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Interview de Stéphane Tamaillon
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Interview de Stéphane Tamaillon

ActuSF : Bonjour Stéphane, après nous avoir enchanté avec Krine (2 tomes parus chez Gründ) tu reviens avec un roman pour des lecteurs un peu plus jeunes et situé dans un univers médiéval-fantastique, peux tu nous parler de la genèse de ce livre ?

Stéphane Tamaillon : Bonjour et merci pour « l’enchantement », je vais rougir. En fait, je pensais écrire depuis quelque temps une œuvre de fantasy et il se trouve qu’on me l’a proposé. Christine Féret-Fleury, qui est directrice de collection chez Oskar/Oslo m’a offert cette possibilité. Elle avait édité mon premier roman, « L’Ogre de la Couronne » chez Les 400 Coups. Aussi ai-je sauté sur l’occasion de retravailler avec elle. Cela a donné « Il était une fois dans l’Hüld », une histoire au départ basée sur une idée assez simple qui me trottait dans la tête. À savoir le principe qu’on retrouve dans de nombreuses sociétés qui veut que le passage à l’âge d’homme se situe au moment de la puberté, et que celui-ci implique un rite particulier. Je pense aux épreuves initiatiques des Amérindiens, les Cherokee par exemple, ou aux scarifications imposées aux jeunes papous de Nouvelle-Guinée. J’ai donc imaginé un monde où les adolescents doivent passer par un rituel assez âpre (aller tuer le membre d’un peuple ennemi) pour devenir adulte. L’enjeu prenait plus d’ampleur s’il s’agissait de quelqu’un appelé à monter sur le trône. C’est ainsi que sont nés Théodoric et les O’aks. Ensuite, une idée en entraîne une autre.

ActuSF : Peux-tu revenir en profondeur pour nous sur le monde dans lequel évoluent tes personnages ? C'est un peu facile, certes, mais j'ai songé fortement à Nausicaa de la vallée du vent, d'Hayao Miyazaki, hommage appuyé ou simple idée de ma part ?

Stéphane Tamaillon : Ma première intention, à laquelle je me suis efforcé de rester fidèle durant la rédaction du livre, c’était de ne pas faire de sous-Tolkien. J’adore le Seigneur des Anneaux, mais je suis un peu lassé de retrouver les elfes, les trolls les orques et les dragons accommodés à toutes les sauces. Je ne prétends pas à l’originalité à tout prix, loin de là. Mon univers est médiéval, ce qui est assez banal pour de la fantasy, mais je ne voulais pas proposer un monde trop prévisible. J’ai préféré lui inventer ses codes et ses créatures. Offrir une entrée pour les jeunes lecteurs à ce type de littérature, mais en y ajoutant, si possible, un poil de nouveauté. En ce qui concerne Miyazaki, c’est tout à fait fortuit. Pour tout dire, le seul « anime » que j’aie vu de lui est Le Voyage de Chihiro. Mes références étaient ailleurs, du côté des westerns humanistes comme Danse avec les loups ou La flèche brisée. D’où le titre, qui est un clin d’œil à un célèbre film de Sergio Leone. L’autre référence c’était le Conan de Robert E. Howard et ses adaptations en comics par John Buscema.

ActuSF : Il y a également un côté très onirique dans ton roman le tout accompagnant de manière fluide tout l'aspect initiatique, comment te sont venus certaines idées, que ce soit au niveau des créatures et de certains passages ?

Stéphane Tamaillon : Je suppose que tu fais plus particulièrement allusion au passage où Théo revit un épisode du passé de son père. J’aime bien l’idée de jouer avec cette barrière entre le rêve et la réalité et je l’ai déjà exploité, par exemple dans Krine (en particulier dans le tome 3, qui n’est pas encore sorti). Pour L’Hüld, c’est venu de l’envie de raconter ce moment de l’histoire d’une manière originale et aussi de mettre en valeur le côté « chamanique » de la société des O’aks, des êtres considérés comme primitifs, mais très avancés du point de vue spirituel. Les créatures, elles, surgissent soit très spontanément, comme les « chiens de ronces » (j’en ai eu la « vision » si on veut), ou bien sont le résultat d’association d’idées : un reportage sur des batraciens et la passion que nourrit mon fils cadet pour les dinosaures, et hop !

ActuSF : Tu crées une religion très intéressante, fusionnant certains aspects du christianisme avec le zoroastrisme pour l'opposition Bien/Mal, et avec de très belles trouvailles, je songe notamment au Sang du Dieu, et à ses capacités, ainsi qu'à la fusion avec toute chose, sans parler du fantastique bestiaire que tu as créé ! Peux-tu nous en dire plus sur ce qui t'a inspiré et sur ces créations, y en t-il une dont tu es particulièrement fier ?

Stéphane Tamaillon : Durant mes études d’histoire, je me suis fortement intéressé aux sociétés asiatiques et à leurs religions. J’ai même rédigé mon mémoire de maîtrise sur les relations entre les missionnaires chrétiens et ces sociétés, en particulier vietnamienne et chinoise, au XIXe siècle et durant la première partie du XXe siècle. Je me suis penché sur les tensions provoquées par la présence des missionnaires et sur la question du martyre. Je me suis pas mal inspiré de tout ça pour façonner mon récit. Le Sang du Dieu est venu presque par hasard. Lorsque j’ai imaginé le temple dans lequel se rend Théodoric au début du livre, je l’ai « vu » en train de bouger, d’onduler. Je ne saurais pas te dire pourquoi, mais ça m’a semblé intéressant et j’ai donc développé l’idée. La télékinésie est un thème qui m’a passionné quand j’étais enfant. Vers l’âge de 9 ou 10 ans, j’ai vu « La grande menace » avec Richard Burton, qui m’a profondément marqué, à tel point que je m’essayais régulièrement à tordre mentalement des petites cuillères (sans grand succès, il faut bien l’avouer). En ce qui concerne les créatures, j’avoue un faible pour les « chiens de ronces », dont le nom a été trouvé par mon fils aîné, Antoine.

ActuSF : Cette aventure se déroule dans un moyen-âge fantastique, pourtant tu t'amuses à mettre en avant un vocabulaire précis, par rapport à l'équipement du héros, ou d'autre chose, une volonté assumée de faire apprendre sans trop noyer le jeune lectorat ?

Stéphane Tamaillon : Bien qu’il s’agisse d’un monde totalement imaginaire, je voulais l’ancrer dans un certain réalisme. Je trouve qu’il est plus simple de faire accepter les éléments les plus fantaisistes au lecteur si ce dernier à la possibilité de s’appuyer sur des bases solides. Tant qu’à créer un univers médiéval, j’avais envie qu’il s’apparente par certains aspects à notre moyen-âge. Et puis j’avoue que ça me faisait plaisir. La plupart de mes romans possèdent un gros fond historique. J’aime faire des recherches pour mes livres. La documentation que je rassemble sur une période m’aide à déverrouiller mon imaginaire. Après les lecteurs apprennent quelques trucs au passage, c’est du bonus.

ActuSF : L'aspect essentiel, à mes yeux, de ce livre, reste la dénonciation du racisme, de la part de l'autre, cet être différent, et cela se voit dès la (superbe) couverture, souhaitais-tu montrer à quel point nos préjugés à l'encontre de l'autre (fût-il un monstre) dictent bien trop souvent nos réactions ?

Stéphane Tamaillon : Oui, en effet. Cela paraît bateau, mais, il n’est parfois pas inutile d’enfoncer des portes ouvertes. Je suis également enseignant et quand j’entends certains propos tenus par mes élèves, je suis horrifié. Aussi ce message de tolérance doit-il, selon moi, être matraqué à la moindre occasion. Ça ne changera pas forcément les mentalités, mais si ça peut aider, ne serait-ce qu’un peu, alors c’est déjà ça. Après, c’est une thématique qui m’a toujours touché et qu’on retrouve en sous-couche dans presque, pour ne pas dire tous, mes romans.

ActuSF : Tu t'amuses également avec des personnages féminins sortant de leur cadre, que ce soit la mère du héros, Clotilde, ou Sylvia, Héroïne à part entière du roman au côté de Théodoric, là aussi tu aimes tordre le cou à certains stéréotypes ?

Stéphane Tamaillon : J’ai une petite anecdote au sujet de Sylvia. Au départ, elle n’était pas prévue dans l’histoire. C’est mon éditrice qui, en découvrant mon synopsis, a trouvé qu’il sentait un peu trop la testostérone (n’oublions pas que j’étais parti sur une sorte d’hommage à Robert E. Howard). Le lectorat féminin risquait d’être un peu dépité. J’ai donc introduit le personnage de Sylvia, mais, tant qu’à faire, j’ai voulu en faire une fille farouche et dangereuse et pas un faire-valoir de second plan. Elle est l’égale, sinon plus, de Théo. Elle est plus maline et plus expérimentée. Ça sort des clichés de la belle jeune femme qui attend en se languissant son prince parti guerroyer.

ActuSF : Si le roman se suffit amplement à lui-même, songes-tu à revenir et à développer cet univers à l'avenir, à donner d'autres aventures à Théo et Sylvia ?

Stéphane Tamaillon : On m’a donné dès le départ la possibilité de partir sur un one-shot ou un cycle, au choix. Mais il fallait se décider avant la rédaction afin de planifier le tout. Très occupé par ma série Krine, et le temps n’étant malheureusement pas extensible, j’ai opté pour le one-shot. Mais si le livre est un succès (j’ai invoqué les esprits et brûlé une cinquantaine de cierges en compagnie d’un marabout-ophtalmologue-pédicure) pourquoi ne pas revenir sur cet univers, cela me plairait assez. Ceci dit, j’ai une autre histoire de fantasy totalement différente qui me hante depuis au moins trois ans, alors, nous verrons bien.

ActuSF : Pourrais-tu nous parler, pour conclure, de tes projets en cours ou à venir : Va t-on voir le 3ème tome de Krine cet automne, comme pour les précédents ? Celui-ci doit clore le cycle de Matthew, songes-tu déjà à d'autres aventures ?

Stéphane Tamaillon : Le troisième tome de Krine sort le 18 octobre et s’intitule Le maître des hybrides. Il clôt le cycle de Matthew et apportera toutes les réponses aux questions restées en suspens à la fin du second volume. De nouveaux personnages y feront leur apparition, tel un certain Rudyard Kipling. Avec mon éditeur, nous envisageons un deuxième cycle qui se déroulerait en dehors de Londres, une « trilogie du voyage » qui mènerait Krine de l’Écosse jusqu’aux Indes. En attendant, j’écris un roman ayant pour toile de fond le XVIIIe siècle. Une histoire de piraterie sur fond de traite négrière.

ActuSF : Stéphane, merci  pour cette belle aventure et ce très bon moment de lecture estival !

Stéphane Tamaillon : Merci à Actu SF pour sa confiance et rendez-vous pour la sortie de Krine 3.

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