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Interview de Kaoutar Harchi
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Interview de Kaoutar Harchi

1. D'où vous est venue l'idée de parler d'une zone urbaine que fuient les filles, où les garçons se suicident, où les mères deviennent folles ?

 C’est ce qu’il se passe un peu partout, je crois. Les choses sont moins radicales et tranchées, bien sûr, mais j’ai eu le sentiment que les filles accédaient plus facilement à une sorte de réussite sociale alors que pour les garçons, le chemin est bien plus tortueux et souvent dramatique. Ces intuitions, j’ai voulu les exacerber et les porter à l’écriture. L’un de mes personnages est amené à s’écrier: « Ils aiment nos sœurs et nos filles, mais nous les frères et les fils… » et cela retranscrit bien cette notion de partage du territoire en fonction des sexes. Les filles sont attendues, recherchées parce qu’exotiques, différentes, alors que les garçons suscitent la peur et sont condamnés à vivre entre eux, au pied des immeubles.

Pour ce qui est des mères qui sombrent dans la folie, disons qu’elles ressentent et donc subissent les vicissitudes vécues par leurs propres enfants. Souvent coupées de tout moyen d’expression, les mères (dont j’exagère le portrait) prennent la parole autrement, et c’est souvent une parole hystérique. Et puis lorsque l’on perd son fils dans un transformateur et que la vérité peine à être faîte, comment rester normal ?

2. Votre ville est-elle purement métaphorique ou s'ancre-t-elle, comme un cri d'alarme, sur notre réalité urbaine ?

Un cri d’alarme, je ne sais pas. J’ai d’abord souhaité raconté l’histoire d’une Cité qui vivait ses dernières heures. Ecrire la fin d’un monde et forcément un monde inspiré de celui dans lequel nous vivons avec son lot de drames, de scandales. De tragédies surtout. C’est pour cela que j’ai repris la structure formelle de la tragédie grecque en privilégiant un découpage en actes et non en chapitres, en intégrant un chœur (le groupe de mères) ainsi qu’un héros, mon personnage principal Tâarouk sur lequel pèse des forces extérieures. Alors oui, la dimension métaphorique, je dirais même plutôt poétique, est présente au sens où elle suggère quelque chose de notre époque contemporaine sans pourtant jamais l’affirmer. Pour le lecteur, c’est dans ce décalage que peut apparaître une certaine signification.

3. "Zone Cinglée" est-il un roman de science-fiction ? Un roman fantastique ?

J’ai plutôt tendance à ne pas définir mon roman mais s’il me fallait le faire, je dirais qu’il emprunte à la mythologie, au roman social, au journal intime et au fantastique aussi. L’important je crois, dans une telle démarche, est de ne jamais succomber à la tentation de reproduire la réalité. D’une part parce que nous ne la connaissons pas, nous ne pouvons en avoir que des représentations et d’autre part, parce qu’en reproduisant, on trahit forcément alors qu’en produisant, on invente… C’est une certaine nuance.

4. Quels livres vous ont inspiré pour cet ouvrage ?

 Plusieurs ouvrages ont marqué mon parcours de lectrice et je ne saurais pas exactement dire de quelles manières est-ce qu’ils ont influencé mon propre travail mais le roman La Répudiation de Rachid Boudjedra m’a énormément bouleversé parce qu’il est traversé par une écriture tendue au possible qui met à mal, au sein de la culture arabo-musulmane, des problématiques telles que celles de la religion et de la sexualité et cela m’intéresse énormément et me renvoie forcément à des questions qui me sont propres. Et bien sûr, puisqu’il fait l’objet de ma thèse, le roman Nedjma de Kateb Yacine, a aussi été un bouleversement.

5. Pourquoi faut-il lire Kateb Yacine aujourd'hui ?

Il faut lire Kateb Yacine aujourd’hui parce que son œuvre est universelle. En 1956, lorsqu’il publie Nedjma, après 8 ans de tentatives auprès des Editions Du Seuil, la Guerre d’Algérie fait des ravages et ce roman dit au moyen d’un langage poétique la quête d’un pays entier, convoité par les grandes puissances depuis des millénaires, pour obtenir son indépendance. C’est donc tout le rapport colon-colonisé qui est réévalué et révèle donc l’issue tragique, sur le plan politique, culturel, psychologique aussi, de la colonisation. C’est là l’une des interprétations possibles de Nedjma mais il en existe bien d’autres et j’invite tous ceux qui sont curieux ou intéressés à lire ce roman.

6. Votre roman s'adresse-t-il plutôt aux adultes ou aux jeunes ?

 Mon roman s’adresse à toux ceux qui savent lire, réfléchir, ou qui aiment tout simplement tourner des pages.

7. Vos personnages sont-ils imaginés de toutes pièces ou calqués sur des personnes réelles ?

Mes personnages sont entièrement imaginés. J’ai tenté de leurs donner des attitudes, des comportements qui ne coïncident pas exactement avec ceux que l’on peut observer au quotidien mais simplement parce que dans cette démarche mimétique, je trouve qu’il n’y a que très peu d’invention alors j’essaie de créer des angoisses, des inquiétudes, des interrogations nouvelles par rapport à ce que l’on peut connaître mais qui, d’une manière ou d’une autre, font écho à ce qui nous tourmente. 
 
8. Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

Sur un projet que je peine encore à définir…

9. Y aura-t-il un Zone Cinglée 2 ?

Non, je ne pense pas que ce premier roman aura une suite ou en tout cas, disons que ce n’est pas à l’ordre du jour.

10.   Comment situez-vous votre livre par rapport à celui de Grégoire Hervier ("Zen city") ?

Nos romans ont en commun un titre qui commence par la lettre Z…

Plus sérieusement, la lecture de Zen City m’a intéressé parce que Grégoire évoque des thématiques qui me sont très lointaines, la surveillance, l’omniprésence d’un œil observateur, les puces électroniques…

Il faut dire que je m’interroge plus aisément sur les dimensions de la misère affective et sexuelle, la condition masculine, les phénomènes d’exil et d’exode, alors oui Zen City m’a appris beaucoup de choses et je conseille sa lecture.
 

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