Michel Grimaud : Nous nous sommes rencontrés à Paris, entre deux manifestations du printemps 68, au coin d'un piano. Des amis communs hébergeaient Jean- Louis et mettaient leur piano à la disposition de Marcelle, privée d'instrument à cette époque … Jean-Louis écrivait, le cœur de Marcelle penchait plutôt vers la musique — l'envie d'être heureux ensemble ne tarda pas à les réunir dans l'écriture.
ActuSF : Pourquoi ce pseudonyme de Michel Grimaud ?
Michel Grimaud : Pour suivre docilement les conseils de notre premier directeur de collection, qui semblait gêné de publier un couple "illégitime" (deux noms différents sur la couverture d'un ouvrage pour la jeunesse). Michèle était le second prénom de Marcelle ; Grimaud, le nom du village varois près duquel nous nous apprêtions à nous installer. Nous avons découvert notre pseudonyme définitif en recevant un exemplaire de notre premier livre, Michel Grimaud.
ActuSF : Pourquoi avoir souvent choisit la science fiction ou l'imaginaire en général pour vos romans ? Pourquoi ces genres ?
Michel Grimaud : Sur l'ensemble de nos livres, il n'est pas certain que la SF ou le fantastique occupent la plus grande place, nous avons écrit des textes dans tous les genres littéraires, notamment sur des thèmes contemporains. Néanmoins, c'est vrai, la science fiction et le fantastique nous ont souvent inspirés. L'origine de ce choix doit se
trouver dans l'influence exercée sur nous par le père de Marcelle, grand lecteur de toutes les littératures, qui aimait aussi la science fiction. Il nous l'avait fait découvrir à travers ses classiques dont sa bibliothèque était bien fournie. Nous pouvons dire aussi que le fantastique, grâce aux portes qu'il peut ouvrir sur l'onirisme, convient bien à nos tempéraments.
ActuSF : Vous avez souvent écrit pour la jeunesse mais aussi pour les adultes. Comment choisissiez-vous le public pour lequel vous écriviez une histoire?
Michel Grimaud : Difficile de répondre clairement, sauf peut-être par une boutade : ce sont nos histoires qui choisissaient un public à notre place. Lorsque nous écrivons, nous essayons de ne pas penser au public final. C'est en cours d'écriture qu'un texte se dirige vers les adultes ou plutôt vers les adolescents. Exemple : "le Tyran d'Axilane" nous a paru pouvoir s'adresser aussi bien aux adultes qu'aux jeunes, mais le développer en direction des premiers n'aurait fait qu'altérer la limpidité des symboles qui nous tentaient… Donc, le public jeunesse c'est rapidement imposé à nous. À l'inverse, nous pensions nous diriger vers les adolescents avec "l'Arbre d'or", et c'est qu'en cours d'écriture que nous nous sommes avisés d'un changement d'orientation…
ActuSF : Avec le recul, y a-t-il un livre pour lequel vous avez une certaine tendresse?
Michel Grimaud : La Dame de cuir, pour les adultes. Le Tyran d'Axilane pour la jeunesse.
ActuSF : Parlons un peu de quelques uns de vos romans. Tout d'abord La Dame de Cuir, un roman de SF triste et poignant sur la détresse d'une jeune extraterrestre emmenée loin de chez elle. Vous souvenez-vous de la manière dont ce roman est née ? Qu'aviez-vous envie de dire ou de faire avec ce livre ?
Michel Grimaud : C'est déjà trop loin dans le temps pour vous répondre parfaitement. Notre désir premier était peut-être de tenter d'imaginer ce que pourrait être un moment de la naissance de l'art pour une humanité qui ne l'associerait pas à un besoin de se survivre —qui trouverait dans l'éphémère un geste créatif. Et puis, s'est presque inconsciemment imposé là-dessus un de nos thèmes récurrents : la différence et tout ce qu'il peut contenir de révolte.
ActuSF : L'un de vos romans les plus étonnant est sans doute Malakansâr. Même question, comment est-il né et comment le présenteriez-vous ?
Michel Grimaud : Malakansâr : des villes imaginaires que nous portions en nous, depuis l'enfance peut-être, et l'opportunité de les établir dans un roman, non pas comme des éléments de décors, mais comme des "personnages" — en particulier Estrémonde. Et puis la tentation de mettre en scène un "détournement de destin", qui en soit n'avait rien de nouveau (l'Olympe jouant avec les mortels). Il y avait aussi dans nos motivations la vision d'un avenir où la survie presque indéfinie de quelques uns deviendrait possible, mais inaccessible aux êtres ordinaires. Dans un autre roman, pour la jeunesse, "le Passe monde", nous avons repris le thème du destin dans un autre sens, plus fascinant en fait : celui du hasard qui peut donner à chaque instant, ou presque, un cours différent à la vie du héros.
ActuSF : Pareil pour l'Arbre d'Or. Comment est né ce roman qui est dans un style complètement différent des deux cités plus hait ?
Michel Grimaud : L'Arbre d'or, c'est une fable qui se proposait de stigmatiser le pillage du tiers-monde, nourrie par nos affres privés du moment.
ActuSF : Vous n'avez quasiment jamais écris de cycle mais plutôt des romans indépendants. Pour quel raison ? Vous n'aviez pas envie d'écrire des histoires trop longues ?
Michel Grimaud : Ce n'est pas un choix. Simplement, nous n'avons jamais éprouvé la sensation qu'il restait des choses nouvelles, non répétitives, à ajouter à un texte.
ActuSF : Vous avez écrit ensemble sous le pseudonyme de Michel Grimaud de 1968 à 2000. Que retenez-vous de ces années ? Et si c'était à refaire ?
Michel Grimaud : De belles années, les meilleures. Si c'était à refaire? C'est une bonne question.
ActuSF : Vous avez reçu le Grand Prix de l'Imaginaire pour Le Tyran d'Axilane en 1983. Qu'est-ce que ce prix à représenté pour vous ?
Michel Grimaud : La satisfaction de savoir que nous n'étions pas les seuls à aimer ce texte.
ActuSF : Pourquoi avoir arrêté en 2000 ? Quels sont vos projets ? Avez-vous de nouvelles histoires à raconter ?
Michel Grimaud : Pas vraiment arrêté, nos histoires actuelles ne sont plus en phase avec les goûts du moment, c'est tout.