- le  
Interview de Olivier Girard
Commenter

Interview de Olivier Girard

ActuSF : Puisqu'on parle de piliers, on a évoqué Gilles Dumay et Pierre-Paul Durastanti, mais il y a aussi des vétérans dans les colonnes de Bifrost dans la partie "Carnets de bord". Pierre Stolze, Philippe Heurtel, Philippe Paygnard, André-François Ruaud... ils ont tous longtemps tenu (et continuent à le faire pour certains) des rubriques comme Super les héros !, Scientifiction, Les Petits maîtres de la SF... Cette partie "étude" était importante pour toi ?
Olivier Girard : Bien sûr, oui, et elle continue de l'être - il y aura par exemple, dans le numéro 43, un formidable article sur les villes dans les œuvres de science-fiction, un long papier signé par Alain Musset, professeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Cette partie étude, dans Bifrost, se divise en deux grands groupes d'articles et/ou de rubriques. Une partie, disons, plus historique, qui aborde l'histoire des genres, des auteurs, du domaine, l'autre plus scientifique (l'article de Musset appartient est à la croisée de ces deux volets). La dimension scientifique est inhérente à la science-fiction (jusque dans son intitulé). De même, les littératures de genre ont une histoire, des maîtres, des courants, des sous-genres. Il est tout naturelle que cette double dimension, à la fois historique et scientifique, se retrouve dans Bifrost.

ActuSF : Et puis, évoquons aussi deux personnes qui ont un statut un peu à part dans l'histoire de Bifrost. Thibaud Eliroff, aujourd'hui directeur de collection chez J'ai lu, et Philippe Gady, illustrateur. Comment ont-ils contribué à Bifrost tous les deux et quels liens gardes-tu avec eux ?
Olivier Girard : Ils font tous les deux partie des vrais amis que m'a apporté le milieu de l'édition. Philippe est associé aux capital des éditions du Bélial'. Il s'occupe encore aujourd'hui de tout ce qui est quadri en termes de maquette de nos livres, Bifrost compris (quand il ne réalise pas carrément les couvertures, comme pour L.G.M. de R.C. Wagner ou le Bifrost n°42). C'est aussi lui qui a créé la titraille de la revue, modernisé le logo des éditions, etc. Lors du second dépôt de bilan de notre distributeur, nous nous sommes retrouvés dans l'impossibilité de publier le moindre bouquin pendant pas loin de huit mois (nous étions contractuellement liés avec une société qui ne pouvait structurellement plus assurer notre distribution, mais qui gardait notre stock sous scellés et nous interdisait de trouver un autre distributeur !). Bref, nous étions à deux doigts de crever. Heureusement, nous avons alors développé, avec Philippe, une activé de création publicitaire au sein du Bélial'. C'est cette activité (assumée par Philippe) qui nous a fait vivre pendant toute cette période. Sans cela, le Bélial' n'existerait probablement plus aujourd'hui, et c'est à Philippe que je le dois, ce que je ne suis pas prêt d'oublier. Nous avons ensemble traversé des trucs difficiles au Bélial', nous nous sommes mutuellement soutenus, et c'était pas du luxe.
Pour Thibaud, c'est différent. Il est venu faire un stage au bureau, pendant trois ou quatre mois, je crois, ce bien après cette période cruciale pour les éditions du Bélial'. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus. Il était super enthousiaste mais de manière assez rentrée, alors que moi je suis plutôt du genre à parler fort et faire de grands gestes. Le contraste était marrant. Il était aussi hyper polyvalent, ce qui m'étonnait de la part d'un stagiaire, surtout aussi jeune. Il s'est vite tapé les relectures, une partie des maquettes, quelques traductions, même, jusqu'à des critiques dans la revue. Thibaud est un mec bien. Probablement un peu têtu (moins que moi, tout de même), mais un mec bien. Aussi, quand Sébastien Guillot a quitté Folio SF, j'ai tenté de le mettre sur le coup du mieux que j'ai pu. Ça a fonctionné, et c'est tant mieux. Il vient aujourd'hui d'arriver chez J'ai Lu, probablement un poste et une collection qui lui conviennent à mon sens davantage, et j'en suis ravi.

ActuSF : Tout de suite, tu as eu quelques belles plumes de la SF française. Serge Lehman, Jean-Jacques NGuyen, Sylvie Denis, Jean-Claude Dunyach, Roland C.Wagner... les auteurs ont l'air d'avoir tout de suite adhéré à la revue... Est-ce vrai ? Et est-ce qu'on peut dire que par la suite, Bifrost est devenue un peu le passage "obligé" ou le rendez-vous de la SF française ?
Olivier Girard : Oui, les auteurs ont pas mal adhéré, mais en même temps il ne faut pas oublier qu'ils n'avaient guère de choix ! A l'époque, en 1996, publier des nouvelles en France, c'était extrêmement difficile, du fait même de l'absence de supports (aujourd'hui, c'est toujours pas la joie, mais c'est bien moins pire !). Bifrost est le passage obligé de rien du tout. Ni le rendez-vous de quoi que ce soit. Il faut être réaliste : il me semble que si Bifrost est devenue une référence, c'est d'abord du fais de sa longévité. On pourrait rétorquer que sa longévité vient de sa qualité, mais je crois qu'elle vient surtout du plaisir que j'ai à faire la revue, et du caractère quasi sacré de l'espace de liberté d'expression qu'elle représente pour moi. Une liberté acquise en dix ans de combats, rien de moins. Et je suis prêt en rempiler pour dix ans de plus.

ActuSF : Parlons des nouvelles étrangères. Très vite, là aussi, tu as eu quelques grosses pointures comme Stephen Baxter, Roger Zelazny, Greg Egan (tous les trois dans les 11 premiers numéros). Là aussi, on a le sentiment que ça a été très vite pour Bifrost. C'était une volonté dès le départ ? Et comment les choses se sont-elles mises en place ?
Olivier Girard : Volonté de publier de bons auteurs, tu veux dire ? Ben oui, évidemment ! Mais il faut bien prendre conscience d'une chose : le vivier de bons textes anglo-saxons est quasiment inépuisable, du fait même de la multiplicité de leurs supports de publications depuis des décennies et, en regard, de la pauvreté des supports dans l'Hexagone. Tu veux publier Greg Egan parce que tu as lu une de ses géniales nouvelles dans Interzone ? C'est pas compliqué ! Tu contactes l'agence Hoffman, qui représente l'auteur en France, et tu proposes 80 euros pour les droits du texte dans ta revue. Te reste plus qu'à traduire, et à mettre au four de l'impression pour servir bien chaud à tes lecteurs. Franchement, publier de bons textes anglo-saxons, pour peu que tu aies un minimum de goût et que tu ne sois pas totalement décérébré, c'est la moindre des choses. Publier de bons textes francophones, c'est ça le véritable enjeu, c'est là que l'on distingue un véritable éditeur d'un opportuniste à deux balles. Sur les textes étrangers, l'enjeu, c'est la traduction. Pour les textes francophones, l'enjeu, c'est de savoir travailler avec un auteur, savoir le faire aller dans la bonne direction, bonifier, resserrer. C'est là que ça se passe, et pas ailleurs.

ActuSF : D'ailleurs, y'a-t-il une nouvelle ou un auteur que tu sois particulièrement fier d'avoir édité ? Chez les Anglo-Saxons comme chez les Français ?
Olivier Girard : Je suis fier de tous les textes publiés dans Bifrost, sans exception. Je suis fier d'avoir contribué à l'émergence d'une génération d'auteurs francophones particulièrement remarquable, tant en qualité qu'en nombre, de maintenir dans chaque numéro le lien entre cette génération et la précédente en publiant par exemple, Berthelot aux côtés d'Imbert dans le dernier Bifrost, fier d'avoir publié Clifford Simak et Jack Vance (des rêves de gosse), fier à l'idée que faire cette revue m'amène à dîner avec Michael Moorcock quand il vient sur Paris, fier d'avoir publié Bishop, Egan, Silverberg et tous les autres, fier de tout, en fait. Si si.

ActuSF : Quels ont été les tournants pour toi dans ces dix ans de Bifrost ? Je pense notamment au premier numéro spécial Philip K.Dick qui donnera ensuite les Hors séries, au numéro 14 avec un nombre de pages qui explose, au numéro 21 avec une seule nouvelle au sommaire, celle de Thomas Day, au 22, le spécial Simak, le spécial Uchronie, etc...
Olivier Girard : Je sais pas. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait vraiment eu de tournants. Plutôt une continuité assez remarquable. Certains numéros sont plus particuliers que d'autres, du fait de leurs dossiers, de leurs sommaires… Mais des tournants, non, je ne vois pas.

ActuSF : Il y a eu aussi un moment important, avec une espèce de tour de table des grands acteurs de la SF d'hier en France. Les Demuth, Curval, Klein... Pourquoi l'avoir fait et en as-tu tiré quelque chose pour ton métier d'éditeur ?
Olivier Girard : Ça, ce n'est pas un " moment ", c'est l'esprit même de Bifrost, et ça fait plusieurs années que ça dure. Faire parler les grands acteurs du domaine dans nos pages, et surtout leur donner l'espace suffisant pour qu'ils s'expriment en toute liberté. Ça rejoint le côté historique que j'évoquais plus haut. La SF, dans l'acception moderne du terme, est un genre plutôt jeune, et son histoire en France ne remonte pas bien loin. Nous avons la chance que certains des plus grands acteurs du mouvement soient encore vivants, ou en tous cas, pour certains, l'étaient au moment ou nous les avons sollicités (je pense à Stephen Wul, Jacques Chambon ou encore, tout récemment et malheureusement, Jean-Pierre Hubert). C'est toujours l'idée du lien. Le lien entre les générations, générations de lecteurs, d'auteurs, d'éditeurs. C'est pour moi fondamental. Et puis, j'adore les trajectoires de vies. Dans ces très longues interviews, on entre dans l'intimité de ces grands auteurs et/ou éditeurs, et je trouve ça passionnant. Le prochain à passer à la " question " sera Gérard Klein, qui nous a promis pour l'occasion une nouvelle inédite. Ce sera assurément un grand moment…

ActuSF : Allez, une question pour les collectionneurs. Le fameux numéro 9. Tu es sûr qu'il ne t'en reste pas quelques exemplaires cachés chez toi ? Et comptes-tu un jour le rééditer ?
Olivier Girard : Non, je n'en ai vraiment plus. J'ai un copain qui a vendu le sien à un collectionneur pour 100 euros ! C'est assez marrant. Il y a quelques mois, un lecteur m'en a envoyé un. Il l'avait acheté en solde je ne sais plus dans quel coin de province. C'était vraiment gentil. Je l'ai donné à Richard Comballot, qui m'emmerdait depuis des mois pour l'avoir ! Je n'en ai donc plus qu'un, le mien, et celui-là, je le garde ! Quant à le rééditer, non, probablement pas. Ou en tout cas pas dans l'immédiat. Question de coût. Ceci dit, le n°2 est lui aussi épuisé, tout comme le 13, il me semble. Il y a d'ailleurs 5 ou 6 autres numéros qui ne sont pas loin de la zone rouge…

ActuSF : Parle-nous un peu des Hors séries de Bifrost. Comment est née l'idée ? Comment avez-vous choisi les auteurs ? Et y en aura-t-il d'autres ? Le dernier date d'octobre 2003 ?
Olivier Girard : Pour les hors séries, l'idée était de plus ou moins renouer avec l'esprit des " Livres d'or " de Pocket. Proposer de temps en temps une monographie sur un auteur, étude qui serait à la fois constituée de textes inédits, mais aussi d'un large dossier critique se voulant autant une initiation qu'un outil pour le spécialiste. C'est Pierre-Paul qui a lancé le projet, et c'est lui qui s'y est collé. C'est un boulot assez considérable, qui nécessite de nombreux collaborateurs. Et oui, il y en aura d'autres, le prochain étant consacré à Robert Silverberg. Quand sortira-t-il ? Pierre-Paul nous le promet pour la fin d'année 2006. Pour ma part, je l'ai déjà tellement annoncé que je préfère désormais ne plus rien dire. On verra. Seule chose que je sais, c'est que ce hors série Silverberg est pas mal avancé. Après, nous avons une liste d'auteurs longue comme le bras : Heinlein, Clarke, Sturgeon, Herbert, Ballard… Il faut bien réaliser que ces dossiers représentent un travail énorme (rien que pour Silverberg, par exemple, imaginez un peu la biblio !). Mais c'est aussi passionnant, et commercialement intéressant. Bref, on sortira tout ça à notre rythme, mais on le fera.

ActuSF : Evoquons quelque chose qui fait toujours parler : les Razzies. Comment globalement les décernez-vous ? Et comment en général les gens concernés le prennent ? D'ailleurs comment est née l'idée ?
Olivier Girard : L'idée n'est pas de moi, mais de Gilles Dumay (comme l'essentiel des saloperies qu'on peut trouver dans Bifrost, d'ailleurs !). Et les Razzies ne sont pas nés dans Bifrost, mais dans l'anthologie périodique Etoiles Vives. Quand, pour des raisons financières, nous avons abandonné ce titre après neuf numéros, j'ai trouvé dommage que ces fameux Razzies partent à la trappe, et j'ai alors signifié à Gilles mon envie de les rapatrier dans Bifrost. Evidemment, il était plutôt pour, le lascar ! Alors voilà, c'est venu comme ça. Depuis, tous les ans, dans chaque premier numéro de l'année, nous publions nos " prix du pire ". Pour les décerner, c'est assez simple. Le jury est constitué de trois personnes : Gilles, Patrick Imbert et moi. Nous prenons des notes au fil de l'année. Début décembre, nous faisons une petite bouffe tous les trois, toujours dans le même restau, où nous débarquons chacun avec notre liste. L'idée, c'est de mettre nos listes en commun. Chaque nom inscrit sur chaque liste représente un nominé qui sera cité dans Bifrost. L'idée de base, c'est que le nom qu'on retrouve le plus sur chacune des trois listes remporte le prix. Ça, c'est le principe. Dans les faits, on gueule comme des dingues, on défend sa position, bref, on palabre pendant des plombes. Et puis, surtout, on rigole comme des fous ! D'autant que moi je m'en tape, j'ai un droit de veto, parce qu'après tout c'est moi le chef ! Les Razzies, c'est une vaste blague, une grosse déconnade pour se moquer de certaines pratiques du milieu éditorial, faire dégonfler le melon de certains et aussi se foutre de nous-mêmes (sur les trois membres du jury il y a deux éditeurs, ce qui ne nous empêche pas de nous retrouver régulièrement dans les nominés, voir les lauréats !). C'est un prix bête et méchant. Sauf que souvent, les nominés oublient le côté bête pour ne se préoccuper que de l'aspect méchant - bien réel, il faut l'avouer, mais c'est ça qui est marrant. Et parfois, oui, les gens le prennent assez mal. Il existe pas mal d'anecdotes autour des Razzies, dont certaines dont je n'ai pas le droit de parler. Ce qui est sûr, c'est que lorsqu'on dit qu'Alexis Aubenque écrit comme une patate, que ses bouquins sont totalement foireux et que le fait de s'auto-éditer puis de se mettre en " coup de cœur libraire " dans le propre rayon SF de la Fnac dont on s'occupe, c'est tout de même la grande classe, eh ben, tu peux me croire, le chiffre d'affaire du Bélial' et de la revue Bifrost chute assez puissamment dans ladite Fnac… Mais ceci dit, des réactions comme ça, genre épidermique, y a pas que les Razzies qui les génèrent. De simple critiques dans nos colonnes suffisent de temps en temps à ce qu'on me menace de me casser la gueule…

ActuSF : Dès le début, il y a eu des pseudos dans Bifrost. Org, Cid vicious... Pourquoi en avoir pris ? Et as-tu pensé un jour à ne plus les utiliser ?
Olivier Girard : Ne plus les utiliser, non, certainement pas. Org, c'est moi. Je n'en ai jamais fait mystère, et ce n'est d'ailleurs pas réellement un pseudo, mais plus une abréviation de mon nom. Et fait, j'ai à l'origine choisi de signer l'essentiel de mes critiques sous cette abréviation davantage par esprit de discrétion (ça m'emmerdait de voir mon nom depuis l'édito de la revue jusque sous les critiques dans chaque numéro) que par volonté de dissimulation. Cid Vicious, c'est autre chose. Bifrost se veut une revue animée par des gens qui savent de quoi ils parlent, c'est entendu. Mais Bifrost, c'est aussi une revue qui prend position. Il y a des trucs qui nous énervent, à la fois en tant que lecteurs, mais aussi en tant qu'acteurs du milieu. Cid Vicious, c'est la personnification de cet énervement. C'est un pseudo tournant. Il n'appartient à personne, si ce n'est à Bifrost. C'est le côté obscur de la revue, si on veut. Ceci dit, il n'y a pas que Vicious à faire des critiques incendiaires dans la revue. Il suffit de lire certains papiers de Sandrine Grenier, Sylvie Burigana, Xavier Mauméjean ou encore Jean-Pierre Lion pour s'en convaincre. Sans parler ce certains de mes éditos…

ActuSF : Au bout de 10 ans, quel est l'état des lieux de Bifrost ? Est-ce que les ventes te satisfont et comment vois-tu la revue évoluer dans l'avenir ?
Olivier Girard : L'état des lieux, j'en sais rien. J'ai déjà annoncé les chiffres dans l'édito du numéro anniversaire. Ils sont ce qu'ils sont, mais ils suffisent à faire vivre la revue. Je veux dire par là que la revue est financièrement autonome des éditions du Bélial'. Pour le reste… Une revue telle que Bifrost, c'est-à-dire un support de spécialistes, n'a pas des horizons de ventes énormes. L'idéal serait de monter vers les 800 abonnés et des ventes en librairie autour de 1500 en moyenne. Soit un tirage régulier de 3000 exemplaires (nous tirons actuellement parfois à 3000, mais c'est exceptionnel). Avec de tels chiffres, qui me semblent assez envisageables, la revue passerait du statut de l'autosuffisance à la rentabilité. Je ne doute pas que nous y arrivions, mais ça prendra du temps. Quant à l'évolution du titre du point de vue du contenu, je n'envisage aucune révolution. Bifrost se bonifie avec le temps, et ça continuera. Tranquillement. Mais Bifrost restera toujours une revue littéraire, une revue de spécialistes, et une revue de râleurs… Seul truc certain, c'est que quand je décide aujourd'hui de faire une numéro de 400 pages pour fêter notre anniversaire, je peux me le permettre parce que j'ai les moyens de payer mon imprimeur. C'est déjà pas si mal et ça n'a pas toujours été le cas, tu peux me croire…

ActuSF : Tiens, un petit mot sur la SF. Quel regard portes-tu sur le petit monde de la SF ? Et sur la SF française ?
Olivier Girard : Le monde de la SF ? Difficile à dire. Difficile d'être véritablement partial, en tous cas. En dix ans, ce monde est devenu est bonne part de ma vie. Il m'a apporté mes meilleurs amis, une quasi fratrie : Gilles, Pierre-Paul, Philippe… et aussi, bien sûr et surtout, ma femme, Bénédicte Lombardo, qui s'occupe de la SF chez Pocket et au Fleuve Noir. Ces dix années d'édition m'ont donc énormément donné, je suis tous les jours, dans mon quotidien même, porté par cet apport exceptionnel. Ma profession m'a amené à rencontrer des gens formidables, des gens avec qui, au fil du temps, j'ai noué des amitiés solides, et avec qui je ressens une vraie communauté d'esprit, je pense notamment à Ugo Bellagamba, Johan Heliot, Serge Lehman, Xavier Mauméjean, Thierry Di Rollo, ou encore Catherine Dufour. La liste est loin d'être exhaustive. Comme tu le constates, mon rapport avec le milieu passe pas mal par l'affectif… Le monde de la SF, je l'ai déjà dit, me semble tout à fait ouvert, probablement plus encore maintenant qu'il ne l'était il y a une dizaine d'années. Le lectorat s'est féminisé, a rajeuni aussi, ce qui est probablement dû à l'apport de la fantasy et aux succès des collections jeunesse. Pour ce qui est de le SF française, il me semble qu'en dix ans, une génération exceptionnelle a achevé d'émerger. Je ne suis pas certain qu'il y ait jamais eu une telle diversité de talents dans l'histoire du domaine en France. Ceci dit, si on parle de la SF en particulier, le genre a, d'une manière générale, beaucoup souffert de l'incongruité des politiques éditoriales menées sur la fantasy de la part de nombreux éditeurs. Bragelonne a, en quelques années, réussi à faire ce que quelques-uns essayaient de faire depuis des années : fédérer un véritable lectorat autour de la fantasy. Ce succès remarquable, étayé par une politique commerciale agressive et une ambition hégémonique affichée, a généré, en écho, quantité d'entreprises déplorables autour de la fantasy, initiatives qui ont totalement saturé le domaine en cinq ans (la dernière en date étant Point " Fantasy " au Seuil, une énième collection spécialisée). Qu'on le veuille ou pas, cette surproduction qualitativement consternante a débordé de ses espaces dédiés, jusqu'à étouffer la SF en librairies. Trop de livres tuent le livre. Vieille chanson, certes, en son temps chantée par Jérôme Lindon, mais sacrément d'actualité en littératures de genre. Ceci dit, la tendance fait actuellement mine de s'inverser. Les ventes en fantasy se tassent, quand elles ne s'effondrent pas, et, dans ce marasme, quelques bons livres de vraie SF tirent leur épingle du jeu… C'est une histoire d'équilibre. Je n'ai aucun problème avec la fantasy, mais, en revanche, j'en ai un sérieux avec les mauvais livres. Et côté mauvais livres, ces derniers temps, il faut bien reconnaître qu'on a été servi avec la fantasy. L'équilibre, j'y reviens, a été connement rompu pendant quelque temps, mais je pense que tout ça se stabilisera dans les mois/années qui viennent, et ça en laissera quelques-uns sur le carreau, c'est certain. Enfin, du point de vue plus spécifique des auteurs francophones, il me semble qu'ils ont une carte à jouer en SF. La Brèche de Christophe Lambert, La Horde du Contrevent d'Alain Damasio, le recueil Le Monde tous droits réservés de Claude Ecken sont autant d'exemples de livres français de SF qui ont rencontré leur public. La SF française est de qualité. Qu'on lui donne plus d'espaces pour s'exprimer, et elle n'en convaincra que davantage. C'est loin d'être gagné, mais ce n'est pas perdu non plus… En fait, surtout, qu'on arrête de publier de la merde tout azimute, moins de livres, moins d'ambitions commerciales stupides et davantage de qualités, et tout le monde s'en portera beaucoup mieux. Après tout, dans les domaines des littératures de l'imaginaire, on peut toujours rêver, non ?

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?