Actusf : Comment est né ce projet ?
Georges Foveau : Au départ, l’idée était de jouer sur la rencontre entre l’Histoire avec un grand « H » (et en l’occurrence avec de grands coups de haches…), une civilisation et la « Fantasy » au sens épique et fantastique du genre…
L’antiquité irlandaise me permettait ce mariage, que j’avais déjà tenté une fois, avec ravissement pour une nouvelle publiée dans « L’Esprit des Bardes » sous l’égide de Nathalie Dau : Solstice Furieux à Brug Na Boyne. Mais où épique et mythologie l’emportaient largement sur le contexte historique…
Là, l’idée c’était d’écrire un roman, avec des personnages historiques dans le rôle que leur a légué la postérité (Rocraide, Techmar…), une situation historique réelle, une civilisation finalement assez peu connue malgré ses richesses et ses croyances, tant religieuses que mythologiques, dans lesquelles j’infuse depuis… 35 ans.
Actusf : Quelles étaient tes envies pour ce roman ?
Georges Foveau : La principale envie était d’écrire une vraie quête épique et fantastique qui tourne atour d’une épée et qui mette en valeur la civilisation celte d’Irlande, tant dans sa réalité, que dans ses rêves et ses folies. En jouant un peu aussi avec des archétypes sans céder aux clichés.
J’avais envie de quelque chose de simple, d’efficace, d’épique et de sorcier… Et d’original dans un univers peu sollicité en France.
Et de beaucoup plus profond finalement que ce que l’argumentaire laisse présager…
L’envie que les lectrices et les lecteurs en sortent en se disant : Bon Dieu, je suis un(e) Ulate ou Bon Dieu, je suis un(e) Picte…
Actusf : Qu'est-ce qui t'intéresse toujours dans la mythologie irlandaise et quelles sont ses caractéristiques ?
Georges Foveau : Bon, là, la réponse, elle va nous demander beaucoup de trop de temps…
Je vais essayer de faire simple et court…
En fait, tout me destiner à m’encroûter dans la mythologie romaine… Et puis, en me lançant sur les traces d’un Enchanteur très connu, (pour rendre à César ce qui appartient à Merlin), j’ai découvert la mythologie celtique. Puis plus spécialement celle d’Irlande, finalement assez originale…
Pas de parricide divin ou de castration filiale en guise de renouveau des Dieux. Se sentant trop vieux pour diriger d’en-haut le monde qu’il a créé en-bas, Dagda se sent plus cuistot (le célèbre chaudron druidique vient de lui) et lutineur que Dieu omnipotent. Et bien qu’à cela ne tienne ! Il passe sans façons la main à son fils Lug.
Ces Dieux passent plus de temps à rire, à manger, à chanter et à s’entraider au combat contre les démons qu’à se déchirer entre eux. Je parle des Thuata De Danann, bien sûr.
Ils se moquent aussi éperdument de la tripartition fonctionnelle indo-européenne. Ils font tout : guerroyer, chanter, festoyer, construire, cultiver, prier et jeter des sorts… Bref de vrais polyvalents à géométrie variable, toujours avec talent…
Et puis, il y a cette spiritualité tout à la fois très simple, très branchée sur la nature, et en même temps subtile et compliquée, comme à travers les Geis (interdits personnels jetés par les Druides satiristes) ou les relations claniques. Ou au travers du rôle des femmes assez inédit, non seulement en Europe mais même dans le monde. C’est par elles que se transmet la royauté, en les épousant. Ce sont souvent les initiatrices suprêmes des grands héros et les Druidesses sont les pairs des Druides
Et puis, il y a aussi un drame qui renforce encore cette originalité et cette richesse. Toutes les « gestes » des héros d’Irlande étaient orales… Et la plupart ont été perdues… Comme celles concernant Cethern le Rouge, dont on sait qu’il a existé et qui il était grâce à son « Cameo » dans les aventures de Cuchulain…
Ce qui permet de constater que les Irlandais avaient inventé le « Cross over » avant tout le monde.
C’est fascinant. Car du coup, si on a un peu d’imagination, un peu d’inspiration et que l’on baigne dans tout cet univers irlandais, tout à la fois truculent, magique, haut en gueule et en sorts, tout en tendresse et en muscles irascibles… Et bien, on a forcément envie de compléter les blancs.
Voilà, succinctement, ce qui ne cesse de me séduire dans cette mythologie et ces légendes irlandaises gaëliques : un état d’esprit magique incroyable, une richesse culture et spirituelle essentielle, de « beaux restes » très stimulants… Et des tas de blancs à remplir !
Actusf : C'est un roman qui rend hommage à une certaine fantasy. Quelles ont été tes influences ?
Georges Foveau : Là, mes intentions ont été très claires depuis le début : rendre hommage aux ouvrages et aux auteurs que j’ai lu entre 14 et 18 ans et qui m’ont donné envie de lire toujours plus et… d’écrire.
Robert E. Howard, bien sûr et en priorité. En particulier pour les aventures de Bran Mak Morn ou la nouvelle L’Homme Noir que je relis, systématiquement 3 ou 4 fois par an, depuis 30 ans. Howard a une plume d’une efficacité, d’une noirceur et d’une précision telle qu’il reste un modèle Incontournable. Il est encore souvent snobé en France… J’entends des cuistres parler de ce qu’il a écrit en terme de « clichés »… Alors qu’il a tout simplement créé avec talent des « archétypes » dont d’autres ont usés et abusés.
Je reste persuadé qu’Howard a été l’auteur visionnaire de tout un genre. Que les pédants et les snobs lisent et relisent le recueil Bran Mak Morm réédité par Louinet chez Bragelonne, ou le Solomon Kane, par exemple. À défaut de leurs dents, ils ravaleront sans doute leur morgue, qui ne traduit souvent que leur méconnaissance totale des œuvres de Bib Bob ! je leur laisse aussi découvrir tous les bijoux de nouvelles fantastiques qu’il a écrits.
Howard plonge vraiment dans la noirceur de l’âme humaine, par-delà les grands discours.
Ensuite, j’ai noirci tout ça d’un peu d’âme « inhumaine » de Lovecraft, qui a hanté mes nuits d’adolescence…
Le flamboyant que j’associe toujours à l’épique, vient tout à la fois de Howard et du Salammbô de Flaubert, auquel j’ai déjà rendu hommage dans toute une partie de Un Port au Sud.
Et puis bien sûr, ce chaudron celtique irlandais dans lequel je suis tombé vers 13 ou 14 ans et quelques personnages gaëliques un peu plus universels, comme les Druides ou les Enchanteur, un en particulier.
Actusf : Ce n'est pas la première fois que tu t'aventures en fantasy, qu'est-ce qui t'intéresse dans ce genre ?
Georges Foveau : Quand j’écris, je ne me pose pas la question de l’étiquette. Même avec L’Épée du Pouvoir, je ne suis pas sûr que mon moteur ait été « écrire de la Fantasy ».
Lorsque j’ai commencé le premier des cinq tomes des « Chroniques de l’Empire », je voulais m’inscrire dans une réalité historique afin d’écrire du médiéval fantastique qui serait le reflet de tout ce que j’avais pu vivre et penser en 20 ans…
Las, ce cadre là était trop étroit pour que je puisse mener mon premier roman au bout sans incohérences historiques. Alors j’ai inventé un univers médiéval fantastique, très humain, très initiatique et très « sorcier », afin de pouvoir raconter en toute liberté, mais avec une logique inattaquable, ce que j’avais vraiment envie de raconter.
C’est peut-être ça, pour moi, le recours à la « Fantasy », s’il faut mettre cette étiquette–là : l’accès à une plus grande liberté de créer pour raconter l’histoire que j’ai vraiment envie… de lire, finalement.
C’est en ce sens, par exemple, que Le Rivage des Syrtes de Gracq est pour moi un ouvrage de Fantasy, comme Œdipe sur la Route d’Henry Bauchau ou… L’Homme Noir de Howard.
Actusf : On a l'impression que tu as eu un vrai plaisir à l'écrire (autant qu'on en a à le lire). Impression exacte ?
Georges Foveau : Effectivement l’écriture de « L’Épée du Pouvoir » a été un très long travail… jubilatoire !
J’avais enfin la possibilité de rendre hommage à tout ce qui a fait de moi un auteur qui est avant tout un lecteur curieux et passionné. C’était un véritable plaisir que de susciter sous mes touches ces personnages et ces péripéties qui m’auraient fait rêvé sous la plume d’un autre.
En plus, je suis indécrotablement pétri de gratitude, et là, je me régalais à faire acte de gratitude dans l’écriture…
Actusf : Deux mois après sa sortie, quel premier bilan tires-tu ? Quelles sont les réactions des lecteurs ?
Georges Foveau : J’ai déjà reçu quelques réactions, effectivement… Pour l’instant toutes très agréables… Je ne sais pas si c’est l’effet maya dont on parle tant…
Avec surtout des réactions de lectrices adultes.
La plupart découvre vraiment à cette occasion la mythologie irlandaise et veulent en savoir plus… En particulier sur le rôle des femmes dans cette culture pétrie de particularités même au cœur du monde celte. J’ai essayé à ma manière de rendre cette notion si particulière, où il n’est pas question d’égalité, mais bien de complémentarité dans tous les domaines.
Mais encore faut-il arriver jusqu’à la fin du roman…
Actusf : Cela fait maintenant une dizaine d'années que tes romans sont publiés. Quel bilan tires-tu de cette décennie ? Qu'est-ce qui a changé dans ton travail d'auteur ?
Georges Foveau : D’abord un grand bonheur. J’ai rêvé pendant vingt ans de publier un jour 1 roman… Entre adulte et jeunesse, j’en ai finalement publié 17 et j’en ai écrits un peu plus.
Très simplement et au bout de dix ans de publication, certes, mais de presque trente ans d’écriture, je reste surpris par le poids des étiquettes dans la vie littéraire française. Et aussi par la possessivité maladive de certains groupuscules à l’égard de certains genres où ils se croient le devoir de juger, de critiquer et de conspuer, finalement sans réelle légitimité. La prépondérance de ces étiquettes comme ces attitudes persistent à me désoler. La vraie littérature se moque des modes, des ayatollah et des étiquettes car elle reflète avant tout l’univers d’un auteur pour un lecteur. Le reste…
Quant à mon travail, oui, il a changé en dix ans. Si j’accorde toujours un soin particulier au scénario que je fignole avant de me lancer dans l’écriture, j’ai beaucoup simplifié le style, tant dans le vocabulaire que dans la construction des phrases.
Je crois que c’est ça, le « truc » principal que j’ai appris en dix ans. Simplifier l’écriture, l’expression. L’alléger. Paradoxalement, plus je simplifie l’écriture et plus j’écris des romans de plus en plus long. Mais plus facile à lire. Cette conviction par contre n’a pas changée : j’écris pour être lu. C’est le lecteur qui est important.
Et puis aussi, au bout de dix ans, j’arrive aussi à répondre à des interviews sur l’Irlande sans citer une seule fois les mots «Guiness » ou « Pub »…
Actusf : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Georges Foveau : En fait, là, depuis 15 mois, dès que mon boulot de missionnaire du livre et de la Lecture plaisir dans une grande Collectivité Territoriale me laisse un peu de temps, je me consacre à une autre création qui demande beaucoup d’attention et qui est très indépendante… Elle s’appelle Constance et c’est un vrai bonheur !
Un projet, oui.
Pour continuer dans l’hommage à mes racines littéraires qui mixent sans honte et avec un égal plaisir la Littérature Populaire de la première moitié du XX° siècle et des choses plus « littéraires » ou beaucoup moins comme Adèle Blansec (celle de Tardy) ou Rork d’Andréas, je voudrais enfin écrire au moins un roman avec un détective de l’Étrange. Dans les années 20-30.
Je suis un Fan absolu des « Harry Dikson » de Jean Ray. J’adore ce que Fabrice Bourland ou Jean-Luc Bizien font dans ce genre-là chez 10-18.
Le personnage existe déjà et a vécu deux ou trois petites enquêtes, encore confidentielles, scrupuleusement notées et conservées dans mes archives personnelles. Mais je réfléchis à deux autres enquêtes plus volumineuses avec de vieilles croyances qui refont surface, des savants fous, des Russes excessifs (pléonasme ?), des esthètes décadents (idem ?), des garçonnes envoûtantes, des nécromants nécrosés, des brasseries et des troquets anarchistes, des artistes et des sorciers… De la haine, de l’amour, du bruit et de la fureur… De la vraie littérature, quoi.