
Jean-Luc Marcastel : Depuis que je suis enfant, les insectes m’ont toujours fasciné. Ce sont de véritables « Aliens » à notre porte, mieux encore, à nos pieds, des créatures au squelette externe, aux mœurs effroyables, qui ont inspiré bon nombre des extraterrestres et monstres abominables qui peuplent le cinéma fantastique. En parlant d’alien, justement, celui de Rydley Scott, pour ne citer que lui, emprunte sans vergogne ses mœurs effroyables à certaines espèces de guêpes qui parasitent les araignées, les grillons ou les chenilles.
Je passais une partie de mes vacances dans les Cévennes, à Miallet, un petit village guère éloigné d’Anduze (où commence Frankia et où se déroule l’action de Praërie, ceci expliquant cela) une région d’une richesse incroyable au niveau entomologique. Mon cousin Luigi, avec qui je passais ces vacances, était un fou d’insectes et de reptiles et ne craignait pas d’attraper les uns et les autres (mygales maçonnes, couleuvres, vipères…) à la main pour les observer et les étudier. Il m’a fait partager sa passion…
Dans un vieux cinéma de plage (à Carnon dans l'Hérault) une ancienne grange reconvertie avec des rideaux aux fenêtres et un toit qui ressemblait à une coque de bateau renversée où on projetait pas mal de films de série B pendant l'été : (Le Septième Continent, Centre Terre, et tant d’autres… ) je vis un jour L'Empire des fourmis géantes... (Non, je ne veux pas le revoir ça gâcherait tout)... puis, un soir, à L'Avenir du Futur (la seule émission de SF des trois chaînes nationales dans ma jeunesse, ma dose mensuelle sur notre TV en noir et blanc) je découvris Them (et oui je sais que les fourmis géantes ressemblaient à des bicyclettes couvertes d’une moumoute mais j’étais petit à l’époque)... et cet OVNI cinématographique Phase IV, ainsi que l'extraordinaire : Quand la Marabunta Gronde où Charlton Heston, propriétaire d’une plantation de Cacao au Brésil, lutte contre une invasion de fourmis Eciton (plus connues sous le nom de « fourmis légionnaires », celles qui dévorent tout sur leur passage).
Et puis bien sûr mes lectures, dont trois livres en particulier : La Planète oubliée de Murray Leinstner, Le Monde vert de Brian Aldiss et Les Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre qui savait présenter les mœurs des insectes de manière si vivante et passionnante qu’on apprend sans même s’en rendre compte.
Mais au-delà du plaisir de mettre en scène ce bestiaire extraordinaire, il y avait l’idée qui sous-tend tout mes récits : celle de déporter dans un cadre imaginaire (ici un microcosme, puisqu’il s’agit d’un champ) les problèmes, les peurs et les espoirs de notre monde actuel pour en parler plus librement. C’est à ça aussi que servent les histoires imaginaires, non ?
Je voulais donc que Praërie soit aussi une réflexion sur le poids de la religion, le fanatisme, les libertés et l’égalité, en particulier entre hommes et femmes, de ce qu’on peut sacrifier sur l’autel de la survie… peut-on, sous ce prétexte, abdiquer son humanité ?
Actusf : Y a-t-il un plaisir particulier à imaginer ce village en miniature ?
Jean-Luc Marcastel : Bien sûr. J’aime fignoler mes univers, j’ai dû attraper ça en lisant Dune de Franck Herbert. En tant que lecteur, j’aime avoir la sensation que l’auteur « en a encore sous le pied ». Qu’il n’a pas tout dévoilé de son univers, que si on l’interrogeait, il pourrait encore en parler pendant des heures, que l’histoire que l’on vit dans le roman ne dévoile qu’une partie de cette réalité, que ce monde imaginaire est vivant, qu’il continue de vivre même quand on a fermé le livre, indépendamment de nous… Bref, qu’il ne s’agit pas seulement d’un décor en carton-pâte comme les rues de village du Far West à Hollywood, des façades creuses sans rien derrière.
Cette sensation je veux que mes lecteurs la partage alors j’ai pris beaucoup de soin, et un plaisir fabuleux, à décrire les Sinks, à imaginer comment une société humaine pourrait évoluer dans cet environnement hostile, ce qu’ils utiliseraient comme matériaux, les contraintes et les possibilités qui s’offriraient à eux… (Un exemple : à cette échelle, la colle, la sève des plantes, se révèle d’une telle tenue, d’une telle solidité par rapport aux tensions qu’on peut lui faire subir, qu’elle autorise la création d’armures ou même de bâtiments ne nécessitant plus un seul clou ou vis ou lien…)
Ceci étant, quand on commence à développer un tel background, il faut toujours garder à l’esprit qu’une histoire doit avant tout rester une histoire, et ne pas tomber dans le piège qui guette tout auteur d’imaginaire : privilégier l’univers au détriment des personnages, de leur psychologie et de la dramatique du récit. Ou bien on décide que l’univers qu’on a créé est le véritable héros de l’histoire (comme dans Le Seigneur des anneaux).
Actusf : Comment as-tu travaillé ? Est-ce que cela t'a demandé beaucoup de documentation ?
Jean-Luc Marcastel : Tout commence par l’idée, ou une situation de base, puis vient le squelette du récit (découpage en chapitres) et enfin un court résumé pour chaque chapitre (plus ou moins court). C’est là que je mesure le travail à accomplir et que je peux pointer les recherches dont j’aurai besoin et le background que je vais devoir développer.
Oui, je me suis extrêmement documenté, en particulier sur les tribus d’Afrique, d’Océanie ou d’Amazonie, celles qui vivaient (ou vivent) dans un milieu approchant celui où se déroule mon histoire, un milieu hostile mais luxuriant, dans lequel l’homme peut être aussi bien chasseur que proie. Je me suis en particulier documenté sur les coutumes, les rites, l’organisation sociale, les tabous, les cérémonies, etc. Je suis retombé dans Le Rameau d’or de James Jones Frazer, toujours aussi passionnant. En ce qui concerne les insectes, je maîtrisais déjà mon sujet, mais je me suis replongé avec délectation dans les Souvenirs entomologiques ainsi que dans d’autres ouvrages comme Arachna de Christine Rollard et Vincent Tardieu, paru récemment chez Belin.
Enfin je me suis penché sur la manière dont s’applique les lois de la physique à une telle taille et les conséquences que cela pouvait avoir (le rapport avec le froid, avec l’eau, avec le temps, la gravité, les chutes… etc.). Un exemple : à la taille de mes héros, on peut glisser à la surface de l’eau (comme les Gerris, les araignées d’eau) mais inversement se retrouver piégé et noyé dans une simple goutte…
Actusf : Comment as-tu construit l'univers de ton roman ? C'est tout un monde avec ses mœurs et sa culture qui s'ouvre à nous...
Jean-Luc Marcastel : En m’appuyant sur mes lectures et mes recherches, j’ai essayé de créer une culture, une société cohérente avec le milieu dans lequel elles ont évolué, une société qui, pour survivre, a emprunté à ses ennemis, les insectes, une partie de leur organisation sociale en détruisant les liens de la famille pour favoriser l’hyperspécialisation. (Le couple n’existe pas. Les hommes les plus méritants, les plus « performants » choisissent celles avec qui ils s’accoupleront. Les enfants restent dans le Doigt de Douxventre (celui des femmes) jusqu’à l’âge approximatif de sept ans. Ils sont alors arrachés à leur mère pour être confiés à un « tuteur » en fonction de leurs caractéristiques physiques et de leurs aptitudes (en ce qui concerne les garçons bien sûr, les filles restent dans le Doigt de Douxventre)… Les femmes, sous l’argument de la sécurité, sont donc retenues au cœur de la cité et réduites au rôle de reproductrices. La religion, une religion basée sur le culte de la repentance, qui prétend que les ancêtres des Sinks étaient des dieux et des géants mais qu’ils ont été miniaturisés à cause d’une faute (celle d’une femme bien sûr), est omniprésente, omnipotente et règle tous les aspects de la vie des sinks…
Rien que le nom de « Sink » a une signification, il désigne les cinq doigts de la main (les sinks sont les seuls êtres à cinq doigts de leur univers miniature) il a donc pour eux une valeur symbolique et se retrouve jusque dans leur organisation sociale qui compte cinq « castes » qu’ils nomment « doigts » (le Doigt de Traqueviande (les chasseurs) le Doigt des Bartisans (les bâtisseurs) le Doigt de Douventre (les femmes et les enfants), le Doigt de Langdieux (Les prêtres) et le Pouce (l’assemblée constituée d’un représentant de chacun des doigts mais dirigé par un Prêtre).
Du fait de leur petitesse, les sinks ne vivent que deux ans, mais leur perception du temps est différente de la nôtre. Pour eux, deux cycles de saisons représentent une vie entière (saison qu’ils perçoivent très différemment de nous).
Enfin, pour prendre un dernier exemple, leur langue est une forme de français tronqué, car l’information, qui fait souvent la différence entre la vie et la mort, doit être rapide et concise.
Voici un proverbe Sink :
« S’t’voi n’grouillepinces, cherch seurs, ou l’t’rouv’t. »
Traduisons en bon français :
« Si tu vois une fourmi, cherche ses sœurs ou c’est elles qui te trouveront. »
Actusf : Peux-tu nous présenter Vincent Marty ? Comment le vois-tu ?
Jean-Luc Marcastel : Comme un homme blessé, désabusé, perdu, qui a laissé la douleur, la colère et la haine l’aveugler. Il poursuit une vendetta stérile et laisse d’autres penser pour lui. Au début de l’histoire, il n’a pas d’avenir, seulement du passé.
Paradoxalement, c’est en se retrouvant projeté dans cette jungle effroyable et cette société qui a abdiqué son humanité sur l’autel de la survie qu’il va retrouver la sienne.

Jean-Luc Marcastel : À mes 12 ans, alors que je réclamais une histoire de monstre, mon père à pris un Lovecraft dans sa bibliothèque et me l’a tendu en me disant : « Tiens, là-dedans il y a des monstres » et c’était vrai. De ce jour, comme tant d’autres, je suis devenu un des adeptes du maître de Providence. Il y a eu une période où je ne lisais que Lovecraft, où je n’avais de cesse que d’écrire « à la manière de Lovecraft » des histoires qui sonnaient « comme Lovecraft ». Le temps a passé, d’autres auteurs m’ont marqué. J’ai digéré, assimilé ma Lovecraftomania… mais il est toujours là, quelque part, et il ressort de temps en temps (par exemple dans Le Dernier Hiver, le passage dans le village. J’y sens poindre, à posteriori, un peu de mon ancien maître à penser).
J’ai toujours voulu partager cette passion avec ma femme mais je me suis toujours heurté à un mur.
J’ai donc voulu réussir cette gageure : raconter une histoire dans la continuité et le respect du Maître mais qui pourrait aussi « parler » à un lectorat plus large, néophyte en littérature « poulpique ». Mais surtout, écrire une histoire entre Indiana Jones et Lovecraft, dans l’ambiance des Pulp, avec une héroïne dans le rôle principal qui saurait autant plaire aux femmes qu’aux hommes… (Alors oui je sais que pour les puristes c’est une hérésie, il n’y a pas d’héroïne dans les récits de Lovecraft, seulement des sorcières ou des possédées… ceci étant…)
Actusf : Comment vois-tu Jade et Ahar ?
Jean-Luc Marcastel : Jade est une jeune femme eurasienne au caractère bien trempé, la fille d’un explorateur qui emprunte autant à Burton (j’adore Burton) qu’à Indiana Jones. Elle est belle, intelligente, bref, elle a tout pour elle… si l’ombre d’un évènement effroyable, qu’elle a occulté, n’entourait son passé et si elle ne dévoilait pas, au cours du récit, de surprenantes, voire inquiétantes, singularités…
Ahar, lui est le jeune majordome de son père, d’origine touareg, aussi diligent qu’habile au combat, qui, au fil de l’histoire, se révèle bien plus complexe et secret qu’on ne le soupçonnait et lié à… mais je ne peux en dire plus…
Actusf : Là encore il y a dû sans doute y avoir une grosse phase de documentation sur Paris dans les années 1930 non ? Comment travailles-tu ? Comment conçois-tu tes romans ?
Jean-Luc Marcastel : Notre bibliothèque municipale est fort heureusement très bien achalandée pour une ville de notre importance, et j’ai pu profiter de ses ressources, que j’ai complétées avec Internet (j’y ai, par exemple, trouvé des photos de l’église dans laquelle se déroule une partie de l’action, à la fin du livre, ce qui m’a beaucoup aidé).
En ce qui concerne la conception de mes romans, elle est dorénavant plus ou moins immuable : création de l’ossature, puis résumé de chaque chapitre, recherche et enfin rédaction. Parfois, pour certains de mes livres, j’écris même les dialogues avant tout le reste, comme pour une pièce de théâtre, après je n’ai plus qu’à poser les acteurs, la caméra, et à filmer…
Actusf : Tes idées sont jubilatoires : un père explorateur dans Les Enfants d'Erebus, un monde en miniature dans Praërie, comment te viennent-elles ?
Jean-Luc Marcastel : De mes lectures, des films que j’ai vus.
En règle générale, et même si je veux que mes récits puissent amener à une réflexion, sur la société, la liberté, les hommes, les femmes, leurs rapports… je n’oublie jamais qu’ils sont avant tout là pour faire rêver mes lecteurs, pour qu’ils s’identifient à mes héros et, le temps de quelques pages, oublient la grisaille du quotidien, l’odeur du métro, leur feuille d’imposition, leurs déceptions amoureuses, leur supérieur hiérarchique qui leur casse les pieds. Alors oui, je veux de l’aventure, de la romance, de l’action, des personnages hors du commun, c’est vrai… Si, avec tout ça, je peux, en plus d’emmener mes lecteurs en voyage, les faire réfléchir, et bien c’est encore mieux, mais ma préoccupation première, c’est avant tout qu’ils s’évadent et passent un bon moment, versent une petite larme ou éclatent de rire… Bref, se régalent.
Actusf : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Jean-Luc Marcastel : En premier Le Simulacre, une histoire se déroulant dans un XVIIIe siècle alternatif où l’humanité à rencontré des êtres venus d’ailleurs qui nous « vendent » une technologie bien inférieure à la leur mais terriblement avancée pour nous, où les gentilshommes se battent en duel à coups de rapières énergétiques et de pistolets à lumière et se déplacent en diligences aériennes, où la nouvelle demeure du Roi Soleil, la Versailles Céleste, en orbite au-dessus de la terre, vient d’être achevée.
À bord d’un galion des cieux en partance pour la nouvelle résidence du Roi, un vieux capitaine des mousquetaires, Charles de Batz Castelmore, plus connu sous le nom de « d’Artagnan », va se sacrifier pour sauver une jeune et jolie voleuse des sbires mécaniques du cardinal de Richelieu et lui confier une mystérieuse bague.
Alors même qu’il rend héroïquement son dernier souffle, sur terre, dans le château de Castelmore, s’éveille un jeune homme qui, l’âge mis à part, lui ressemble trait pour trait…
Il est « Le Simulacre » le double de d’Artagnan, qui va devoir retrouver la belle voleuse, les souvenirs de l’original, ses anciens compagnons et affronter ses anciens adversaires et de nouveaux, dont la belle Milady, plus redoutable et diabolique que jamais… Mais qui sont ses amis et qui sont ses ennemis ? Une fois de plus, le sort du royaume, mais peut-être plus encore, de ce monde tout entier, repose sur les épaules d’un jeune gascon entêté…
Une trilogie, donc, où je marie, avec jubilation, Alexandre Dumas et George Lukas, deux des auteurs qui ont le plus marqué ma jeunesse. Une histoire à mi-chemin des Trois Mousquetaires et de la Guerre des Étoiles.
Le premier tome (que je dédicace ce samedi 28 juin en avant-première aux Invalides dans le cadre de l’exposition « Mousquetaires ») illustré par Jean-Mathias Xavier (que les lecteurs du Galoup et d’Alban connaissent bien) sortira officiellement en octobre prochain. J’ai déjà écrit et achevé les deux autres tomes qui devraient sortir dans un délai assez rapide.
Enfin j’ai aussi un autre projet de série dont je ne dirai ici que le titre qui, à lui seul, donnera à certains une idée de l’univers dans lequel je vais œuvrer : Tellucidar.
J’ai également un projet « d’uchronie » (je n’aime pas les genres et les étiquettes) se déroulant de nos jours dans la République romaine du XXIe siècle, trois personnages, trois destins, trois livres…
Mais aussi beaucoup d’autres projets, plus ou moins aboutis, dont certains, j’en ai peur, ne pourront jamais voir le jour car je n’aurai pas le temps de les écrire…