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Interview de Thibaud Eliroff
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Interview de Thibaud Eliroff

Actusf : Tout d'abord avant de commencer et pour que les internautes vous connaissent un peu mieux, parlez-nous de votre parcours avant d'arriver à la tête de la collection Sf des éditions Folio ?
Thibaud Eliroff : Assez classique, je suppose. Fac de lettres modernes, stages, une formation aux métiers du livre à Nantes, re stages puis, après une bifurcation par le graphisme (chef de studio chez Denoël), me voilà.

Actusf : Pour vous quelle est la ligne éditoriale de Folio Sf ?
Thibaud Eliroff : Du bon, du bon et du bon ;-)
Plus sérieusement, il n'y a pas vraiment de "ligne éditoriale" en cela qu'on ne souhaite pas se restreindre à un champ littéraire particulier, sinon celui des littératures de l'imaginaire. Le terme "SF" dans l'intitulé est au fond assez accidentel, car on trouve aussi dans la collection de la fantasy, du fantastique et tout un tas de titres assez difficiles à étiqueter, à la frontière entre plusieurs genres. Au départ, la collection a été créée dans le but de rééditer le fonds de la défunte "Présence du futur", n'en déplaise à certains, afin de ne pas perdre les droits d'oeuvres monumentales comme Fahrenheit 451, Fondation et bien d'autres, et surtout de les rendre disponibles à un public jeune susceptible de découvrir la science-fiction par le biais de ces oeuvres intemporelles. Quatre ans et quelques deux cent titres plus tard, il semble évident que la collection s'est largement affranchie de son héritage puisqu'elle propose presque autant de rééditions de livres récents et d'inédits que de fonds. Jusqu'à maintenant, l'idée était de proposer des grands classiques comme points d'accès à la collection pour un public large, et en parallèle des titres plus littéraires et plus difficiles comme une continuité des premiers. Vous avez aimé Bradbury, vous aimerez Walter Tevis. Ces classiques viennent cependant à s'épuiser. Une des réfléxions que nous avons mené depuis mon arrivée est de savoir par quoi les remplacer pour garantir l'ouverture vers un public large. Les éléments de réponse se trouvent à mon avis dans les origines même du genre que nous défendons : la littérature populaire. Il me semble en effet vital de ne pas perdre de vue que les littératures de l'imaginaire doivent rester populaires, ce qui n'empêche en rien la qualité littéraire. Voilà donc vers quoi nous allons tendre. En ce qui concerne les genres eux-même, le maître mot est diversité : il y aura de la SF, de la fantasy, du fantastique... Avec près de 40 titres par an, nous avons de quoi ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.

Actusf : La part des rééditions est assez importante par rapport aux inédits ? Pour quelles raisons et quels sont les inédits qui sont prévus dans les prochains mois ?
Thibaud Eliroff : Je voudrais profiter de cette occasion pour remettre quelques idées à leur place. On fait beaucoup de bruit autour des inédits, ce qui se comprend : après tout c'est beaucoup plus excitant et pour le lecteur et pour l'éditeur. Seulement, on est en train de parler de poche, et une collection de poche fait de la réédition. C'est son but, sa raison d'être. Toute son économie est basée sur ce système. Les collections grand format font des titres inédits et le poche les réédite. Une collection poche qui ferait une majorité d'inédits est vouée à mourir aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit pour "Présence du Futur" : avec les années 80 et la "crise" de la SF, les ventes moyennes (qui ont commencé à cette période à devenir celles que l'on connaît aujourd'hui) n'ont plus permis de maintenir ce système.
Voici un petit calcul : sur un livre de poche à 6 euros, l'éditeur encaisse 3 euros, une fois la TVA et la part diffusion/distribution enlevées (3 euros qu'il partage avec l'auteur, évidemment). Un éditeur grand format encaisse sur un livre à 20 euros un peu plus de 10 euros. Même en prenant en compte la différence de frais de fabrication, un grand format rapporte plus de trois fois plus qu'un poche. Dans le cas d'une réédition, cela n'a pas grande importance puisque on estime le potentiel de vente d'un poche à trois fois ses ventes en grand format. Dans le cas d'un inédit, les ventes poche et grand format sont strictement les mêmes.
Tout cela pour dire que cela coûte très cher de faire un inédit, et que cela va à l'inverse d'une logique poche. (Au passage, vous noterez que l'auteur gagne beaucoup moins d'argent si son livre sort directement en inédit poche.) Et ce n'est pas une question de rentabilité, mais de faisabilité. Autrement dit, chaque inédit dans une collection de poche est une pépite, une exception, un acte de foi, pas même un pari. Nos lecteurs en sont bien conscients et les apprécient à leur juste valeur. Donc plutôt que de faire des reproches sans fondement aux collections de poche pour leur "manque" d'inédits (comme on en entend souvent), réjouissons-nous de ne pouvoir en faire ne serait-ce qu'un.
Pardon pour ce petit coup de gueule, mais il me semblait nécessaire, les critiques infondées à ce propos étant légion. "Pourquoi vous ne faites pas plus d'inédits ? Pour vous en mettre plein les poches, c'est ça ?" Bah non, juste pour survivre.
En 2005, il y aura effectivement quelques inédits en Folio SF. Sans les citer tous, je signale deux excellents romans : Les îles du soleil de Ian R. MacLeod et Visages volés de Michael Bishop. Les afficionados apprécieront aussi la sortie de la suite de La Voie du Sabre, de Thomas Day : L'homme qui voulait tuer l'Empereur. Quant aux amateurs d'essais, ils trouveront sans doute leur bonheur avec Bibliothèque de l'entre-mondes, le guide des transfictions, de Francis Berthelot.

Actusf : Autre particularité de cette collection de SF de poche, c'est la relativement faible proportion d'auteurs français ? Là aussi pour quelles raisons ? Et y en aura-t-il plus dans les prochains mois ?
Thibaud Eliroff : C'est encore une idée reçue : Johan Heliot, Francis Berthelot, Philippe Curval, Thomas Day, Serge Brussolo, Maurice G. Dantec, René Barjavel, Sylvie Denis, Thierry Di Rollo, Stefan Wul, Jean-Pierre Andrevon, sans compter les auteurs d'essais... on arrive à 25 titres sur près de 200 dans la collection. C'est loin d'être anodin. Mais il ne faut pas se voiler la face, à de rares exceptions près (Bordage, Werber, Brussolo...), les auteurs français se vendent moins bien que les auteurs anglo-saxons. Avec les français, nous raisonnons en terme de politique d'auteurs. Compte tenu du constat précédemment cité, on préfère en avoir peu et les suivre sur le long terme. Je vais en faire hurler certains en disant que le livre de poche est aussi un produit, c'est néanmoins une réalité. On s'adresse à un public plus large, moins ciblé, à qui on propose un texte non pas formaté (loin s'en faut !), mais susceptible de remporter l'adhésion du grand nombre. Or, de nombreux auteurs français écrivent de très bons livres mais qui ne correspondent pas du tout à ce qu'un public poche attend. Lorsqu'on édite un auteur en poche pour la première fois, on attend qu'il ait produit un livre au potentiel commercial fort, dont on va se servir comme lancement. Il est toujours temps de rééditer ensuite ses oeuvres antérieures plus difficiles. Si l'on procède en sens inverse, on a de grandes chances de "braquer" le public, autrement dit de planter l'auteur. Voilà pourquoi on réfléchit à deux fois avant de publier un auteur français (cela dit, c'est aussi vrai pour les anglo-saxons). D'ailleurs, il y a en ce moment même des auteurs à qui on s'intéresse de près, mais dont on attend l'oeuvre propice à un développement poche.
Donc pour revenir à la question, la proportion d'auteurs français est moindre parce que, compte-tenu du contexte économique, on préfère en avoir peu et les travailler au mieux plutôt que se disperser et tous les planter.
Cela dit, il y aura en 2005 des Français : j'ai déjà parlé de Day, Berthelot, Brussolo et Curval, mais on notera aussi l'entrée au catalogue d'Ugo Bellagamba et de Bernard Simonay. Et il y en aura encore d'autres en 2006.

Actusf : Quels sont vos critères pour choisir un livre qui va être publié dans votre collection ?
Thibaud Eliroff : Il faut avant tout qu'il soit nullissime et que ses ventes grand format aient été catastrophiques. Après, si l'auteur peut être exécrable et la traduction affligeante (dans le cas d'un étranger), c'est un atout indéniable.

Actusf : Parlons succès et vente. Quel est l'accueil du public ? Pouvez-vous nous donner quelques chiffres en terme de vente ?
Thibaud Eliroff : Merci de poser la question, cela me permettra de rétablir quelques vérités, en réaction aux idées archi-fausses qu'on a pu entendre récemment sur ce site (cf interview d'Ayerdhal). Les grands classiques constituent nos meilleurs ventes, et de très loin. Fahrenheit 451 : 150 000 ventes nettes, Fondation et ses suites : 210 000, Chroniques martiennes doit être du même accabit et je ne parle même pas du cycle d'Ambre... Pour des livres qui n'intéressent personne, cela me fait doucement rigoler. Donc oui, le grand public est réceptif à ce genre de livres. Le microcosme de la SF salue régulièrement le travail de redécouverte et de remise à niveau des textes (traductions révisées, souvent complétées). Oui, nous faisons du classique (et nous le faisons bien...), ce qui est utile à plusieurs points de vue. Du point de vue du public, ça permet au plus grand nombre de découvrir le genre par le biais d'oeuvres intemporelles (qui ont d'ailleurs présidé à notre propre découverte il y a bien des années, rappelez-vous). pour nous, ça permet de soutenir des oeuvres plus difficiles à vendre.
La collection est également réputée très littéraire en raison d'un certains nombre de titres difficiles d'accès mais ô combien savoureux. Aujourd'hui qui d'autre pourrait proposer les romans de Chritopher Priest, Ellen Kushner, Mircea Cartarescu, Tomaso Pincio, Midori Snyder, Walter Tevis, Lucius Shepard ou Federico Andahazi... ? Il est évident que les ventes de ces livres n'ont absolument rien à voir avec ceux précédemment cités. Si l'on ne faisait que cela, il y a longtemps qu'on aurait mis la clé sous la porte. C'est une question d'équilibre : les grosses ventes de classiques "financent" les livres moins aisés et les inédits. A tout prendre, je préfère ça que de devoir faire de mauvais livres pour soutenir les bons. Nous n'avons pas à rougir de cette politique, au contraire, car elle permet de ne faire que de la qualité tout en restant commercialement viable.
Voilà donc l'image que nous pensons véhiculer : une collection littéraire, nourrie de textes classiques mais aussi de petites trouvailles assez inattendues. Mon travail à l'avenir va être d'ajouter à cela une dimension populaire, sans toucher à l'image qualitative.

Actusf : Y'a-t-il jusque là un livre que vous avez été particulièrement fier d'éditer chez Folio, pour lequel vous avez une certaine tendresse ?
Thibaud Eliroff : Il y a beaucoup de titres que j'aime beaucoup, mais je n'en suis pas particulièrement fier dans la mesure où leur édition est l'oeuvre de mon prédécesseur ! Cela dit, je suis un fan de Priest et je suis bien content qu'il soit au catalogue, idem pour Andew Weiner (lisez Weiner, c'est un ordre !), Robert Holdstock et globalement ceux cités plus haut. Cela dit, j'adore aussi les auteurs un peu plus grand public comme Gemmell ou Pullman et je ne me lasse pas des classiques (Zelazny, Dick, Bradbury...). En 2005, je citerai au rang des coups de coeur La trilogie du Minotaure de Thomas Burnett Swann et L'oiseau d'Amérique de Walter Tevis, entre autres.

Actusf : Quels sont les grandes sorties des prochains mois pour Folio SF ?
Thibaud Eliroff : Le gros morceau, c'est en avril Histoire du futur de Robert Heinlein en 4 volumes (assortis d'un coffret), dans une traduction complètement révisée et complétée. L'homme qui voulait tuer l'Empereur de Thomas Day est également très attendu, ainsi que La trilogie de Phénix de Bernard Simonay (enfin en poche !). A noter un beau mois de novembre totalement planet-opera

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