Randy & Jean-Marc Lofficier : Est-ce que l’on s’y prend de la même façon pour écrire des histoires d’horreur suivant qu’on les destine au cinéma et à la télévision ou à l’édition ?
Richard Matheson : Je ne me suis jamais considéré comme un écrivain spécialisé dans les histoires d’horreur, et ce n’est pas maintenant que ça va commencer ! D’une certaine façon, on peut dire que j’ai tourné le dos à ce genre de choses et je ne pense d’ailleurs pas m’y être jamais beaucoup impliqué, si l’on excepte quelques nouvelles et Hell House (1) peut-être... Vous savez, j’ai toujours jeté l’anathème sur le mot horreur. Pour moi, c’est quelque chose qui vous retourne l’estomac et vous donne la nausée.
Je n’ai jamais aimé cela, et s’il m’est arrivé de commettre des récits de ce genre, j’en suis sincèrement désolé. Je ne crois pas, cependant, en avoir écrit. J’ai raconté des histoires de terreur, mais d’horreur... Le mot seul me donne la chair de poule. Et surtout lorsqu’on l’emploie à propos de mon œuvre.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Vous vous définiriez donc plutôt comme un auteur d’histoires de terreur, par opposition à l’horreur ?
Richard Matheson : Oui. La terreur s’adresse à l’esprit, l’horreur à l’estomac.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Selon vous, tous ces films où l’on se coupe en morceaux, ce sont des films d’horreur ?
Richard Matheson : Tous les films où il y a des têtes qui explosent ! Même Alien, où l’on voit un truc sortir du ventre d’un des personnages, c’est de l‘horreur.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Dans ce cas, que faites-vous du suspense ?
Richard Matheson : Ah, le suspense ! Peu importe ce que vous écrivez ; il faut qu’il y ait du suspense, ce qui revient tout simplement à dire que vous voulez que le spectateur, le lecteur, se demande ce qui va se passer ensuite. Cela vaut pour n’importe quel genre d’histoire. Même avec un roman ou un film à l’eau de rose, votre public se demandera : « Tiens, qu’est-ce qui va bien pouvoir se passer maintenant ? » C’est ça, le suspense. Les gens l’associent généralement à une question de vie et de mort, mais ce n’est pas nécessaire.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Si vous deviez ranger votre œuvre dans une catégorie, laquelle choisiriez-vous ?
Richard Matheson : Je préfère me considérer comme un simple conteur avec, bien sûr, un fort penchant pour le fantastique.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Eh bien, puisque nous parlons de fantastique, quelle différence y a-t-il, selon vous, entre la manière dont vous l’abordez au cinéma et en littérature ?
Richard Matheson : Selon moi, aucune. Si j’adapte une de mes nouvelles, ou un de mes romans, j’essaie de rester aussi fidèle que possible à mon texte. Cela ne pose de problème qu’aux auteurs qui ne sont pas des écrivains visuels. Quand je rédige un roman, ou une nouvelle comme cela m’arrivait autrefois, mon approche est toujours la même. Je vois les choses se former dans ma tête et je les décris. Et c’est comme ça que je m’y prends pour mes scénarios. Aussi, je le répète, il n’y a pour moi aucune différence. Si ce n’est, bien sûr, qu’avec la littérature, vous êtes aussi le cameraman, l’éclairagiste et tout le reste. Cela vous oblige évidemment à plus de précision, tandis qu’avec un scénario, vous pouvez dire « Intérieur - Salon » et les membres de l’équipe accompliront le travail à votre place. Dans un texte c’est impossible.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Si nous parlions de ce qui fonctionne dans une histoire et pas toujours à l’écran ?
Richard Matheson : Cela n’a rien à voir avec le suspense ou la terreur. C’est ce qui n’est pas visuel, tout simplement. Je ne sais pas si ça m’est arrivé souvent – je ne crois pas – mais dans un grand nombre de livres, on rencontre des digressions sur tel ou tel sujet qui ne font en rien avancer l’histoire. Il faut donc les éliminer, car vous ne disposez que d’une heure quarante-cinq et vous devez retenir l’attention du public jusqu’au bout. Si bien que vous ne pouvez pas vous permettre de petites parenthèses, de discussions, de commentaires politiques, d’analyse de caractères, ou quoi que ce soit d’autre dans ce genre. Vous devez coller à l’action. C’est la seule différence.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Lorsque vous écrivez un livre, vous aimez avoir recours à ce genre de parenthèses telle que l’analyse d’un caractère ?
Richard Matheson : Je n’y pense jamais. Non, je préfère que mes récits évoluent aussi vite qu’un scénario.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Sans réfléchir à ce qui peut se cacher dans l’esprit d’un personnage ?
Richard Matheson : Vous êtes évidemment obligé d’en tenir compte mais je n’aime pas qu’une histoire s’embourbe pendant que vous pontifiez. Je crois qu’il est possible d’intégrer tout cela dans un récit, en lui gardant son rythme.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Comment avez-vous commencé à travailler pour la télévision ?
Richard Matheson : Nous nous connaissions, Charles Beaumont (2) et moi. Nous avions pris le même agent en même temps en 1959, si mes souvenirs sont exacts. Cet agent s’est occupé de nos rendez-vous, et l’un des premiers - c’était peut-être le tout premier - nous valut d’assister à la projection du pilote de la Twilight Zone (en France Quatrième Dimension). Nous l’avons vu, nous sommes entrés dans l’équipe et avons commencé à jeter des idées sur le papier.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Que pensiez-vous alors de l’idée de réaliser ce genre de série pour la télévision ?
Richard Matheson : Je ne connaissais rien à ce monde-là. C’était notre première expérience d’une telle collaboration, et nous n’avions absolument aucune opinion sur la question. Je ne peux évidemment pas l’assurer pour Charles Beaumont, mais en ce qui me concerne, c’est certain. Nous ne prévoyions ni l’un ni l’autre ce qui allait arriver – que la série serait encore programmée vingt-cinq ans plus tard !
Randy & Jean-Marc Lofficier : Toutes les idées qui sont à la base des épisodes que vous avez écrits sont-elles de vous, ou bien aviez-vous des réunions avec Rod Serling au cours desquelles il vous demandait d’écrire une histoire à partir de tel sujet ?
Richard Matheson : C’étaient des histoires originales ou des adaptations de mes propres nouvelles, car, plus tard, j’ai utilisé certains de mes textes.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Avez-vous trouvé cela plus difficile quand les épisodes sont passés d’une demi-heure à une heure ?
Richard Matheson : Non. J’ai seulement utilisé deux longues nouvelles que j’avais écrites. Mais ce n’était plus la Twilight Zone... Je pense que le format d’une heure n’était pas bon du tout. Tant qu’il s’agissait de raconter une histoire en trente minutes, ça allait, mais les gens attendaient autre chose d’une histoire qui durait une heure. C’est un peu comme s’ils avaient voulu un vrai film qui tînt en quarante-huit minutes... La première formule permettait de jouer avec un point de départ presque anecdotique et un tout petit sujet. Voilà ce que c’était, la Twilight Zone. Mais une heure, ça ne convenait vraiment pas. Encore que « Death Ship » (3) ait été plutôt réussi. Je ne me souviens pas de l’autre, « Mute » (4), car je ne l’ai pas revu depuis très longtemps.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Je suis sûr qu’on doit souvent vous poser cette question, mais quel est votre épisode préféré, si vous en avez un ?
Richard Matheson : J’ai quelques favoris, oui, mais aucun qui sorte vraiment du lot. J’aime bien « Nick of Time(5) », avec la petite machine dans le café, ainsi que « Steel » (6). Et le premier, « The Last Flight »(7), est plutôt amusant. En général, les gens sont surpris d’apprendre que ça n’est pas les épisodes les plus connus de la série que je préfère. Ce qui ne veut pas dire que ce sont ceux qui me plaisent le moins... J’ai trouvé merveilleux ce qu’a fait Bill Shatner dans « Nightmare at 20.000 Feet » (8), même si n’ai aimé ni l’actrice qui interprétait le rôle de la femme (9) ni le monstre sur l’aile (10). A part ça, le reste était bon. Mais il s’agit quand même de deux éléments clé de l’histoire.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Que pensez-vous de son traitement dans « Twilight Zone, The Movie ?
Richard Matheson : J’y préfère le monstre, et, bien sûr, la maîtrise technique dont témoigne Miller. Mais je n’ai guère apprécié la note presque hystérique du début. J’ai trouvé Lithgow fantastique, mais des tas de détails m’ont déplu. Par exemple, la petite fille ou le gros type. En fait, comme je l’ai indiqué, une grande partie de ce sketch été écrite par Miller lui-même. Au départ, quand j’ai donné ce scénario à la production, on a commencé par me dire qu’on en ferait un bouche-trou d’une douzaine de minutes. Ensuite, on m’a appris que Gregory Peck était pressenti pour le rôle aussi l’ai-je traité comme s’il s’était agi du héros de « Un homme de fer » ayant vieilli et connaissant l’existence des gremlins (11) depuis la guerre mais que personne n’aurait cru. Mon personnage à moi n’avait rien d’un fou. Son seul problème était que l’avion risquait d’être détruit par cette créature qu’il était le seul à apercevoir. Vous voyez, mon approche était beaucoup plus en demi-teinte. J‘ai trouvé Lithgow plutôt bon, mais cependant trop hystérique. Le monstre était infiniment mieux.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Quel est l’épisode que vous aimez le moins dans la série télévisée ?
Richard Matheson : Eh bien, je trouve beaucoup d’entre eux... J’ai été déçu par celui avec Buster Keaton, « Once Upon a Time » (12), tout simplement parce que cela aurait sans doute coûté trop cher de tourner ce que j’avais écrit. Je n’en ai pas été content, surtout, à cause d’une interminable scène dans un garage qui en casse complètement le rythme. Cette scène n’était pas si longue dans mon scénario; au contraire, je l’avais voulue très courte. Il devait y avoir beaucoup de mouvement, beaucoup d’action dans cet épisode.
Tout le monde parle aussi de celui avec Agnès Moorehead, The Invaders (13). Quand je le revois aujourd’hui, je me dis : « Bon sang, que c’est lent! » et j’ai envie de crier : « Allez, qu’on en finisse avec cette introduction! » Et elle reste là, assise, à couper des légumes ! Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est l’émission de cuisine spatiale de Julia Child ou quoi ? Et puis les petits hommes de l’espace arrivent en se dandinant... Ils ressemblent à des personnages de dessins animés, ou à ces poupées qui marchent vendues dans la rue. J’avais pourtant précisé dans mon texte qu’on devait tout juste les apercevoir, un simple mouvement rapide de temps en temps. Comment peut-on croire que cette femme a peur de ces choses avec leurs petites armes qui bourdonnent ?
Randy & Jean-Marc Lofficier : Quand il y avait de telles différences, cela était-il dû principalement à un problème de budget ? Ou bien le réalisateur avait-il une autre vision du film ?
Richard Matheson : Je pense que ça venait du réalisateur. Dans le Buster Keaton, j’avais deux fois plus de péripéties. Ça allait vraiment très vite, et ça bougeait tout le temps. J’avais plus d’action, peut-être quatre fois plus, rien que dans l’introduction ! A mon avis, ça donne un sacrément bon rythme à l’ensemble.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Quand vous ne disposiez que d’un petit budget, vous en teniez compte ?
Richard Matheson : Je n’y ai jamais pensé ; j’écrivais. Et le genre d’histoires qui me venaient, celles que nous avions tous tendance à écrire, à mon avis, ne nécessitaient pas beaucoup d’argent. D’autant que mes centres d’intérêt étaient toujours, ou presque toujours des gens « normaux ». C’est la première qui fut la plus chère de toutes celles que j’ai signées, parce qu’il fallait un avion (14).
Il y en a une autre que j’aime bien: « World of Difference » (15), avec Howard Duff. Elle repose sur l’idée qu’un homme, dans son bureau, découvre qu’il est, en fait, sur un plateau de cinéma. Cela me plaisait beaucoup. J’ai eu des centaines et des centaines d’idées absolument fascinantes, mais elles étaient impossibles à résoudre, et dans ce cas, je n’y crois pas. Je sais que ça ne dérange pas bon nombre d’écrivains, qui se contentent de créer une merveilleuse situation, sans y apporter de réponse. Ils n’hésitent pas à tout laisser en suspens. Bien sûr, très souvent, ça passe. Mais personnellement, ça ne me plaît pas. Cela vient du mode de fonctionnement de mon esprit qui est très mécanique. Si vous posez un problème, vous devez essayer de le résoudre. Comme je l’ai fait dans « La Maison des damnés », qu’on a, à juste titre, comparé au roman de Shirley Jackson (16). Mais, bizarrement, je n’y pas pensé sur le moment. Ce n’est que plus tard que je me suis dit : « Oh, mon Dieu! Quatre personnes dans une maison hantée !» Son livre mettait en scène le même nombre de personnages... Je me suis alors rendu compte qu’il fallait que je trouve la clé de l’énigme, parce que je ne pouvais pas me satisfaire de laisser le mystère tel quel. Cela rend peut-être l’intrigue plus banale, aux yeux des critiques en tout cas. J’admire le texte de Shirley Jackson, et le film qu’on en a tiré - dont la fin est réellement terrifiante - mais ça me gêne qu’on n’ait pas donné de solution. On s’est contenté de dire : « Ah, oui, elle avait un problème psychologique, et la maison n’était pas vraiment hantée... ». Impossible savoir de quoi il retourne.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Quand vous avez une idée, vous bâtissez un plan complet avant de passer à l’écriture ?
Richard Matheson : Oui. Il peut se transformer au fur et à mesure de la rédaction, mais au départ, oui, j’en ai un. Ce travail que j’ai commencé pour la chaîne ABC m’a demandé un an et demi d’efforts, rien que pour trouver les grandes lignes. Ça devrait faire - nous l’espérons ! - une mini-série. Je planche là-dessus depuis deux ans. C’est quelque chose qui s’inspire de la parapsychologie.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Comment êtes-vous passé de la télévision au cinéma ?
Richard Matheson : J’ai d’abord commencé par le cinéma. La première histoire que j’ai vendue fut « L’homme qui rétrécit (17)». Ensuite, j’ai écrit un certain nombre de scénarios. Comme ce truc qui s’est finalement appelé « The Beat Generation » (18) et qui ne vaut pas la peine d’être lu. Je n’ai donc fait de la télévision qu’après. J’aime la télé. J’y ai vécu des expériences très agréables.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Vous ne faites pas partie de ces écrivains qui se plaignent que l’on massacre horriblement leurs textes ?
Richard Matheson : Oh, il faut faire beaucoup de compromis. Mais j’ai collaboré à des choses comme « Duel » (19) où il n’y a pas eu à faire de compromis. La réalisation était superbe. Idem pour « The Morning After (20) ». J’ai simplement eu la chance de rencontrer des producteurs comme George Eckstein et David Wolper. Et aussi Dan Curtis. Il a fait de l’excellent travail à partir de certains de mes scénarios (21). Quand ça ne marchait pas, généralement, c’était parce que la distribution vous restait en travers de la gorge. A la télé, la barre de leur système de cotation « Q » est très élevée (22). Par exemple, j’ai écrit un script plutôt intéressant, intitulé « The Scream of The Wolf (23) » avec d’attachantes relations entre les personnages. S’il y avait eu deux bons acteurs ç’aurait pu être terrible, mais les comédiens à qui on a confié les rôles principaux étaient malheureusement trop limités pour exprimer quoi que ce soit de ces relations.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Que la distribution ne soit pas celle que l’on aurait souhaitée, est-ce la principale frustration lorsqu’on écrit pour le cinéma ou la télévision ?
Richard Matheson : C’est, à mon avis, ce qui a gâché la plupart des adaptations de Poe par Corman. La distribution était si faible, surtout au début ! Ensuite, heureusement, nous avons eu des tas de vétérans qui ne pouvaient pas commettre de faux pas. Comme lorsque Jacques Tourneur a signé « The Comedy of Terrors (24) » qui est, de très très loin, le dessus du panier. Je l’ai en cassette, je le regarde souvent et je trouve que c’est très drôle. Je n’ai pas la réputation d’être un auteur de comédie, mais j’apprécie pourtant ce genre-là.
Randy & Jean-Marc Lofficier : J’ai vu « House of Usher (La Chute de la maison Usher) (25) » quand j’étais très jeune, et cela m’a terrorisée pendant des années.
Richard Matheson : C’est un cas particulier, où Vincent Price a bénéficié d’un bon scénario et où il a accompli un excellent travail... Mais les deux jeunes gens ainsi que l’homme qui jouait le majordome - mais surtout les deux jeunes gens - ne correspondaient pas aux rôles. Puis il y a eu « Tales of Terror (26) » où, dans l’introduction, Nina Foch aurait dû être la fille de Price. Normalement, il existait une relation très complexe entre ces deux personnages. Mais c’est une autre actrice qui a finalement été choisie, et elle ne convenait pas du tout pour ce rôle...
Randy & Jean-Marc Lofficier : Vous vous êtes amusé, avec ces adaptations ?
Richard Matheson : Eh bien, la première m’a intrigué, parce que je n’avais jamais fait ce genre de travail auparavant, et j’y ai mis énormément d’énergie. La seconde n’avait plus rien à voir avec Poe. Ce que je veux dire, c’est : que peut-on faire avec « Le Puits et le Pendule ? C’est une courte nouvelle à propos d’un type attaché sur une table qu’un truc va couper en deux... J’ai été obligé de fabriquer une histoire entièrement nouvelle (27). Dès la troisième adaptation, je n’ai plus été capable de prendre ce travail au sérieux, alors j’en ai fait des sortes de comédies. Ensuite, j’ai carrément tout traité sur le mode humoristique. « Le Corbeau (28) », par exemple, fut un grand succès parce qu’on n’annonça jamais la couleur au public. Tout le monde pensait que le titre « The Comedy of Terrors » avait été une erreur commerciale parce qu’il vous prévenait qu’il s’agissait d’une comédie ; ainsi, les gens qui voulaient avoir peur ne viendraient pas.
Randy & Jean-Marc Lofficier : N’a-t-il pas bien marché en salles ?
Richard Matheson : Oh, si, bien sûr. Les producteurs n’ont jamais perdu d’argent sur quoi que ce soit, d’autant qu’ils réduisaient les dépenses au minimum : « The House of Usher » a coûté 125 000 dollars ! C’était une histoire qui démarrait lentement et allait crescendo, le seul type de suspense auquel je crois. Rien à voir avec le genre : « Je t’en mets plein la tête dès que tu poses tes fesses sur le fauteuil ! ». Un bon film doit vous attirer dans ses filets peu à peu jusqu’au moment où... Je me souviens d’un critique qui s’occupait de la page cinéma au Times ou au News. Après avoir vu le film, il a écrit : « Ce sont les premiers cris de peur sincères venus du balcon que j’entends depuis des années... ».
Randy & Jean-Marc Lofficier : J’ai toujours estimé que lorsque l’on construit un univers fantastique, on doit fixer des règles et s’y tenir.
Richard Matheson : Comme je l’ai toujours dit, ce qui marche le mieux c’est une idée bizarre, minuscule, placée dans un contexte réaliste. Il faut la traiter comme si on racontait une histoire réaliste. Selon moi, c’est le meilleur moyen d’engendrer la terreur, le fantastique ou tout ce que vous voulez.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Alors, que pensez-vous d’une histoire comme « Journal d’un monstre », que vous avez écrite en 1950 (29) ?
Richard Matheson : Ça ne tient pas debout ! C’est illogique ! Je n’écrirais plus d’histoire de ce genre aujourd’hui. La psychologie parentale y est ridicule et un médecin ne laisserait pas vivre une telle chose. Si malgré tout on lui laissait la vie, elle serait placée dans une institution. Les parents ne la ramèneraient sûrement pas chez eux pour la mettre dans la réserve à charbon, à la cave !
Difficile de trouver une logique dans tout ça ! Mais, bien sûr, je n’avais que vingt-deux ans quand j’ai rédigé cette nouvelle et qu’est-ce que je savais ? C’est ainsi que j’en suis arrivé à écrire une histoire qui a eu un très gros succès. Parce que je ne me suis pas soucié de la logique.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Vous avez l’impression que c’est surtout cela qui a changé durant votre carrière ? Que la logique occupe désormais une place beaucoup plus importante dans vos œuvres ?
Richard Matheson : Non, je me référais simplement à ce que je croyais être logique à cette époque mais ma conception de la logique s’est modifiée avec le temps. C’est tout. Vous savez, en vieillissant, vous vous mariez, vous faites des enfants et vous voyez la vie sous un angle plus réaliste, plus logique. Lorsque vous êtes jeune, il vous suffit d’avoir une idée folle pour que vous vous disiez : « Hé ! Ça, c’est formidable ! ».
Randy & Jean-Marc Lofficier : Avez-vous l’impression que c’est l’évolution du monde qui a entraîné ces changements dans votre conception de la logique ainsi que dans ce qui provoque la terreur à l’intérieur d’un récit ?
Richard Matheson : Sans doute. J’utilise souvent le terme déplacé. J’entends une idée, je vois quelque chose, un film sort et je me dis : « C’est totalement déplacé ! ». Le monde se trouve dans une certaine situation et est confronté à un certain nombre de problèmes tels que la guerre nucléaire ou les changements qui interviennent à la surface de la planète et ces problèmes ne feront que croître d’ici à la fin du siècle... C’est pourquoi beaucoup de choses me paraissent désormais « déplacées ». Et c’est aussi la raison pour laquelle j’essaie d’écrire des choses plus pertinentes, aussi bien pour la télévision que dans mes romans, comme, par exemple « What Dreams May Come (30) », dont on est en train de faire un film.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Quels sont ces changements dont vous parlez et en quoi ce que vous produisez aujourd’hui vous paraît-il plus pertinent ?
Richard Matheson : Eh bien, tout ce qui concerne la parapsychologie. Je veux expliquer au public - au plus grand nombre de gens possible - que le monde n’est pas fait que de cupidité et de militaires lancés dans la course aux armements. Il y a certains aspects de nous-mêmes que nous ignorons et qui pourraient sauver le monde si nous en faisions usage. C’est là quelque chose d’important à dire, je crois. Par ailleurs, il se trouve que je crois à la survie après la mort et que je veux faire un film sur ce sujet, ce qui, à mon avis, pourrait peut-être se révéler réconfortant!
Randy & Jean-Marc Lofficier : Que pensez-vous de « Brainstorm » de Douglas Trumbull ?
Richard Matheson : J’ai trouvé que c’était un film très pauvre. Je devais faire les scénarios de « Silent Running » et de « Brainstorm ». Trumbull lui-même en avait déjà écrit une version. A mon avis, dans les deux cas, il s’est contenter de dire : « Ouais, d’accord, engageons un écrivain pour refaire ça », parce qu’il ne voulait pas se fâcher avec ses producteurs... Mais il n’avait pas vraiment envie de changer la moindre virgule à son propre scénario. Et il y est parvenu... Quand je les ai lus, je me suis dit qu’il n’y avait vraiment rien à en tirer, et qu’il fallait tout reprendre de zéro. Ce que je ne voulais pas faire, puisque, manifestement, il y tenait beaucoup. J’ai trouvé « Brainstorm » terne. La séquence après la mort est une séquence terne. C’est une idée fascinante et pourtant...
Randy & Jean-Marc Lofficier : Y a-t-il certains de vos films dont vous soyez particulièrement content ?
Richard Matheson : Si l’on excepte quelques scènes, surtout vers la fin, j’aime bien « Somewhere in Time (31) ». Quant à mes autres films... Je ne suis pas certain d’aimer « Hell House »... On y trouve cependant de bonnes choses. Je crois que c’est surtout ce que j’ai écrit pour la télévision que j’aime bien.
« Duel », « The Morning After », « Dracula » jusqu’à un certain point - ce film est trop court, il aurait dû durer trois heures ! -, ainsi que « The Night Stalker » et sa suite, « The Night Strangler »... Tout ça, je l’ai fait pour la télé. J’ai aussi un faible pour « The Comedy of Terrors » et « The Incredible Shrinking Man (L’homme qui rétrécit) ».
Randy & Jean-Marc Lofficier : Vous pensez que les réalisateurs prennent plus de libertés avec vos scénarios ?
Richard Matheson : Il est certain qu’ils devraient davantage se conformer à ce qui est écrit mais j’ai l’impression qu’avec « What Dreams Way Come », les choses vont se passer différemment. A condition, évidemment, que le réalisateur ait vraiment la même vision que moi... A la télévision, tout est une question de compromis. On ne peut pas dire que les gens essaient de gâcher votre idée volontairement, non. Il y a seulement trop de choses que vous ne pouvez pas faire pour telle ou telle raison. Sur le moment, d’ailleurs, les raisons invoquées vous semblent logiques et puis, au bout d’un certain temps, vous vous rendez compte de toutes les faiblesses qu’engendre ce système.
Randy & Jean-Marc Lofficier : En dehors des projets sur lesquels vous travaillez en ce moment y a-t-il autre chose que vous souhaitiez faire ? Peut-être adapter une œuvre écrite par quelqu’un d’autre au cinéma ou à la télévision ?
Richard Matheson : Je n’y ai pas réfléchi, mais j’aime beaucoup... Personne ne me propose jamais d’adaptations. On a tellement pris l’habitude de me voir écrire des histoires originales qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de me demander une adaptation.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Avez-vous l’impression que le traitement de la terreur à l’écran a évolué ces dernières années ? Que, désormais, c’est le règne de l’horreur ?
Richard Matheson : C’est certain. Quand il a fallu affronter la concurrence de la télévision et qu’on a dépassé les limites du bon goût pour faire entrer l’argent dans les caisses, plus personne n’a reculé devant les excès — excès de dollars et d’abominations —- à vous retourner l’estomac. Les producteurs ont échappé à tout contrôle. Maintenant d’ailleurs, plus personne ne contrôle la situation. Pauline Kael est une merveilleuse critique (32) mais son commentaire sur « A la poursuite du diamant vert » (33) m’a vraiment fait bondir. Elle parle d’une scène où un alligator dévore la main d’un type, et elle écrit que c’est ce qu’il y a de plus drôle dans le film. Je me suis dit : « Mais enfin, de quoi est-ce que vous parlez ? Ça n’était pas drôle du tout ! ». En fait, je trouve que ça détonne avec le reste du film et que cette scène est grotesque. Récemment, ma femme et moi étions en vacances et nous avons vu le remake de « The Thing » de John Carpenter. Ca m’a paru hideux ! Je comprends que ce film n’ait pas bien marché ; c’était si écœurant que même les gosses, qui adorent pourtant ce genre de choses, n’ont pas pu le supporter !
Randy & Jean-Marc Lofficier : Pensez-vous que ce genre de films a ôté toute chance aux films de terreur ?
Richard Matheson : Oui, dans une large mesure. Quand vous prenez l’habitude de voir des gens à qui on arrache le cœur, la terreur subtile vous fait forcément moins d’effet. Vous êtes de moins en moins sensible, et c’est votre cerveau qui lâche le premier, pas votre épiderme. Vous appréciez moins la finesse d’une situation et vous n’attendez plus que le prochain dingue qui entrera dans le champ avec une hache pour ouvrir quelques crânes.
Randy & Jean-Marc Lofficier : Et votre attitude vis-à-vis de la terreur ? A-t-elle changé ?
Richard Matheson : Comme je l’ai dit, effrayer le public ne m’intéresse plus. Évidemment, certaines choses, dans mes textes, feront toujours peur, si c’est approprié à mon discours. Je ne suis pas soudain devenu un saint, et tout n’est pas merveilleux dans le monde, loin de là. Mais effrayer le public, dans le seul intérêt de construire une bonne histoire ou de gagner de l’argent, non, ça ne m’intéresse plus. D’ailleurs, autant que je m’en souviennes, je ne crois pas l’avoir jamais fait gratuitement. Disons que lorsque j’étais plus jeune, je me posais moins de questions sur ma production. Je crois cependant avoir toujours eu assez de bon goût ou de retenue pour éviter les procédés par trop répugnants. En ce qui concerne mes scénarios, en tout cas, je ne me rappelle pas avoir écrit de scènes abominables, à moins que vous ne pensiez qu’une énorme araignée avec du sang qui dégouline de son corps... Dans un livre, ce genre de chose est toujours plus facile à maîtriser que dans un film, où cela fait parfois un peu bidon...
Randy & Jean-Marc Lofficier : De quoi êtes-vous le plus fier, dans toute votre œuvre ?
Richard Matheson : De « What Dreams May Come ». Ce que j’y dis me paraît important et je crois que je le dis plutôt bien. Quant au film, je ne pense pas que l’on pourrait mieux faire. Et il en ira sans doute de même pour la série T.V. si elle n’est pas victime de compromis. C’est Wolfgang Petersen (34) qui est chargé de la réalisation et j’ai l’impression que c’est un énorme avantage.
Traduit par Bernard Blanc et Dominique Brotot.
La chronique de 16h16 !