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Interview de Rodolphe
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Interview de Rodolphe

ActuSF : Bonjour Rodolphe, plutôt qu'une présentation, qui me paraît superflu, j'aimerai que tu nous parles de ta relation actuelle avec l'univers de la Bande Dessinée et le monde de l'édition, comment un vieux routard comme toi regarde t-il la cacophonie actuelle ? Peux-tu nous parler de ta techrnique de travail, as-tu des tics, comment se passe le processus de création chez toi, et la lente mise en place de l'idée à l'œuvre finale ?
Rodolphe : L’édition va plutôt mal, je le crains ! Et l’édition de B.D comme le reste ! Les nouvelles générations désertent la lecture pour l’usage exclusif des écrans (internet, résaux, jeux, etc.), l’essentiel des populations s’enfonce dans le loisir « de masse », football et séries TV !

A noter de plus, que les maisons d’éditions sont de moins en moins  de la responsabilité d’un patron –propriétaire & directeur & éditeur- mais d’équipes, de groupes, de collèges, qui passent leur temps de réunion en réunion à faire en sorte de ne jamais personnellement se mouiller et d’opter pour une ligne éditoriale façon consensus mou, ou le dénominateur commun se doit d’être le plus large et donc le moins original (singulier) possible…

L’âge d’or des Desinge, Dionnet, Losfeld, Pauvert and co, des gens susceptibles de réagir à la minute à un coup de cœur et de dire banco est (presque) totalement révolu. Exit l’âge d’or, voici l’âge de l’or, de la thune et du biseness. Et de l’immédiate rentabilité.

La navigation ne se fait plus au feeling, au goût et à l’intelligence mais au suivi des courbes de vente et d’évolution du marché…

Vieux routard ? Désolé je n’ai jamais été routard, quand à vieux, pas du tout : à peine 64 et je ne les fait pas.

Ma technique de travail ? Trop complexe à expliquer en quelques mots. Je dirais absence presque totale de méthode fixe, pas de règles, de ficelles (hormis ce qui est inconsciemment intégré et fait partie d’une seconde nature ?), juste improvisation en se tenant dans un état de très violente concentration sur son propos. Je repense à la curieuse phrase du physicien A.Einstein : « Ton seul modèle doit être toi-même, aussi effrayant soit-il ! »

ActuSF : Je t'ai découvert, ado, avec une série qui m'a marquée : Le Cycle de Taï-Dor, univers onirique, de fantasy épique, et avec un très beau message humaniste. Peux-tu revenir sur cette série, et sur le tome 8, album fantôme qui ne verra sans doute jamais le jour ?
Rodolphe : Taï-Dor ? C’est bien loin, tout ça ! Nous étions 2 sur le scénario avec Le Tendre. Travail commun (chez l’un ou chez l’autre) extrêmement plaisant, ludique et rapide ! Bon souvenir également du dessinateur Jean-Luc Serrano avec lequel nous  avons renoué il y a quelques années le temps d’un album (série « Destin » / T.7 « Une Belle histoire »). La série a perdu de son impact au fur et à mesure que l’Heroic-Fantasy entrait dans les mœurs. Et puis Jean-Luc a succombé à l’appel des sirènes hollywoodiennes et est parti faire le zouave dans des studios d’animation là-bas au pays des piscines et des starlettes !

Le volume inédit ? Il s’appelle « Les Monstres », il est finalisé (dont couverture et une part des couleurs). Il est plutôt chouette, mais le dessinateur-repreneur ayant mis environ 4 ans à le faire, notre éditeur avait entre temps passé l’éponge. Je crois bien qu’on a récupéré les droits dessus. Si un jour quelqu’un s’y intéresse…

ActuSF : Autre création très onirique, l'univers de L'Autre Monde, illustrée par la talentueuse Florence Magnin, peux-tu nous parler un peu plus en détail de cet univers si particulier ?
Rodolphe : L’Autre Monde ? Une histoire que j’aime tout particulièrement. Assez personnelle, je le crains. Avec beaucoup de choses qui remontent à mon enfance… Je suis content qu’avec Florence nous ayons pu faire ce second cycle (le T.2 paraitra en octobre). J’aime beaucoup cet univers hors du temps et j’ai eu grand plaisir à m’y replonger…

 

ActuSF : Autre série qui m'a marqué, Kenya, déclinée en BDs et en romans, là tu joues avec beaucoup de concepts : Extra-terrestres, dinosaures, Afrique Noire de l'après Seconde Guerre mondiale, le premier cycle s'est terminée en 5 tomes et tu continues d'explorer cet univers avec un deuxième cycle, Namibia, là aussi peux-tu nous en dire plus ?
Rodolphe : Kenya ? Après avoir passé une dizaine d’années, avec Léo, à développer l’univers de Trent (sergent dans la Police Montée canadienne) nous avons eu besoin de changer d’air. Kenya est né d’un ensemble de « brain storming » durant lesquels nous avons mis sur la table tout ce que nous aimions et surtout tout ce qui nous avait marqués étant enfants ou adolescents. Kenya est une sorte de conglomérat de nos lectures, de nos fantasmes, de nos envies de gosses. C’est pour ça que la série est difficile à classer : espionnage, grande aventure, psychologie, fantastique, SF ?… Il y a de tout cela. En fait je crois qu’on a écrit ce qu’on aurait aimé lire…

Namibia ? Au terme du tome 5 de Kenya, on n’avait envie ni de cesser là notre collaboration ni d’abandonner notre personnage de Kathy Austin, auquel on s’était rudement attachés ! (et le public aussi : les ventes au titre devant aller vers les 100.000). Mais on ne voulait pas prolonger artificiellement le récit. D’où l’idée de ce second cycle, indépendant, situé 2 ans plus tard et dans un autre pays africain, la Namibie. On y retrouve certains ingrédients comme la politique internationale du temps, l’espionnage ou le surgissement d’éléments fantastiques, mais la ressemblance s’arrête là. Il a fallu ferrailler avec notre éditeur qui espérait une sorte de Kenya 2, avec le retour des fameux monstres, mais on a tenu bon !

L’adaptation de Kenya sous forme de romans est le résultat d’une commande de l’éditeur Mango (qui avait été racheté par le groupe Média Participations) qui souhaitait décliner sous forme de romans pour la jeunesse des séries de BD typées SF jouant d’une bonne popularité comme Valerian ou Kenya. J’ai donné mon accord à la condition expresse de réaliser moi-même la novélisation, ce qui m’a permis de développer certaines scènes et d’en rajouter d’autres inédites…

ActuSF : Tu as déjà joué avec l'uchronie avec Das Reich (2 tomes parus chez Soleil en 1996 et 1997), dépeignant tout d'abord un impitoyable univers carcéral d'où s'enfuient un petit groupe de prisonniers pour déboucher sur un mnode où le IIIe Reich a remporté in extremis la guerre. Peut-on considérer cette série comme abandonnée, depuis le temps ? Et qu'est-ce qui t'a donné envie de jouer avec un des thèmes les plus glaçants et les plus traités à l'heure actuelle (en BDs) en matière d'uchronie ?
Rodolphe : Das Reich ? Oh, c’est bien vieux, en vérité ! La série s’est arrêtée le jour où l’éditeur m’a dit qu’il était ok pour poursuivre mais à la condition de changer de dessinateur ! Lorsque j’ai raconté la chose à l’intéressé, celui-ci a été a été anéanti ! J’ai préféré ne pas donner suite… Ultérieurement, j’ai pensé à la possibilité de reprendre différemment l’histoire (elle était prévue pour 5 volumes) mais n’y a t-il pas eu depuis pléthore d’autres récits utilisant les mêmes ressorts ?

ActuSF : Avec la série Si Seulement, tu fais de l'uchronie personnelle, un thème qui peut parler à n'importe quel lecteur, vu qu'on en fait souvent au quotidien, et joue avec les différentes vies de Joe Horton. Le tout avec ce qui me semble être une référence directe à la quatrième dimension pour ce qui est du passage entre ces mondes différents et enfin une réflexion du type "fais attention à ce que tu souhaites, cela pourrait bien se réaliser..." la morale de cette histoire ne serait-elle pas qu'il faut savoir faire avec sa vie et qu'elle est souvent bien meilleure que ce l'on croit ? A ce propos, comment t'es venue l'idée de cette série, qu'est-ce qui t'a donné envie d'explorer les différentes possibilités, les différents choix qu'offrent une vie ? Comment s'est passé le travail avec Lounis chabane ? Songes-tu à revenir sur cet univers, histoire que l'on en sache un peu plus sur cette pièce spéciale et ses portes ?
Rodolphe : Les idées et les thématiques que je développe dans mes récits sont tout simplement celles que je me raconte à moi-même depuis toujours : les fantasmes du semi-sommeil sur lesquels on se laisse dériver avant d’abandonner le monde conscient pour celui des rêves… Ce jeu du « et si ? », je le pratique depuis l’enfance. En est-il de plus fascinant que celui consistant à revoir, à réviser son destin via quelques infimes détails de parcours disposés différemment ? On commence tous à fantasmer là-dessus tous petits : et si nos parents n’étaient pas nos vrais parents ?

Le mode de passage d’un univers l’autre (cette cave aux 6 portes) est traité en 3 coups de cuiller à pots, car il ne me semble pas représenter un grand intérêt, et je ne voulais pas que le lecteur aille y chercher je ne sais trop quoi. L’ancien propriétaire des lieux était un sorcier : voilà qui représente une information suffisante pour ceux qui s’acharnent à vouloir chercher le pourquoi du comment. Ce qui est intéressant ce ne sont pas les portes, ni qui les a construites (ni en quel bois elles sont faites !) mais bien les mondes qu’il y a derrière !

Bien sur, je schématise : il y aurait certainement des choses à dire sur ces portes, la pièce ronde et pourquoi pas ce fichu sorcier qui les a conçues ( ?). Mais ce serait là matière à un autre cycle qui quitterait sans doute le registre de l’uchronie pour celui du fantastique pur. Pourquoi pas ?

Collaboration sans problème avec Lounis Chabane. Un garçon talentueux, inventif et toujours à l’écoute. Si second cycle il devait y avoir, ce serait bien sur avec lui !

Non, pas de morale. Pas dans le sens classique, en tout cas. Ou alors une morale épicurienne : la vie est belle, nos vies sont belles, prises dans leurs singularités, avec leurs richesses et leurs misères. Il faut jouir de cette unicité qui fait que nous soyons tout juste ce que nous sommes, rien de plus et rien de moins. Et jeter un bref coup d’œil aux gouffres qui nous entourent (tous ces fameux « si », tous nos doubles, nos presque-soi) crée un effet de vertige salutaire quant à reprendre ensuite le fil de notre brave petit destin !

ActuSF : Pour conclure, peux-tu nous parler de tes projets en cours, où à venir ? Une chance de te revoir sur des terres uchroniques ?
Rodolphe : Mes Projets ? Bien sur ! Un album avec Vink intitulé « Le Temps Perdu » (rien à voir avec Proust) : un one-shot fantastique qui décrit –entre autres- un univers différent, un peu comme le faisait « L’Autre Monde ». Mais le ressort dramatique n’a rien à voir…

Dans le domaine du fantastique, un autre récit complet (64 pages) avec Philippe Marcelé, intitulé « Markheim » (rien à voir avec Stevenson) jouant sur les frontières ténues séparant le rêve et de la réalité ( ?). Avec René Follet, une relecture personnelle de la vie de Robert Louis Stevenson (cette fois-ci, si ! Il y a à voir !) Intitulé « Le Pirate Intérieur », Ce récit (64 pages) travaillé en couleurs directes paraîtra chez Aire Libre courant 2013.

A la  du fantastique et de la SF, une trilogie démarrera l’an prochain, chez Glénat, dessinée par Bertrand Marchal (« Namibia », « Le Village ») intitulée « Memphis » : la découverte d’un monde « truqué » qui ressemble tant au nôtre !

Dans le domaine du légendaire, paraitront également (toujours en 2013) les 2 premiers volets d’un cycle dessiné par Raquel Alzate et consacré à la mythique ville engloutie d’Ys. Enfin je travaille en ce moment sur un roman situé dans la ville de Providence (Massachusets) à l’aube des années 30, et dont le personnage principal est un certain H.P.Lovecraft… Voilà pour l’immédiat…

 En guise de conclusion, et concernant les thématiques qui me sont propres, je dirais qu’elles ont ceci de particulier de presque toujours remonter à l’enfance : Fascination pour ses doubles, angoisse de l’identité, sentiment d’irréalité concernant le monde autour de soi, fantasmes de mort ou d’abandon… Presque toujours mes histoires trouvent là leur racine… Et puis je n’aime pas trop les héros…

Certains de mes confrères excellent quant à raconter les aventures de multimilliardaires, membre de la haute finance et de la jet-set qui passent leur vie sur des yachts de luxe ou au bord de piscines californiennes, entourés de poupées Barbie. Ces univers et ces gens là ne m’intéressent pas. Pire : ils me dégoûtent ! Rêver de devenir riche –encore plus riche !- et puissant –encore plus puissant !- me semble idiot et en tout cas bien démobilisateur ! Parlez-moi plutôt de voyager dans le temps, de devenir invisible (pour voir les filles prendre leurs douches !) ou de lire dans la pensée d’autrui ! De bons vieux fantasmes qui font depuis toujours rêver tous les gosses et anciens gosses du monde ! Plus sérieusement, on peut encore s’interroger savoir ce qu’on fout là sur cette petite planète, pourquoi et par qui ( ?) ce  bazar a été inventé, et si notre partition s’interrompt définitivement (ou non), le jour où l’on passe l’arme à gauche !...

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