon oncle, bourrée de Fleuve Noir. À 8, je me suis pris 2001 de Kubrick en pleine face. Ma vie s'est beaucoup structurée sur ce film : musique, visuel, philosophie, science, art. Cette expérience non verbale m'a touché au plus profond. Dès lors, j'ai voulu devenir astronaute, metteur en scène, écrivain de SF, scientifique… Un rêve de gosse qui s'est incarné tant bien que mal dans la vie concrète. Comme tant d'entre nous, j'ai fait ce que j'ai pu de mes aspirations d'enfant, mais sans jamais les oublier. Plus tard, mon intérêt s'est porté sur des tas de domaines différents : la montagne, l'alpinisme, l'Himalaya, le Bouddhisme, le jazz, la guitare, la spiritualité, l'astrophysique, les OVNIs, puis la géopolitique, l'écologie, l'économie, la science-fiction étant intégrée si profondément dans mes soubassements psychiques qu'elle était devenue plus qu'un genre littéraire, un modèle de pensée, mon mode naturel de fonctionnement. Avant d'être éditeur, je suis écrivain (ou "j'étais" car on ne peut pas être au four et au moulin) : mes tiroirs sont remplis de scénarios de BD, de romans de SF et autres. Mais c'est dans d'autres domaines que l'on m'a publié : principalement dans celui des OVNIs, accessoirement dans celui de l'altermondialisme. Sous le nom de Christel Seval on me connaît en France comme un ufologue ayant publié depuis 2003 six ouvrages. C'est une expérience de première grandeur pour moi de me tenir au courant des phénomènes mystérieux qui surviennent sur la planète, et de faire en parallèle le même travail concernant les avancées scientifiques afin de me servir de l'un pour tenter de décrypter l'autre. La réalité est souvent plus "irréelle" que l'imaginaire le plus débridé.
ActuSF : Comment est née l'idée d'Interkeltia ?
Jacques Seval : Le plaisir d'écrire est irremplaçable, et devenir éditeur c'est plutôt perdre ce plaisir que l'accentuer, pour une simple question de disponibilité. Aussi, Interkeltia n'a pas germé pour assouvir mes fantasmes d'écrivain, comme on pourrait le penser, mais pour me réaliser en tant qu'homme et incarner mon militantisme : Interkeltia est ma principale action militante en quelque sorte. En dix ans pendant lesquels j'ai suivi de près l'actualité, analysé la situation de notre vaste système sociétal, je suis arrivé à des conclusions nettes : l'espèce humaine est foutue si elle ne se reprend pas dans l'urgence. Nous sommes à un carrefour d'où partent des impasses : pollution, démographie, crises systémiques touchant l'économie, la finance, risques croissants de guerres. Vous savez, de ma position privilégiée au sein de l'état major des armées, j'ai assisté à la reprise incroyable de la course aux armements, dont les armements nucléaires. Les accords Salt ont laissé l'image d'une flottille de sous-marins nucléaires soviétiques en train de rouiller, mais la réalité est toute autre : les russes ont relancé des fabrications en série de sous-marins nucléaires encore plus puissants, les chinois font encore pire, quant aux américains, leur pays s'est transformé en une immense usine de guerre. Nous avons assisté à un glissando dramatique de l'idée nucléaire : auparavant confinée à la dissuasion stratégique, les armes nucléaires sont aujourd'hui considérées comme armes tactiques, prêtes à l'emploi pour le gain du moindre théâtre d'opérations. Or, loin des préjugés "favorables" des premiers temps pour cette arme décisive, nous savons que son utilisation, même limitée, pourrait générer un hiver nucléaire - travaux du russe Alexandrov assassiné à Madrid - une occultation de la lumière solaire pendant une période de temps qui ruinerait toute vie sur Terre. Faites donc le calcul : réchauffement climatique, baisse des ressources en pétrole, baisse des ressources en eau, baisse de la fertilité des sols, baisse de la disponibilité des matières premières, démographie en hausse, pollution aggravée, nucléarisation à tout va… Quel sera, à votre avis, le résultat de l'équation ? Voilà pourquoi est né Interkeltia : pour donner de la voix aux contestataires, à ceux qui apportent des solutions, à ceux qui critiquent notre paradigme ambiant qui enferme la pensée dans le confort de la voie unique. La presse "main stream" est à la solde des lobbys politico-industriels, nous nous croyons informés, nous sommes dans l'exacte situation opposée : désinformés, comme les populations de l'Union-Soviétique l'étaient avec une presse censurée. Sauf que dans notre cas c'est encore pire puisque nous ne nous en rendons même pas compte. Le théâtre de la démocratie nous fait avaler toutes les couleuvres. Voilà pourquoi Interkeltia est né : parce que c'était le moyen d'amplifier mes idées, avec 100 fois plus de force que la solution qui consistait à me réserver à l'écriture.
ActuSF : Quelle est sa ligne directrice ? Qu'avez-vous envie de faire avec cette maison d'édition ?
Jacques Seval : En SF, les romans qui se cantonnent à la littérature et à l'imagination ne m'intéressent pas. Cela vaut également pour quelques romans sortis de ma plume qui ne paraîtront jamais chez Interkeltia. Pour Interkeltia, il me faut des textes à message : soit pour critiquer le modèle actuel, soit pour proposer des alternatives au modèle. Ceci dans n'importe quelle déclinaison : anticipation, thriller, fantastique, uchronie, science-fiction pure et dure, etc… Il n'y a rien de "politique" là-dedans, tel qu'on comprend habituellement le terme. Mon opposition va au-delà des clivages traditionnels droite-gauche, et si j'accepte que l'on me colle l'étiquette fourre-tout d'altermondialiste, je refuse totalement que l'on me place à droite ou à gauche. Sur mon site www.interkeltia.com je mets les gens au parfum et explique cela longuement, en faisant notamment référence au mouvement que les sociologues ont baptisé "cultural creatives" aux US. Avec cette maison d'édition, je compte également progresser dans diverses directions. Dès la première année, je vais publier des enquêtes, des analyses, des témoignages, sur des sujets aussi divers que le paranormal, l'économie, l'alter-médecine. J'espère aussi pouvoir développer des collections ayant trait à la montagne et au roman de montagne, à la physique, et pourquoi pas à la bande dessinée en SF… En fait, j'aimerais me servir de toutes mes compétences pour les mettre à profit, je n'ai aucune raison de limiter mon champ d'action parce que le message fondamental d'Interkeltia peut s'épanouir à travers des vecteurs très différents.
ActuSF : Quelques questions techniques, combien ferez-vous de titres par an ? Il n'y aura que des auteurs français ?
Jacques Seval : Je ne suis pas devin. Disons que j'aspire à un rythme de deux livres par mois en 2009-2010. Plus si affinités. Il y a déjà des auteurs non hexagonaux chez Interkeltia, Claude Bolduc est québécois par exemple. Mais en SF, j'insiste pour ne publier que des auteurs francophones. Les auteurs américains sont déjà largement avantagés par la masse des lecteurs anglo-saxons, ce qui peut leur permettre de vivre de leur plume, chose quasiment impensable en France. Ils sont encore avantagés par ces éditeurs français à la recherche du best-seller : vente assurée, pas de risque. En tant qu'écrivain, je me suis heurté à ce système et j'en garde des traces. Par contre, dans des domaines d'information, je n'hésiterai pas à traduire du livre anglophone si j'estime qu'ils apportent une valeur ajoutée, comprenant en cela des livres étrangers traduits en anglais mais absents des rayons francophones.
ActuSF : Quels sont vos tirages et vos objectifs de vente ?
Jacques Seval : En passant par un diffuseur national, le seuil de tirage minimum doit se situer autour de 600 ex. En fait, je vais débuter par 1000 exemplaires et observer comment cela fonctionne. Bien sûr, je vais pratiquer la vente par correspondance et la vente directe, c'est un volet quasiment obligé pour m'en sortir.
ActuSF : Parlons des trois premiers titres. Comment pourriez-vous nous les présenter ?
Jacques Seval : Chacun des 3 inaugure une sous rubrique de la collection ProjeXion-SF. Il y a "Adae" (SF utopia), de Bertrand Bouton et Xavier Daniel ; "L'Arène des Géants" (Sf science), de Jean-Michel Calvez ; "Prime Time" (SF satire), de Claude Bolduc et Serena Gentilhomme.
J'ai qualifié "Adae" de Da Vinci Code de l'altermondialisme sur la 4ème de couverture. En réalité, c'est beaucoup mieux écrit et beaucoup moins emmerdant que le "Da Vinci Code". "L'Arène des géants", quant à lui, présente une nouvelle facette de Jean-Michel Calvez qui est un écrivain qui a le rare don d'être en progression constante dans la qualité de sa production. Il s'agit presque ici d'un "classique américain", loin de son dernier essai original mais typé que fut STYx, ce qui à mon avis séduira le public. Avec "Prime Time", ses 2 co-auteurs habitués au fantastique abordent là un nouveau genre… Inclassable avant d'entrer chez Interkeltia. C'est de la pure satire, drôle, tragi-comique, choquante, et ils tirent sur une cible qui mérite tellement d'être en ligne-de-mire : la télé-réalité ! Les monstres anthropophages de Bolduc et Gentilhomme ne sont pas les vrais monstres de l'histoire… Des livres à potentiel, des pavés dans la mare, des prix littéraires en germe, voilà comment je les considère…C'est presque trop pour débuter…
ActuSF : La parution des premiers romans est toujours très importante. quel est le sentiment qui domine ? La joie de les avoir enfin dans les mains ? :-) Ou l'inquiètude de l'accueil du public ?
Jacques Seval : La joie, oui. L'inquiétude viendra plus tard. La joie, parce que ce moment est le fruit de 12 mois de travail acharné, la tête dans le guidon, et que lorsque je relève la tête, je vois de bons bouquins, plein de potentiels (ces auteurs ont la porte ouverte chez moi), et j'admire les couvertures, qui ne sont pas apparues d'un coup de baguette magique, je peux vous l'assurer. Tous les ingrédients d'un accueil favorable sont réunis… Je n'ai plus qu'à aller mettre un cierge…
ActuSF : Sur quels titres travaillez-vous pour la suite ?
Jacques Seval : J'évoquerai "Embarquement pour Citerre" en premier lieu. Voilà une fiction qui remplit à 100% le contrat Interkeltia, c'est un livre que j'aurais voulu écrire, non pas uniquement par plaisir mais par devoir moral. C'est l'histoire d'un banquier qui se retrouve projeté 50 ans dans l'avenir au même endroit. Or tout a changé, le mode de vie, et surtout l'économie. Il n'y comprend absolument plus rien. Heureusement, il est pris en main par une prof qui lui explique tous les défauts de l'ancien monde et le fonctionnement du nouveau. L'auteur, Marie Martin-Pécheux, a réussi là le tour de force incroyable d'éviter les lourdeurs de la pédagogie, pour nous entraîner avec allégresse dans un monde radicalement repensé, refondé : de quoi nourrir notre imagination pour impulser un changement de trajectoire à la société. Ensuite, il y aura un bouquin dont je suis l'auteur : "Backdoor". Dans ma jeunesse, un type m'a marqué : Jimmy Guieu, auteur de SF hyper connu. Jimmy était, à mon avis, un piètre écrivain, mais un enquêteur extraordinaire et un pionnier de l'ufologie planétaire. Il était également "humain". Je me rappellerai éternellement cette scène : tout jeune auteur de SF perdu au salon du livre de Paris, à la recherche désespérée d'un éditeur condescendant, un gros tapuscrit sous le bras, j'envisageai soit d'aller me jeter dans la Seine, soit d'y jeter mon bouquin et mes velléités d'écrivaillon. Au détour d'un plateau, je tombe sur ce type, un chapeau de cow-boy sur la tête. Loin de me repousser, il engage la conversation et, mieux encore, commence à passer du temps sur mon cas, à lire mon gros pavé, pour finir par me donner de multiples conseils. Jimmy m'a sauvé ce jour là. "Backdoor", je le lui dédie, et c'est un livre "à la Jimmy Guieu" : il parle d'OVNIS, en France… J'invite d'ailleurs expressément les auteurs à écrire sur ce sujet, ils seront bien accueillis chez Interkeltia.