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Interview de Neal Shusterman pour sa saga La Faucheuse
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Interview de Neal Shusterman pour sa saga La Faucheuse

 

ActuSF : Comment avez-vous eu l’idée de La Faucheuse, un monde où l’humanité est supervisée par un genre de superordinateur Google et a besoin d’une organisation capable de donner la mort ?
 

Neal Shusterman :
Après plusieurs années de franc succès pour les dystopies YA, je voulais faire quelque chose d’un peu différent. Les dystopies parlent généralement d’un monde qui va mal et je désirais voir ce qui se passerait dans un monde où tout se passe bien, c’est-à-dire dans une société où nous obtenons tout ce nous pouvons souhaiter : un monde sans guerre et sans maladies, où l’on serait parvenus à vaincre la mort.

Mais une fois qu’on a dépossédé la nature de la mort, la décision de qui doit vivre et qui doit mourir nous incombe alors. J’ai tâché de trouver la méthode la moins dystopique : en gros, les Faucheurs sont à l’image des Jedi, ils sont les éléments de la société les plus sages et les plus respectés. Tout du moins, c’est ce qu’ils sont censés être…


ActuSF : L’intrigue du premier tome de La Faucheuse est incroyable. Il y a un immense suspense et des retournements de situation à couper le souffle. Comment faites-vous pour instiller un tel suspense tout du long du roman ?
 


Neal Shusterman: Lorsque j’écris, j’ai besoin de m’amuser et d’être constamment stimulé. À chaque fois que je commence à m’ennuyer, je dois faire une pause et réfléchir à un moyen de garder mon attention et celle des lecteurs. Je travaille à partir d’un plan, mais je m’en écarte toujours à mesure que viennent de meilleures idées.


ActuSF : Tous vos romans sont étroitement liés à la mort ou à l’absence de mort. Y a-t-il une raison à cela ? Êtes-vous fasciné par la mort, ou bien en avez-vous terriblement peur ? Parce que quoi qu’on dise, il semblerait que la mort soit le véritable protagoniste de La Faucheuse, qu’elle soit bien ou mal utilisée par les personnages.


Neal Shusterman :
Il semblerait que les thèmes de la mort et de la conscience reviennent régulièrement dans mes livres. Avec La Faucheuse, j’ai plutôt voulu me demander comment serait le monde s’il n’y avait ni souffrance ni peur de la mort. J’ai été vraiment intrigué par la psychologie de l’immortalité.

Dans ce monde-là, peu de personnes sont visitées par les Faucheurs. En réalité, j’ai calculé qu’un individu pouvait vivre jusqu’à 5 000 ans, tout en n’ayant au cours de sa vie que 50 % de chances d’être glané par un Faucheur. Que feriez-vous de votre vie si vous pouviez vivre éternellement et si aucune de vos actions n’avaient d’incidence sur votre condition physique ? Deviendriez-vous casse-cou, sachant que vous ne pouvez pas mourir ? Vous ennuieriez-vous ? Perdriez-vous votre passion pour la vie ? Je voulais explorer toutes ces questions.



ActuSF : Le sujet principal de La Faucheuse est très singulier, délicat et même difficile à aborder, pour des raisons évidentes, mais vous abordez également la question de la moralité. Maître Faraday et Dame Curie s’interrogent longuement sur ce qui est bien et ce qui est mal, tandis que Maître Goddard est décrit comme un monstre, même par l’un de ses propres partisans. La question de la moralité est-elle chère à vos yeux, et pourquoi ?
 

Neal SHusterman : Oui, j’évoque toujours des questions éthiques et morales dans mes romans. Je ne donne pas de réponses, je ne fais que poser des questions.

Selon moi, les seules questions qui valent la peine d’être posées sont celles qui n’ont pas de réponse simple, et je ne veux pas prétendre avoir les bonnes réponses. Mon objectif est de trouver des moyens originaux de poser ces questions.

Les bons Faucheurs sont toujours en train de s’interroger et de réfléchir à la moralité de leurs actes – ce que devraient faire tous ceux qui exercent le pouvoir. Même si malheureusement, les personnes au pouvoir agissent souvent de façon contraire à l’éthique, nous devrions toujours nous efforcer d’avoir des dirigeants et des décideurs clairvoyants, qui cherchent vraiment à œuvrer pour le bien de tous. Dans le monde dans lequel nous vivons, c’est extrêmement frustrant et effrayant de voir des individus accéder à un pouvoir qu’ils ne méritent pas.

On retrouve le même problème dans La Faucheuse. Ainsi, ce livre reflète des problématiques actuelles, même s’il s’agit d’un roman de science-fiction.
 

ActuSF : Contrairement aux dystopies publiées ces trente dernières années, les héros de La Faucheuse suivent les règles d’une société établie, qui aident à faire respecter la loi. Il ne s’agit pas de méchants qui transgressent ces règles. Mais ce qui est intéressant dans le monde que vous avez construit, c’est qu’il présente de nombreuses caractéristiques en commun avec ces dystopies : un monde stérile et contrôlé où les hommes n’ont qu’une illusion de la liberté.

Aviez-vous conscience d’adopter un point de vue très original ?

Si oui, pourquoi avez-vous choisi une approche totalement différente pour ce genre de science-fiction dans lequel les héros se révoltent contre la tyrannie ?
 


Neal Shusterman : J’ai délibérément opté pour le point de vue opposé, car j’ai toujours été un écrivain qui va à l’encontre de ce qui est fait habituellement.

Je souhaite offrir une nouvelle perspective. Si la liberté dans La Faucheuse est une illusion, cela signifie que toute liberté est une illusion – car dans La Faucheuse, les gens jouissent d’une liberté absolue. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, être la personne qu’ils veulent, tant que cela ne porte pas atteinte aux droits des autres. La seule chose qu’ils n’ont pas le droit de faire est de mettre fin à leur propre vie.


 

ActuSF : La question suivante est liée à la précédente : le monde de La Faucheuse sera-t-il remis en cause par les héros ou les Tonistes, pour qui la nature est plus importante que les hommes et leur autorité arbitraire ?


Neal Shusterman : Il y a un passage dans le deuxième tome, Thunderhead, où j’avance que la nature est bien plus cruelle et injuste que n’importe quelle action humaine.

La nature tue les faibles, récompense les violents et ne montre aucune compassion pour ceux qui souffrent. Est-ce préférable à un monde dirigé par une intelligence artificielle parfaite ?

Je pose à nouveau cette question, mais je ne donne aucune réponse. Mais pour répondre à votre question, oui, le monde sera remis en cause par nos héros et par des groupes tels que les Tonistes – ce qui ne veut pas dire qu’ils ont raison. Les Tonistes ont eux aussi des défauts, et je ne doute pas une seconde que si le monde dont ils rêvent venait à voir le jour, il ne serait en aucun cas meilleur que le monde du Thunderhead.
 


ActuSF : Réfléchissez-vous souvent au vrai sens de l’humanité, à l’instar de Dame Curie ?

Neal Shusterman : Constamment. Tous les jours. Les questions que je me pose sont celles qui apparaissent dans mes livres. Je dois être un peu philosophe sur les bords.

 

ActuSF : Le Thunderhead est un « personnage » intéressant, principalement car vous décrivez cette entité de façon positive dans le premier tome. C’est particulièrement rare d’avoir une dystopie où la technologie n’est pas considérée comme potentiellement mortelle pour les humains. En réalité, seriez-vous aussi confiant que Citra et Rowan, ou seriez-vous au contraire anxieux à l’idée d’une humanité contrôlée par l’intelligence artificielle ?


Neal Shusterman : Dans les dystopies, l’intelligence artificielle est toujours considérée comme une menace. C’est pourquoi je voulais dès le départ partir du point de vue opposé. Dans le monde de La Faucheuse, l’IA est parfaite. Et il ne s’agit pas que d’une simple intelligence artificielle : nous avons créé un Dieu artificiel, qui nous aime, souhaite nous protéger et nous aide à révéler le meilleur de chacun d’entre nous.

Malheureusement, nous ne pouvons pas nous protéger de nous-mêmes. Est-ce que je pense que l’IA sera aussi puissante à l’avenir ? Je crois que comme toutes les technologies, il y a des points positifs et des points négatifs. Chaque aspect positif compte son lot d’inconvénients. C’est très prometteur, mais en même temps très effrayant.



ActuSF : Quel livre recommanderiez-vous aux lecteurs qui ont lu et adoré La Faucheuse ?

 

Neal Shusterman : Je conseillerais la série Les Fragmentés. Il s’agit également d’une histoire futuriste bourrée de questions éthiques et sociétales.



ActuSF : Vous êtes actuellement en train d’écrire le troisième et dernier tome de la saga. Est-ce que vos fans influencent votre travail ? Comment maintenez-vous une séparation entre votre histoire, l’écriture, la direction que vous voulez prendre et les attentes de vos lecteurs ? Vous arrive-t-il de lire des théories de fans sur la suite de l’histoire ?
 


Neal Shusterman : Oui, les fans influencent les romans. Ils ne modifient pas totalement la direction que j’ai choisi de prendre, mais peuvent déterminer sur quels personnages je me focaliserai en priorité.

Certains personnages de mes livres sont très appréciés des fans. Les lecteurs veulent en apprendre plus sur eux, donc j’essaie de développer davantage ces personnages dans le prochain tome.
 

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