Actusf : Pouvez-vous nous résumer votre parcours littéraire ?
Pierre Pevel : J'ai déjà écrit quelques romans de Fantasy sous un pseudonyme, Jacq, dans le milieu du jeu de rôle. Au total, Les Ombres de Wielstadt sont mon septième livre. Mais pour des raisons diverses, seuls 5 ont été publiés. Un sixième est en bonne voie. Auparavant, j'ai travaillé dans le jeu de rôle en tant que scénariste et auteur. J'ai travaillé pour Oriflam et surtout pour Siroz production. J'ai ainsi développé l'univers du jeu Nightprowler avec mes petits camarades, sous l'égide de Croc. Mes premiers romans se déroulaient d'ailleurs dans l'univers de Nightprowler.
Actusf : Travailler dans le jeu de rôle vous a-t-il aidé à écrire les Ombres de Wielstadt ?
Pierre Pevel : Oui, surtout pour créer l'univers. C'est quelque chose que j'aime beaucoup faire : imaginer sa géographie, sa politique, les forces en présence, ce que l'on peut y faire ou pas... Pour élaborer celui des Ombres de Wielstadt, il a fallu que je me documente sur la guerre de Trente ans, sur le XVIIème siècle, et surtout sur la magie et la cabale mystique telle qu'elle était comprise à l'époque. J'ai essayé de faire une magie historique.
Actusf : Il y a eu beaucoup de documentation ?
Pierre Pevel : Enormément. Mais pas seulement pour ce roman. Le XVIIème siècle et les histoires de romans de capes et d'épées me passionnent depuis longtemps. Je relis les Trois mousquetaires pratiquement tous les ans. J'aime aussi beaucoup la fantasy et la guerre de Trente ans parce que c'est une période fascinante et très riche pour un romancier. J'ai réuni les trois pour faire un roman de fantasy de mousquetaires pendant la guerre de Trente ans.
Actusf : Est-ce que la passerelle entre le jeu de rôle et l'écriture de roman est facile ?
Pierre Pevel : Oui et non. Lorsque j'ai développé l'univers des Ombres de Wielstadt, je n'avais pas encore d'idée de l'intrigue, mais je voulais que ce soit riche, cohérent et que le roman tienne sur ses fondations. Cette partie du travail était à peu près le même que lorsque j'imaginais un univers pour un jeu. Par contre avec le roman, il y a des écueils à éviter comme par exemple donner l'impression de raconter une partie de jeu de rôle. La grande différence, c'est que dans un roman, on peut se permettre plus de choses. On a moins d'obligation comme celle d'avoir les héros toujours au centre de l'action. On peut montrer l'adversaire à l'œuvre…
Actusf : C'est plus de liberté ?
Pierre Pevel : Oui je crois. C'est surtout une technique narrative complètement différente. Il faut se mettre dans la peau d'un scénariste de cinéma qui doit raconter une histoire conçue pour un spectateur omniscient, pouvant voir les tenants et les aboutissants de l'intrigue. Un scénariste de jeux de rôle doit se cantonner aux points de vue des héros. Dans le jeu de rôle, le joueur est acteur. Dans un roman, le lecteur est un spectateur. Son plaisir peut être de voir comment le personnage principal va résoudre une intrigue ou trouver l'assassin tout en sachant qui est le méchant de l'affaire...
Actusf : Quels sont les auteurs qui vous ont marqué ou qui vous ont influencé en fantasy ?
Pierre Pevel : Ils datent un peu parce que je ne lis plus de fantasy depuis longtemps. C'est les grands classiques : Moorcock, Zelazny, et bien sûr Tolkien. C'est d'ailleurs le seul que je relise vraiment régulièrement. Howard aussi, même s'il est décrié. J'aime beaucoup ses scènes de batailles. Quant à aujourd'hui, le seul auteur de fantasy que je lise, c'est Terry Pratchett. Mais si j'ai aimé tous ces auteurs en tant que lecteur, ce ne sont pas vraiment des influences. Disons que ce n'est pas à eux que je pense lorsque j'écris mais plutôt à Dumas par exemple...
Actusf : Vous lisez peu de fantasy pour ne pas être influencé dans votre travail ?
Pierre Pevel : C'est vrai que j'ai la crainte d'être parasité. Si je tombe sur un bouquin de fantasy se déroulant au XVIIème siècle, j'éviterai de le lire par principe même si c'est le livre du siècle. Soit il n'est pas à la hauteur de ce qu'on m'a dit mais il peut m'influencer par certains éléments que je trouve bien, soit c'est vraiment le livre du siècle et je vais me demander si c'est bien la peine que je continue sur cette voie. Je me suis assez investi dans Les Ombres de Wielstadt pour ne pas m'arrêter tout de suite (rire)…
Actusf : Pourquoi avoir choisi la fantasy et pas un polar ou un roman historique ?
Pierre Pevel : Honnêtement je ne sais pas. Je n'ai écrit qu'un seul roman en dehors de ce genre, et encore, c'est du steampunk. J'ai l'impression que mon imaginaire est marqué par la fantasy pour longtemps et probablement depuis mon adolescence. Pourquoi ? Peut-être que je ne sais pas faire grand chose d'autre. J'ai déjà réfléchi à des intrigues de polar par exemple. Mais en général au bout du quatrième ou cinquième chapitre, j'imagine que le héros pourrait être contacté par l'esprit du défunt et très rapidement je finis dans une maison hantée… Je finis toujours par ajouter un morceau de fantastique ou de fantasy dans l'histoire. Et puis j'ai un côté très gamin. J'aime bien les dragons et les combats à l'épée. Bien qu'à l'époque du roman, leur organisation n'existait plus, j'ai intégré des Templiers aux Ombres de Wielstadt tout simplement parce que des Templiers habillés en mousquetaires en casaques blanches avec des croix écarlates, ça donnait bien ! C'était beau à voir. Et là je suis vraiment un gosse. (rire)
Actusf : Quand vous écrivez, c'est plus le plaisir qui l'emporte ou c'est la difficulté de coucher les mots sur le papier ?
Pierre Pevel : En général, quand je commence à écrire mon histoire, j'ai un découpage très précis de mon intrigue. J'ai besoin de savoir chapitre par chapitre ce qui va se passer. Je me réserve le seul plaisir ou la seule douleur, ça dépend, d'avoir à placer l'ambiance et les personnages, de donner du rythme, de la vie… Bon, l'exercice reste quand même assez agréable. Ca fait pas mal (rire). Et c'est plutôt excitant lorsqu'on a l'impression, parfois fausse, d'avoir trouvé un truc nouveau, ou une expression bien vue pour décrire une ambiance en trois, quatre lignes.
Actusf : Comment vous décririez votre livre à quelqu'un qui ne l'aurait pas encore lu ?
Pierre Pevel : Selon moi c'est un roman de capes et d'épées avec des éléments de fantastique. Je reprends assez peu les clichés de la fantasy. Il n'y a pas de quête ou d'autre chose… même si je ne m'interdis pas de le faire un jour. C'est un roman historique dans une époque qui n'a presque pas existé …
Actusf : Comment est né ce livre et l'univers dans lequel il se déroule ?
Pierre Pevel : C'est d'abord parti du goût pour le XVIIème siècle et la guerre de Trente ans. C'est une période fascinante qui a forgé l'Europe pour très longtemps. D'ailleurs, on en retrouve encore des traces de nos jours. Ensuite, il y avait un goût pour la fantasy et les romans de capes et d'épées. Les Ombres de Wielstadt est un mélange de tout ça. Je voulais aussi une aventure urbaine. Pour le choix de la ville, j'ai d'abord pensé à des endroits historiques comme Paris, Strasbourg, Cologne… Et puis finalement, pour me sentir vraiment chez moi, le mieux était encore de l'inventer. Ensuite, ma ville devait être au cœur de l'Allemagne et de l'Europe, dans la région de Cologne, et elle devait posséder un port pour donner de grandes possibilités romanesques. Je me suis donc permis d'effondrer la vallée du Rhin sur un tiers. C'est un droit lorsque l'on est auteur de fantasy (rire)… Voilà pourquoi les eaux de la mer du nord arrivent jusqu'à Wielstadt.
Actusf : Combien de temps vous a demandé la création de ce livre ?
Pierre Pevel : En tout un an, mais réparti. Grosso modo, six mois pour l'univers, conception et recherches historiques, et autant pour l'écriture. La difficulté quand on fait une uchronie, c'est de choisir les éléments qu'on va enlever ou garder. Pour ma part, j'ai besoin d'y réfléchir tout de suite pour pouvoir, au moment de l'intrigue, savoir ce que je peux me permettre de faire ou non. Et puis il faut aussi compter les deux derniers mois de réécriture purement littéraire, où j'ai remanié certains chapitres à la demande de mon éditeur.
Actusf : Pour rentrer dans votre roman, parlons de votre ville, Wielstadt. C'est un paradoxe puisque l'histoire se déroule en pleine guerre de Trente ans et que Wielstadt est une zone de paix à l'extérieur des combats.
Pierre Pevel : C'est parfaitement voulu. Le roman se passe pendant l'hiver 1620, deux ans après le début des hostilités. A cette époque vient de se dérouler une bataille assez importante où les protestants ont subi une grave défaite face aux forces de l'Empereur et aux forces catholiques. Les contemporains ont donc cru que c'était fini. Mon roman se situant à cette période là, les personnages pensent la même chose. Quant à Wielstadt, si elle est protégée par un dragon qui la domine, c'est en premier lieu pour l'exotisme de la situation mais aussi pour que cette protection me permette d'en faire une espèce d'Europe miniature. Tous les courants de pensées, religieux, ou philosophiques y sont présents. Ils se manifestent d'abord à Wielstadt puis partout en Europe. Une telle chose n'est possible que grâce au dragon. Une ville qu'on ne peut pas assiéger sous peine de voir ses troupes carbonisées est une ville qu'on laisse en général assez tranquille. C'est donc une cité prospère qui en plus se trouve à la croisée des routes de l'Europe. C'est pour cela qu'elle possède des quartiers protestants et des quartiers catholiques. C'est une hérésie du point de vue historique. A l'époque, les villes choisissaient leur camp. Seule Wielstadt est divisée comme l'Europe à ce moment-là.
Actusf : Il y a un melting pot assez fantastique dans votre livre dont ressort un personnage : Kantz, votre héros. Comment est-ce que vous le définiriez ? Comment est-il né ?
Pierre Pevel : Ah bah ça, je ne le dirais pas (rire). J'ai déjà un dossier sur mon ordinateur avec toute son histoire jusqu'au début du roman. Elle donnera la matière à des livres futurs. Disons simplement que Kantz, est une sorte d'exorciste en armes, un chasseur de démons. On sait qu'il a été prêtre jadis et qu'il mène une croisade personnelle contre les ombres, c'est-à-dire le Mal tel qu'il pouvait être imaginé à l'époque avec fantômes et démons.
Actusf : Quelle relation avez-vous avec vos personnages ?
Pierre Pevel : En général je les aime bien. Même les méchants. J'essaie de leur trouver une cohérence psychologique pour qu'ils ne puissent pas dire ou faire n'importe quoi en fonction des situations. Je les considère comme faisant partie intégrante de l'intrigue. Si jamais je n'ai plus besoin d'un personnage, je n'hésiterais pas à le tuer, sans aucun soucis. Je tiens d'abord et avant tout à la cohérence du scénario. Si le méchant capture un adversaire, il va le tuer. Il ne va pas le mettre dans un piège fabuleux dont le gars va se sortir à l'aide d'un gadget inventé par Q. Non, il le tue. Et de la manière la plus simple. Et si le lecteur a de la peine, tant mieux. Ca veut dire qu'il s'est attaché au personnage. Rassurez-vous, je ne vais pas jusqu'à les tuer pour qu'on les aime (rire)
Actusf : Et la petite fée Chandelle, c'est un hommage à Peter Pan ?
Pierre Pevel : Au Peter Pan de Loisel alors. Pour la créer, j'ai beaucoup pensé à la fée Clochette telle qu'il l'a dessinée. Et puis j'avais aussi conscience que mon roman était assez noir, un peu sinistre. Chandelle était un contre point rigolo qui permettait de souligner l'humanité de Kantz. Elle a été très amusante à mettre en scène.
Actusf : Quelle va être la suite des aventures de Kantz ?
Pierre Pevel : Pfff, j'en sais rien (rire). Je sais comment l'histoire du monde et de Wielstadt va évoluer. Je sais ce que j'ai envie que le lecteur découvre petit à petit. Mais pour le reste... J'en suis vraiment à la première étape de la génèse dans ma tête. Une espèce de fourre tout. J'ai juste des envies comme de faire une poursuite sur les toits, de développer les personnages de la dame en rouge, du dragon, du roi Misère et de Kantz, d'une attaque commando sur une abbaye en ruine avec des brigands, d'une poursuite de carrosse, avec des gars qui se bagarreraient dessus… Ce sont des envies très diverses, certaines très futiles et d'autres, plus fondamentales, qui donneront la matière du livre.
Actusf : Dans Les Ombres de Wielstadt, on y trouve beaucoup de livres. On y retrouve pas un peu de Pierre Pevel là ?
Pierre Pevel : Bon, effectivement il y en a quelques uns à la maison. Mais c'est aussi un fait culturel historique. Au XVIIème siècle, les romans étaient les seuls vecteurs culturels. Ils avaient une importance énorme. On leur portait donc beaucoup de crédit, quitte à croire parfois n'importe quoi. Il y avait des gens qui étaient de grands érudits, des savants mais qui pensaient sincèrement que les salamandres naissaient du feu et qu'il y avait des loups garous. C'était un mélange de croyance et de science. Par exemple, on a des bestiaires présentés comme étant des livres de zoologie où l'on avait le chat, le chien, la chèvre et le dragon au même niveau. Ce n'était pas stupide comme réaction, c'est juste qu'il n'y avait que les livres à l'époque.
Actusf : Et la Cabale dans tout ça ?
Pierre Pevel : La Cabale, c'est avant tout la mystique juive. C'est la démarche de certains pour rentrer en communication avec le divin par la prière, les privations, la réflexion, l'étude… pour espérer approcher de plus près le divin et de comprendre le monde. Il faut penser qu'à l'époque on avait aucune connaissance sur les lois de la gravité. Si une pierre tombe, on croit que c'est par affinité avec la terre. C'est une autre façon de voir le monde. Dans beaucoup de romans, la cabale se résume à des livres de magie noire. C'est tout sauf ça. La Cabale est très riche, très compliquée et ne se limite pas à la magie. Et je suis loin d'avoir tout compris.
Actusf : Qu'est-ce qu'on peut souhaiter à Pierre Pevel maintenant ?
Pierre Pevel : Que ça marche ! Parce que pour un auteur, lorsque l'on achète son livre, cela lui donne le droit de faire le suivant. La suite des Ombres de Wielstadt est déjà signée. Mais on ne saura si le premier a bien marché qu'au moment de sortir le second. C'est ce qui décidera d'un troisième tome ou non.
Actusf : Et même en cas d'échec, vous continuerez à écrire ?
Pierre Pevel : Oui. C'est de la mauvaise came, l'écriture. On est très vite accro même si ça ne rapporte pas grand chose. Et puis je ne sais pas faire grand chose d'autre.
Actusf : Quelles sont vos envies ?
Pierre Pevel : Ce dont j'ai envie, vraiment, c'est que les personnages que j'invente m'échappent. Le plus beau compliment que l'on puisse faire à un auteur, c'est de prendre la suite de ses histoires. Il y a plein de pastiches des Trois mousquetaires par exemple et c'est vraiment fabuleux. A la place du père Dumas, je serais drôlement content de voir qu'Atos, Portos et Aramis continuent à exister. Si quelqu'un avait envie un jour de placer un roman dans l'univers de Wielstadt, je serai ravi. Et si quelqu'un qui ne me connaît pas parlait de Kantz non pas comme un personnage mais comme un voisin, alors là… (rire)
Pierre Pevel : J'ai déjà écrit quelques romans de Fantasy sous un pseudonyme, Jacq, dans le milieu du jeu de rôle. Au total, Les Ombres de Wielstadt sont mon septième livre. Mais pour des raisons diverses, seuls 5 ont été publiés. Un sixième est en bonne voie. Auparavant, j'ai travaillé dans le jeu de rôle en tant que scénariste et auteur. J'ai travaillé pour Oriflam et surtout pour Siroz production. J'ai ainsi développé l'univers du jeu Nightprowler avec mes petits camarades, sous l'égide de Croc. Mes premiers romans se déroulaient d'ailleurs dans l'univers de Nightprowler.
Actusf : Travailler dans le jeu de rôle vous a-t-il aidé à écrire les Ombres de Wielstadt ?
Pierre Pevel : Oui, surtout pour créer l'univers. C'est quelque chose que j'aime beaucoup faire : imaginer sa géographie, sa politique, les forces en présence, ce que l'on peut y faire ou pas... Pour élaborer celui des Ombres de Wielstadt, il a fallu que je me documente sur la guerre de Trente ans, sur le XVIIème siècle, et surtout sur la magie et la cabale mystique telle qu'elle était comprise à l'époque. J'ai essayé de faire une magie historique.
Actusf : Il y a eu beaucoup de documentation ?
Pierre Pevel : Enormément. Mais pas seulement pour ce roman. Le XVIIème siècle et les histoires de romans de capes et d'épées me passionnent depuis longtemps. Je relis les Trois mousquetaires pratiquement tous les ans. J'aime aussi beaucoup la fantasy et la guerre de Trente ans parce que c'est une période fascinante et très riche pour un romancier. J'ai réuni les trois pour faire un roman de fantasy de mousquetaires pendant la guerre de Trente ans.
Actusf : Est-ce que la passerelle entre le jeu de rôle et l'écriture de roman est facile ?
Pierre Pevel : Oui et non. Lorsque j'ai développé l'univers des Ombres de Wielstadt, je n'avais pas encore d'idée de l'intrigue, mais je voulais que ce soit riche, cohérent et que le roman tienne sur ses fondations. Cette partie du travail était à peu près le même que lorsque j'imaginais un univers pour un jeu. Par contre avec le roman, il y a des écueils à éviter comme par exemple donner l'impression de raconter une partie de jeu de rôle. La grande différence, c'est que dans un roman, on peut se permettre plus de choses. On a moins d'obligation comme celle d'avoir les héros toujours au centre de l'action. On peut montrer l'adversaire à l'œuvre…
Actusf : C'est plus de liberté ?
Pierre Pevel : Oui je crois. C'est surtout une technique narrative complètement différente. Il faut se mettre dans la peau d'un scénariste de cinéma qui doit raconter une histoire conçue pour un spectateur omniscient, pouvant voir les tenants et les aboutissants de l'intrigue. Un scénariste de jeux de rôle doit se cantonner aux points de vue des héros. Dans le jeu de rôle, le joueur est acteur. Dans un roman, le lecteur est un spectateur. Son plaisir peut être de voir comment le personnage principal va résoudre une intrigue ou trouver l'assassin tout en sachant qui est le méchant de l'affaire...
Actusf : Quels sont les auteurs qui vous ont marqué ou qui vous ont influencé en fantasy ?
Pierre Pevel : Ils datent un peu parce que je ne lis plus de fantasy depuis longtemps. C'est les grands classiques : Moorcock, Zelazny, et bien sûr Tolkien. C'est d'ailleurs le seul que je relise vraiment régulièrement. Howard aussi, même s'il est décrié. J'aime beaucoup ses scènes de batailles. Quant à aujourd'hui, le seul auteur de fantasy que je lise, c'est Terry Pratchett. Mais si j'ai aimé tous ces auteurs en tant que lecteur, ce ne sont pas vraiment des influences. Disons que ce n'est pas à eux que je pense lorsque j'écris mais plutôt à Dumas par exemple...
Actusf : Vous lisez peu de fantasy pour ne pas être influencé dans votre travail ?
Pierre Pevel : C'est vrai que j'ai la crainte d'être parasité. Si je tombe sur un bouquin de fantasy se déroulant au XVIIème siècle, j'éviterai de le lire par principe même si c'est le livre du siècle. Soit il n'est pas à la hauteur de ce qu'on m'a dit mais il peut m'influencer par certains éléments que je trouve bien, soit c'est vraiment le livre du siècle et je vais me demander si c'est bien la peine que je continue sur cette voie. Je me suis assez investi dans Les Ombres de Wielstadt pour ne pas m'arrêter tout de suite (rire)…
Actusf : Pourquoi avoir choisi la fantasy et pas un polar ou un roman historique ?
Pierre Pevel : Honnêtement je ne sais pas. Je n'ai écrit qu'un seul roman en dehors de ce genre, et encore, c'est du steampunk. J'ai l'impression que mon imaginaire est marqué par la fantasy pour longtemps et probablement depuis mon adolescence. Pourquoi ? Peut-être que je ne sais pas faire grand chose d'autre. J'ai déjà réfléchi à des intrigues de polar par exemple. Mais en général au bout du quatrième ou cinquième chapitre, j'imagine que le héros pourrait être contacté par l'esprit du défunt et très rapidement je finis dans une maison hantée… Je finis toujours par ajouter un morceau de fantastique ou de fantasy dans l'histoire. Et puis j'ai un côté très gamin. J'aime bien les dragons et les combats à l'épée. Bien qu'à l'époque du roman, leur organisation n'existait plus, j'ai intégré des Templiers aux Ombres de Wielstadt tout simplement parce que des Templiers habillés en mousquetaires en casaques blanches avec des croix écarlates, ça donnait bien ! C'était beau à voir. Et là je suis vraiment un gosse. (rire)
Actusf : Quand vous écrivez, c'est plus le plaisir qui l'emporte ou c'est la difficulté de coucher les mots sur le papier ?
Pierre Pevel : En général, quand je commence à écrire mon histoire, j'ai un découpage très précis de mon intrigue. J'ai besoin de savoir chapitre par chapitre ce qui va se passer. Je me réserve le seul plaisir ou la seule douleur, ça dépend, d'avoir à placer l'ambiance et les personnages, de donner du rythme, de la vie… Bon, l'exercice reste quand même assez agréable. Ca fait pas mal (rire). Et c'est plutôt excitant lorsqu'on a l'impression, parfois fausse, d'avoir trouvé un truc nouveau, ou une expression bien vue pour décrire une ambiance en trois, quatre lignes.
Actusf : Comment vous décririez votre livre à quelqu'un qui ne l'aurait pas encore lu ?
Pierre Pevel : Selon moi c'est un roman de capes et d'épées avec des éléments de fantastique. Je reprends assez peu les clichés de la fantasy. Il n'y a pas de quête ou d'autre chose… même si je ne m'interdis pas de le faire un jour. C'est un roman historique dans une époque qui n'a presque pas existé …
Actusf : Comment est né ce livre et l'univers dans lequel il se déroule ?
Pierre Pevel : C'est d'abord parti du goût pour le XVIIème siècle et la guerre de Trente ans. C'est une période fascinante qui a forgé l'Europe pour très longtemps. D'ailleurs, on en retrouve encore des traces de nos jours. Ensuite, il y avait un goût pour la fantasy et les romans de capes et d'épées. Les Ombres de Wielstadt est un mélange de tout ça. Je voulais aussi une aventure urbaine. Pour le choix de la ville, j'ai d'abord pensé à des endroits historiques comme Paris, Strasbourg, Cologne… Et puis finalement, pour me sentir vraiment chez moi, le mieux était encore de l'inventer. Ensuite, ma ville devait être au cœur de l'Allemagne et de l'Europe, dans la région de Cologne, et elle devait posséder un port pour donner de grandes possibilités romanesques. Je me suis donc permis d'effondrer la vallée du Rhin sur un tiers. C'est un droit lorsque l'on est auteur de fantasy (rire)… Voilà pourquoi les eaux de la mer du nord arrivent jusqu'à Wielstadt.
Actusf : Combien de temps vous a demandé la création de ce livre ?
Pierre Pevel : En tout un an, mais réparti. Grosso modo, six mois pour l'univers, conception et recherches historiques, et autant pour l'écriture. La difficulté quand on fait une uchronie, c'est de choisir les éléments qu'on va enlever ou garder. Pour ma part, j'ai besoin d'y réfléchir tout de suite pour pouvoir, au moment de l'intrigue, savoir ce que je peux me permettre de faire ou non. Et puis il faut aussi compter les deux derniers mois de réécriture purement littéraire, où j'ai remanié certains chapitres à la demande de mon éditeur.
Actusf : Pour rentrer dans votre roman, parlons de votre ville, Wielstadt. C'est un paradoxe puisque l'histoire se déroule en pleine guerre de Trente ans et que Wielstadt est une zone de paix à l'extérieur des combats.
Pierre Pevel : C'est parfaitement voulu. Le roman se passe pendant l'hiver 1620, deux ans après le début des hostilités. A cette époque vient de se dérouler une bataille assez importante où les protestants ont subi une grave défaite face aux forces de l'Empereur et aux forces catholiques. Les contemporains ont donc cru que c'était fini. Mon roman se situant à cette période là, les personnages pensent la même chose. Quant à Wielstadt, si elle est protégée par un dragon qui la domine, c'est en premier lieu pour l'exotisme de la situation mais aussi pour que cette protection me permette d'en faire une espèce d'Europe miniature. Tous les courants de pensées, religieux, ou philosophiques y sont présents. Ils se manifestent d'abord à Wielstadt puis partout en Europe. Une telle chose n'est possible que grâce au dragon. Une ville qu'on ne peut pas assiéger sous peine de voir ses troupes carbonisées est une ville qu'on laisse en général assez tranquille. C'est donc une cité prospère qui en plus se trouve à la croisée des routes de l'Europe. C'est pour cela qu'elle possède des quartiers protestants et des quartiers catholiques. C'est une hérésie du point de vue historique. A l'époque, les villes choisissaient leur camp. Seule Wielstadt est divisée comme l'Europe à ce moment-là.
Actusf : Il y a un melting pot assez fantastique dans votre livre dont ressort un personnage : Kantz, votre héros. Comment est-ce que vous le définiriez ? Comment est-il né ?
Pierre Pevel : Ah bah ça, je ne le dirais pas (rire). J'ai déjà un dossier sur mon ordinateur avec toute son histoire jusqu'au début du roman. Elle donnera la matière à des livres futurs. Disons simplement que Kantz, est une sorte d'exorciste en armes, un chasseur de démons. On sait qu'il a été prêtre jadis et qu'il mène une croisade personnelle contre les ombres, c'est-à-dire le Mal tel qu'il pouvait être imaginé à l'époque avec fantômes et démons.
Actusf : Quelle relation avez-vous avec vos personnages ?
Pierre Pevel : En général je les aime bien. Même les méchants. J'essaie de leur trouver une cohérence psychologique pour qu'ils ne puissent pas dire ou faire n'importe quoi en fonction des situations. Je les considère comme faisant partie intégrante de l'intrigue. Si jamais je n'ai plus besoin d'un personnage, je n'hésiterais pas à le tuer, sans aucun soucis. Je tiens d'abord et avant tout à la cohérence du scénario. Si le méchant capture un adversaire, il va le tuer. Il ne va pas le mettre dans un piège fabuleux dont le gars va se sortir à l'aide d'un gadget inventé par Q. Non, il le tue. Et de la manière la plus simple. Et si le lecteur a de la peine, tant mieux. Ca veut dire qu'il s'est attaché au personnage. Rassurez-vous, je ne vais pas jusqu'à les tuer pour qu'on les aime (rire)
Actusf : Et la petite fée Chandelle, c'est un hommage à Peter Pan ?
Pierre Pevel : Au Peter Pan de Loisel alors. Pour la créer, j'ai beaucoup pensé à la fée Clochette telle qu'il l'a dessinée. Et puis j'avais aussi conscience que mon roman était assez noir, un peu sinistre. Chandelle était un contre point rigolo qui permettait de souligner l'humanité de Kantz. Elle a été très amusante à mettre en scène.
Actusf : Quelle va être la suite des aventures de Kantz ?
Pierre Pevel : Pfff, j'en sais rien (rire). Je sais comment l'histoire du monde et de Wielstadt va évoluer. Je sais ce que j'ai envie que le lecteur découvre petit à petit. Mais pour le reste... J'en suis vraiment à la première étape de la génèse dans ma tête. Une espèce de fourre tout. J'ai juste des envies comme de faire une poursuite sur les toits, de développer les personnages de la dame en rouge, du dragon, du roi Misère et de Kantz, d'une attaque commando sur une abbaye en ruine avec des brigands, d'une poursuite de carrosse, avec des gars qui se bagarreraient dessus… Ce sont des envies très diverses, certaines très futiles et d'autres, plus fondamentales, qui donneront la matière du livre.
Actusf : Dans Les Ombres de Wielstadt, on y trouve beaucoup de livres. On y retrouve pas un peu de Pierre Pevel là ?
Pierre Pevel : Bon, effectivement il y en a quelques uns à la maison. Mais c'est aussi un fait culturel historique. Au XVIIème siècle, les romans étaient les seuls vecteurs culturels. Ils avaient une importance énorme. On leur portait donc beaucoup de crédit, quitte à croire parfois n'importe quoi. Il y avait des gens qui étaient de grands érudits, des savants mais qui pensaient sincèrement que les salamandres naissaient du feu et qu'il y avait des loups garous. C'était un mélange de croyance et de science. Par exemple, on a des bestiaires présentés comme étant des livres de zoologie où l'on avait le chat, le chien, la chèvre et le dragon au même niveau. Ce n'était pas stupide comme réaction, c'est juste qu'il n'y avait que les livres à l'époque.
Actusf : Et la Cabale dans tout ça ?
Pierre Pevel : La Cabale, c'est avant tout la mystique juive. C'est la démarche de certains pour rentrer en communication avec le divin par la prière, les privations, la réflexion, l'étude… pour espérer approcher de plus près le divin et de comprendre le monde. Il faut penser qu'à l'époque on avait aucune connaissance sur les lois de la gravité. Si une pierre tombe, on croit que c'est par affinité avec la terre. C'est une autre façon de voir le monde. Dans beaucoup de romans, la cabale se résume à des livres de magie noire. C'est tout sauf ça. La Cabale est très riche, très compliquée et ne se limite pas à la magie. Et je suis loin d'avoir tout compris.
Actusf : Qu'est-ce qu'on peut souhaiter à Pierre Pevel maintenant ?
Pierre Pevel : Que ça marche ! Parce que pour un auteur, lorsque l'on achète son livre, cela lui donne le droit de faire le suivant. La suite des Ombres de Wielstadt est déjà signée. Mais on ne saura si le premier a bien marché qu'au moment de sortir le second. C'est ce qui décidera d'un troisième tome ou non.
Actusf : Et même en cas d'échec, vous continuerez à écrire ?
Pierre Pevel : Oui. C'est de la mauvaise came, l'écriture. On est très vite accro même si ça ne rapporte pas grand chose. Et puis je ne sais pas faire grand chose d'autre.
Actusf : Quelles sont vos envies ?
Pierre Pevel : Ce dont j'ai envie, vraiment, c'est que les personnages que j'invente m'échappent. Le plus beau compliment que l'on puisse faire à un auteur, c'est de prendre la suite de ses histoires. Il y a plein de pastiches des Trois mousquetaires par exemple et c'est vraiment fabuleux. A la place du père Dumas, je serais drôlement content de voir qu'Atos, Portos et Aramis continuent à exister. Si quelqu'un avait envie un jour de placer un roman dans l'univers de Wielstadt, je serai ravi. Et si quelqu'un qui ne me connaît pas parlait de Kantz non pas comme un personnage mais comme un voisin, alors là… (rire)