- le  
Interview de Laurent Astier
Commenter

Interview de Laurent Astier

Actusf : Prenons par le début, comment êtes-vous venu à la bande dessinée ? Etes vous tombé dans le tonneau des bulles depuis tout petit ?
Laurent Astier : Les premiers souvenirs marquants, ce sont tout d'abord des Fumettis des années 60 qui traînaient chez ma grand-mère. Des Blek le Roc, des Cap'tain Swing et ses loup des l'Ontario (un de mes personnages préférés à l'époque), des westerns et des récits de guerres dont j'ai oublié les titres (plus ou moins bien dessinés). Et quelques autres, achetés dans des Tabac-Presse, comme La route de l'Ouest, Mister No, etc.
Ce fut aussi le temps des lectures pendant les courses de fin de semaine au supermarché avec mon frère aîné (le rayon BD était d'ailleurs bien fourni au début des années 80, nouvel âge d'or de la BD). On s'installait pour lire (le supermarché était un lieu de squatt pour la lecture bien avant la FNAC !!!) et on dévorait Alix, Chevalier Ardent, Bastos et Zakousky, etc & On y a découvert aussi la BD Adulte des Bilal, Gimenez (période Léo Roa), Manara, Serpieri etc ...
On était intéressé tous les deux par la BD car on passait depuis la petite enfance des journées entières à dessiner, le plus souvent pour raconter des histoires de cow-boys, de trappeurs (j'étais toujours un peu sur ses traces, le copiant même allègrement au début). Et la BD était le meilleur moyen de raconter ces histoires avec seulement un cahier et quelques crayons ...
Puis nos styles se sont séparés, lui préférant la couleur et moi ne faisant que du noir et blanc (la couleur est venue sur le tard).

Actusf : Y'a-t-il des auteurs ou des albums qui vous ont particulièrement marqué ?
Laurent Astier : A part ces albums de la petite enfance (que je relis de temps en temps), le vrai virage a été marqué par la découverte simultanée de Jean Giraud avec Ballade pour un cercueil (l'album le plus abouti et le plus flamboyant de la série des Blueberry avec des pages somptueuses sous la pluie), et La complainte de l'homme-programme, un recueil d'illustrations de Moebius. Quelle claque ! (je n'ai su que plus tard que c'était le même homme - deuxième claque). En trace indélébile, il y a aussi Akira d'Otomo. Mes premières lectures m'avaient aussi destinées à tomber dans le creuset des auteurs latins, as du noir et blanc, les Pratt, Bernet, Risso, Mandrafina, etc & Puis ce fut au tour des américains, Eisner (qui est le maître incontesté de la composition en BD), Miller etc ...

Actusf : Quel a été votre parcours ?
Laurent Astier : Pour les études, je suis passé par F12 Arts Appliqués (on y apprend les bases du dessin mais aussi de l'architecture, du design, du graphisme, du stylisme etc ...) à partir de la seconde, puis la suite logique un BTS Expression Visuelle option Image (même si ça me destinait plus à la publicité). Ensuite je devais passer le concours d'entrée des Arts Décoratifs de Strasbourg pour entrer dans la section illustration mais je me suis rendu compte que je voulais me confronter à la réalité du monde et aller bosser. Après divers boulots d'intérim, une tentative avortée de création d'une agence de publicité, un poste de graphiste pour une mairie, je suis monté sur Paris pour un poste d'illustrateur - infographiste pour IN UTERO, développeur de jeux vidéo (structure disparue depuis). Après presque trois ans et surtout après avoir décroché un contrat pour le premier tome de Cirk, j'ai décidé de faire exclusivement de la BD.

Actusf : Cirk est votre première série. Comment est-elle née dans votre esprit ?
Laurent Astier : Cirk est un vrai projet d'adolescent. Je crois que ça a commencé vers la Première ou la Terminale. Ca devait d'abord être un scénario de film, puis un roman (l'histoire était un Road-movie façon Jules et Jim - la trame (le squelette même) de cette histoire a d'ailleurs servi au dernier tome de la trilogie, en hommage à cette période). Je me suis aussi servi de l'univers pour écrire de la poésie. Mais je pensais toujours au côté visuel. J'attendais juste patiemment le bon moment pour le faire. En attendant, je faisais des croquis, des illustrations des personnages.
Donc Cirk est le résultat de ces dix années de maturation, passant par toutes ces étapes qui ont nourri l'univers, les personnages.
D'ailleurs une histoire courte en une page pour le concours BD de Sierre avait été remarquée par JC Camano. Mais c'était resté sans suite. Ensuite en 1999, j'ai participé au concours BD pour les 30 ans de Glénat et suis arrivé dans les 10 premiers.
Lorsque Rodolphe Soublin (qui, en 1999, faisait partie de Glénat) m'a proposé de travailler dans la collection COMIX (qui ne durera que quelques numéros avant d'être stoppée), j'avais déjà en tête les tomes 2 et 3. Mais il m'a proposé de créer un tome 1 qui présenterait l'univers et les personnages. J'ai donc commencé à tomber des pages mais la collection s'étant arrêtée brutalement, je me suis retrouvé avec le projet sur les bras. Avec Rodolphe, nous avons donc fait le forcing pour en faire un album cartonné. Mais les pages nous semblaient encore un peu "amateur" et je les ai donc refaites. Et voilà Cirk était lancé !

Actusf : Comment présenteriez vous cette histoire à quelqu'un qui ne l'aurait pas lu ?
Laurent Astier : Vaste programme. Difficile de faire court, mais je vais essayer. Cirk est un récit d'anticipation. Dans une mégalopole industrielle régie par un dictateur, un groupe de quatre jeunes gens issus des rues (Gabriel le funambule, Nathan le clown, Anna la dompteuse et Igor le cracheur de feu) cambriolent des hauts lieux de la ville pour récupérer des fonds afin de financer la révolution et des médicaments pour soigner les "oubliés" (des Robins de Bois modernes). Mais lors du cambriolage le plus dangereux de leur (courte) carrière, Gabriel va découvrir l'envers du décor de la dictature et plonger dans l'abîme.
Voilà pour le tome 1, le reste vous le découvrirez en lisant la suite !!!

Actusf : Parlez nous également de Gong. Comment est né ce projet en noir et blanc ?
Laurent Astier : C'est parti d'un dessin en hommage à Frank Miller. D'un boxeur dans un coin de ring (dessin réalisé sur tablette graphique comme tout le reste de l'album d'ailleurs). Une fois terminé, je me suis demandé qui était ce boxeur, ce qu'il lui était arrivé. Et Gong est né. Ayant fait rapidement un dossier, je l'ai présenté chez Glénat. Le projet a été tout de suite adopté mais ils ont trouvé préférable de le placer dans la collection Intégra chez Vents d'Ouest car cette collection est plus porteuse (avec des Rabaté, des Chabouté, des Kokor ...)

Actusf : Pour l'heure, dans chacune de vos deux séries, vous assurez scénario et dessins. Est-ce un choix ou un concours de circonstances ?
Laurent Astier : Assurez scénario et dessin était un vrai choix dès le départ. J'ai même eu la chance de pouvoir faire mes premiers albums, sans avoir à passer par la case "collaboration forcée" avec un scénariste confirmé, comme c'est souvent le cas pour les auteurs débutants (mais je ne suis pas passé par la banque et je n'ai pas toucher 100 000 francs !!!). En fait, j'ai des tas d'histoires à raconter. Et si je fais de la bande dessinée, c'est d'abord et surtout pour raconter mes histoires.

Actusf : Vous avez déjà quatre albums derrière vous désormais. Quel regard portez-vous sur le monde de la bande dessinée ? Est-ce que ça a été dur ? Est-ce que ça vous a donné envie de continuer ?
Laurent Astier : Le monde de la +65D est encore épargné par le show-business, les strass, les paillettes (et même si certains essayent de se servir de la BD pour leur carrière, ça ne marche pas bien longtemps). L'auteur BD est (en général) relativement modeste (on ne va pas dire non plus qu'il n'a pas d'ego, sinon il ne ferait pas grand chose, mais suffisamment pour ne pas donner l'impression qu'il vous marche sur la tête ...)
Les éditeurs sont surtout des marchands. Ils ne sont pas juste là pour s'émouvoir de la profondeur de votre scénario, de la beauté d'un dessin. Et il vaut mieux s'en rendre compte rapidement. Mais au sein des maisons, il y a des gens sympas, intéressants (dommage qu'ils s'en aillent si rapidement !!!)
J'aime vraiment ce métier. Je continuerais, tant que j'aurais l'envie, de nouvelles histoires, qu'un éditeur voudra bien ma publier et que quelqu'un aura envie de me lire ...
La seule chose qui me dérange c'est la standardisation des albums et les effets de mode. Les éditeurs creusent des sillons, tirent sur la corde jusqu'a ce qu'elle soit usée et qu'elle casse. Mais il me semble que certains jeunes auteurs s'autocensurent et rentrent tout de suite dans le rang, uniquement pour pouvoir publier. C'est dommage ... Mais il faut bien manger, me direz-vous !!!

Actusf : Quels sont vos projets ?
Laurent Astier : Pour me faire mentir, le projet en cours est une collaboration avec un scénariste. Mais comme le scénariste est mon propre frère, ça se passe plutôt bien. On se comprend assez facilement. Je vois quelle direction il veut prendre et le résultat semble le ravir. Donc tout va pour le mieux.
Bon allez, deux, trois mots sur le projet : c'est un polar nommé Aven prévu en trois tomes dans la collection Turbulences chez Vents d'Ouest. L'histoire commence durant l'été 1969. Un jeune inspecteur de la PJ de Paris débarque dans un petit village au fond d'une vallée encaissée pour enquêter sur des suicides suspects. Il ne connaît rien à l'affaire (ce n'est pas lui qui devait suivre l'enquête), encore moins aux affaires paysannes (c'est un pur citadin), ce qui va lui causer quelques ennuis ...
Rendez-vous donc mai 2005 pour le premier tome !

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?