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Interview Etienne Barillier et Arthur Morgan
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Interview Etienne Barillier et Arthur Morgan

Actusf : Comment avez-vous rencontré chacun le steampunk et qu'est-ce qui vous a plu dans ce genre ?
Arthur Morgan : Comme beaucoup de gens, j’ai longtemps côtoyé le steampunk  sans me rendre compte qu’il s’agissait, en fait, de steampunk. Jusqu’au jour où, je me suis écrié Euréka ! (ou plutôt Nom de Zeus !). Durant de nombreuses années, mes lectures verniennes, Dracula, Dr Jeckyll et Mister Hyde, 20 000 Lieues sous les mers de Disney ont forgé l’idée d’une certaine esthétique et de certains thèmes littéraires dans mon esprit, mais pas de label assez intéressant pour les regrouper.
J’ai croisé le terme steampunk pour la première fois dans les bacs poussiéreux d’un comic-shop de Charing Cross Road, à Londres. C’est Chris Bachalo et sa bien nommée série « Steampunk » qui m’a plongé dans ce monde de cuivre et de vapeur. Le premier pas était franchi.
Pour moi, le plus intéressant est l’émulation intellectuelle autour de la meta-textualité dans la littérature steampunk. Le fait que Holmes puisse côtoyer son créateur Conan Doyle, que de nombreuses références historiques et littéraires parsèment les récits, en font un « genre » particulièrement addictif. Le type de littérature qui se nourrit d’autres lectures.
C’est aussi une esthétique forte avec ses chapeaux haut-de-forme, son cuivre et sa vapeur !
Enfin, la dernière chose qui m’a attiré dans le steampunk est l’humour qui se dégage du mouvement.
Etienne Barillier : J’ai découvert le terme steampunk à la fin des années 1990. Je me souviens de la sortie des premiers Mnémos, puis de l’anthologie de Daniel Riche Futur Antérieur sans oublier bien sûr les romans de Tim Powers et K. W. Jeter (je n’ai lu Blaylock que plus tard, je ne sais pas pourquoi). Pour les plus jeunes, sachez que wikipedia n’existait pas et qu’il fallait aller à la pêche à l’information ! Après avoir lu René Réouven, je savais que j’aimais la littérature sur la littérature. Enfin, j’aime également l’uchronie et le jeu avec l’histoire. Le steampunk offre tout cela… et bien plus !
Le steampunk me plaît pour ce qu’il a comme potentiel d’émerveillement. Un auteur steampunk est souvent très visuel et l’étrangeté steampunk peut ainsi souvent être surprenante. Les meilleurs récits steampunk sont ceux qui mêlent aussi bien l’aventure, la référence et l’humour.
 
 
Actusf : Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce guide et comment avez-vous travaillé ?
Arthur Morgan : Nous avons travaillé de concert sur le site french-steampunk.fr pour défricher et décrypter le mouvement. Alors qu’Étienne écrivait son Petit Guide à Trimballer de Philip K. Dick, il a émis l’idée de faire un guide culturel du mouvement steampunk. Le genre d’ouvrage auxquels les amateurs ou novices pourraient se référer pour avancer dans leur connaissance de la culture steampunk.
Le plan a vite été fait. Nous avons la chance d’avoir la même vision du steampunk Étienne et moi. Nous avons ensuite dressé une liste d’ouvrages, de BD, de sites web, de films, etc., le cœur de notre livre. Puis nous avons mis en place un espace partagé sur internet pour travailler de concert.
Encore une fois, notre vision commune d’un steampunk assez large nous a permis de vite avancer.
Etienne Barillier : Il me fallait un nègre et Arthur n’est pas très cher ! Plus sérieusement, l’idée d’un guide steampunk me semblait comme devant être fait de manière collaborative, pour embrasser un vaste panel, pour ne pas me limiter à ma propre sensibilité. Nous avons beaucoup discuté avec Arthur pour nous mettre d’accord sur ce que nous voulions que le guide soit — et ne soit pas. J’ai déjà fait un essai encyclopédique sur le steampunk, paru aux Moutons électriques, il manquait un guide qui soit à la fois simple et accessible pour le curieux tout en étant suffisamment riche pour séduire le lecteur érudit.
En fait, je vois mon travail comme le besoin d’écrire l’histoire du steampunk. Tout le monde a un avis sur le steampunk — parfois tranché, parfois subtil, parfois caricatural. Il fallait faire le point sur la question et donner une base pour discuter.
 
Actusf : Il y a dedans de nombreuses interviews. Comment avez-vous choisi vos invités et ont-ils tous été faciles à interroger ?
Arthur Morgan : Dès le début, nous voulions mettre un avant-propos de Selena Chambers, co-auteure de la Steampunk Bible. Nous l’avions rencontrée, il y a quelques années pour une rencontre/dédicace organisée par French Steampunk à Paris. Francophile, Selena est une grande amatrice d’art et aime explorer les racines du steampunk francophone. Nous voulions en fait, son avis sur les évolutions récentes du mouvement.
De là est née l’idée d’intégrer des interviews d’acteurs du steampunk. Grâce aux réseaux sociaux et à nos contacts, nous avons pu rassembler des entretiens intéressants donnant une réelle plus-value à notre ouvrage. Les contacts les plus compliqués à obtenir, mais aussi, à nos yeux, incontournables, furent ceux des trois pères fondateurs.
Tous les autres contributeurs ont tout de suite été enthousiasmés par notre projet et ont accepté sans hésiter.
Nous voulions aussi ne pas nous cantonner à la littérature d’où les interviews autour du costume et de la musique. Nous ne voulions pas non plus interroger que des créateurs, Mike Perschon, un universitaire américain et Jess Nevins, commentateur de l’œuvre d’Alan Moore ont répondu présent.
Etienne Barillier : J’ajouterai que ces interviews remplissent trois fonctions. D’abord de donner la parole à ceux qui font le steampunk, ensuite de laisser ces entretiens se confronter les uns avec les autres, enfin, d’une façon plus discrète, entrer en dialogue avec eux à travers nos fiches et articles. De nombreuses pistes de réflexion apparaissent dans ces entretiens et constituent à mes yeux un témoignage précieux de l’état du steampunk aujourd’hui.
 
Actusf : Y'a-t-il des réactions ou des réponses qui ont été des surprises ? Globalement, y'a-t-il eu des choses surprenantes dans votre travail de recherche pour faire le guide ?
Arthur Morgan : La première chose étonnante autour de ce guide est l’enthousiasme général autour de notre projet. Encore une fois, merci à tous les contributeurs !
La deuxième chose est les réponses aux interviews de Mark Hodder par exemple ou de K. W. Jeter (mais je vous laisse le loisir de les découvrir).
Etienne Barillier : En effet ! L’interview de Mark Hodder ne peut que donner envie de lire ses romans ou de les considérer différemment. Il nous rappelle que dans la masse anglo-saxonne de la production steampunk de véritables auteurs, avec une voix et un projet artistique, existent.
J’ai eu plusieurs frémissements en lisant les interviews de Powers, Blaylock et Jeter. Le fanboy en moi criait sa joie !
Un tel travail de recherche suppose une immersion profonde dans le genre. On trouve parfois des pépites, parfois des horreurs. On passe quelques heures de lecture pour aboutir à une simple note de bas de page, en espérant que cette note vaille le coup et que notre lecteur la suive à son tour !
 
Actusf : Comment définir le Steampunk aujourd'hui alors qu'il semble s'installer dans de nombreuses disciplines, littérature, art plastique, musique...
Arthur Morgan : Le steampunk n’est clairement plus un mouvement littéraire seul, toute une culture a émergé en inondant tous les pans de la création.
Le steampunk est d’abord aujourd’hui une esthétique, disons néo-victorienne pour être large et facilement identifiable (même si la période historique du steampunk déborde largement de cette période historique). C’est ce que nous appellerons, le steam.
De cette esthétique découle une certaine approche du monde et de la vie en société, le punk. Bricolage, récupération, recyclage, création de ses propres mains découlent de la philosophie Do It Yourself des punks et annoncent l’aspect politique du mouvement qui rejette l’uniformisation et la globalisation du monde.
Enfin, le steampunk est une communauté mondiale, protéiforme et extrêmement dynamique.
Etienne Barillier : Nous sommes maintenant au point de maturité du steampunk qui précède une reconnaissance du grand public. Bientôt il ne sera plus nécessaire de définir le steampunk, pas plus en tout cas qu’il n’est nécessaire de définir la science-fiction ou la fantasy. Le nombre de séries télé qui ont maintenant des accessoires ou des bouts de costume rétro-futuristes est assez stupéfiant — regardez Defiance par exemple : des extra-terrestres en chapeau haut de forme ? Pourquoi ? Est-ce que quelque chose le justifie si ce n’est que visuellement cela est dans l’air du temps ?
 
Actusf : Comment expliquez-vous qu'il ait autant de succès ?
Arthur Morgan : La clé du succès est cette esthétique rétro et classe. Cet aspect du mouvement steam, la partie visible, est l’un des vecteurs le plus important de son succès. D’ailleurs, une partie grandissante de la communauté n’a pas lu les pères fondateurs.
Enfin, le steampunk est un genre aux contours flous et perméables. Chacun aborde le steampunk par son propre prisme. Ce qui permet une appropriation du mouvement et qui le renouvelle largement avec chaque vaporiste.
Etienne Barillier : C’est la stratégie de la tenaille. Le steampunk surgit en bande dessinée, en roman et dans les jeux (de rôle, grandeur nature). Ou plutôt on le remarque maintenant alors qu’il existe véritablement en tant qu’esthétique depuis une vingtaine d’années et que le mot steampunk en a une trentaine. Est-ce que son succès tient à un certain épuisement de la fantasy et de la science-fiction ? À l’expansion de la littérature young adult ? À la recherche de nos origines ? Un peu de tout cela, certainement.
 
Actusf : Quel est l'avenir du Steampunk ?
Arthur Morgan : Difficile de le dire. Le steampunk est sûrement en train d’infiltrer toutes les couches de la société. Une chose est sûre, le groupe de réflexion d’IBM a prédit que le steampunk serait le next big thing en particulier dans la mode. Prada a pavé la voie en avec sa collection Automne/Hiver très rétro qui a habillé des stars comme Gary Oldman ou Willem Dafoe en 2012.
En tout cas, j’ai hâte de voir ce que les vaporistes ont encore à proposer !
Etienne Barillier : Le steampunk est en voie de standardisation à mesure qu’on le comprend de mieux en mieux et que sa popularité le réduit parfois à quelques lieux communs. La meilleure chose qui puisse arriver au steampunk est d’être de plus en plus punk, c’est-à-dire libre, iconoclaste et surprenant.
 
 

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