ActuSF : Bonjour pourriez-vous vous présenter, nous expliquer comment est venue l'idée de faire une uchronie à partir du 11 Septembre ?
Roger Seiter: Ma formation d'historien explique sans doute mon goût pour les récits dont l'action se déroule dans le passé. Beaucoup parmi mes albums ont pour cadre le XIXeme siècle européen ou américain. Je trouve que ce décalage temporel confère aux fictions une sorte d'exotisme qu'on ne retrouve pas dans les thrillers contemporaines. La plupart de mes séries (FOG, HMS, Mysteries, POE, Special Branch, etc …) sont des polars historiques qui me permettent, au-delà de l'intrigue proprement dite, de recréer des univers disparus dans lesquels évoluent les personnages. Dans le cas du 12 Septembre, le problème était différent. On a déjà beaucoup écrit, disserté et enquêté sur les les causes et les conséquences des attentats du World Trade Center. Il s'agit sans aucun doute d'un événement majeur de l'histoire du XXIeme siècle et traiter un tel sujet dix ans après le drame ne pouvait que m'intéresser. Mais il me fallait trouver une autre approche. Il me semblait que relater simplement de ces évènements n'avait guère d'intérêt pour les lecteurs. Les journalistes et les médias allaient certainement largement s'en charger. Expliquer dans les détails comment une poignée d'illuminés avaient pu détourner quatre avions et faire des milliers de victimes innocentes en quelques minutes. Mais il y avait d'autres questions à se poser. Comment l'humanité en était-elle arrivé là ? L'opposition entre l'occident chrétien et le monde musulman remonte au VIIIeme siècle. Deux civilisations brillantes et souvent complémentaires qui avaient cohabité durant des siècles pour en arriver à un drame aussi absurde. Une telle issue était-elle inéluctable ? Si à un moment donné, l'histoire avait été différente, aurions-nous pu éviter d'en arriver à de telles extrémités ? Et si … A partir de là, le choix de l'uchronie s'est imposé tout naturellement …
ActuSF : Toute une partie de votre Bande-Dessinée peut-être perçue comme un thriller savamment conçu : Agent de terrain multilingue sur-diplômé, Duncan Campbell, s'intéressant à une famille -très- riche du Moyen-Orient et de ses relations troubles avec des fondamentalistes intégristes, liens de cette famille avec le pouvoir américain en place, difficultés de recouper les informations, agences de renseignements se tirant dans les pattes et finalement acte terroriste surprenant tout le monde, on a l'impression, à vous lire, que malgré leurs compétences, leurs réseaux et leur supériorité technologique les agences de renseignements américains ont échoué face à de plus grands gestionnaires, aptes à gérer de petites cellules et qu'ils sont capables, eux, de préparer l'inacceptable sans remords (avec d'ailleurs une scène révélatrice à un moment quand l'un des responsables terroristes trouve que le jeune qu'il a récupéré vaut en faire trop et qu'il échouera s'il ne se discipline pas), est-ce le cas ?
Roger Seiter: Le début de l'histoire est très largement inspiré des évènements réels, même si je me suis permis quelques libertés. Dans l'ensemble, cela s'est bien passé comme ça. Bien avant septembre 2001, la CIA avait connaissance de beaucoup de choses. Mais les responsables des différents services n'avaient pas jugé utile de donner suite aux renseignements fournis par leurs propres agents ou par des agents de pays alliés. Dans ces conditions, le drame devenait inévitable. Les activités de Ben Laden étaient connues des Américains et ils savaient parfaitement qu'il était capable du pire. Il l'avait déjà prouvé par le passé. Mais l'arrivée au pouvoir de George W. Bush et de la nouvelle administration avaient changé la donne. Les liens financiers et amicaux entre la famille Bush et l'Arabie Saoudite étaient très complexes. J'en veux pour preuve que le lendemain des attentats, sur ordre de la Maison blanche, des agents américains avaient exfiltré des membres de la famille Ben Laden présents sur le sol américain. Ben Laden a su choisir le bon moment. Il a frappé à une telle échelle que les services américains ont tout simplement été dépassés par les évènements.
ActuSF : Parlons de votre héros, comment l'avez-vous construit, créé ?
Roger Seiter: Duncan Campbell est un personnage assez atypique. Il a une formation universitaire en histoire des civilisations et parle plusieurs langues, dont le français et l'arabe. C'est un spécialiste des relations entre l'Occident et le monde musulman. Il a également fait un passage dans les marines, ce qui en fait un potentiel homme d'action. C'est donc une recrue idéale pour la NSA, qui en a fait un excellent agent de terrain. Ses liens avec Sadie Abbott ne sont pas que professionnels. Duncan et Sadie ont vécu une histoire compliquée qui n'est visiblement pas terminée. La mort tragique de Sadie et l'attitude inacceptable des services secrets dans cette affaire conduisent Duncan à entreprendre une action désespérée. Mais sa quête va brutalement basculer et l'entraîner dans une aventure qui va le faire douter de sa santé mentale.
ActuSF : Sans transition, nous passons à un aspect fantastique avec le voyage dans le temps brutal pour notre héros, la scène m'a rappelé fortement De peur que les ténèbres de L. Sprague de camp, où le héros, un archéologue est projeté à l'époque de l'empire romain lorsqu'il est frappé par la foudre et tente alors d'empêcher le dit Empire de succomber sous les coups de butoir des barbares et de succomber ainsi à l'ère de ténèbres qu'est censé symboliser le début du moyen-âge... Comment et pourquoi avez-vous décidé une transition aussi brutale, est-ce pour nous nous sentions aussi perdus que le héros lorsqu'il voit arriver un navire assez étonnant pour lui ?
Roger Seiter: Quand il voit arriver la galée, Duncan croit tout d'abord qu'il s'agit du tournage d'un film historique. Mais la référence à « De Peur que les Ténèbres » est bien vue. J'ai adoré le bouquin de Sprague de Camp et je l'ai relu avant de me lancer dans cette aventure. Dans le roman, le passage du XXeme siècle à l'époque romaine est effectivement expliqué par un éclair qui frappe le narrateur. Je pense que dans ce genre de récit, le changement d'époque ne peut être que brutal. C'est à mon avis la seule manière de faire accepter à l'inconscient du lecteur un événement aussi improbable. La chute d'un avion dans la mer avec le héros qui émerge ensuite m'a semblé une bonne solution. Je ne crois pas qu'il soit utile de donner davantage d'explications. Je ne me voyais pas me lancer dans de pseudos explication scientifiques qui sont souvent périlleuses, quand elles ne frisent pas le ridicule.
ActuSF : Le capitaine se charge de lui expliquer la géopolitique de cette uchronie, pourquoi ne pas avoir songé, plutôt qu'un petit discours à s'amuser à mettre en images, façon manuscrit chrétien, cette narration qui nous renseigne sur l'uchronie en cours ? Et pourquoi le XVème siècle ? De même au sujet de la Némésis du héros, celui qui a créé un califat gigantesque de l’Égypte aux portes de Constantinople, qui fait trembler toute la chrétienté d'Europe qui a été forcé de s'allier et de mettre de côté ces querelles pour faire face à cet adversaire redoutable, disposant d'une technologie novatrice (armes à feu à répétition, bateaux à vapeur, etc.) Peux-t-on envisager qu'il s'agisse de celui que poursuivait notre héros qui serait arrivé plus tôt que lui ? Et que par là même vous jouiez avec l'un des ressorts du voyage dans le temps : 2 personnes empruntent un tunnel temporel mais ne ressortent pas à la même date ?
Roger Seiter: La série est prévue en quatre albums. Je vais donc disposer d'un peu de temps pour présenter et explorer l'univers dans lequel se déroule l'histoire. Le tome 2, par exemple, se déroule en grande partie en Italie, aux alentours de Naples. Par contre, une partie du contexte historique est respecté. Ainsi, Jacques Cœur possédait effectivement une galée baptisée « La Madeleine » et ce navire était commandé par Jean de Villages. Dans les tomes suivants, Duncan va croiser la route de personnages historiques comme Jacques Cœur, François Villon et bien d'autres. Il va également rencontrer une femme condottière du nom de Bianca Francesca qui jouera un rôle tout à fait particulier dans l'histoire (je vous laisse la surprise). Le choix du XXVème siècle s'est imposé par lui-même. C'est une époque charnière entre la fin du Moyen-Âge et la Renaissance. 1453 marque la chute de Constantinople et la fin de la guerre de Cent Ans et 1492 la découverte de l'Amérique. En quelques décennies, le monde change radicalement. C'est également une époque où le monde musulman est très ouvert, très humaniste. On est vraiment très loin du wahhabisme, du salafisme et des délires extrémistes des auteurs des attentats du 11 septembre. Il m'a semblé que c'était l'époque idéale pour situer mon uchronie. En ce qui concerne la quête de Duncan et votre dernière question, je suis un peu embêté. Tout ce que je peux vous dire, c'est que votre remarque est tout à fait pertinente. Il est effectivement précisé en début d'album qu'Ali-al-Kazim a fait ses études aux États Unis et qu'il a une formation d'ingénieur en mécanique. Quant au fonctionnement des tunnels temporels, je peux vous confirmer que vos informations sont exactes …
ActuSF : Votre fin donne envie d'en savoir un peu plus sur cet univers, avez-vous déjà commencé à travailler sur la suite, en combien de tomes pensez-vous développer votre monde uchronique ? Songez-vous à créer les conditions suffisantes pour que les religions du Livre puissent cohabiter en paix sans qu'il y ait de 11 septembre et d'appel à la haine et à l'obscurantisme ?
Roger Seiter: Comme je l'ai expliqué plus haut, la série est normalement prévue en quatre albums. Et là encore, votre question est très pertinente. Vous avez effectivement assez bien résumé l'idée générale de la série. Simplement, je ne vais pas aborder les problèmes sous l'angle des religions, mais plutôt sous celui des civilisations (même si les deux sont étroitement liées). En expliquant que la cohabitation est parfaitement possible.
ActuSF : Question graphisme, nous avons droit à un trait très réaliste et à une mise en couleur efficace : Comment s'est passé le travail avec le dessinateur italien, comment avez-vous travaillé ?
Roger Seiter: Simone Gabrielli est effectivement italien. Il habite Rome et ne parle pas un mot de français. Moi, de mon côté, j'habite en Alsace et je ne parle pas un mot d'italien. Dans ces conditions, la communication est difficile. Glénat a fait traduire l'ensemble des documents (scénario et découpages) en italien et ma foi, cela s'est plutôt bien passé. Je dois au passage remercier Philippe Hauri, le directeur éditorial de chez Glénat et frédéric mangé, mon éditeur, qui se sont pas mal investis dans cette aventure. Et puis, il y a internet et un traducteur automatique sur Google qui ne fonctionne pas si mal. Dans la mesure où les deux langues sont proches, on arrive à se comprendre par mails interposés. J'imagine que cela aurait été moins évident avec un dessinateur chinois.
ActuSF : Pour conclure qu'évoque le mot Uchronie pour vous ? En avez-vous lu certaines ? Vous ont-elle inspiré pour l'écriture de cette BD ? Songez-vous à en développer d'autres ?
Roger Seiter: Pour moi, il s'agit d'une réécriture de l'histoire et donc d'une histoire alternative. Nous avons déjà parlé du roman « De Peur que les Ténèbres » de L.Sprague de Camp. Je me souviens également de la série « Le Chardon et le Tartan » de Diana Gabaldon. L'exercice est intéressant, mais difficile, dans la mesure où il faut bien connaître l'histoire avec un grand « H » avant de s'amuser à la modifier. Mais c'est la seule manière de construire un récit en se disant: « Et si cela s'était passé comme ça ... ». Le choix de l'uchronie s'est pour moi imposé dans ce projet. Mais ce n'est pas mon exercice préféré et je pense que je vais revenir assez rapidement aux polars historiques qui demandent tout de même un peu moins de travail.
ActuSF : Merci beaucoup !
Roger Seiter: Merci à vous. Vos questions étaient tout à fait intéressantes.
Roger Seiter: Ma formation d'historien explique sans doute mon goût pour les récits dont l'action se déroule dans le passé. Beaucoup parmi mes albums ont pour cadre le XIXeme siècle européen ou américain. Je trouve que ce décalage temporel confère aux fictions une sorte d'exotisme qu'on ne retrouve pas dans les thrillers contemporaines. La plupart de mes séries (FOG, HMS, Mysteries, POE, Special Branch, etc …) sont des polars historiques qui me permettent, au-delà de l'intrigue proprement dite, de recréer des univers disparus dans lesquels évoluent les personnages. Dans le cas du 12 Septembre, le problème était différent. On a déjà beaucoup écrit, disserté et enquêté sur les les causes et les conséquences des attentats du World Trade Center. Il s'agit sans aucun doute d'un événement majeur de l'histoire du XXIeme siècle et traiter un tel sujet dix ans après le drame ne pouvait que m'intéresser. Mais il me fallait trouver une autre approche. Il me semblait que relater simplement de ces évènements n'avait guère d'intérêt pour les lecteurs. Les journalistes et les médias allaient certainement largement s'en charger. Expliquer dans les détails comment une poignée d'illuminés avaient pu détourner quatre avions et faire des milliers de victimes innocentes en quelques minutes. Mais il y avait d'autres questions à se poser. Comment l'humanité en était-elle arrivé là ? L'opposition entre l'occident chrétien et le monde musulman remonte au VIIIeme siècle. Deux civilisations brillantes et souvent complémentaires qui avaient cohabité durant des siècles pour en arriver à un drame aussi absurde. Une telle issue était-elle inéluctable ? Si à un moment donné, l'histoire avait été différente, aurions-nous pu éviter d'en arriver à de telles extrémités ? Et si … A partir de là, le choix de l'uchronie s'est imposé tout naturellement …
ActuSF : Toute une partie de votre Bande-Dessinée peut-être perçue comme un thriller savamment conçu : Agent de terrain multilingue sur-diplômé, Duncan Campbell, s'intéressant à une famille -très- riche du Moyen-Orient et de ses relations troubles avec des fondamentalistes intégristes, liens de cette famille avec le pouvoir américain en place, difficultés de recouper les informations, agences de renseignements se tirant dans les pattes et finalement acte terroriste surprenant tout le monde, on a l'impression, à vous lire, que malgré leurs compétences, leurs réseaux et leur supériorité technologique les agences de renseignements américains ont échoué face à de plus grands gestionnaires, aptes à gérer de petites cellules et qu'ils sont capables, eux, de préparer l'inacceptable sans remords (avec d'ailleurs une scène révélatrice à un moment quand l'un des responsables terroristes trouve que le jeune qu'il a récupéré vaut en faire trop et qu'il échouera s'il ne se discipline pas), est-ce le cas ?
Roger Seiter: Le début de l'histoire est très largement inspiré des évènements réels, même si je me suis permis quelques libertés. Dans l'ensemble, cela s'est bien passé comme ça. Bien avant septembre 2001, la CIA avait connaissance de beaucoup de choses. Mais les responsables des différents services n'avaient pas jugé utile de donner suite aux renseignements fournis par leurs propres agents ou par des agents de pays alliés. Dans ces conditions, le drame devenait inévitable. Les activités de Ben Laden étaient connues des Américains et ils savaient parfaitement qu'il était capable du pire. Il l'avait déjà prouvé par le passé. Mais l'arrivée au pouvoir de George W. Bush et de la nouvelle administration avaient changé la donne. Les liens financiers et amicaux entre la famille Bush et l'Arabie Saoudite étaient très complexes. J'en veux pour preuve que le lendemain des attentats, sur ordre de la Maison blanche, des agents américains avaient exfiltré des membres de la famille Ben Laden présents sur le sol américain. Ben Laden a su choisir le bon moment. Il a frappé à une telle échelle que les services américains ont tout simplement été dépassés par les évènements.
ActuSF : Parlons de votre héros, comment l'avez-vous construit, créé ?
Roger Seiter: Duncan Campbell est un personnage assez atypique. Il a une formation universitaire en histoire des civilisations et parle plusieurs langues, dont le français et l'arabe. C'est un spécialiste des relations entre l'Occident et le monde musulman. Il a également fait un passage dans les marines, ce qui en fait un potentiel homme d'action. C'est donc une recrue idéale pour la NSA, qui en a fait un excellent agent de terrain. Ses liens avec Sadie Abbott ne sont pas que professionnels. Duncan et Sadie ont vécu une histoire compliquée qui n'est visiblement pas terminée. La mort tragique de Sadie et l'attitude inacceptable des services secrets dans cette affaire conduisent Duncan à entreprendre une action désespérée. Mais sa quête va brutalement basculer et l'entraîner dans une aventure qui va le faire douter de sa santé mentale.
ActuSF : Sans transition, nous passons à un aspect fantastique avec le voyage dans le temps brutal pour notre héros, la scène m'a rappelé fortement De peur que les ténèbres de L. Sprague de camp, où le héros, un archéologue est projeté à l'époque de l'empire romain lorsqu'il est frappé par la foudre et tente alors d'empêcher le dit Empire de succomber sous les coups de butoir des barbares et de succomber ainsi à l'ère de ténèbres qu'est censé symboliser le début du moyen-âge... Comment et pourquoi avez-vous décidé une transition aussi brutale, est-ce pour nous nous sentions aussi perdus que le héros lorsqu'il voit arriver un navire assez étonnant pour lui ?
Roger Seiter: Quand il voit arriver la galée, Duncan croit tout d'abord qu'il s'agit du tournage d'un film historique. Mais la référence à « De Peur que les Ténèbres » est bien vue. J'ai adoré le bouquin de Sprague de Camp et je l'ai relu avant de me lancer dans cette aventure. Dans le roman, le passage du XXeme siècle à l'époque romaine est effectivement expliqué par un éclair qui frappe le narrateur. Je pense que dans ce genre de récit, le changement d'époque ne peut être que brutal. C'est à mon avis la seule manière de faire accepter à l'inconscient du lecteur un événement aussi improbable. La chute d'un avion dans la mer avec le héros qui émerge ensuite m'a semblé une bonne solution. Je ne crois pas qu'il soit utile de donner davantage d'explications. Je ne me voyais pas me lancer dans de pseudos explication scientifiques qui sont souvent périlleuses, quand elles ne frisent pas le ridicule.
ActuSF : Le capitaine se charge de lui expliquer la géopolitique de cette uchronie, pourquoi ne pas avoir songé, plutôt qu'un petit discours à s'amuser à mettre en images, façon manuscrit chrétien, cette narration qui nous renseigne sur l'uchronie en cours ? Et pourquoi le XVème siècle ? De même au sujet de la Némésis du héros, celui qui a créé un califat gigantesque de l’Égypte aux portes de Constantinople, qui fait trembler toute la chrétienté d'Europe qui a été forcé de s'allier et de mettre de côté ces querelles pour faire face à cet adversaire redoutable, disposant d'une technologie novatrice (armes à feu à répétition, bateaux à vapeur, etc.) Peux-t-on envisager qu'il s'agisse de celui que poursuivait notre héros qui serait arrivé plus tôt que lui ? Et que par là même vous jouiez avec l'un des ressorts du voyage dans le temps : 2 personnes empruntent un tunnel temporel mais ne ressortent pas à la même date ?
Roger Seiter: La série est prévue en quatre albums. Je vais donc disposer d'un peu de temps pour présenter et explorer l'univers dans lequel se déroule l'histoire. Le tome 2, par exemple, se déroule en grande partie en Italie, aux alentours de Naples. Par contre, une partie du contexte historique est respecté. Ainsi, Jacques Cœur possédait effectivement une galée baptisée « La Madeleine » et ce navire était commandé par Jean de Villages. Dans les tomes suivants, Duncan va croiser la route de personnages historiques comme Jacques Cœur, François Villon et bien d'autres. Il va également rencontrer une femme condottière du nom de Bianca Francesca qui jouera un rôle tout à fait particulier dans l'histoire (je vous laisse la surprise). Le choix du XXVème siècle s'est imposé par lui-même. C'est une époque charnière entre la fin du Moyen-Âge et la Renaissance. 1453 marque la chute de Constantinople et la fin de la guerre de Cent Ans et 1492 la découverte de l'Amérique. En quelques décennies, le monde change radicalement. C'est également une époque où le monde musulman est très ouvert, très humaniste. On est vraiment très loin du wahhabisme, du salafisme et des délires extrémistes des auteurs des attentats du 11 septembre. Il m'a semblé que c'était l'époque idéale pour situer mon uchronie. En ce qui concerne la quête de Duncan et votre dernière question, je suis un peu embêté. Tout ce que je peux vous dire, c'est que votre remarque est tout à fait pertinente. Il est effectivement précisé en début d'album qu'Ali-al-Kazim a fait ses études aux États Unis et qu'il a une formation d'ingénieur en mécanique. Quant au fonctionnement des tunnels temporels, je peux vous confirmer que vos informations sont exactes …
ActuSF : Votre fin donne envie d'en savoir un peu plus sur cet univers, avez-vous déjà commencé à travailler sur la suite, en combien de tomes pensez-vous développer votre monde uchronique ? Songez-vous à créer les conditions suffisantes pour que les religions du Livre puissent cohabiter en paix sans qu'il y ait de 11 septembre et d'appel à la haine et à l'obscurantisme ?
Roger Seiter: Comme je l'ai expliqué plus haut, la série est normalement prévue en quatre albums. Et là encore, votre question est très pertinente. Vous avez effectivement assez bien résumé l'idée générale de la série. Simplement, je ne vais pas aborder les problèmes sous l'angle des religions, mais plutôt sous celui des civilisations (même si les deux sont étroitement liées). En expliquant que la cohabitation est parfaitement possible.
ActuSF : Question graphisme, nous avons droit à un trait très réaliste et à une mise en couleur efficace : Comment s'est passé le travail avec le dessinateur italien, comment avez-vous travaillé ?
Roger Seiter: Simone Gabrielli est effectivement italien. Il habite Rome et ne parle pas un mot de français. Moi, de mon côté, j'habite en Alsace et je ne parle pas un mot d'italien. Dans ces conditions, la communication est difficile. Glénat a fait traduire l'ensemble des documents (scénario et découpages) en italien et ma foi, cela s'est plutôt bien passé. Je dois au passage remercier Philippe Hauri, le directeur éditorial de chez Glénat et frédéric mangé, mon éditeur, qui se sont pas mal investis dans cette aventure. Et puis, il y a internet et un traducteur automatique sur Google qui ne fonctionne pas si mal. Dans la mesure où les deux langues sont proches, on arrive à se comprendre par mails interposés. J'imagine que cela aurait été moins évident avec un dessinateur chinois.
ActuSF : Pour conclure qu'évoque le mot Uchronie pour vous ? En avez-vous lu certaines ? Vous ont-elle inspiré pour l'écriture de cette BD ? Songez-vous à en développer d'autres ?
Roger Seiter: Pour moi, il s'agit d'une réécriture de l'histoire et donc d'une histoire alternative. Nous avons déjà parlé du roman « De Peur que les Ténèbres » de L.Sprague de Camp. Je me souviens également de la série « Le Chardon et le Tartan » de Diana Gabaldon. L'exercice est intéressant, mais difficile, dans la mesure où il faut bien connaître l'histoire avec un grand « H » avant de s'amuser à la modifier. Mais c'est la seule manière de construire un récit en se disant: « Et si cela s'était passé comme ça ... ». Le choix de l'uchronie s'est pour moi imposé dans ce projet. Mais ce n'est pas mon exercice préféré et je pense que je vais revenir assez rapidement aux polars historiques qui demandent tout de même un peu moins de travail.
ActuSF : Merci beaucoup !
Roger Seiter: Merci à vous. Vos questions étaient tout à fait intéressantes.
Propos recueillis par Bertrand Campeis.