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Interview de Silverberg partie 2
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Interview de Silverberg partie 2

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Le paradoxe temporel :

Nous : D'où vous vient cette passion pour l'histoire ?
Robert Silverberg : Du même endroit que ma passion pour le futur : d'un amour romantique de l'exotisme, et d'une curiosité féroce pour les époques et les endroits lointains. En fait nous pensons connaître le passé, mais il est pratiquement aussi inconnaissable que le futur, et constitue, de fait, un terrain spéculatif de choix.

Actusf : L'histoire, et spécialement l'histoire antique, apparaissent souvent dans vos romans. Qui nourri qui ? Vos -Suvres de vulgarisations sont des scories de vos recherches de romancier, ou au contraires vous les recyclez vous pour en faire des -Suvres de fictions ?
Robert Silverberg : La dynamique marche dans les deux sens.

Actusf : Est-ce que votre goût pour l'histoire, est un prolongement de votre intérêt pour les histoires de voyage dans le temps ?
Robert Silverberg : Oui, comme je le disais plus haut.

La dislocation de la personnalité :

Actusf : C'est un thème qui revient constamment au long de votre carrière. On le retrouve dans des nouvelles telles que Multiples (6), La maison des Doubles Esprits (7) ou Passagers (8) ? Qu'est-ce qui vous fascine tant dans la dislocation de la personnalité ?
Robert Silverberg : Il n'y a rien de personnel là-dedans. Je trouve simplement que c'est un terreau particulièrement fertile pour une fiction. Toute fiction est basée sur un conflit. Si vous parvenez à ramener le conflit à l'intérieur d'un seul et même esprit, vous vous ouvrez des possibilités dramaturgiques considérables.

Actusf : On passe d'un Passagers très oppressant à, 15 ans plus tard, un Multiples finalement assez léger. Est-ce qu'on doit en déduire que cela traduit une angoisse que vous avez réussi à apaiser au fil des ans ?
Robert Silverberg : Chaque histoire que j'écris est un entité à part entière, et telle ou telle angoisse ressentie par l'un ou l'autre de mes personnages est indépendante en soi. C'est leur angoisse, pas la mienne. Passagers raconte l'histoire d'hommes et de femmes pris au piège d'une situation terrifiante. Multiples, à l'inverse parle de trentenaires en pleine possession de leurs moyens, évoluant au sein d'une sous culture insolite et stimulante. Le contenu de ces histoires n'est absolument pas révélateur de l'état d'esprit qui m'animait au moment où je les écrivais. Et pour tout vous dire, ma vie était autrement plus compliquée quand j'ai écrit Multiples, que lorsque j'ai écrit Passagers.

L'Humain :

Actusf : Ce qui est le plus frappant dans toute votre -Suvre c'est le rapport à l'humain. Même lorsque vous faites un pur space opera comme L'étoile des gitans, le rapport de votre héros à ses origines, est plus important que sa quête. Est-ce que vous pensez que l'humain reste le seul champ inexploré de la fiction ?
Robert Silverberg : Inexploré ? Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? Qu'est que la fiction si ce n'est l'exploration de l'âme humaine ?

Actusf : Quelle est la part de vous qu'il y a dans vos héros ?
Robert Silverberg : J'invente tous ces personnages, les bons comme les méchants. J'imagine qu'un peu de moi se retrouve en chacun d'eux. Mais il m'arrive souvent de créer un personnage en m'appuyant sur des réactions qu'il pourrait avoir face à telle ou telle situation, et en le faisant agir à l'exact opposé de ce que j'aurais fait.

Actusf : Est-ce que vous avez l'impression que vos différents héros mûrissent en même temps que vous ? Est-ce qu'en 2003 vous vous pourriez encore vous identifier à David Selig ?
Robert Silverberg : Selig n'est en rien un personnage autobiographique, bien que ce soit ce que pensent souvent les personnes qui ne me connaissent pas personnellement. Je ne m'identifie pas plus à lui qu'il n'est nécessaire de le faire lorsqu'on crée n'importe quel personnage. Et je pense même qu'à la fin de L'oreille interne, la métamorphose qu'il s'apprête à vivre, va faire de lui une personne très ennuyeuse. C'est d'ailleurs une des nombreuses raisons qui font je n'ai jamais écrit de suite à ce roman.

Actusf : Vos personnages masculins sont souvent réduits à une totale incompréhension des femmes. Il y a beaucoup de vous là-dedans ?
Robert Silverberg : Oh non ! Les femmes me comprennent même trop bien.

La Route :

Actusf : La route est un thème qui est prépondérant dans votre -Suvre. On la retrouve le plus souvent en relation avec le thème de l'invasion. Pourquoi cette symbolique de la route ?
Robert Silverberg : La route, ou le voyage, ne symbolise pas quelque chose de particulier pour moi, si ce dans ce sens plus large et plus vague, que la vie elle-même est un long voyage, comme Dante le dit si justement en ouverture de L'enfer. Nous sommes tous embarqués pour un périple allégorique. Et souvent dans mes histoires, je donne corps à cette abstraction en faisant voyager physiquement mes personnages. Ce n'est d'ailleurs pas un procédé narratif inédit dans l'histoire de la littérature.

Actusf : Est-ce que vous-même avez l'impression d'avoir été au bout de la route durant la période 69 / 72 avec des romans très personnels comme L'homme dans le labyrinthe, L'oreille interne, L'homme programmé ou Le livre des crânes ?
Robert Silverberg : Je suis certainement arrivé au bout de la route que je suivais à l'époque, même si je serai tenté de dire que la période dont nous parlons s'étend en fait jusqu'en 1973, pour y inclure Né avec les Morts. Toujours est-il que je ne pouvais pas aller plus loin dans cette direction. J'avais atteint une impasse. Un cul de sac. C'est pourquoi, à partir de 1974, je n'ai plus rien écrit pendant presque cinq ans. Lorsque je suis finalement sorti du silence, mon premier mariage était à l'eau, et ma vie, à bien des égards, était devenue très différente de ce qu'elle avait été.

Actusf : Vous croyez en la symbolique du parcours initiatique ? Vous croyez que c'est la fonction sociale de l'écrivain : initier ? Et si oui à quoi ?
Robert Silverberg : La vie - et ce n'est pas là une pensée bien originale- est un long voyage du berceau à la tombe tout au long duquel de nombreux rites d'initiation prennent place. Je pense vraiment que la fonction sociale de la littérature est de baliser ce voyage, et de donner les clefs de ces points de passage que nous rencontrons à mesure que nous devenons adultes, que nous nous engageons, peu ou prou, dans le monde qui nous entoure, ou que nous faisons face au poids des ans. Fût une époque, il y a de cela bien longtemps, c'était (du moins je le crois), la fonction première du récit. Aujourd'hui c'est devenu secondaire, le divertissement prime, mais je pense que cette fonction première est toujours là pour qui veut la voir.

L'invasion :

Actusf : Chez vous l'invasion, quand elle survient dans une histoire est souvent brutale, rapide et ne laisse aux humains guère de chance. Pourquoi tant de haine ?
Robert Silverberg : Ah bon ? C'est vrai ? Je n'aurai jamais décrit une invasion sur le long terme ? Je me souviens pourtant d'au moins une histoire qui date de 1970 et qui s'intitule L'homme descend du songe, et il y en a probablement d'autres. Mais il est vrai qu'une invasion brutalement dramatique est toujours & eh bien, beaucoup plus dramatique. Et être dramatique, c'est toujours ce que l'on essaie de faire dans une histoire. Quant à cette humanité incapable de faire front à ces invasions, j'aurais tendance à penser qu'une civilisation capable de parcourir les plus vastes gouffres de l'espace pour envahir un autre monde, serait certainement une civilisation formidablement évoluée face à laquelle nous n'aurions que peu de chance.
Mais je suis certain d'avoir écrit des histoires où nous résistons et, finalement, l'emportons.

Actusf : Si l'invasion symbolise le déclencheur du changement, pourquoi, chez vous, le changement est-il le plus souvent brutal ?
Robert Silverberg : Je ne suis pas vraiment d'un naturel enclin au changement. Habituellement, j'aime que les choses restent à leur place, tout an ayant déjà fait en sorte qu'elles soient comme je le veux. En fait je suis réfractaire au changement jusqu'à ce qu'il devienne inévitable, et là seulement, parce que je suis quelqu'un d'intelligent et de pragmatique, je me rends à l'évidence. Mais au départ, je résiste. Toujours.

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