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Interview de Paul McAuley
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Interview de Paul McAuley

ActuSF : Comme la plupart des lecteurs français ne vous connaissent qu'à travers vos livres, est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur vous ?
Paul McAuley : Je suis un scientifique pur jus, avec un doctorat en science des plantes. J'ai travaillé comme chercheur en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pendant vingt ans. Ma spécialité était la symbiose animale/végétale, les interactions entre des micro-algues et les cellules de l'animal hôte dans lequel elle vivent. Les récifs coraliens sont probablement les exemples les plus connus de ce type de symbioses. En même temps, j'écrivais et publiais des nouvelles et des romans, et il y a une petite dizaine d'années j'ai enfin pu vivre de ma plume.
Aujourd'hui je vis dans le nord de Londres, littéralement à deux pas de l'endroit où habite Alfie Flowers, le protagoniste de Glyphes. J'y ai réellement trouvé un terrain qui longe la voie ferrée qui passe près de chez moi, avec le garage, les vieux bus et les caravanes. Et exactement comme dans le roman, l'endroit est actuellement en train de se construire pour devenir des immeubles d'habitation.

ActuSF : Comment vous est venue l'idée de Glyphes ?
Paul McAuley : J'ai commencé à m'intéresser à la théorie de l'entoptique – ces figures lumineuses que génèrent notre système oculaire sous l'influence de certaines drogues psychoactives ou d'autres facteurs divers – il y a environ une douzaine d'années. Je l'évoque d'ailleurs dans l'un des précédents roman : Féeries. J'ai continué de me documenter, et les postulats de – entre autres - David Lewis-Williams et Jean Clottes à propos de l'utilisation de ces figures dans l'art pariétal, ont largement influencé la théorie du complot qui est à la base de Glyphes.
Au départ – et là je simplifie énormément – leur thèses est que, ces peintures entoptiques qu'on trouve dans l'art pariétal, sont les représentations de visions obtenues sous l'influence de certaines substances psychoactives, au cours de transes shamaniques. Et je me suis beaucoup amusé à retourner, avec une certaine inconséquence, cette théorie, puis à la pousser aussi loin que possible, pour enfin l'intégrer à l'étrange histoire familiale d'Alfie Flowers.

ActuSF : Pourquoi avoir choisi un photographe pour personnage principal ?
Paul McAuley : Il est photographe parce que son père – qui a été tué au Liban alors qu'Alfie n'avait que dix ans – l'était. Étant photographe, il prête plus attention aux détails que la plupart des gens, et de plus, ça le rattache à la thématique graphique du roman. Et puis, ça lui donne une bonne excuse pour se balader dans les coins les plus insolites de Londres, pour traîner avec son insortable journaliste d'ami et pour jouer les détectives.

ActuSF : Êtes-vous photographe vous-même ?
Paul McAuley : J'ai fait un sacré paquet de microphotographies pour mes recherches, et à l'époque j'avais aussi pris l'habitude de faire de la photo noir et blanc. Et puis lorsque j'ai quitté la recherche, j'ai perdu mon accès à une chambre noire ; donc j'avais laissé tomber.
Aujourd'hui, je recommence à vraiment bien m'amuser avec mon appareil numérique. Je vais dénicher des coins un peu perdus ou oubliés de mon quartier.

ActuSF : Pensez-vous qu'il y a un type de héros "à la McAuley" ?
Paul McAuley : Le plus souvent, il va s'agir de quelqu'un qui vît un peu en retrait. Un marginal qui jetterait un œil sur notre monde, ou bien encore un personne qui aurait un don étrange ou une histoire qui sortirait de l'ordinaire. J'imagine donc que Alfie, qui vît dans une caravane plantée au milieu d'un terrain vague perdu en plein Londres, est sujet à une forme atypique d'épilepsie et a une histoire familiale plutôt bizarre, remplit assez bien le cahier des charges.
Cela dit, le personnage principal de mon dernier roman, Players, est une inspectrice tout ce qu'il y a de normal, qui vît avec sa mère et n'a absolument aucun compte à régler avec son passé et pas la moindre habitude insolite. Encore que, justement, sa normalité puisse la rendre passablement anormale selon les canons du polar.

AcutSF : Vous avez un style très précis, très détaillé. Comment travaillez-vous ? Est-ce que vous réécrivez beaucoup ?
Paul McAuley : Je réécris énormément, et une énorme partie de mon travail de réécriture consiste à tailler dans le texte. Il faut trouver la manière la plus concise d'amener une idée, une image ou de rendre une atmosphère. Essayer d'éviter les clichés ou les lieux-communs. Le premier me sert juste à coucher l'histoire sur papier. Ensuite, le reste du travail consiste à retranscrire de la manière la plus suggestive qui soit personnages, action et ambiance.

ActuSF : Votre style est très visuel. Est-ce que le cinéma est une source d'inspiration ?
Paul McAuley : Je ne fait jamais de synopsis précis des mes romans, mais avant de m'attaquer à l'écriture, j'ai généralement deux ou trois scènes en tête. Des images vers lesquelles j'essaie d'aller, ou qui vont me servir de point de départ. Par exemple, bien avant d'entamer l'écriture des Diables blancs, j'avais à l'esprit cette image d'un groupe d'hommes et de femmes cherchant des cadavres dans un décor que je savais être africain. Je ne pourrais pas vous dire pourquoi cela revêtait une telle importance alors, mais pour moi il était clair que ça se passait en Afrique.
Maintenant, de là à considérer que les films puissent être une source d'inspiration… Il est vrai que j'en vois beaucoup. J'en critique même régulièrement pour le magazine Crime Time. Mais la dramaturgie du cinéma, la manière dont sont présentés les personnages dans un film, diffère énormément de la dramaturgie du roman. Mes histoires prennent généralement vie au travers du regard des mes personnages, pas au travers celui, bien trop immuable et désincarné, d'une caméra.

ActuSF : Vos dialogues sonnent très vrais. Est-ce que vous les testez ? Est-ce que vous les "chassez", en parcourant Londres un carnet de notes à la main ?
Paul McAuley : Je lis mes dialogues à voix haute, pour être certain qu'ils "sonnent" plausibles. Comment voudriez que mes personnages puissent dire quelque chose que, moi, je n'arrive pas à dire ? Toutefois, Glyphes contient quelques expressions "chassées". Elles proviennent de pleins de sources différentes, mais elles sont venues à moi. Je ne passe pas mon temps à tenter d'en dénicher dans des endroits où je pourrais, éventuellement, surprendre quelque chose d'exploitable.
Je suis un adepte du bricolage et je crois en l'accident heureux. Tout écrivain qui se respecte doit savoir mettre en place les filtres qui lui permettront de reconnaître ce qui pourra lui être utile, de ce qui ne l'est pas.

ActuSF : Dans Glyphes, vous êtes passablement critique envers la politique d'intervention en Irak du gouvernement britannique. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Paul McAuley : L'invasion de l'Irak par la prétendue coalition des volontaires, a été une horrible erreur, conduite pour de mauvaises raisons et dont la poursuite est une folie. J'ai fait partie des deux millions et quelques de manifestants qui s'y sont opposés, et je suis toujours horrifié par le nombre croissant de victimes et le démantèlement de l'Irak. La Grande Bretagne avait déjà un lourd passé en Irak, et interférait dans les affaires de cette région du monde bien avant que Mr Bush et ses camarades néo-conservateurs ne décident de s'en prendre à Saddam Hussein. Les Anglais ont "libéré" ce qui était alors la Mésopotamie de la domination turque, durant la première guerre mondiale, et ensuite, sous le mandat britannique, ils ont créé l'Irak de toute pièce, essentiellement pour protéger leurs intérêts pétroliers. Ça ne vous rappelle rien ? Et à cela s'ajoute aujourd'hui le problème du Kurdistan…
Bref... Et dans Glyphes, cette histoire rejoint celle de la famille de Alfie Flowers, et de leur implication en ce qui concerne les glyphes.

ActuSF : Vous considérez-vous comme faisant partie d'une scène littéraire SF anglaise ?
Paul McAuley : Bien-sûr ! Je connais, ou ai rencontré, la plupart des auteurs anglais évoluant dans le domaine de l'imaginaire. On n'est pas si nombreux que ça, et on fini forcément par se croiser tôt ou tard à des conventions, des remises de prix ou à une fête chez un éditeur. Et je pense que je suis plus spécialement associé avec ces auteurs dont les premières histoires sont parues au début des années 90 dans Interzone : Kim Newman, Stephen Baxter ou Alastair Reynolds.

ActuSF : Pensez-vous que la SF anglaise a quelque chose d'intrinsèquement spécifique ?
Paul McAuley : La SF américaine est le mode par défaut de la science fiction moderne, mais la SF anglaise – tout comme la française pour ce que j'en connaît – plonge ses racines dans la fiction des deux grands maîtres du roman scientifique : Wells et Verne. Ce qui fait que, bien qu'elle traite souvent des mêmes sujets, la SF anglaise le fait sous un angle différent. Elle est généralement plus politisée, dans le sens où elle ne part pas du principe que le mode de démocratie capitaliste à l'américaine est l'apogée de la destinée humaine, et qu'il doit triompher partout dans la galaxie. Et comme elle n'est pas triomphaliste, cette SF adopte souvent le point de vue de ceux qui sont les moins bien lotis. Elle croise plus facilement à hauteur du pavé, qu'à celles, plus raffinées, où s'élèvent les penthouses.
De fait, je pense que les auteurs et les lecteurs anglais ou français, ont bien mieux pigé le cyberpunk que leurs homologues américains. Raison pour laquelle ce sont essentiellement des écrivains britanniques qui redessinent et adaptent à leurs propres fins le space opera.

ActuSF : Quels sont vos projets ?
Paul McAuley : Je m'apprête à relire les épreuves de Cowboy Angels, un roman qui se passe dans plusieurs versions des Etats-Unis. C'est un périple à travers des histoires alternatives, où l'on va découvrir un complot visant à modifier l'histoire d'une des Amériques qui découvert le moyen d'accéder aux autres histoires, en changeant la nôtre. Je travaille aussi sur un livre qui parle d'une guerre inutile et complètement instrumentalisée, entre la terre et une société plutôt extravagante installée sur les lunes de Saturne. Pour tout vous dire, j'en suis à la première réécriture, ce qui, en ce qui me concerne, est la partie la plus amusante du travail.

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