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Archive : Interview Graham Joyce - Mai 2007
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Archive : Interview Graham Joyce - Mai 2007

Graham Joyce fut un auteur très intéressant dans l'univers du fantastique. Disparu malheureusement en 2014, il nous a laissé de formidables romans comme Indigo, Les Limites de l'Enchantement, Lignes de Vie et En attendant l'orage. Pour ce dernier roman, nous lui avions envoyé quelques questions en 2007.
 
ActuSF : Tout d'abord comment êtes-vous venu à l'écriture ? Quand vous êtes vous dit que vous vouliez être écrivain ?
Graham Joyce : J’étais poète tout d’abord. Puis j’ai peu à peu évolué. Puis je me suis aperçu en étudiant la vie des grands poètes, que la plupart d'entre-eux étaient des vraies merdes. Or il me semble plus important d'être un homme bien que d'être un bon écrivain. Quoi qu'il en soit, je viens d’un milieu ouvrier (mineurs) d'où il me semblait quelque peu prétentieux ou arrogant d'afficher des ambitions littéraires. Donc, pendant des années j’ai écris en secret. Puis, à ma grande stupéfaction, j'ai commencé à croire que je pourrais, pourquoi pas, être édité.

ActuSF : Comment travaillez-vous sur vos romans ? Vous êtes du genre à préparer un plan précis ?
Graham Joyce : Non. C’est une exhumation. Je ne sais pas comment chaque roman va sortir. C’est probablement pour ça qu’ils sont tous si différents.

ActuSF : Evoquons quelques-uns de vos romans et d'abord En attendant l'Orage. Comment est née l'idée de ce roman ?
Graham Joyce : Avec un groupe d’amis, nous passions nos vacances d'été dans le Périgord. La maison avait une atmosphère étrange et le temps était bizarre lui-aussi. Chaque matin il y avait de la brume de chaleur qui ne s’évanouissait que vers le milieu de la matinée. Puis il y avait des orages de chaleur que nous pouvions voir à des dizaines de kilomètres. C’était vraiment très différent d'un paysage d'été anglais. Un jour j’ai même vu un de mes amis parler à une des jeunes filles par l’intermédiaire d’un miroir. Mais je dois ajouter que toutes les personnes avec qui j'étais en vacances se sont admirablement biens comportées. Pas comme ceux dans le roman.
 


ActuSF : Parlez-nous de Jessie. C'est une petite fille très étrange qui fait parfois des choses assez bizarre comme se cogner la tête dans une porte. Comment la voyez-vous ?
Graham Joyce : Elle a une forme d’autisme, mais c'est une enfant qui échange tout de même. L’autisme existe comme un fantôme. Beaucoup de gens en sont atteint à des degrés moindres. Généralement sans le savoir.

ActuSF : La tension est vraiment très forte dans ce livre entre les protagonistes. Et pourtant on a l'impression que beaucoup de choses trouvent une solution (comme le père qui finalement revient). Est-ce que c'est parce que vous êtes un optimiste ?
Graham Joyce : Je suis un optimiste malgré tout et malgré les évidences. Mais si nous perdons l’espoir, autant laisser tomber, et laisser le genre humain dans sa détresse.

ActuSF : Le livre se passe en France. Vous ne pouvez donc pas échapper à cette question : Est-ce une région de la france que vous connaissez et appréciez et si oui pourquoi ? Est-ce que le fait que ça se passe en France avait une importance particulière ?
Graham Joyce : Je connais seulement le pays de mon séjour pendant ces vacances. C’est une région de la France qui est magnifique. Mais ça m'a fatigué d’entendre des anglais arrogants brailler à tous les coins de rue. S’ils n’avaient pas été aussi nombreux, j’aurai aimé m’y installer et y vivre. Je suis intrigué par la France et les français. Le fait de placer mon roman en France m’a permis de placer des commentaires au sujet de la conscience de classe et du snobisme anglais. Eléments qui ressortent d'autant plus quand les Anglais sont à l'étranger.

ActuSF : Un mot sur Les Limites de l'Enchantement. Là aussi comment est née l'idée de ce roman ?
Graham Joyce : Il y a plusieurs années, j’ai acheté une peinture d’une artiste des Midlands : Angela Harding. Il a été accroché au mur de mon salon pendant peut-être une douzaine d’années, attendant d'être compris. Cela s’appelait Écouter le lièvre et il y avait d’étranges messages païens à l’intérieur. Cela a pris un bon moment avant d'arriver jusqu'à moi, mais j’ai été exposé au merveilleux mystère de cette peinture chaque jour et il était inévitable que cela débouche sur une histoire.
 


ActuSF : Qu'est-ce qui vous séduisait dans L'Angleterre rurale de la fin des années 60 ?
Graham Joyce : En 1966, l’avortement est devenu légal en Angleterre. C’était une mesure déterminante pour la condition des femmes. Avant ça, celles issues des classes ouvrières devaient faire appel à des avorteurs d'arrière-cour ou à des « sages femmes » du voisinage. Tout ça dans le plus grand secret. Pour moi cette loi représente la ligne de partage entre la modernité et le passé. Les années 60 ont été une période d'incroyables changements sociaux. Il y avait encore des gens dans le pays qui vivaient comme il y a 150 ans. Fern est un personnage qui doit faire avec ce changement.

ActuSF : Les Limites de l'Enchantement et En attendant l'Orage ont une jeune fille comme héroïne. Est-ce difficile pour un écrivain adulte de se mettre dans la peau d'une jeune adulte pour raconter son histoire ?
Graham Joyce : Un écrivain essaie toujours de faire du neuf. Penser comme un enfant, voir ce monde aussi miraculeux qu'il le voit... cela fait partie du challenge. Que vous écriviez ou non pour des enfants. C’est le travail de l’écrivain de nous aider à voir les choses sous un nouveau jour. Peut-être que nous essayons toujours de retrouver le monde tel qui nous apparaissait quand nous étions enfants.

ActuSF : Parlons de Ligne de vie. C'est peut-être le roman qui a eu le plus de succès en France. Toujours la même question, comment est-il né dans votre esprit ?
Graham Joyce : Coventry est une cité étrange. C’était magnifique avant avant d'être bombardé pendant la guerre, et aujourd'hui c’est plutôt moche. Mais les fantômes de l’époque précédente hantent toujours la ville dans les décombres ou dans de petits fragments des ruines. J’ai voulu écrire sur ma propre ville.

ActuSF : Le petit Franck a un parcours assez particulier. Comment avez-vous construit la trame de l'intrigue ?
Graham Joyce : J’avais cette image d’un petit garçon grandissant dans cette ville aux mains des urbanistes qui se disputent sur la manière de construire une nouvelle cité. Et puis les femmes, également, se disputent sur la meilleure manière d'élever un enfant. De sorte que l’histoire est une succession de compromis et d’accidents.
 

ActuSF : Un critique disait qu'il retrouvait dans ce roman du Dickens, John Irving, Ian McEwan, Robertson Davies et Paul Auster. J'imagine que ça vous a fait plaisir et est-ce des auteurs importants pour vous ?
Graham Joyce : Eh bien Dickens est magnifique parce qu’il peut être si drôle dans des situations vraiment sérieuses. J’aime cette balance entre la légèreté et la gravité. John Irving a lui aussi cette fabuleuse qualité. Ian McEwan un peu moins : il n’a aucun humour. En fait il en avait à ses débuts, mais il l’a perdu à force de s'entendre dire quel écrivain considérable il était.

ActuSF : On dit souvent que vos romans sont très psychologiques ? Etes-vous d'accord avec ça ? Il s'y passe souvent énormément de chose mais dans la tête des héros.
Graham Joyce : Ils sont psychologiques c’est vrai, mais j’essaie de garder la porte ouverte à l’irrationnel. Certains lecteurs ont besoin de penser que tout est magique se passe dans la tête des personnages . Mais j’essaie de semer le doute. Je veux que le lecteur ne soit sûr de rien, parce que c’est là qu’il est le plus vulnérable à l’imaginaire.

ActuSF : Vos personnages ont des relations généralement très tendues. Qu'est-ce qui vous intéressent dans ces conflits ? La manière de chacun de s'y confronter ou peut-être la manière dont les personnages se remettent en question et changent ?
Graham Joyce : Les personnages se définissent dans le conflit, pas dans la paix.

ActuSF : On parle en général de vos romans comme de récits aux limites du fantastique. Est-ce que vous en êtes conscient lorsque vous écrivez vos romans ou est-ce involontaire ?
Graham Joyce : Oui c’est intentionnel. Cela revient à ce que je disais à propos de la guerre entre le rationnel et l’irrationnel. Si vous voulez un roman - soi-disant –réaliste, et que vous investissez vos personnages de plus de pouvoirs que les forces qui les entourent, c’est absurde. Je veux parler des forces sociales et psychologiques. Pas de puissances surnaturelles. D’un autre côté, si vous ancrez votre roman profondément dans le fantastique, sans possibilité de sortir de cette tour d'ivoire de la fantasy, vous donnez l'opportunité au lecteur de s’enfoncer trop confortablement dans l’idée que lvotre récit n'est rêve fabuleux. Aussi j’aime bien mélanger le réalisme avec le fantastique. Ni complètement dedans, ni complètement dehors.

ActuSF : Vous avez reçu plusieurs fois des prix et des distinctions. Est-ce que c'est important pour vous ? Est-ce que cela a une signification particulière ?
Graham Joyce : Hé bien, c'est vraiment très gratifiant, mais ça ne change rien à la manière dont je travaille, pas plus que ça ne le rend plus facile ou plus difficile. J’ai toujours le sentiment qu'aucun de mes romans n’est tout à fait comme je le voulais au départ, et les récompenses ne parviennent pas à me convaincre que j'ai fait mon boulot aussi bien que je l'aurais dû.

ActuSF : Tous vos romans sont assez différents. Est-ce que c'est parce que vous ne voulez jamais faire la même chose ?
Graham Joyce : C’est exactement ça. Ca doit être une exploration, quelque chose doit émerger de l'ombre petit à petit.
 


ActuSF : Vous donnez aussi des cours d'écriture à des étudiants. Est-ce que cela vous apporte quelque chose dans votre écriture à vous ?
Graham Joyce : Je n’espère pas. Souvent, en voulant trop rationaliser, on en vient à penser son roman avec lapartie consciente de son cerveau, alors que la première ébauche devrait jaillir de l'inconscient. Aussi j'espère ne pas être étranglé en sur-rationalisant le processus.

ActuSF : Y'a-t-il un conseil que vous pourriez donner aux jeunes auteurs français ?
Graham Joyce : Jetez toutes vos chaussettes et achetez-vous douze paires identiques. Cela vous épargnera des heures et des heures à fouiller votre tiroir à la recherche d'une paire non dépareillée. Autant de temps que vous pourrez mettre à profit pour écrire. Et vous en aurez besoin. La persévérance est aussi importante que le talent.

ActuSF : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Graham Joyce : Je viens juste de finir un nouveau roman. Il s’appelle : How To Make Friends With Demons.

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