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Interview : Frédéric Delmeulle
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Interview : Frédéric Delmeulle

ActuSF : Tout d'abord, pouvez-vous rapidement vous présenter ?
Frédéric Delmeulle : Pour faire court, j'ai une quarantaine bien tassée, je suis né à Lille mais j'ai longtemps été parisien. Depuis le milieu des années 90, je suis devenu résolument provincial : je vis en Basse-Normandie, où je suis prof (d'histoire-géo, évidemment) dans un lycée plutôt tranquille. J'ai fait de la recherche en histoire du cinéma pendant une bonne quinzaine d'années et j'avais semble-t-il un avenir tout tracé à la fac, jusqu'au jour où la rencontre très intime avec un poids lourd m'a amené à reconsidérer sereinement l'orientation que j'avais donnée à mon existence. J'ai cessé assez vite la recherche pour ne plus écrire que de la fiction.

ActuSF : D'où vous vient ce goût pour l'écriture, et notamment pour l'écriture de science-fiction ?
Frédéric Delmeulle : Tout petit déjà, je faisais partie de ces enfants anormaux qui aiment lire des livres, et quelquefois même essaient de raconter des histoires avec un crayon. Au lycée, mes copains et moi-même avions fondé un fanzine culturel dans lequel j'ai fait paraître mes premières nouvelles de SF : des short-short-stories qui, je l'espère, ne remonteront jamais à la surface. Mon goût pour l'écriture s'est ensuite orienté vers des sujets socialement plus respectables, à mesure que mes études puis la recherche me transformaient lentement en cette espèce redoutable : un spécialiste. J'aimais depuis toujours la science-fiction mais je ne l'abordais plus que par le biais souvent austère de l'analyse filmique, un biais que je jugeais de plus en plus frustrant. Alors si je me suis mis vraiment à écrire de la SF, c'est sans doute pour la liberté qu'autorise cette littérature : il est possible d'y raconter à peu près n'importe quoi sans choquer outre mesure le chaland, l'imagination peut s'y épanouir sans frein et l'auteur parvient même parfois à faire passer quelques petites idées intéressantes à ses contemporains.

ActuSF : La Parallèle Vertov est un premier roman qui a connu un parcours un peu particulier. Pouvez-vous le retracer ?
Frédéric Delmeulle : Un parcours un peu particulier et semé de pas mal d'embûches, oui... C'est un texte dont la première version a été achevée fin 2001, ce qui ne nous rajeunit pas, et qui a été refusé par tous les éditeurs. Heureusement, mon roman avait quand même eu la chance d'attirer l'attention de Gérard Klein, qui l'avait apprécié et me conseillait vivement de continuer à écrire. C'est tout simplement son avis qui a empêché mon livre d'aller engraisser les souris au fond d'un placard. En définitive, après avoir collectionné les refus et écarté l'auto-édition, j'ai découvert par hasard Éditeur Indépendant en 2006 : un micro-éditeur imprimant à la demande et prenant en charge les coûts de fabrication du livre, mais laissant l'auteur se débrouiller seul pour à peu près tout le reste. Nec Deleatur est ainsi paru en 2007. La diffusion était très exactement inexistante mais enfin le livre avait le mérite d'exister. J'en avais envoyé un exemplaire à Gérard Klein pour le remercier du temps qu'il m'avait consacré, et j'ai eu la divine surprise de découvrir qu'il en disait du bien autour de lui. Cela m'a permis d'échapper à l'anonymat en récoltant au passage quelques critiques très encourageantes. Ensuite Célia Chazel m'a contacté, je lui ai envoyé mon deuxième tome, qu'elle a accepté, et elle m'a proposé aussitôt de reprendre le premier chez Mnémos avant de sortir le nouveau. Il serait tout à fait indécent de mentionner quelle a été ma joie à cette double nouvelle.

ActuSF : Qu'est-ce que les lecteurs de Nec Deleatur vont-ils trouver de différent (de plus ?) dans La Parallèle Vertov ?
Frédéric Delmeulle : L'histoire est la même que celle de Nec Deleatur, à deux ou trois détails près. La différence tient essentiellement au travail éditorial réalisé sur La Parallèle Vertov. Chez Éditeur Indépendant, les relectures, corrections, questions de style, etc, sont assurées uniquement par l'auteur. Conscient de ce problème, j'avais fait en 2007 un effort de relecture vraiment approfondi, et je veux croire que le résultat n'était en rien honteux. Mais ça ne peut certainement pas remplacer le coup d'œil objectif, critique et professionnel d'un éditeur. J'ai tout de suite vu la différence lorsque j'ai commencé à reprendre le texte avec Charlotte Volper, mon éditrice chez Mnémos, et Raphaël Gazel, le correcteur du manuscrit. Au terme de ce travail, le style a gagné en fluidité et les personnages en cohérence. Charlotte a même réussi ce que je croyais pourtant impossible, après avoir retourné tant de fois mon histoire en tous sens : elle m'a appelé un matin pour me dire qu'elle avait trouvé une incohérence dans le récit ! Et elle avait raison. Heureusement, ça n'a pas été difficile à corriger.

ActuSF : Dans votre roman, vous n'êtes pas avare d'explications historiques et scientifiques. Est-ce une volonté de votre part d'instruire le lecteur ?
Frédéric Delmeulle : Pas seulement, mais en partie. Cela s'imposait tout d'abord dans la mesure où La Parallèle Vertov se veut un hommage au roman scientifique de la fin du XIXe et du début XXe. Quand j'ai découvert Jules Verne, vers 11-12 ans, c'était dans l'édition Gründ, autrement dit en texte intégral. Et je ne suis pas près d'oublier, par exemple, les interminables tunnels pédagogiques qui émaillent des livres tels que Vingt mille lieues sous les mers. J'ai donc d'abord voulu faire un clin d'œil à toute cette littérature.

Ensuite, il est évident que mon côté prof doit ressortir également dans la fiction que j'écris. Lorsqu'au cours de mes recherches documentaires, je trouve des choses qui me paraissent intéressantes et pas si connues que ça, j'ai envie d'en faire profiter mon lecteur. D'une façon générale, je ne peux jamais me départir de ma curiosité d'historien et je m'efforce d'entretenir mon vernis de culture scientifique. J'aime bien qu'un roman m'enrichisse de quelques connaissances ou d'un point de vue original, aussi j'ai sans doute tendance à vouloir faire la même chose lorsque j'écris. La difficulté, bien sûr, est de ne pas alourdir le texte avec ça.

ActuSF : Le personnage principal du roman, Child Kachoudas, est historien et visiblement cinéphile. Y a-t-il du Frédéric Delmeulle en lui ?
Frédéric Delmeulle : Euh... Là, je sortirais bien mon joker... Mais enfin bon, je ne vais pas me défiler comme ça. Et donc, oui, ça paraît inévitable. Il paraît qu'un premier roman a toujours quelque chose d'autobiographique, non ? Je ne sais pas quelle part d'inconscient est venue nourrir ce personnage (je ne veux d'ailleurs pas le savoir !), mais j'assume évidemment certaines ressemblances. Et ce d'autant plus que les textes brefs qui relient certains chapitres, constituant la mémoire de Child, correspondent souvent à des souvenirs personnels à peine transposés. Par ailleurs, Child est une figure que je crois plutôt moderne : celle de l'anarcho-individualiste souvent amer et désabusé, pour ne pas dire cynique. Un humaniste déçu, en quelque sorte. Il m'arrive d'être comme ça mais seulement de temps en temps. Sinon, Child est sans doute nettement plus dépressif que moi. Et puis moi, au moins, j'ai arrêté de fumer.

ActuSF : Autre personnage important du roman, l'Intelligence Artificielle du Vertov a choisi comme avatar Marlene Dietrich. Pourquoi un tel choix ?
Frédéric Delmeulle : De la façon dont j'avais construit mon histoire, il fallait que l'IA du Vertov ait la personnalité d'une séductrice : c'était là un ressort essentiel sur Child, autrement dit sur toute la dynamique du récit. En outre, pour des raisons de crédibilité, il fallait que cette séductrice figure en bonne place dans notre mythologie moderne et que le temps l'ait déjà panthéonisée, en quelque sorte. Enfin, mon ancienne vocation de rat de cinémathèque me poussait très naturellement du côté des actrices, plutôt hollywoodiennes car telle est ma culture. Quelques-une étaient possibles : Garbo, Lana Turner, Marilyn, Lauren Bacall, etc. Mais pour moi, Marlene les laissait toutes loin derrière, depuis un certain plan inoubliable du Chevalier sans armure (un film de Feyder, en 1937). Le genre de plan qui sauve un film à lui tout seul, et qui m'avait littéralement coupé le souffle un soir de 86 au fond d'une salle art et essai, tant Marlene y était belle dans sa robe blanche. Dès lors, l'idée de rajouter un rôle à sa carrière était franchement grisante et je n'ai pas peur de dire qu'à partir d'un certain stade de mon travail, c'était aussi devenu l'une des raisons d'être du livre.

ActuSF : Dans le roman, l'incident temporel survient à l'époque de la mort de l'Empereur romain Trajan. Y a-t-il une raison particulière à ce choix ?
Frédéric Delmeulle : Absolument. Peu après mon bac, j'avais été très impressionné par la lecture des Mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar. Arrivé en deuxième année d'histoire, à Nanterre, j'avais une jeune prof de méthodo qui aimait bien faire des choses un peu originales. En guise de travail de fin de semestre, elle nous avait laissé le choix de nos productions. Plutôt que de faire la sempiternelle fiche de lecture, je me suis alors attelé à l'écriture d'un faux : c'est ainsi qu'est née la lettre de Plotine annonçant le décès de Trajan, que l'on trouve au chapitre 12. J'en avais écrit la version latine ainsi que la traduction, et je m'étais également amusé à broder toute une histoire autour de la découverte archéologique de ce fameux document. En un mot : ma toute première incursion dans l'uchronie. Ça a été le point de départ de mes rêvasseries sur le sujet.

ActuSF : Dans quelques mois doit paraître, toujours chez Mnémos, Les Manuscrits de Kinnereth, second roman du cycle des Naufragés de l'Entropie. Est-ce une suite à La Parallèle Vertov ?
Frédéric Delmeulle : Les deux romans sont complémentaires mais peuvent se lire dans l'ordre que l'on voudra. Les deux histoires sont autonomes mais chacune doit éclairer la part de mystère qui subsiste à la fin de l'autre, et vice versa. Enfin bref, je crois bien que j'aime les trucs un peu tordus.

ActuSF : Avez-vous d'autres projets en tête ?
Frédéric Delmeulle : J'écris actuellement un troisième volume dans cette série. On n'y retrouvera cependant pas les mêmes personnages, ni d'ailleurs le Vertov. L'idée est de faire un roman parfaitement indépendant des deux premiers livres, mais qui s'interprète de façon différente selon qu'on les aura lus ou pas.

Et puis j'ai déjà l'envie d'un quatrième qui germe. Rien de précis encore, hormis quelques idées générales. Mais il y a une atmosphère particulière qui me tient à cœur, et qui se nourrira là encore de mon amour pour le cinéma américain et le roman d'aventures.

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