Actusf : En visitant votre site "Quasi-Officiel", je me suis aperçu que la France est, de loin, le pays où le plus de vos oeuvres ont été traduites. Comment expliquez-vous ça ?
Robert Silverberg : Il semblerait que les lecteurs français se trouvent beaucoup d'affinités avec mes oeuvres. Je m'en suis aperçu il y a déjà de nombreuses années. Je pense qu'en fait ma science fiction est plus cérébrale qu'émotionnelle, et que du coup elle trouve un écho tout particulier au pays de Voltaire et de Racine.
Actusf : Quel est votre rapport avec l'Europe ? Et avec la France ?
Robert Silverberg : Je me sens presque chez moi en Europe, et spécialement en France, même si, à mon grand regret, je suis à peu près incapable de parler français (à l'école j'avais pris italien et latin). Il y a pas mal de choses dans les Etats-Unis d'aujourd'hui qui me mettent en colère et qui me dérangent, de sorte que je m'y sens parfois un peu comme un étranger. Alors, deux fois par an, je voyage à travers l'Europe, et souvent en France, pour le seul plaisir de me retrouver à nouveau parmi des gens civilisés.
Actusf : Comment expliquez-vous qu'en France vous soyez surtout connu pour les romans que vous avez écrits de 1966 à 1976 ?
Robert Silverberg : Je pense que les changements qui sont survenus dans le milieu de l'édition SF américaine après 76, m'ont obligé à rechercher une plus large diffusion de mes romans, même si je faisais tout ce qu'il fallait pour conserver les plus anciens de mes lecteurs. Par conséquent, et bien qu'à mon avis des romans plus récents comme Tom O'Beldam, La face des eaux ou Le Grand Silence soient bien plus représentatifs de mes capacités, les romans plus anciens sont empreints d'une plus grande complexité psychologique et philosophique. Ce qui les rend plus séduisants aux yeux d'un lectorat français exigeant.
Actusf : Pourriez-vous nous dire comment vous étiez devenu ami avec le regretté Jacques Chambon ?
Robert Silverberg : J'ai rencontré Jacques pour la première lors d'une convention, à Los Angeles je crois. Ce devait être en 1972. On a tout de suite sympathisé. Quelques années plus tard, alors qu'il vivait à Londres, il a traduit en français certaines de mes nouvelles, et j'avais été impressionné par le soin qu'il avait apporté au choix de ses mots. Puis, à partir de 1981, j'ai commencé à venir en France à peu près tous les ans, ce qui nous a donné tout loisir d'entretenir notre amitié. Un peu plus tard, il a été de ceux qui ont publié mes -Suvres en France, et tout spécialement ces anthologies de nouvelles si joliment éditées. Notre dernière rencontre, qui fût assez longue, était à l'occasion des Utopiales de Nantes, en novembre 2002. Nous avons passé là des instants formidables. J'espérais lui rendre visite dans sa maison de campagne en 2004, et pouvoir, à mon tour le recevoir aux Etats-Unis un peu après, mais hélas, rien de tout ceci n'arrivera plus. C'est vraiment une terrible perte pour la science fiction, pour la France, et pour ma femme et moi.
Actusf : Est-ce que l'idée de cette "antho-biographie", qui va bien au-delà de la simple compilation d'anthologies, venait de vous, ou de Jacques Chambon ?
Robert Silverberg : C'était son idée de la publier en français, mais les livres existaient déjà en anglais. Pour le marché français nous avons ré-agencé l'ordre des volumes de manière à rendre le tout un peu plus cohérent et nous avons ajouté quelques nouvelles. De sorte que cette édition est l'édition définitive.
Actusf : Vous avez toujours aimé les formes de récit sophistiquées et les expériences stylistiques. Est-ce que finalement cette anthologie fleuve qui paraît en France, n'est pas une nouvelle forme de roman qui mettrait en scène un jeune écrivain de science fiction, qui traverserait la seconde moitié du XXème siècle, et que l'on verrait changer par le biais de ces écrits, au long des quatre tomes ?
Robert Silverberg : Ce n'est pas faux. Même les noms des quatre tomes (qui ont été choisis par Jacques), suivent une sorte de progression dramatique.
Actusf : Ne sera-t-elle destinée qu'au seul marché français ? Et si oui, pourquoi ?
Robert Silverberg : Comme je l'ai dit, cette série a été publiée il y de cela quelques années en Angleterre. Un gros volume était également sorti aux Etats-Unis, mais la suite avait été annulée du fait d'un changement de la politique éditoriale. Encore récemment, un accord en vue de publier la série aux USA est tombé à l'eau parce que l'éditeur a fait faillite.
Actusf : Est-ce que l'anthologie Destination 3001, que vous aviez dirigée avec Jacques Chambon vous avait un peu familiarisé la SF francophone ?
Robert Silverberg : Malheureusement, ça m'est très difficile de lire le français, et c'était Jacques qui était en charge de la partie francophone de l'anthologie. Je connais certains écrivains français, mais pas vraiment leurs -Suvres.
Actusf : Mesurez-vous pleinement l'énorme influence que vous avez eue sur la plupart de nos meilleurs écrivains ?
Robert Silverberg : On me l'a souvent dit, et bien-sûr c'est très gratifiant. Je nourris une admiration et un amour profond pour la culture française, et savoir que mon travail puisse avoir sur elle une certaine résonance m'est évidemment très agréable. Malheureusement mon piètre français ne me permet pas de lire ses auteurs, et de relever ses influences.
Actusf : Est-ce que vous avez l'impression d'avoir fait évoluer la perception que le public pouvait avoir de la science fiction ? Est-ce que d'ailleurs c'est quelque chose que vous avez cherché à faire ?
Robert Silverberg : Je n'ai aucune idée de l'influence que mon -Suvre a pu avoir sur le public. Mon seul objectif a été d'écrire de la science fiction et aussi bien que je le pouvais, d'être payé le mieux possible pour ça, et de pouvoir continuer d'offrir mon travail au public aussi longtemps qu'il me sera possible de le faire.
Actusf : Et pour finir, moi aussi, comme Karen Haber votre femme, je suis né le même jour que le héros d'une de vos nouvelles. Vous ne voudriez pas m'épouser ?
Robert Silverberg : Hélas non, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, je suis plutôt heureux en ménage et ne cherche pas spécialement à remplacer ma femme actuelle. Ensuite, nous ne nous connaissons pas assez, il faudrait que vous me courtisiez pendant fort longtemps avant que je ne me décide. Troisième raison, je parle tellement mal français que cela pourrait entraver notre relation, du moins au début. Et quatrièmement, mais c'est le plus important, il n'a jamais été dans mes habitudes d'épouser des hommes, et je m'imagine mal m'y mettre à mon grand âge. Désolé !
Mais c'est gentil à vous d'avoir demandé.
La chronique de 16h16 !