Ken Liu : Je suis auteur et traducteur d’œuvres de l’imaginaire, mais je suis aussi avocat et programmeur. J’ai gagné les prix Nebula, Hugo et World Fantasy, et mes récits ont été publiés dans The Magazine of Fantasy & Science Fiction, Asimov’s, Analog, Clarkesworld, Lightspeed et Strange Horizons, entre autres. Je vis à Boston avec ma famille.
ActuSF : « La Ménagerie de papier », un recueil de nouvelles, vient tout juste de sortir en France aux éditions Le Bélial. Que peut-on y trouver ?
Ken Liu : Ce recueil regroupe mes histoires préférées parmi la centaine que j’ai déjà publiée dans ma carrière. Les éditeurs, Ellen Hertzfeld et Dominique Martel, ont réussi à sélectionner des histoires qui illustrent bien mon travail. Certaines de ces nouvelles ont gagné des prix (« la Ménagerie de papier », « Mono no aware »), mais aussi des histoires un peu décalées que j’aime beaucoup (« Le Livre chez diverses espèces »). On y trouve aussi bien de la fantasy que de la science-fiction, et je pense qu’elles reflètent bien mes centres d’intérêts et mon travail. J’espère que chacun trouvera au moins une histoire qui lui fera écho.
ActuSF : Tandis que « La Ménagerie de papier » sort en France, The Grace of Kings est publié aux États-Unis par Saga Press. De quoi parle ce roman ?
Ken Liu : The Grace of Kings est une épopée fantasy silkpunk qui ré-imagine la montée au pouvoir de la Dynastie Han dans un monde secondaire composé d’archipels.
C’est l’histoire de deux amis que tout oppose, un bandit et un duc, qui joignent leurs forces pour renverser la tyrannie. Ils se retrouveront finalement plus tard opposés dans leurs visions d’une société plus juste, ce qui les mènera à une rivalité mortelle.
Ce roman est une fusion entre les techniques narratives épiques occidentales, les tropes des romances historiques de la Chine traditionnelle et la fantasy wuxia1. L’esthétique “silkpunk” utilise beaucoup d’éléments inspirés des traditions d’Asie orientale et de Chine que j’ai toujours voulu retrouver dans la fiction fantastique occidentale : des dirigeables en soie, des cerfs-volants de combat, des duels pour l’honneur qui sont autant une danse qu’un combat, des tomes magiques qui décrivent nos désirs mieux que nous pourrions le faire nous-mêmes, des dieux regrettant les faits commis en leur nom, des femmes qui complotent et se battent aux côtés des hommes, des princesses et des domestiques qui tissent des liens d’amitiés éternels et des monstres marins à l’origine de tsunamis et de tempêtes mais qui guident aussi les soldats vers des côtes sûres.
1. Note du traducteur : La fantasy wuxia désigne un genre littéraire chinois s’intéressant aux aventures et pérégrinations d’un « chevalier errant », principalement dans l’ancienne Chine
ActuSF : On vous connaît pour vos nouvelles. The Grace of Kings est votre premier roman. La transition entre la nouvelle et le roman était-elle difficile ?
Ken Liu : Pour passer de la nouvelle au roman, le plus gros défi à mon sens a été de prendre les milliers de décisions qui permettent de créer un monde et de trouver les détails sur les personnages et sur ’intrigue nécessaires à l’écriture d’un roman. Je pouvais tout garder dans ma tête pour une nouvelle, mais pour The Grace of Kings, j’ai dû créer un wiki et écrire de petites entrées Wikipédia afin que tout soit bien en place.
ActuSF : Vous êtes écrivain mais aussi traducteur. Existe-t-il un lien entre ces deux métiers ?
Ken Liu : Eh bien, je pense que la traduction tient plus du domaine du spectacle. J’ai une partition à suivre, et les décisions créatives que je dois prendre en tant que traducteur sont liées à celles de l’auteur mais restent distinctes. Je dirais qu’il est possible de voir The Grace of Kings comme une traduction, de la même façon qu’Ulysse de James Joyce est une traduction de l’Odyssée : je prends un récit fondateur d’une culture et le ré-imagine grâce aux tropes et au cadre d’une autre tradition littéraire, transposant ainsi les thèmes, les idées, et les émotions mythiques primaires. Dans ce sens, il est possible de dire que mon travail de traducteur a été très formateur.
ActuSF : Vous avez récemment traduit le premier livre de la trilogie Trois corps de Liu Cixin. Pensez-vous que la science-fiction chinoise soit en plein essor ?
Ken Liu : L’histoire de la science-fiction en Chine est longue et originale, et je dirais qu’elle a dépassé le stade de « l’essor ». La SF chinoise actuelle est dynamique et diversifiée, avec beaucoup de voix variées, des styles différents et d’auteurs se concentrant sur des thèmes et approches multiples. Liu Cixin est l’auteur de SF le plus connu en Chine, et la trilogie Trois corps est excellente. J’espère que d’autres auteurs chinois seront encore révélés en Occident.
ActuSF : Votre travail a été traduit en français, mais aussi en chinois et en japonais. Pensez-vous que les prix Hugo, Nebula et World Fantasy que vous avez reçu pour votre nouvelle « La Ménagerie de papier » en 2012 ont aidé votre carrière à l’international ?
Ken Liu : C’est difficile à affirmer, mais je pense que les prix ne font jamais de mal à notre réputation. Toutefois, je ne pense pas que les prix soient si importants : ce sont des signes de reconnaissance de la part des fans, des confrères écrivains et des membres du jury, mais finalement, ce qui compte est de savoir si les lecteurs qui achètent les livres pour passer un bon moment apprécient mes histoires.
ActuSF : Qu’en est-il de vos futurs projets ? Comptez-vous venir en France ou en Europe ?
Ken Liu : Je travaille actuellement à la suite de The Grace of Kings, et j’y prends beaucoup de plaisir. Il y a tant de choses à explorer dans ce monde, et je suis impatient de raconter l’histoire des personnages et leur évolution. J’ai également quelques courts projets de fiction ainsi que des traductions pour la fin de l’année.
J’espère bien pouvoir me rendre en France (et en Europe en général) d’ici peu ! Je connais des amis écrivains qui vivent en France (comme Aliette de Bodard), et j’ai hâte de rencontrer des lecteurs et de discuter science-fiction et fantasy, les sujets de notre passion commune.
Merci beaucoup pour cette interview !