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Interview de Nicolas Le Breton
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Interview de Nicolas Le Breton

Actusf : Pour la plupart des lecteurs de littératures de l'imaginaire, votre nom est celui d'un nouvel auteur, mais vous avez déjà quelques ouvrages derrière vous, n'est-ce pas ?
Nicolas Le Breton : Tout à fait. J'ai commis quelques livres sur Lyon (je suis par ailleurs guide et conférencier de la ville) : un beau livre, un recueil sur les « grands criminels lyonnais » chez Ouest-France, et surtout une trilogie de polars médiévaux, la Geste de Lyon, qui se déroulent entre les années 1305 à 1320. Mais les littératures de l'imaginaire sont, en quelque sorte, mon bercail, ma maison.

Actusf : De l'historique à l'imaginaire, comment s'est faite votre transition ?
Nicolas Le Breton : Sans hésitation, ni questionnement en fait. Disons que je mettais déjà de l'imaginaire dans mon historique… il ne me restait qu'à mettre de l'historique dans mon imaginaire. Plus sérieusement, la démarche d'écriture n'est pas si dissemblable entre l'un et l'autre. Après tout, il s'agit de développer un récit dans un monde éloigné du lecteur, de donner des clefs sans être didactique. De rendre, le mieux possible, le flux vivant des aventures humaines dans un contexte étranger. - Vous avez publié un livre sur certains grands criminels, la présence de Bonnot dans votre roman provient de là ? Oui, c'est à la fois un clin d'œil (le recueil des « grands criminels » termine avec Bonnot, les Âmes envolées commencent avec une mort de Bonnot… mais une mort fort différente), et c'est, en même temps, une sorte de métaphore. L'idée qui est à la base des Âmes envolées, c'est que l'Histoire est une illusion. Car après tout, un grain de sable au bon endroit n'est-il pas suffisant à en changer le cours en un instant ?

Actusf : Les Âmes envolées faisant la part belle à des personnages historiques, quelle fut la part de la documentation dans votre travail ?
Nicolas Le Breton : Assez énorme ! Je voulais absolument que les personnages « sonnent » juste et que, même tirés de leur contexte historique dirons-nous… normal, ils réagissent de manière crédible. Pour cela une seule solution : s'imprégner, s'imprégner… Ce livre, c'est aussi la rencontre de personnalités aussi diverses que Louis Lépine, Alexandra David-Néel, le chirurgien nobellisé Alexis Carrel ou Aleister Crowley… Cela suppose de passer à travers des biographies sur le personnage, et des écrits qu'ils ont pu laisser. En plus de cela, il y a le contexte : l'histoire sociale des années 1910, le déroulement de la guerre. Pour dérouter la grande Histoire de sa trajectoire, il faut la maîtriser un minimum, non ?

Actusf :  Pourquoi le Tibet ?
Nicolas Le Breton : À cause d'un roman extraordinaire, lu il y a quelques années de cela : Lost Horizon, de James Hilton, roman qui initia le mythe de Shangri-La en son temps (c'est-à-dire, avant la Seconde Guerre mondiale). Immédiatement, quand le projet est né avec mon éditeur, d'un roman de steampunk, je ne sais pas d'où l'idée m'est venue, de passer par cette cité perdue au cœur de l'Himalaya, mais une fois sortie de sa boîte, elle ne me quittait plus : si je devais faire un roman steam, mes héros se devaient de visiter Shangri-La ! Dont acte… mais je n'en dis pas plus.

Actusf : Vous êtes amateur de steampunk, vous en lisez ?
Nicolas Le Breton : D'abord, avant tout, comme beaucoup d'autres, je suis un enfant de Jules Verne. Les Aventures Extraordinaires ont bercé mon enfance, mon adolescence… et n'ont pas cessé avec l'âge adulte. Je reste très marqué par des classiques de bande dessinée tels qu'Adèle Blanc-Sec, des films tels la Cité des Enfants Perdus, les films de Miyazaki… Ah, et Pagel ! L'Équilibre des Paradoxes… Sinon, m'ayant marqué récemment, un classique du genre steampunk : Homunculus, de James P. Blaylock. Mes influences à la base sont surtout science-fictives : Lovecraft, F. Herbert, Genefort, K.S. Robinson, tant d'autres. Hors du steampunk et approchants, je navigue entre romans historiques, policiers, littérature XIXe et XXe siècle (je suis « Huysmansomâne »)… là, il y en aurait trop à citer ! Quoiqu'il en soit, je refuse de me cantonner à un genre particulier. Il y a des chef-d'œuvre dans tous les genres de littérature, il suffit de les dénicher… - Le travail sur l'esthétique, l'atmosphère vraiment spécifiquement steampunk, est important dans votre roman, avez-vous eu des influences en ce domaine ? Outre l'imagination purement uchronique, et le contexte dérivé de l'histoire réelle, je suis parti de l'esthétique steampunk, justement. Mon approche a été d'extrapoler à partir d'éléments iconiques, et de leur donner une véritable raison d'être dans le roman. Par exemple : les lunettes d'aviateur., omniprésentes dans tout costume steam, un vrai « gimmick ». Sans trop en révéler de l'intrigue, elles en sont devenues un élément-clef, car une certaine paire à double foyer permet de révéler une mystérieuse source d'énergie… De même les corsets victoriens, devenus corsets d'amarrage, etc. Le plus frappant en fait, c'est que je n'ai pas fait cela tout à fait consciemment au début. C'est juste venu… naturellement. Je dois avoir un peu de vapeur dans les veines, je crois.

Actusf : Comment considérez-vous le steampunk, en tant que genre ?
Nicolas Le Breton : Un génial machin multiforme, déjanté et sans queue ni tête, semblerait-il de prime abord. Mais qui dit, au fond, tellement de choses sur notre époque. Nous sommes enfants d'un monde multipolaire, multi-identitaire (n'en déplaise aux abrutis et aux fanatiques). Nous sommes une génération qui a devant ses yeux un accès au passé humain jamais vu jusque là, disposant d'une amplitude de voyages impensable quelques générations auparavant, si l'on y songe. Chaque seconde qui passe est un choix de vie, entre plusieurs identités sociales qui doivent cohabiter, nous tiraillent et pourtant rendent notre vie si riche et intéressante. Il n'y a plus une morale simple et unique, mais des morales diverses qui s'opposent irréductiblement, se chevauchent ou s'ignorent royalement. Une intuition qu'a eu justement Michael Moorcock, dans Seigneur des Airs, une roman proto-steampunk des années 1980. Le steampunk, tel que je le perçois du moins, c'est un pied de nez à tout cela. Mi-ironique, mi-sérieux. Vos certitudes, je les uchronise ! Je les rétrofuturise ! On ne changera peut-être pas le monde, mais on peut le renverser par la pensée, et l'imaginaire. Quant à la littérature, de même, le steampunk est un fourre-tout. Mais d'abord, qu'est-ce qui empêcherait de mêler dans un même roman une intrigue policière et une aventure d'explorateur ? De l'horreur lovecraftienne et des romances décalées ? Tout le monde connaît ces genres séparément, leurs codes, leurs limites, désormais. L'époque appelle le mixeur ! C'est cela qui est génial avec le steampunk… on peut tout mêler ! Faire du papier mâché avec les étiquettes, et tout faire flamber. Le tout étant de le faire avec une certaine hmm… élégance ? Jetons le mot ! Pour moi, le steampunk, c'est une synthèse moqueuse, et pourtant diablement profonde, significative, voilà.

Actusf : On note une sorte de sous-titre, « Pax Germanica », sans explication sur le volume : doit-on comprendre que votre roman va s'inscrire dans un cycle ?
Nicolas Le Breton : On le peut. Le cerveau est en gestation, un nouveau carnet est ouvert, griffonné régulièrement. Les livres s'accumulent pour la documentation... ce premier tome appelle une suite. Non : impose une suite. Le lecteur comprendra où on se dirige à la toute fin des Âmes Envolées ; j'ai, pour ma part, hâte d'explorer ce monde nouveau qui s'ouvre dès lors. Et retrouver ses personnages, qui ne m'ont pas tout à fait quitté.

Actusf : Au-delà de ce roman, vous êtes impliqué dans un musée, pouvez-vous nous en parler un peu ?
Nicolas Le Breton : Avec d'autres professionnels, nous nous sommes fixés pour tâche de sauver le musée Testut-Latarjet, situé actuellement dans la faculté de Médecine de Lyon. C'est un lieu unique, un véritable cabinet de curiosités à l'ancienne, des « comme on en fait plus », où l'on trouve, dans de vieilles vitrines boisées, écorchés de cire et fœtus monstrueux en bocaux de verre ; squelettes de condamnés, de nains ou d'eunuques ; une momie égyptienne, de véritable têtes réduites… Il y a des collections d'anatomie, d'anthropologie criminelle, une collection de jouets sado-masochistes anciens… L'endroit doit trouver un lieu et des mécènes afin de survivre, car il doit quitter ses murs à la fin de l'année prochaine. Il se trouve sans point de chute à l'heure actuelle. Tous ces trésors risquent de se perdre ! Pour la science, pour la culture populaire comme savante, nous ne pouvons pas nous résoudre à voir disparaître ces pièces inestimables pour la plupart, fruit de deux cent cinquante années de sauvegarde et de passion curieuse… Si vous passez par Lyon, venez assister aux soirées destinées à refinancer le Musée (il y en aura une par mois avec des thèmes comme : affaires criminelles, monstres et chimères, etc.), « likez » la page facebook. En plus de tout… qu'est-ce que ce musée est steampunk !

Actusf : Vous êtes plutôt chapeau melon ou haut de forme ?
Nicolas Le Breton : J'ai une tête à haut-de-forme, pour avoir essayé les deux. Mais je ne désespère pas de faire un jour l'acquisition d'un chapeau melon… blindé.

 

 

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Les âmes envolées de Nicolas Le Breton, roman steampunk

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