- le  
Interview de Joris Chamblain et Aurelie Neyret sur les Carnets de Cerise
Commenter

Interview de Joris Chamblain et Aurelie Neyret sur les Carnets de Cerise

Actusf : Pouvez-vous retracer votre parcours et nous indiquer comment vous en êtes arrivés à la BD ?

Aurélie Neyret : J’ai toujours dessiné, alors logiquement après mon bac j’ai commencé une école d’art, que je n’ai pas finie, mais j’ai continué à dessiner dans mon coin jusqu’à décrocher mes premiers contrats d’illustration, en 2008. J’ai commencé la BD par des histoires courtes dans des collectifs, puis Joris m’a écrit un mail en 2009 je crois, me proposant le scénario des Carnets de Cerise, que j’ai tout de suite aimé.

Joris Chamblain : J’en ai toujours lu étant petit. Comme tous les enfants, je dessinais beaucoup. Vers la fin de l’adolescence, j’ai fait partie d’un fanzine où je dessinais ma propre BD. Puis je me suis mis à écrire des histoires pour la plupart des membres de l’équipe et c’est à ce moment-là que le scénario a pris la place du dessin. J’ai arrêté le fanzine en 2008 pour tenter l’aventure pro. J’ai signé mon premier contrat (La recherche d’emploi, éditions bac@bd) en 2009 et l’album est sorti un an plus tard. Ensuite, j’ai signé une autre série qui contait les aventures d’une petite fille qui mène des enquêtes…

Actusf : Comment vous êtes-vous rencontrés et avez-vous eu l’idée de ces bandes dessinées ? Comment procédez-vous pour réaliser chacun des albums ?

Aurélie Neyret : Joris avait remarqué mon travail sur mon blog, et m’a tout simplement écrit un mail. Comme le projet de Cerise me plaisait, j’ai commencé à faire des croquis, des recherches, puis des pages, jusqu’à avoir assez d’images pour approcher un éditeur. Tout ça a pris pas mal de temps car je le faisais dans mon temps libre. Mais c’est bien ce projet qui nous a réunis.

Joris Chamblain : L’idée de cette série est née en consultant le blog de Laurel, en 2007. Notre héroïne porte d’ailleurs le prénom de sa fille. Finalement, Laurel et moi n’avons pas pu collaborer ensemble alors je suis parti en quête d’une autre dessinatrice. Finalement, j’ai découvert le travail d’Aurélie via le forum café-salé puis via son blog et je lui ai envoyé un petit mail avec le synopsis. Elle a bien accroché.

Mais le projet a nettement évolué dans le sens où vous le lisez aujourd’hui justement grâce à ce qu’Aurélie y a apporté. En dessinant Cerise, elle lui a donné une profondeur, une vérité qui me manquait encore et qui m’a permis d’aller bien plus loin dans l’écriture.

Pour le processus, on parle en amont des envies et aspirations de chacun, et ensuite je m’isole dans mon coin pour écrire l’album en entier et lui livrer une fois terminé. Par exemple, Aurélie me réclamait la neige depuis le tome 1, alors le tome 3 se déroulera en hiver !

Ensuite, c’est un ping-pong entre elle et moi pour chaque étape de réalisation : story-board, encrage et couleur. On discute vraiment de chaque case, chaque bulle…

Actusf : Quelles sont vos inspirations majeures en terme de bandes dessinées ou de films d’animation ? Les sentiments des personnages passent beaucoup par le regard et les expressions, notamment, qui sont particulièrement travaillées...

Aurélie Neyret : Il y a plein d’auteurs de BD que j’adore et de livres qui m’ont marquée, mais ça ne se ressent pas toujours dans mon travail. Ca va de Claire Wendling, Cyril Pedrosa, à Winsor McCay en passant par Sergio Toppi et bien d’autres, mais je pense que c’est plutôt l’animation qui a marqué visuellement mon travail. Je suis toujours en admiration devant les classiques de Disney, ou toutes les productions du studio Ghibli. Pour le regard des personnages, je trouve en effet que c’est très important. Dans une BD on n’entend pas les intonations de voix comme ça serait le cas dans un film, du coup il faut miser sur le langage corporel et le regard pour transmettre ce que ressentent les personnages.

Joris Chamblain : Je suis très sensible à la poésie de PIXAR, par exemple. Réussir à cueillir le spectateur avec les émotions d’une grosse boîte de conserve dans un film quasi muet, ça frôle le génie ! Dans mes histoires, j’essaie d’atteindre cette justesse et ensuite de bien expliquer les états d’âme des personnages à Aurélie pour qu’elle leur fasse jouer la bonne expression. Sa force tient justement dans cette expressivité. Aurélie travaille ses expressions avec finesse, elle n’en fait pas des tonnes. Du coup, le lecteur peut s’impliquer davantage émotionnellement en apportant son vécu sur ces sentiments-là. Je suis le premier fasciné et touché quand je reçois les planches !

Actusf : Qu’est-ce que vous aimez le plus ? Dessiner les personnages, les décors ou tout cela à la fois ? La série permet beaucoup de variété, est-ce que ce n’est pas difficile à maîtriser, parfois, que ce soit au niveau du dessin ou du scénario ?

Aurélie Neyret : Je m’amuse beaucoup avec les personnages, je suis souvent plus à l’aise pour dessiner des gens que des décors. Mais la BD oblige à dessiner de tout, et c’est très bien car cela me fait progresser de me confronter à des sujets que je n’aurais pas fait sinon. Je me rends compte de plus en plus qu’un décor a une histoire à raconter, autant qu’une personne. Le fait que le scénario nous plongent dans des ambiances différentes est très agréable pour moi, ça me permet de ne jamais m’ennuyer en les dessinant.

Joris Chamblain : De mon côté, j’essaie justement de varier les décors de chaque tome pour qu’Aurélie ne s’ennuie jamais. Si ça devait se passer toujours au même endroit, elle finirait par tourner en rond. Les rayons de livres du tome 2 ont été une véritable épreuve. Je crois que je vais éviter ce genre de scènes à l’avenir. Ça devient d’ailleurs un véritable casse-tête que de trouver des solutions pour que les décors changent à chaque fois et soient intéressants pour elle ! Aurélie a besoin d’organique, les arbres, les vagues, la pierre… Changer à chaque fois de saison est déjà une solution, mais il faut aussi se renouveler un peu niveau environnement. La petite Cerise va bientôt sortir un peu de son village pour explorer de nouveaux horizons !

Actusf : Les Carnets de Cerise alternent les phases de narration sous forme de journal intime et des passages de BD ; lequel de ces deux formats est-ce que vous préférez ? Pourquoi ce choix ?

Aurélie Neyret : J’aime bien les deux, c’est assez complémentaire. Après avoir fait plusieurs pages de BD normales, j’aime beaucoup passer à une page carnet, c’est un peu une récréation. Je peux dessiner comme un enfant et cacher plein de petits détails.

Joris Chamblain : Ce choix est né du dossier que nous avons monté pour les éditeurs. C’était sous la forme du journal intime de Cerise et c’est elle qui présentait son aventure aux éditeurs à la première personne. Quand Barbara Canepa et Clotilde Vu, les directrices de la collection Métamorphose, ont accepté le projet, elles nous ont poussé à augmenter la pagination et à insérer justement ces pages de carnets.

Personnellement, ça m’a libéré. D’une bd de 30 planches, j’ai pu en faire un récit de 80 pages et ai pu prendre le temps de développer les sentiments des personnages. J’aime les deux supports et leur imbrication et j’aime recevoir les pages carnets d’Aurélie car je ne sais jamais quels seront les petits dessins tout autour !

Et je me creuse les méninges pour qu’il y ait toujours le même équilibre entre les deux et pour trouver de nouvelles idées à chaque fois. Dans le tome 3, il y aura plein de nouveaux supports de textes et pour les tomes suivants, je réserve de petites choses inédites…

Actusf : Que change le fait d’avoir eu le prix jeunesse à Angoulême ? Vous attendiez-vous à cette récompense ?

Aurélie Neyret : Je ne saurais trop dire ce que ça change, à part plus de visibilité, en fait j’ai encore du mal à réaliser. Dans le travail et la façon d’aborder la suite des aventures de Cerise, ça ne change rien, car évidemment on ne fait pas ça pour les récompenses. D’ailleurs pour répondre à la question, non je ne m’y attendais pas du tout ! C’est impossible de prévoir comment un livre sera perçu, s’il sera compris, aimé ou non. Quand on reçoit un prix comme celui-ci, remis par un jury d’enfants, c’est une superbe surprise, et on se sent encore plus motivé pour continuer.

Joris Chamblain : Qu’est-ce que ça change ? Pas grand-chose. Nous sommes toujours les mêmes et l’histoire qui avance n’a pas pris de nouvelle direction suite au prix. Par contre, ça apporte beaucoup. Déjà en terme de ventes, c’est assez impressionnant. Ça donne une visibilité accrue et une sorte de petite notoriété. C’est plutôt agréable ! De mon côté, ça m’a ouvert quelques portes chez d’autres éditeurs pour de nouveaux projets.

On ne peut pas s’attendre à une telle récompense mais je pense qu’on l’espérait un peu malgré tout. Le tome 1 avait été nominé l’année précédente et perdre deux années de suite aurait été un peu frustrant. Mais en même temps, ça ne nous aurait pas abattus pour autant. Gagner un prix n’est pas un but en soi ! Nous voulons avant tout faire des livres les plus sincères possibles.

Donc ça fait très plaisir car c’est un prix très important et remis par des enfants, mais une fois la statuette ramenée à la maison, il faut se remettre à travailler !

Actusf : Etiez-vous aussi curieux et casse-cou que Cerise ?

Aurélie Neyret : Oui ! Je jouais dans les bois comme elle, je m’inventais des histoires, comme tous les enfants je pense.

Joris Chamblain : Je n’ai jamais été casse-cou et je ne pense pas que Cerise le soit non plus. Elle est curieuse et déterminée, parfois un peu excessive c’est vrai. Par contre, comme elle, j’ai toujours été fasciné par l’être humain en général et son comportement. Et petit, je préférais être entouré d’adultes. Elle a énormément de moi cette petite.

Actusf : Cerise a un petit côté égoïste, aspect davantage développé dans le volume 2... est-ce que c’est quelque chose de plus présent dans l’enfance, selon vous ? D’un autre côté, elle donne aussi beaucoup d’elle-même dans ce qu’elle entreprend, elle n’hésite pas à partager les fruits de son enquête...

Aurélie Neyret : Elle n’est pas vraiment égoïste en réalité, elle est simplement passionnée, entière, et aveuglée par l’envie de comprendre les gens. Parfois en oubliant que ses proches aussi ont besoin de son attention. Elle a tout de même une grande qualité, malgré ses petits défauts qui la rendent humaine à mon sens, c’est qu’elle se remet en question et trouve le courage de s’excuser. En tout cas il y a une raison, à ce besoin d’analyser les autres...

Joris Chamblain : Il y a beaucoup d’égoïsme dans la petite enfance, mais moins à l’âge de Cerise, je pense. Cerise est surtout hantée par quelque chose et elle a d’abord besoin de résoudre ce conflit intérieur avant de pouvoir pleinement s’ouvrir aux autres. Elle ne pourra le faire qu’en analysant les autres et en en tirant ses propres conclusions. Mais on le voit, elle fait des efforts ! Ce conflit l’aveugle et elle ne se rend pas bien compte de la conséquence de ses actes. Dans le tome 3, ça va déjà beaucoup mieux. Après, si les lecteurs peuvent tirer une leçon d’une telle attitude, j’aurai accompli ma mission ! Je défends des valeurs très simples, l’amour, la gentillesse, le vivre ensemble et c’est tout cela que je veux insuffler dans mes histoires.

Actusf : Est-ce volontaire que dans les deux tomes, une personne âgée soit au cœur de l’intrigue ?

Aurélie Neyret : Je laisse répondre Joris, comme c’est lui qui a eu l’idée de ces personnages.

Joris Chamblain : Pas vraiment. Qu’il s’agisse d’adultes oui, c’est complètement voulu, mais des personnes âgées non. A la base, le tome 2 était prévu pour être le troisième justement pour éviter ce parallèle. Mais l’évolution des personnages a décidé pour moi. Dans le tome 3, le personnage mystère a la trentaine. Par contre, il n’y aura pas de secret d’enfants dans la série. Du moins, pas avant un moment. Ça c’est un choix dû à ce que recherche Cerise.

Actusf : Avez-vous prévu d’autres tomes ? Quels sont vos projets ?

Aurélie Neyret : Oui, au moins 5 a priori. Pour l’instant je dessine le tome 3, et Joris planche sur la suite !

Joris Chamblain : Le scénario du tome 3 est bouclé depuis le mois d’août et Aurélie en a réalisé une quinzaine de pages. J’ai démarré l’écriture du tome 4 et commence déjà à tracer quelques pistes pour les suivants. Il y en aura au moins 5 ou 6.

Personnellement, j’ai plein de nouveaux projets en route : Enola et les animaux extraordinaires, aux éditions de la Gouttière avec Lucile Thibaudier au dessin dont le tome 1 sortira en fin d’année en principe. Avec Lucile, nous avions fait un autre album, Sorcières Sorcières aux éditions Bac@bd. Nous sommes en train de rechercher une solution pour faire le tome 2.

Je vais démarrer l’écriture d’un énorme projet pour Kennes éditions autour d’un nouveau personnage et je développe actuellement des projets de romans, de bd et de livres jeunesse. Bref, les journées sont bien remplies !

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?