Actusf : Comment as-tu fait sa connaissance ?
Sylvie Lainé : J’ai rencontré Bob Sheckley au festival des Imaginales, à Epinal en Mai 2004. Il était en train de faire une grande tournée en Europe. Pour moi c’était l’auteur dont je me disais depuis que j’étais petite : je vis sur la même planète que ce type, est-ce que je le rencontrerai un jour ? Il était là, un vieux monsieur un peu solitaire, qui parlait tout doucement d’un air hésitant, et qui avait l’air un peu perdu. J’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée le voir, pour lui dire quelques mots, deux fois, trois fois, il a fini par m’identifier comme une tête connue et on a commencé à bavarder. Mon anglais oral est un peu tâtonnant, mais le sien l’était autant, alors en un sens c’était plus facile – on bavardait à bâtons rompus, je lui offrais des cocas et des cafés, dont il faisait une consommation très régulière… on s’est retrouvé dans un restau à l’extérieur du lieu des Imaginales, un midi, il se promenait tout seul - quand il m’a aperçu il est venu nous rejoindre à notre table en terrasse. On ne peut pas dire qu’il était très sociable, les discussions avec lui n’étaient pas très faciles, comme s’il avait été timide – en fait je ne pense pas qu’il l’était, simplement la forme de politesse qui consiste à chercher le contact avec les autres lui était assez étrangère. Bref, de fil en aiguille, il m’a dit qu’il devait aller en Italie quelques jours plus tard, puis qu’il était invité en Hongrie et en Bulgarie et qu’il ne savait pas trop où il logerait dans l’intervalle – je lui ai proposé de venir à Lyon, c’était sur sa route. La première fois, il est venu avec ses deux copains Italiens : Roberto Quaglia, auteur lui aussi, et Max, un ami de Roberto. Après sa tournée en Europe de l’Est, il est revenu passer trois semaines chez moi en août, cette fois-ci tout seul.
Actusf : Il est venu chez toi quelques jours, raconte nous un peu comment il était au quotidien ? Quel type d'homme était-il ?
Sylvie Lainé : Au quotidien ? Il se comportait comme quelqu’un qui a toujours été pris en charge. L’expérience a été assez étonnante. Je suis devenue du jour au lendemain sa gouvernante, son agent littéraire et sa nurse, le tout à plein temps. Bob passait pas mal de temps enfermé dans sa chambre, à écrire ou à dormir ; pour le reste, il s’en est remis à moi. Il avait parfois envie de promenades, de coca et de café à peu près tout le temps, il avait envie de manger du couscous et du cassoulet faits maison (ai-je été à la hauteur ?), il s’inquiétait pour sa santé, je l’ai emmené chez le dentiste – ça a été très drôle. Ma dentiste m’a donné toutes sortes d’explications avec des termes techniques, je lui ai dit « attends qu’on rentre à la maison », là j’ai pris mon dictionnaire et un quart d’heure plus tard je lui ai fait mon exposé… Il était terriblement dépendant. Il ne s’est promené qu’une fois tout seul, à pied, et cette fois-là il a fait 300 mètres et il s’est perdu. Mais il me faisait lire aussi toutes les interviews qu’il accordait par mail à des revues de pays de l’Est, il voulait savoir ce que j’en pensais. Et puis il m’a montré comment il se servait de son logiciel pour développer des idées – en fait ça ne faisait pas grand-chose de plus que ce qu’on aurait pu se gribouiller à la main avec des schémas, mais c’était amusant. Au quotidien… je ne raconterai pas l’état de la chambre, car je n’ai pas ajouté femme de ménage à mes rôles multiples. Bob se promenait dans la maison vêtu uniquement d’un vieux pantalon (il enfilait une chemise si quelqu’un nous rendait visite), on passait de bons moments sur le balcon au soleil – en fait il était fatigué, très fatigué. Il avait passé 20 années qu’il décrivait comme très routinières à Portland, et venait de tout quitter – sa femme l’avait envoyé promener, et il ne faisait plus que ça depuis plusieurs mois, se promener : il n’avait plus de maison, aucun projet précis, pas vraiment d’idées sur ce que serait son avenir – il pensait aller un moment chez sa fille, mais pas s’y installer définitivement. En un sens il aimait ça, cette incertitude, mais ça n’était pas facile à vivre pour lui pour autant.
Actusf : Quel regard portait-il sur la SF d'aujourd'hui ?
Sylvie Lainé : Bob ne discutait pas de ce genre de chose. Il lisait ce qu’il avait envie de lire, aimait ou n’aimait pas, et ne voulait pas expliquer pourquoi – ce genre de discussion était généralement balayé par une réponse du style « Je laisse ça aux critiques littéraires, moi ce n’est pas mon boulot ». Quand il était chez moi il lisait surtout Stephen King (c’est quelque chose qu’il voulait faire depuis longtemps). Et de la poésie.
Actusf : Quel est son livre qui t'a le plus marqué et pour quelle raison ?
Sylvie Lainé : J’ai adoré La Dimension des Miracles, et ses nouvelles. Les personnages de Sheckley sont de braves gens, plutôt malins, un brin roublards – ils vivent dans des univers complexes, où il faut se débrouiller pour faire sa place. Ce sont des mondes organisés selon des logiques très consistantes mais insaisissables – des mondes capitalistes, réglementés sur un mode kafkaien ou très étrangers, dont les personnages ne font pas complètement partie, ou qu’ils ne maîtrisent pas vraiment – ils sont toujours un peu décalés, inadaptés. Des univers que les personnages ne peuvent pas comprendre complètement, pour un tas de raisons. Alors ils essaient de se débrouiller et de survivre avec leurs propres ressources : la débrouillardise, le bon sens, la créativité. Et là, ça foire épouvantablement, il leur arrive des trucs catastrophiques, et c’est complètement hilarant.
En y réfléchissant, je pense que c’est assez normal que Sheckley nous parle si bien à nous, Français, qui portons en guise de valeurs patriotiques des qualités très Sheckleyennes (le côté j’me débrouille, je suis un petit malin). Et il nous les renvoie dans la figure d’une manière redoutable, avec un humour diabolique. C’est extrêmement contemporain aussi, cette vision d’un monde de plus en plus complexe administrativement et technologiquement, de plus en plus capitaliste, de plus en plus compliqué et impitoyable. Il l’a pressenti très tôt car son mode de fonctionnement lui a fait ressentir le monde ainsi – mais nous nous y retrouvons tous plus ou moins – nous nous y reconnaissons de plus en plus
Actusf : Comment pourrait-on caractériser son écriture ?
Sylvie Lainé : Techniquement, elle est sobre, en phrases courtes et précises, sans fioritures – mais j’ai surtout lu des traductions. Une manière d’écrire sobre dans sa construction et très riche en même temps, car utilisant un vocabulaire extrêmement varié – Bob Sheckley était un homme très cultivé.
Actusf : Et quelle est la place aujourd'hui de Robert Sheckley dans la SF ?
Sylvie Lainé : Il occupe une place unique, comme tous les vrais auteurs – comme Lafferty ou Fredric Brown occupent une place unique. C’est une place très importante – je le disais, il est à mon sens un auteur de plus en plus contemporain, un auteur qui se rapproche de nous au lieu de vieillir et de s’éloigner – mais avec Sheckley on n’est plus à un paradoxe près.
Actusf : Est-ce que tous ses voyages ont influencé Robert Sheckley dans son écriture ?
Sylvie Lainé : Il en parle dans l’interview de Galaxies – le sentiment d’étrangeté qu’il décrivait dans ses histoires et qu’il aimait ressentir.
Actusf : Comment travaillait-il ? Je crois qu'il avait toujours un ordinateur portable sur lui, non ?
Sylvie Lainé : Toujours, oui, un petit, avec un tout petit écran – il le sortait souvent, n’importe où, mais pas forcément pour travailler sur les histoires. Il tenait une sorte de journal, attrapait des idées au vol, notait tout parce qu’il ne se fiait guère à sa mémoire … je ne sais pas bien s’il arrivait à les retrouver après, d’ailleurs.
Actusf : Dans l'interview donnée dans Galaxies 35, il donne l'impression de ne pas trop s'intéresser aux choses. Il n'a pas envie d'analyser ses textes, ne semble pas vraiment s'être intéressé au film Le Prix du danger adapté d'une de ses nouvelles, ne veut pas vraiment donner d'avis sur la SF contemporaine... Etait-il comme çà au quotidien, un peu détaché ? Ou était-ce juste à cause de l'interview ?
Sylvie Lainé : Il était comme ça, détaché, plus spectateur qu’acteur, plein de bonne volonté mais n’ayant aucune idée de ce qu’on attendait de lui, et aucune envie de faire semblant – il n’appliquait pas les conventions habituelles de la courtoisie, comme de dire qu’il avait aimé qu’on adapte une de ses histoires ou que ça lui faisait plaisir qu’on ait adoré des trucs qu’il avait écrit il y a quarante ans et dont il ne « voyait plus très bien le rapport avec lui-même maintenant » – quant à l’interview, elle n’a pas vraiment eu lieu, il aurait détesté ça, ça l’a inquiété dès que j’en ai parlé, ou alors il aurait préféré la faire par mail. Du coup l’interview est une reconstitution d’un tas de discussions à bâtons rompus, ou de choses qu’il disait dans des interviews par mails qu’il m’avait laissées.
Actusf : Avez-vous parlé écriture ? Avez-vous échangé sur tes textes ?
Sylvie Lainé : Non, je ne disposais pas de version anglaise d’aucun de mes textes, sinon j’imagine qu’il en aurait lu. J’aurais aimé qu’il puisse le faire. Ceci dit, je n’imagine pas qu’il aurait pu faire le moindre commentaire, puisqu’il n’en faisait jamais.
Actusf : Au final quel souvenir gardes-tu de lui ?
Sylvie Lainé : C’est émouvant de rencontrer quelqu’un qui a tant compté dans sa vie comme auteur – car il a été pour moi un auteur vraiment été très important. Je l’ai rencontré très tard, très âgé, on a quand même réussi à rire ensemble, pas mal (un jour je vous raconterai Bob lisant les indications de route pour se rendre à la Convention de l’Isle sur la Sorgue où il a reçu le Prix Cyrano, et les soirées avec Patrice Duvic, en fait il faudrait des heures d’interview pour que je raconte tous les souvenirs qu’on a accumulés en si peu de temps). J’ai réussi à entrevoir l’homme qu’il avait pu être, même s’il était un peu tard pour une vraie rencontre – en quelques jours de temps il s’est passé tant de choses, finalement. C’est un bonheur d’avoir réussi à croiser sa route. Je lui souhaite un agréable voyage, où qu’il soit maintenant.
Sylvie Lainé : J’ai rencontré Bob Sheckley au festival des Imaginales, à Epinal en Mai 2004. Il était en train de faire une grande tournée en Europe. Pour moi c’était l’auteur dont je me disais depuis que j’étais petite : je vis sur la même planète que ce type, est-ce que je le rencontrerai un jour ? Il était là, un vieux monsieur un peu solitaire, qui parlait tout doucement d’un air hésitant, et qui avait l’air un peu perdu. J’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée le voir, pour lui dire quelques mots, deux fois, trois fois, il a fini par m’identifier comme une tête connue et on a commencé à bavarder. Mon anglais oral est un peu tâtonnant, mais le sien l’était autant, alors en un sens c’était plus facile – on bavardait à bâtons rompus, je lui offrais des cocas et des cafés, dont il faisait une consommation très régulière… on s’est retrouvé dans un restau à l’extérieur du lieu des Imaginales, un midi, il se promenait tout seul - quand il m’a aperçu il est venu nous rejoindre à notre table en terrasse. On ne peut pas dire qu’il était très sociable, les discussions avec lui n’étaient pas très faciles, comme s’il avait été timide – en fait je ne pense pas qu’il l’était, simplement la forme de politesse qui consiste à chercher le contact avec les autres lui était assez étrangère. Bref, de fil en aiguille, il m’a dit qu’il devait aller en Italie quelques jours plus tard, puis qu’il était invité en Hongrie et en Bulgarie et qu’il ne savait pas trop où il logerait dans l’intervalle – je lui ai proposé de venir à Lyon, c’était sur sa route. La première fois, il est venu avec ses deux copains Italiens : Roberto Quaglia, auteur lui aussi, et Max, un ami de Roberto. Après sa tournée en Europe de l’Est, il est revenu passer trois semaines chez moi en août, cette fois-ci tout seul.
Actusf : Il est venu chez toi quelques jours, raconte nous un peu comment il était au quotidien ? Quel type d'homme était-il ?
Sylvie Lainé : Au quotidien ? Il se comportait comme quelqu’un qui a toujours été pris en charge. L’expérience a été assez étonnante. Je suis devenue du jour au lendemain sa gouvernante, son agent littéraire et sa nurse, le tout à plein temps. Bob passait pas mal de temps enfermé dans sa chambre, à écrire ou à dormir ; pour le reste, il s’en est remis à moi. Il avait parfois envie de promenades, de coca et de café à peu près tout le temps, il avait envie de manger du couscous et du cassoulet faits maison (ai-je été à la hauteur ?), il s’inquiétait pour sa santé, je l’ai emmené chez le dentiste – ça a été très drôle. Ma dentiste m’a donné toutes sortes d’explications avec des termes techniques, je lui ai dit « attends qu’on rentre à la maison », là j’ai pris mon dictionnaire et un quart d’heure plus tard je lui ai fait mon exposé… Il était terriblement dépendant. Il ne s’est promené qu’une fois tout seul, à pied, et cette fois-là il a fait 300 mètres et il s’est perdu. Mais il me faisait lire aussi toutes les interviews qu’il accordait par mail à des revues de pays de l’Est, il voulait savoir ce que j’en pensais. Et puis il m’a montré comment il se servait de son logiciel pour développer des idées – en fait ça ne faisait pas grand-chose de plus que ce qu’on aurait pu se gribouiller à la main avec des schémas, mais c’était amusant. Au quotidien… je ne raconterai pas l’état de la chambre, car je n’ai pas ajouté femme de ménage à mes rôles multiples. Bob se promenait dans la maison vêtu uniquement d’un vieux pantalon (il enfilait une chemise si quelqu’un nous rendait visite), on passait de bons moments sur le balcon au soleil – en fait il était fatigué, très fatigué. Il avait passé 20 années qu’il décrivait comme très routinières à Portland, et venait de tout quitter – sa femme l’avait envoyé promener, et il ne faisait plus que ça depuis plusieurs mois, se promener : il n’avait plus de maison, aucun projet précis, pas vraiment d’idées sur ce que serait son avenir – il pensait aller un moment chez sa fille, mais pas s’y installer définitivement. En un sens il aimait ça, cette incertitude, mais ça n’était pas facile à vivre pour lui pour autant.
Actusf : Quel regard portait-il sur la SF d'aujourd'hui ?
Sylvie Lainé : Bob ne discutait pas de ce genre de chose. Il lisait ce qu’il avait envie de lire, aimait ou n’aimait pas, et ne voulait pas expliquer pourquoi – ce genre de discussion était généralement balayé par une réponse du style « Je laisse ça aux critiques littéraires, moi ce n’est pas mon boulot ». Quand il était chez moi il lisait surtout Stephen King (c’est quelque chose qu’il voulait faire depuis longtemps). Et de la poésie.
Actusf : Quel est son livre qui t'a le plus marqué et pour quelle raison ?
Sylvie Lainé : J’ai adoré La Dimension des Miracles, et ses nouvelles. Les personnages de Sheckley sont de braves gens, plutôt malins, un brin roublards – ils vivent dans des univers complexes, où il faut se débrouiller pour faire sa place. Ce sont des mondes organisés selon des logiques très consistantes mais insaisissables – des mondes capitalistes, réglementés sur un mode kafkaien ou très étrangers, dont les personnages ne font pas complètement partie, ou qu’ils ne maîtrisent pas vraiment – ils sont toujours un peu décalés, inadaptés. Des univers que les personnages ne peuvent pas comprendre complètement, pour un tas de raisons. Alors ils essaient de se débrouiller et de survivre avec leurs propres ressources : la débrouillardise, le bon sens, la créativité. Et là, ça foire épouvantablement, il leur arrive des trucs catastrophiques, et c’est complètement hilarant.
En y réfléchissant, je pense que c’est assez normal que Sheckley nous parle si bien à nous, Français, qui portons en guise de valeurs patriotiques des qualités très Sheckleyennes (le côté j’me débrouille, je suis un petit malin). Et il nous les renvoie dans la figure d’une manière redoutable, avec un humour diabolique. C’est extrêmement contemporain aussi, cette vision d’un monde de plus en plus complexe administrativement et technologiquement, de plus en plus capitaliste, de plus en plus compliqué et impitoyable. Il l’a pressenti très tôt car son mode de fonctionnement lui a fait ressentir le monde ainsi – mais nous nous y retrouvons tous plus ou moins – nous nous y reconnaissons de plus en plus
Actusf : Comment pourrait-on caractériser son écriture ?
Sylvie Lainé : Techniquement, elle est sobre, en phrases courtes et précises, sans fioritures – mais j’ai surtout lu des traductions. Une manière d’écrire sobre dans sa construction et très riche en même temps, car utilisant un vocabulaire extrêmement varié – Bob Sheckley était un homme très cultivé.
Actusf : Et quelle est la place aujourd'hui de Robert Sheckley dans la SF ?
Sylvie Lainé : Il occupe une place unique, comme tous les vrais auteurs – comme Lafferty ou Fredric Brown occupent une place unique. C’est une place très importante – je le disais, il est à mon sens un auteur de plus en plus contemporain, un auteur qui se rapproche de nous au lieu de vieillir et de s’éloigner – mais avec Sheckley on n’est plus à un paradoxe près.
Actusf : Est-ce que tous ses voyages ont influencé Robert Sheckley dans son écriture ?
Sylvie Lainé : Il en parle dans l’interview de Galaxies – le sentiment d’étrangeté qu’il décrivait dans ses histoires et qu’il aimait ressentir.
Actusf : Comment travaillait-il ? Je crois qu'il avait toujours un ordinateur portable sur lui, non ?
Sylvie Lainé : Toujours, oui, un petit, avec un tout petit écran – il le sortait souvent, n’importe où, mais pas forcément pour travailler sur les histoires. Il tenait une sorte de journal, attrapait des idées au vol, notait tout parce qu’il ne se fiait guère à sa mémoire … je ne sais pas bien s’il arrivait à les retrouver après, d’ailleurs.
Actusf : Dans l'interview donnée dans Galaxies 35, il donne l'impression de ne pas trop s'intéresser aux choses. Il n'a pas envie d'analyser ses textes, ne semble pas vraiment s'être intéressé au film Le Prix du danger adapté d'une de ses nouvelles, ne veut pas vraiment donner d'avis sur la SF contemporaine... Etait-il comme çà au quotidien, un peu détaché ? Ou était-ce juste à cause de l'interview ?
Sylvie Lainé : Il était comme ça, détaché, plus spectateur qu’acteur, plein de bonne volonté mais n’ayant aucune idée de ce qu’on attendait de lui, et aucune envie de faire semblant – il n’appliquait pas les conventions habituelles de la courtoisie, comme de dire qu’il avait aimé qu’on adapte une de ses histoires ou que ça lui faisait plaisir qu’on ait adoré des trucs qu’il avait écrit il y a quarante ans et dont il ne « voyait plus très bien le rapport avec lui-même maintenant » – quant à l’interview, elle n’a pas vraiment eu lieu, il aurait détesté ça, ça l’a inquiété dès que j’en ai parlé, ou alors il aurait préféré la faire par mail. Du coup l’interview est une reconstitution d’un tas de discussions à bâtons rompus, ou de choses qu’il disait dans des interviews par mails qu’il m’avait laissées.
Actusf : Avez-vous parlé écriture ? Avez-vous échangé sur tes textes ?
Sylvie Lainé : Non, je ne disposais pas de version anglaise d’aucun de mes textes, sinon j’imagine qu’il en aurait lu. J’aurais aimé qu’il puisse le faire. Ceci dit, je n’imagine pas qu’il aurait pu faire le moindre commentaire, puisqu’il n’en faisait jamais.
Actusf : Au final quel souvenir gardes-tu de lui ?
Sylvie Lainé : C’est émouvant de rencontrer quelqu’un qui a tant compté dans sa vie comme auteur – car il a été pour moi un auteur vraiment été très important. Je l’ai rencontré très tard, très âgé, on a quand même réussi à rire ensemble, pas mal (un jour je vous raconterai Bob lisant les indications de route pour se rendre à la Convention de l’Isle sur la Sorgue où il a reçu le Prix Cyrano, et les soirées avec Patrice Duvic, en fait il faudrait des heures d’interview pour que je raconte tous les souvenirs qu’on a accumulés en si peu de temps). J’ai réussi à entrevoir l’homme qu’il avait pu être, même s’il était un peu tard pour une vraie rencontre – en quelques jours de temps il s’est passé tant de choses, finalement. C’est un bonheur d’avoir réussi à croiser sa route. Je lui souhaite un agréable voyage, où qu’il soit maintenant.