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Interview de Laurent Girardon
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Interview de Laurent Girardon

ActuSF : Black Mamba évolue. Quels sont les principaux changements et pour quelles raisons ?
Laurent Girardon : La principale évolution est l'abandon définitif des agrafes pour un dos carré collé. La raison est simple, nous avons besoin d'un produit qui flanque plus professionnel aux yeux du milieu, plus dans les normes actuelles afin d'envisager une meilleure représentation en librairies.
J'ai longtemps défendu les piques métal, symbole du côté pulp de notre publication, mais il semble qu'en France, le sésame de la diffusion passe par une tranche rigide. Alea Jacta Est. Du coup, le contenu sera plus dense, avec 100 pages au total, et on gardera le tout couleur !
Nous  modifions également la fréquence de parution, BM devenant quadrimestriel. Cette décision vient surtout de notre difficulté à assurer, avec l'équipe actuelle qui jongle sur pas mal de fronts, la direction artistique de Black Mamba, très compliquée visuellement à mettre en place sur un numéro.

ActuSF : On imagine que c'est plutôt dû à un bilan positif. Quel bilan justement fais-tu après 5 ans d'existence pour la revue ?
Laurent Girardon : Pas tout à fait. Outre les explications liées aux ajustements du travail d'équipe citées plus haut, commercialement parlant, nous devons franchir une étape. Nous avons eu, pendant ces cinq premières années, la chance d'être soutenus par les institutionnels de notre Région, qui ont cru au projet. Cependant, il faut bien avouer que si nous sommes financièrement à l'abri d'un mauvais coup, nos publications n'engrangent quasiment aucun bénéfice. D'où les révisions sur lesquelles nous avons travaillé.
Concernant le bilan moral après cinq printemps, nous ne pouvons que nous enorgueillir d'être partis de rien, sinon des ressources humaines qui constituaient notre association. J'en profite d'ailleurs pour féliciter tous mes collaborateurs, à commencer par Thomas Balard qui me supporte (le verbe est faible) depuis 10 ans. Notre ligne de conduite a toujours été de faire les choses de A à Z, sans sauter d'étapes et d'essayer de progresser numéro après numéro, avec un regard toujours plus professionnel. Ne jamais rester sur des acquis et se remettre sans cesse en question. Comme le dit la chanson We Are The Champions de Queen, it's been no bed of roses, dans le sens où il a fallu s'imposer – à distance venant du sud - dans un microcosme parisien assez conservateur, pour ne pas dire élitiste. Mais le chemin reste très long...

ActuSF : Parlons un peu des chiffres, à combien d'exemplaires vendez-vous chaque numéro de Black Mamba ? Combien d'abonnés avez-vous ?
Laurent Girardon : Ces derniers temps, nous tirons à moins de 1000 exemplaires, ce qui correspond globalement au potentiel de notre lectorat. Nous avons moins de 200 abonnés mais ce sont des lecteurs fidèles. Gagner de nouveaux lecteurs est un travail d'acharnés, surtout lorsque ta ligne éditoriale est multiple et lorsque ta structure n'a pas les moyens de faire une campagne de communication digne de ce nom. Le point positif est que depuis 2006 et malgré les difficultés du secteur, la courbe de nos abonnés ne cesse de croître. C'est un signe fort. Mais nous sommes très loin des 500/600 abonnés nécessaires à une autonomie totale.

ActuSF : Quels sont vos objectifs avec ce changement ?
Laurent Girardon : Au niveau de l'image, en finir définitivement avec l'étiquette, péjorative en ce qui me concerne, du fanzinat. Attention, je respecte les acteurs de ce dernier mais cela m'agace fortement que l'on y catalogue BM. Notre équipe travaille à 100% sur la revue, en complément de ses animations en BD, ce n'est pas un passe-temps de passionnés qui, le boulot de la semaine achevé, s'adonnent à un hobby.
Au niveau économique, je le redis, booster notre présence en librairies. Car sans diffuseur et distributeur, tu n'es pas pris au sérieux. Avec force et abnégation, nous nous sommes épuisés à le gérer nous-même pendant cinq ans. Même si cela forge une connaissance salutaire du circuit du livre, cela occasionne une perte de temps énorme. À un moment, il faut prendre la décision de déléguer...
2011 est une étape cruciale, surtout que l'on vient de créer de nouveaux projets et que nos frais sur l'année vont exploser. Il nous faut absolument établir une stratégie de vente à la hauteur, et non plus vivoter en se contentant d'équilibrer notre budget annuel. Nous sommes certes sous un statut associatif, sans but lucratif direct, mais nous fonctionnons déjà comme une petite société. Sauf, que là, tous les bénéfices sont injectés dans la structure.

ActuSF : Comment vous placez-vous par rapport à d'autres revues comme Bifrost ou Galaxies ?
Laurent Girardon : Bifrost et Galaxies sont des modèles mais pas pour les mêmes raisons. Déjà, ces deux revues ont une belle longévité, et lorsque l'on sait combien il est difficile de survivre pour une revue sur le paysage de l'imaginaire, chapeau. Pierre Gévart est un vrai passionné, et un type ouvert avec lequel on peut parler de tous sujets, sans tabous. J'admire le parcours d'Olivier Girard, ses choix de carrière avec un investissement à 110% dans tout ce qu'il entreprend avec le Bélial. Je suis, personnellement, sur ce modèle de projet professionnel. J'ai l'ambition de vivre, même modestement, du travail éditorial que nous produisons. Je sais que cela sera dur d'y accéder mais cela ne le sera jamais autant qu'un boulot aliénant
Après je ne parlerai jamais de concurrence avec ces deux revues. Déjà, nos lignes éditoriales sont singulières, puis historiquement et économiquement parlant, nous ne boxons pas (encore) dans la même catégorie. Par contre, ce que je sais, est que plus les années passent, moins nous avons à rougir de ce que nous publions.
Et au niveau BD et illustrations, je pense que Black Mamba est devenu une bonne référence.

ActuSF : Un petit mot sur la revue Héros. Elle aussi va évoluer. Peux-tu nous en rappeler le concept et nous dire ce qui va changer ?
Laurent Girardon : Héros, c'est d'abord un pari fou lancé début 2010 sur un genre éditorial très particulier : la littérature interactive ou livre-jeu déclinée sous formes de nouvelles à jouer, où toi, lecteur, tu es invité à lire et orienter ta propre aventure. Je suis né dans les années 1970, donc j'ai connu l'age d'or des folio LDVELH. Avec le recul, je me suis rendu compte que cette soi-disant  « sous-littérature » m'avait amené à lire... Je me suis renseigné sur l'actualité du livre-jeu, découvrant sur le web une formidable communauté (composée essentiellement de trentenaires comme moi), défendant bec et ongle le livre-jeu, abandonné et, avouons-le, carrément snobé depuis presque une décennie par les éditeurs français. J'ignore pourquoi tant les possibilités offertes par ce média sont immenses, surtout lorsque l'on assiste au gel éditorial que connaît l'imaginaire depuis quelque temps.
Plaisir ludique et rigueur littéraire, c'est que nous ambitionnons avec Héros. J'ai là aussi bon espoir que des auteurs confirmés se prêtent bientôt à cette littérature.

ActuSF : Même question sur les chiffres, à combien avez-vous vendu le premier numéro ?
Laurent Girardon : Une vraie belle surprise. Honnêtement, j'aurais été incapable de mesurer la niche prévisionnelle de Héros. Nous nous sommes lancés dans le flou total à ce niveau, s'assurant deux numéros à l'année pour limiter les risques – et arrêter rapidement si l'entreprise s'avérait être un fiasco. Nous avons tiré à 600 exemplaires et en avons placé et vendu 80%, ce qui était assez inespéré. Nos lecteurs sont de vrais passionnés, qui opèrent des feedbacks réguliers.

ActuSF : On a souvent l'impression que le jeux de rôle est dans une mauvaise passe et que la situation du livre "dont vous êtes le héros" est encore pire. Qu'en penses-tu ?
Laurent Girardon : Je ne suis pas d'accord. Le jeu de rôle et le jeu de plateau se portent relativement bien. J'ai eu l'occasion de m'y intéresser et d'étudier le marché – faussement sectaire – et franchement c'est un secteur en devenir, constitué d'une part de boîtes pros qui inondent régulièrement le marché (Edge, Asmodée...) et d'autre part de petites structures qui nourrissent des concepts plus indépendants. Là aussi, la communauté web des rôlistes est d'un engagement déterminant, alimentant les réseaux.
Même la presse, via le zine Casus Belli, retrouve un nouveau souffle.
Pour le Livre Dont Vous Êtes Le Héros, il faut nuancer. Gallimard ayant étrangement abandonné ses séries, se contentant de rééditions au compte goutte, l'offre du marché est indubitablement réduite mais la demande, elle, existe. C'est d'autant plus vrai que nous vivons une époque où l'interactivité est un concept plutôt vendeur pour les jeunes lecteurs, récalcitrants au livre classique. Dans ces conditions, la niche est quasiment vierge, et toute nouveauté est accueillie à bras ouverts. Si demain un gros éditeur, de la trempe de Bragelonne pour exemple, se penche sur le sujet avec une bonne campagne de pub, je prédis le carton assuré.

ActuSF : Quels sont vos prochains dossiers. Que pourra-t-on lire dans les prochains Black Mamba et Héros ?
Laurent Girardon : Pas encore de dossier dans Héros mais on y pense. Quant au  Black Mamba nouvelle génération (sortie mi-mars) il accueillera deux gros dossiers : l'un sur le phénomène incontournable de la Bit-lit et l'autre sur l'œuvre de Milton Caniff, créateur de Terry et les Pirates (réédité par BdArtiste), un travail titanesque que l'on doit à l'ami Claude Ecken.

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