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Interview de Julien Simon sur Radius
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Interview de Julien Simon sur Radius

ActuSF : Qu'est-ce que Radius et en quoi est-ce une expérience originale ?
Julien Simon : Radius est avant tout un livre, c'est-à-dire une expérience de fiction littéraire. Mais Radius est également ce que nous avons appelé un « livre-web », un livre publié via un site dédié. L’idée était de contourner les restrictions techniques des différents constructeurs de liseuses et tablettes, mais aussi d’épargner les infernales DRM à nos lecteurs. Enfin, il est écrit en temps réel, à quatorze mains, par six auteurs et un scénariste, semaine après semaine, pendant un an. Une fois achevé, il donnera naissance à un livre « clos » dans lequel nous figerons l'œuvre. C’est autant une gageure d’écriture que de lecture, et cette originalité n’a pas vocation à remplacer quoi que ce soit : comme son nom l’indique, c’est une expérience que nous tentons de mener du mieux que nous pouvons. Et vu les retours des premiers lecteurs, ça fonctionne plutôt bien !
 
 
ActuSF : Parlez-nous un peu de la genèse de ce projet : comme l'idée est-elle née ? Quelles étaient vos envies ?
Julien Simon : L’idée était vraiment de créer une fiction SF ancrée dans la culture populaire, celle des séries télé type Lost ou Heroes, avec la contrainte du feuilleton comme dans les journaux du XIXe siècle : un rendez-vous où les lecteurs pourraient venir picorer au gré de leur emploi du temps, épisode par épisode. Le pitch est simple : quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, six personnages reçoivent une boîte qui ne contient rien d’autre qu’une liste de noms. Mais sitôt qu’ils l’ont ouverte, ils sont investis d’un pouvoir gigantesque, le Radius, qui leur permet de tordre la réalité à leur convenance. Le but, autant pour les personnages (et donc les auteurs) que pour le lecteur, va donc être de découvrir ce qui se cache derrière tout ça. C’est une sorte d’enquête. Les auteurs ne sont pas au courant de la fin, seul le scénariste la connaît et leur donne des indices au fur et à mesure. La notion de jeu de rôle plane derrière l’idée directrice de Radius.
 
 
 
ActuSF : On retrouve six auteurs et un scénariste derrière Radius, soit un livre écrit à quatorze mains ! Avez-vous tous participé la construction de l'univers et de l'histoire ? Comment est réparti le travail ensuite ?
Julien Simon : C’est pour cela que le projet a été préparé si longtemps en amont : pendant un an, Jacques Fuentealba, Michael Roch, Vincent Corlaix, Aude Cenga, Stephane Desienne et Julien Morgan ont écrit l’histoire de leur personnage à travers de nombreux chapitres, une sorte de journal intime aujourd’hui publié sur le site, visant à combler le laps de temps qui sépare l’ouverture de la boîte du temps présent ; soit plus de 13 ans ! Aujourd’hui, les auteurs écrivent en temps réel, au fil des événements qu’ils créent eux-mêmes et de ceux donnés par le scénariste. Les auteurs ont toute latitude, ou presque, pour rédiger l’histoire de leur personnage. La construction de l’univers – très proche du nôtre – a été partagée entre tous, certains créant des choses reprises ensuite par les autres. C’est un univers en perpétuelle communication, en perpétuel échange entre les auteurs, qui communiquent quotidiennement via un groupe Facebook privé pour organiser leurs actions. Ils se livrent aussi à des séances de dialogue en conversation privée, ce qui donne parfois lieu à des échanges très amusants. Quand ils ont un doute sur tel ou tel aspect du monde de Radius, ils demandent un conseil au scénariste qui régit les lois de Radius. Mais dans l’absolu, les auteurs ont toute liberté pour faire évoluer leur personnage dans la direction qu’ils souhaitent, bonne ou mauvaise, mais toujours surprenante jusqu’à présent.
 
 
ActuSF : Le format fait penser aux séries télévisées et aux feuilletons littéraires, qui sont remis au goût du jour grâce au numérique. Est-ce que cela implique une écriture particulière, par rapport à un texte à la forme plus classique ?
Julien Simon : Pas vraiment. Nous tenons tous à ce que Radius soit un objet littéraire au final, et non pas du simple cinéma écrit comme on en voit trop souvent aujourd’hui. Certains chapitres flirtent avec la poésie. Aussi nous tenons à ce que l’expérience se cantonne – si l’on peut dire – à la forme et pas au fond. Les six auteurs écrivent Radius comme s’ils écrivaient le plus traditionnel des romans. C’est aussi une occasion pour eux de se mesurer à une expérience d’écriture longue, sur un an. Ce peut être vécu comme un véritable marathon. Bien sûr, on n’est pas à l’abri d’une expérimentation ici et là, car puisque nous sommes sur le web, nous pouvons utiliser les fonctionnalités des navigateurs. Par exemple, le personnage de Koffi Diagouraga utilise beaucoup d’argot : en cliquant sur les mots en question apparaît leur signification. De la même façon, Michael Roch s’est amusé, dans certaines contributions, à « cacher » des actions, qui se révèlent en cliquant sur certains mots. Là encore, les auteurs ont toute latitude pour expérimenter. Le web est aussi une corde supplémentaire à l’arc narratif des auteurs.
 
 
ActuSF : Il est précisé que le projet a nécessité une année de préparatif avant le lancement. Comment cela va-t-il se traduire sur le long terme : l'écriture se fait-elle au fur et à mesure ou avez-vous un peu d'avance par rapport à la publication ? Y a-t-il encore la place pour de l'improvisation ou tout est déjà calibré dans les moindres détails ? 
Julien Simon : L’improvisation est reine ! Bien sûr, il y a une ligne directrice globale que seul le scénariste connaît : il sait dans quelle direction doivent s’orienter les personnages au final. De la même manière, celui-ci les informe quelques jours avant des événements qui vont être mis à la connaissance du public, afin qu’ils aient un peu de temps pour réfléchir et éventuellement rédiger à l'avance. Mais entre ces points d’ancrage, les personnages sont libres de rester terrés chez eux ou de réaliser des prouesses, de devenir des dieux, de s’allier les uns avec les autres ou au contraire de se déclarer la guerre. Walrus a toujours tenu à une chose : la liberté de ses auteurs. La maison d’édition a été créée pour publier ce que l’on pensait « impubliable » car trop fou, trop expérimental, trop pulp, trop violent, etc. Radius, s’il reste « classique » dans le fond, entre totalement dans ce cadre en ce qui concerne la forme. La contrainte est de réussir à faire de la littérature au temps du net, non pas contre lui, mais avec lui. Et c’est un défi que les auteurs de Radius sauront, nous en sommes certains, relever haut la main. 

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