ActuSF : Comment avez-vous chacun découvert la SF russe et qu’est-ce qui vous a intéressé chez ces auteurs ?
Viktoriya Lajoye : En fait, j'ai découvert la SF russe grâce à Patrice. Avant, je m'intéressais plutôt à la littérature classique.
Patrice Lajoye : Avant même de connaître Viktoriya, j'avais acheté, par curiosité, la quasi-totalité des volumes « rouges » de la collection Best Sellers du Fleuve Noir, une collection du début des années 80 qui prétendaient mettre sur un pied d'égalité auteurs anglo-saxons et soviétiques. J'avoue m'être parfois ennuyé à leur lecture, mais ces textes avaient quelque chose d'étrange, de hors norme. Et puis il y avaient ces romans fascinants des Strougatski, comme Le Scarabée dans la fourmilière ou Le Petit. Deux chefs-d’œuvre ! Par la suite, c'est tout naturellement que j'ai voulu savoir ce qu'il en était advenu, après la Perestroïka, avec la libération du genre.
ActuSF : Pourquoi le choix de deux anthologies (URSS et Russie) et non pas une seule ?
V: Dimension Russie et Dimension URSS représentent deux époques différentes. A mon avis il n'est pas possible de mélanger ces deux anthologies.
P : En fait, il y a eu aussi en premier lieu des raisons pratiques. Lorsque Philippe Ward nous a contactés, il voulait un Dimension Russie. Mais nous n'avions alors aucun contact dans le domaine de l'Imaginaire russe. Il nous a semblé alors plus facile de rééditer certains textes passés qui en valaient la peine, en y ajoutant quelques vrais inédits en français. Rechercher les adresses des auteurs et ayants droits de Dimension URSS a été un très bon entrainement pour Dimension Russie, que nous avons commencé à travailler en parallèle. Ensuite, il se trouve tout simplement que ce ne sont pas, comme l'a dit Viktoriya, les mêmes littératures. La SF russe et la SF soviétique sont totalement différentes, même si l'une descend bien de l'autre, avec nombre d'auteurs formés à l'époque soviétique. Le ton, les thèmes, tout est différent. Même le texte de Iouli Bourkine, Le Papillon et le basilic, pourtant écrit alors que l'Union Soviétique est en train de disparaître, n'aurait pu entrer dans Dimension URSS.
ActuSF : Est-ce que vous avez rencontré des problèmes dans la composition de cette anthologie quant au choix des textes ?
P : Comme nous l'expliquons dans la préface, nous avons fait cette anthologie en procédant à un allez-retour permanent avec notre sujet. En à peine 20 ans, se sont déjà des milliers de nouvelles qui ont été publiées : vouloir lire tout et en tirer le meilleur aurait été utopique. Nous avons donc choisi les auteurs qui nous plaisaient et nous leur avons dit : « considérez cette anthologie comme votre carte de visite pour la France. Choisissez dans votre oeuvre les nouvelles qui vous semblent dignes d'être représentées ». Malheureusement, certains, un peu trop gourmands, ont dit non. Tant pis pour eux. Et d'autres ont joué le jeu. Ils ont envoyé entre un et six textes chacun. Avec un, c'était tout de même risqué, car nous pouvions très bien le refuser. Pourtant, ça n'a pas eu lieu ; par chance nous n'avons eu à éliminer personne.
V : Je dirais même que nous avons eu beaucoup de plaisir à contacter et à communiquer avec les auteurs et de lire et choisir leurs textes. C'est un travail passionnant !
ActuSF : La solitude m’a paru être l’un des motifs centraux de ce recueil : est-ce que c’est propre au reste de la littérature russe ou plus spécifique à la SF et par extension au fantastique et à la fantasy ?
P : En fait non, pas nécessairement. Une fois que les auteurs nous ont envoyé leurs textes, nous avons fait notre propre sélection, en gardant en tête l'idée de ne pas nécessairement faire une anthologie « représentative » du genre, mais de faire quelque chose de cohérent, avec des textes qui s'enchaînent grâce à une certaine logique. Il s'est trouvé que la solitude était un des points forts de l'ensemble. Mais c'est presque un hasard. Ou alors inconsciemment c'est représentatif de nos préférences thématiques...
V : Je ne dirais pas. Même si ce n'est pas tout à fait propre à la littérature russe, le motif de solitude y existe sans doute. A l'époque soviétique le principe de la vie était le collectivisme, mais après la Perestroïka la vie en Russie a bien changé. Maintenant chacun essaye de regarder en soi-même.
ActuSF : Quels sont les textes du recueil que vous préférez ?
P : Les deux textes des Oldie, ceux des Diatchenko, et la novella de Bourkine, que je tiens pour un chef-d'oeuvre. Quant à celui de Lazartchouk et Ouspenski, je dois avouer que parfois j'ai eu bien du mal à m'arrêter de rire pour pouvoir travailler dessus. C'est un humour auquel beaucoup sans doute ici seront imperméables, mais lorsqu'on connaît un peu la réalité soviétique, il faut avouer que c'est terriblement efficace.
V : Tous ! Vous savez quand on lit un texte, puis qu'on le traduit, le relit et le corrige, on commence à se pénétrer de chaque phrase, chaque lettre...
ActuSF : Quelles sont les caractéristiques principales de la SF russe ? Comment la qualifieriez-vous ?
P : Elle est libre. S'il y a bien une chose qui n'est plus surveillée en Russie (si l'on excepte quelques coups d'éclats contre des auteurs comme Sorokine, jugé « pornographique »), c'est la littérature. Les éditeurs publient ce qu'ils veulent, comme ils veulent. Et les auteurs peuvent exploiter n'importe quelle thématique, utiliser n'importe quel style. On peut juste dire qu'elle n'est guère politisée, du moins celle qui est bien publiée sous l'étiquette « SF ». On peut remarquer aussi un certain enthousiasme à s'emparer de thèmes et motifs jugés banals en Occident, mais nouveaux dans l'ex-URSS. C'est parfois maladroit, mais ça donne aussi souvent des textes audacieux.
V : Libre, variée, inattendue....
ActuSF : C’est une SF qu’on connaît assez mal en France finalement, à part les frères Strougatski. Comment se porte-t-elle en Russie ? Y a-t-il un marché et les auteurs en vivent-ils bien ?
V : C'est un des genres le plus lus en Russie. Presque chaque maison d'édition russe possède plusieurs collections ou séries consacrées à la SF, ou plutôt à l'Imaginaire en général. L'Imaginaire russe se développe tout le temps. Il existe aussi de nombreux prix ; les auteurs célèbres animent des séminaires pour les nouveaux ; on organise 3-4 conventions chaque année. Il faut dire que les auteurs, les éditeurs aussi bien que les lecteurs sont très actifs dans ce domaine-là.
P : Le marché souffre officiellement de la crise, comme tout le secteur éditorial. Il n'empêche que les parutions s'enchaînent toujours à toute vitesse et que le tirage de base d'une nouveauté (entendez par là : nouvel auteur, premier roman) est toujours de cinq mille exemplaires. Certaines des revues professionnelles ont un peu réduit leur voilure, mais leur tirage n'est pas descendu pour autant en-dessous de 20000 exemplaires, alors que ces revues sont mensuelles. Par contre, tout comme en France, il est très difficile de vivre de sa plume. On ne gagne rien sur le premier tirage d'un roman, ou presque. Il faut dire que le prix de vente est ridiculement bas et donc les marges très minces. C'est seulement si le livre est un succès et qu'il est réimprimé (et donc lorsque les coûts de base sont amortis) qu'un auteur commence à voir la couleur des droits d'auteurs. On peut estimer à une vingtaine seulement les auteurs de l'Imaginaire qui ne vivent que de la littérature.
ActuSF : Cool Quels sont les autres auteurs russes de SF à suivre, selon vous ? Y a-t-il des chances de les voir traduits en France ?
V. et P : Il y en a beaucoup et d'assez différents dans leur genre. Les Oldie sont redoutables, par exemple : d'abord par leur talent d'écriture, mais aussi par leur habileté à recycler des thèmes parfois très anciens et à en faire quelque chose qui leur est propre. Les Diatchenko produisent avec une grande régularité des textes très psychologiques vraiment brillants. Dmitri Lipskerov ne fait pas vraiment de la SF, mais du fantastique : il se place dans la droite ligne de Boulgakov, avec un style extraordinaire. Sviatoslav Loguinov, aussi, l'un des rares auteurs que nous connaissons à pouvoir bâtir un roman de fantasy avec pour postulat de base une cosmogonie sibérienne. Il y a aussi Iouli Bourkine dont nous aimons pas mal de choses : mais lui se partage avec sa carrière de chanteur.
ActuSF : Quels sont vos projets ?
V. et P. : Tout d'abord un gros dossier pour Galaxies, avec trois petites nouvelles, un scénario de cinéma, un article et une grosse interview. Ensuite, nous sommes en train de travailler à la traduction de deux novella de Kir Boulytchev pour Rivière Blanche. Du space opera farci d'aventure, d'amour, d'énigmes. Mais du space opera à l'ancienne, où l'on se sert encore de cartes sur papier pour diriger les vaisseaux spatiaux. Ces textes ont été écrit durant les années 70. C'est une littérature très fraîche, du pur divertissement très intelligemment fait: juste ce qu'il faut pour Rivière Blanche.
Viktoriya Lajoye : En fait, j'ai découvert la SF russe grâce à Patrice. Avant, je m'intéressais plutôt à la littérature classique.
Patrice Lajoye : Avant même de connaître Viktoriya, j'avais acheté, par curiosité, la quasi-totalité des volumes « rouges » de la collection Best Sellers du Fleuve Noir, une collection du début des années 80 qui prétendaient mettre sur un pied d'égalité auteurs anglo-saxons et soviétiques. J'avoue m'être parfois ennuyé à leur lecture, mais ces textes avaient quelque chose d'étrange, de hors norme. Et puis il y avaient ces romans fascinants des Strougatski, comme Le Scarabée dans la fourmilière ou Le Petit. Deux chefs-d’œuvre ! Par la suite, c'est tout naturellement que j'ai voulu savoir ce qu'il en était advenu, après la Perestroïka, avec la libération du genre.
ActuSF : Pourquoi le choix de deux anthologies (URSS et Russie) et non pas une seule ?
V: Dimension Russie et Dimension URSS représentent deux époques différentes. A mon avis il n'est pas possible de mélanger ces deux anthologies.
P : En fait, il y a eu aussi en premier lieu des raisons pratiques. Lorsque Philippe Ward nous a contactés, il voulait un Dimension Russie. Mais nous n'avions alors aucun contact dans le domaine de l'Imaginaire russe. Il nous a semblé alors plus facile de rééditer certains textes passés qui en valaient la peine, en y ajoutant quelques vrais inédits en français. Rechercher les adresses des auteurs et ayants droits de Dimension URSS a été un très bon entrainement pour Dimension Russie, que nous avons commencé à travailler en parallèle. Ensuite, il se trouve tout simplement que ce ne sont pas, comme l'a dit Viktoriya, les mêmes littératures. La SF russe et la SF soviétique sont totalement différentes, même si l'une descend bien de l'autre, avec nombre d'auteurs formés à l'époque soviétique. Le ton, les thèmes, tout est différent. Même le texte de Iouli Bourkine, Le Papillon et le basilic, pourtant écrit alors que l'Union Soviétique est en train de disparaître, n'aurait pu entrer dans Dimension URSS.
ActuSF : Est-ce que vous avez rencontré des problèmes dans la composition de cette anthologie quant au choix des textes ?
P : Comme nous l'expliquons dans la préface, nous avons fait cette anthologie en procédant à un allez-retour permanent avec notre sujet. En à peine 20 ans, se sont déjà des milliers de nouvelles qui ont été publiées : vouloir lire tout et en tirer le meilleur aurait été utopique. Nous avons donc choisi les auteurs qui nous plaisaient et nous leur avons dit : « considérez cette anthologie comme votre carte de visite pour la France. Choisissez dans votre oeuvre les nouvelles qui vous semblent dignes d'être représentées ». Malheureusement, certains, un peu trop gourmands, ont dit non. Tant pis pour eux. Et d'autres ont joué le jeu. Ils ont envoyé entre un et six textes chacun. Avec un, c'était tout de même risqué, car nous pouvions très bien le refuser. Pourtant, ça n'a pas eu lieu ; par chance nous n'avons eu à éliminer personne.
V : Je dirais même que nous avons eu beaucoup de plaisir à contacter et à communiquer avec les auteurs et de lire et choisir leurs textes. C'est un travail passionnant !
ActuSF : La solitude m’a paru être l’un des motifs centraux de ce recueil : est-ce que c’est propre au reste de la littérature russe ou plus spécifique à la SF et par extension au fantastique et à la fantasy ?
P : En fait non, pas nécessairement. Une fois que les auteurs nous ont envoyé leurs textes, nous avons fait notre propre sélection, en gardant en tête l'idée de ne pas nécessairement faire une anthologie « représentative » du genre, mais de faire quelque chose de cohérent, avec des textes qui s'enchaînent grâce à une certaine logique. Il s'est trouvé que la solitude était un des points forts de l'ensemble. Mais c'est presque un hasard. Ou alors inconsciemment c'est représentatif de nos préférences thématiques...
V : Je ne dirais pas. Même si ce n'est pas tout à fait propre à la littérature russe, le motif de solitude y existe sans doute. A l'époque soviétique le principe de la vie était le collectivisme, mais après la Perestroïka la vie en Russie a bien changé. Maintenant chacun essaye de regarder en soi-même.
ActuSF : Quels sont les textes du recueil que vous préférez ?
P : Les deux textes des Oldie, ceux des Diatchenko, et la novella de Bourkine, que je tiens pour un chef-d'oeuvre. Quant à celui de Lazartchouk et Ouspenski, je dois avouer que parfois j'ai eu bien du mal à m'arrêter de rire pour pouvoir travailler dessus. C'est un humour auquel beaucoup sans doute ici seront imperméables, mais lorsqu'on connaît un peu la réalité soviétique, il faut avouer que c'est terriblement efficace.
V : Tous ! Vous savez quand on lit un texte, puis qu'on le traduit, le relit et le corrige, on commence à se pénétrer de chaque phrase, chaque lettre...
ActuSF : Quelles sont les caractéristiques principales de la SF russe ? Comment la qualifieriez-vous ?
P : Elle est libre. S'il y a bien une chose qui n'est plus surveillée en Russie (si l'on excepte quelques coups d'éclats contre des auteurs comme Sorokine, jugé « pornographique »), c'est la littérature. Les éditeurs publient ce qu'ils veulent, comme ils veulent. Et les auteurs peuvent exploiter n'importe quelle thématique, utiliser n'importe quel style. On peut juste dire qu'elle n'est guère politisée, du moins celle qui est bien publiée sous l'étiquette « SF ». On peut remarquer aussi un certain enthousiasme à s'emparer de thèmes et motifs jugés banals en Occident, mais nouveaux dans l'ex-URSS. C'est parfois maladroit, mais ça donne aussi souvent des textes audacieux.
V : Libre, variée, inattendue....
ActuSF : C’est une SF qu’on connaît assez mal en France finalement, à part les frères Strougatski. Comment se porte-t-elle en Russie ? Y a-t-il un marché et les auteurs en vivent-ils bien ?
V : C'est un des genres le plus lus en Russie. Presque chaque maison d'édition russe possède plusieurs collections ou séries consacrées à la SF, ou plutôt à l'Imaginaire en général. L'Imaginaire russe se développe tout le temps. Il existe aussi de nombreux prix ; les auteurs célèbres animent des séminaires pour les nouveaux ; on organise 3-4 conventions chaque année. Il faut dire que les auteurs, les éditeurs aussi bien que les lecteurs sont très actifs dans ce domaine-là.
P : Le marché souffre officiellement de la crise, comme tout le secteur éditorial. Il n'empêche que les parutions s'enchaînent toujours à toute vitesse et que le tirage de base d'une nouveauté (entendez par là : nouvel auteur, premier roman) est toujours de cinq mille exemplaires. Certaines des revues professionnelles ont un peu réduit leur voilure, mais leur tirage n'est pas descendu pour autant en-dessous de 20000 exemplaires, alors que ces revues sont mensuelles. Par contre, tout comme en France, il est très difficile de vivre de sa plume. On ne gagne rien sur le premier tirage d'un roman, ou presque. Il faut dire que le prix de vente est ridiculement bas et donc les marges très minces. C'est seulement si le livre est un succès et qu'il est réimprimé (et donc lorsque les coûts de base sont amortis) qu'un auteur commence à voir la couleur des droits d'auteurs. On peut estimer à une vingtaine seulement les auteurs de l'Imaginaire qui ne vivent que de la littérature.
ActuSF : Cool Quels sont les autres auteurs russes de SF à suivre, selon vous ? Y a-t-il des chances de les voir traduits en France ?
V. et P : Il y en a beaucoup et d'assez différents dans leur genre. Les Oldie sont redoutables, par exemple : d'abord par leur talent d'écriture, mais aussi par leur habileté à recycler des thèmes parfois très anciens et à en faire quelque chose qui leur est propre. Les Diatchenko produisent avec une grande régularité des textes très psychologiques vraiment brillants. Dmitri Lipskerov ne fait pas vraiment de la SF, mais du fantastique : il se place dans la droite ligne de Boulgakov, avec un style extraordinaire. Sviatoslav Loguinov, aussi, l'un des rares auteurs que nous connaissons à pouvoir bâtir un roman de fantasy avec pour postulat de base une cosmogonie sibérienne. Il y a aussi Iouli Bourkine dont nous aimons pas mal de choses : mais lui se partage avec sa carrière de chanteur.
ActuSF : Quels sont vos projets ?
V. et P. : Tout d'abord un gros dossier pour Galaxies, avec trois petites nouvelles, un scénario de cinéma, un article et une grosse interview. Ensuite, nous sommes en train de travailler à la traduction de deux novella de Kir Boulytchev pour Rivière Blanche. Du space opera farci d'aventure, d'amour, d'énigmes. Mais du space opera à l'ancienne, où l'on se sert encore de cartes sur papier pour diriger les vaisseaux spatiaux. Ces textes ont été écrit durant les années 70. C'est une littérature très fraîche, du pur divertissement très intelligemment fait: juste ce qu'il faut pour Rivière Blanche.