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Interview Jeanne-A Debats
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Interview Jeanne-A Debats

Actusf : Comment est née l’idée de ce roman ?
Jeanne-A Debats : Métaphysique du Vampire était une nouvelle non terminée au départ. Je l’avais commencée pour me « reposer » de l’écriture d’un roman jeunesse sur lequel je rencontrai des problèmes essentiellement liés à la nouveauté de l’exercice. J’avais besoin de me faire plaisir en écrivant mille folies sans aucune censure, liée par exemple à l’idée préconçue que je me faisais à l’époque du jeune lectorat. Métaphysique a donc été conçu à la base, comme une histoire provoc, transgressive, jouissive, où je pouvais tout me permettre.
 
Et je ne m’en suis pas privée.
 
Je ne sais pas à l’époque ce que j’ai pensé exactement sinon que je voulais quelque chose de kitsch, d’échevelé et de baroque. Lorsque j’ai repris le texte, parce que je n’aime pas laisser les choses inachevées, il s’est développé un peu plus que ce que j’en attendais. Là, depuis que Métaphysique est sorti je me rends compte avec le recul de tout ce dont je l’ai nourri, gavé. Ça n’est pas un roman, c’est une salade russe de ce que j’ai pu aimer dans ma vie, de la poésie, au cinéma, en passant par la musique. Et les gens.
 
Cela étant, je connais désormais le départ inconscient de Métaphysique : il s’agit d’un court métrage tiré de la série l’Opéra Imaginaire que mes enfants regardaient en boucle à l’époque, E lucevan le stelle, qui met en scène la mort d’Angelo dans Tosca. Dans ce court métrage, l’ange de la mort est perché au dessus du toit du château Saint Ange à Rome et attend l’amant de Tosca qui croupit dans ses geôles. Azraël est situé exactement à la place réelle de la statue que pelote Navarre au tout début de l’histoire et c’est par là que j’avais commencé : un vampire qui met la main au cul à un archange.
 
On peut voir ce court-métrage sur youtube :
 
 
 
Lorsque je le regarde depuis que je me suis rendu compte de cela, je reste sidérée de la légèreté, de la fragilité, de la délicatesse même, de ce qu’est l’inspiration parfois. Il n’y a presque rien, à peine un souffle, de Métaphysique dans ce film et pourtant tout part de là.
 
 
Actusf : Comment as-tu abordé la figure du vampire ? Entre Dracula et la Bit Lit, est-ce que c’est facile de se démarquer ? Son succès actuel est-il un poids et une contrainte ou plutôt une liberté (genre y’en a tellement qu’on peut faire ce qu’on veut) ?
Jeanne-A Debats : Je n’ai pas voulu la démarcation à tout prix. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’originalité ne m’intéresse pas, pas du tout, c’est juste que je suis persuadée de base que ma « voix » suffit à raconter « mes » histoires. Tout comme la « voix » d’un autre écrivain racontera autre chose avec les mêmes ingrédients de base apparents.
 
Ce que j’ai cherché à faire c’est « quelqu’un » qui soit un vampire. J’ai donc essayé de créer un personnage et non un héros. J’ai essayé de percevoir ce que ça pouvait signifier de connaître une si longue vie, tant de gens, d’Histoire, d’histoires, sur une psyché d’origine humaine (les vampires sont quand même des hommes) et j’ai voulu également un vampire qui s’accepterait en tant que tel totalement, sans remords romantiques ou faiblesses affectives réelles, un type cohérent pour une fois. J’aime les gens cohérents, pas forcément « bons », mais qui assument ce qu’ils sont. Mes récits en sont pleins. Dans cet esprit, Navarre est tout à fait à sa place dans mon écriture. Il ne déparerait pas dans le recueil Stratégies du Réenchantement que j’avais sorti chez Griffe d’Encre et désormais chez Folio SF. D’ailleurs, l’une des nouvelles de ce recueil raconte la fin du créateur de Navarre, Gilles, dans « Gilles au bûcher ».
 
Bien qu’il arrive à Navarre d’être quelque peu incohérent quand il cause, (et ça en a agacé quelques-uns, parmi mes critiques) mais c’est la logique – enfin pour moi – d’une existence aussi riche, aussi « nourrie » (sans jeu de mots vaseux). Les gens de ce genre que j’ai pu rencontrer, ont tendance à s’écouter parler, et à noyer leurs interlocuteurs sous les anecdotes, les digressions, à ramener tout à eux, à leur histoire, à ce qu’ils ont vécu. Comme les vieux soldats des guerres oubliées. Ils peuvent être à la fois passionnants et chiants à mourir de pédanterie. Jusqu’à la cuistrerie.
 
C’est extrêmement rare d’en rencontrer un dont le vécu et l’expérience s’effacent devant une immense modestie qui rende les milliers d’histoires qu’il a à raconter invariablement captivantes.
 
(En fait, je ne connais qu’un homme de cette dernière sorte et c’est Joseph Altairac.)
 
Le vampire étant de plus un mythe littéraire en construction, je l’ai déjà dit ailleurs, il permet effectivement tous les délires et toutes les inventions. Cette liberté-là me séduit particulièrement.
 
Évidemment.
 
 
Actusf : Qu’est-ce qui t’intéressait justement dans le mythe du vampire ?
Jeanne-A Debats : Le vampire est d’abord un prédateur comme nous, avec les mêmes faiblesses, les mêmes interrogations au fond. C’est un surhomme, sans être un super héros, malgré ses super pouvoirs. Il me semble qu’il concentre tout le potentiel humain à une hauteur plus plus. Comme Batman, qui lui doit beaucoup en fait. L’ambiguïté permanente du personnage vampirique est un puissant « aimant à Jeanne-A ». En répondant à cette interview, je me rends compte d’une chose : j’aime les choses à la fois ambiguës et cohérentes, c’est sans doute un paradoxe mais je m’en accommode fort bien. Je trouve que ça colle avec l’humaine nature et je suis profondément humaniste comme garce.
 
 
Actusf : Il travaille pour le Vatican, ne cache pas sa sexualité, n’est pas trop “solitaire, je dors dans un cercueil et j’ai du mal à manger de l’ail”... Tu voulais prendre le contre-pied des clichés du genre ?
Jeanne-A Debats : Je ne le fais même pas exprès, je le jure. Le contre-pied, le pied de nez, le contrepet, c’est juste moi.
 
 
Actusf : Comment vois-tu Raphaël ? Comment décrirais-tu sa personnalité ?
Jeanne-A Debats : C’est un vieil adolescent mal élevé, provoc, radoteur, déjanté, égoïste, narcissique, branleur, fumiste, au sens de l’humour vaseux (bizarre, non ?) et… terriblement séduisant.
 
 
Actusf : C’est un roman d’aventures plein de rebondissements avec un héros qui adore les bons mots et qui a une liberté sexuelle assumée... on a l’impression que tu as pris un grand plaisir à écrire ce roman. Est-ce que je me trompe ?
Jeanne-A Debats : La liberté sexuelle de Navarre est un des fonds du roman. Je suis pour que l’ensemble des êtres humains foute la paix à l’ensemble des autres êtres humains quant à ce qui se passe lorsqu’ils ôtent leurs slips (à conditions que le slip soit majeur et consentant) (et d’ailleurs si l’ensemble des êtres humains pouvait foutre la paix EN GÉNÉRAL à l’ensemble des êtres humains sur tous les aspects de leur vie, ce ne serait pas plus mal) (mais bon la sexualité est un « abcès de fixation » de cette tendance à faire chier). Je n’aime pas la littérature à messages démonstratifs, je trouve ça lourdingue, et souvent has been (si si, il s’en est passé des choses depuis le début de la littérature engagée, sans parler du cinéma) alors je glisse souvent ma vision de la vie dans mes histoires en l’intégrant au décor. Sans revendication visible, de prime abord. Du genre « Voilà, ça pourrait être comme ça et fonctionner ».
 
Par exemple, je suis féministe aussi, et je n’écris pas d’histoires de type « Rape and revenge » (Ou alors, c’est que le propos n’est pas là. Il est arrivé d’horribles choses à la Dana de Métaphysique mais si elle est capable de renoncer à la forme la plus primaire et la plus conne de la vengeance, c’est parce qu’elle est forte, intelligente, sensible et cultivée, et ça c’est un trait d’enfance. Elle était comme ça AVANT. Il lui reste des cicatrices ineffaçables mais ce ne sont pas ces cicatrices qui la définissent, même si je ne le développe pas.) D’abord parce que je trouve ça contre-productif (ah bon pour être une femme puissante et digne de ce nom, faut absolument avoir pris des baffes monstrueuses ? Et si on a été violée et torturée, c’est encore mieux ? Parce qu’à la base, on est de petites choses fragiles que seuls les aléas de la vie transforment en humains respectables, voire redoutables ?), ensuite parce que décrire systématiquement les hommes comme des violeurs en puissance me semble tout aussi contre-productif : ça ne fait que continuer à véhiculer et, quelque part, à légitimer, cette image de la virilité, tout en culpabilisant de base l’immense majorité de ceux qui ne l’ont pas intégrée.
 
De plus, vous je ne sais pas, mais moi quand on me balance systématiquement une image négative et critique de moi, j’ai tendance à en rajouter derrière. L’esprit de contradiction couplé à un certain réflexe de survie psychique, je suppose. Je suppose également que pour les hommes ça peut être pareil.
 
Et puis, j’aime bien les garçons aussi, en fait.
 
Je préfère raconter des mondes où les femmes SONT égales sans que ça pose question à qui que ce soit. Le message par l’exemple, en quelque sorte.
 
Bref, pour en revenir à Navarre et à Métaphysique, oui je me suis fait plaisir, tout du long, sans la moindre entrave et j’ai bien l’intention de recommencer. J’ai eu envie aussi (et de façon totalement provoc) de retrouver le souffle oublié de la collection Fleuve Noir, cette espèce de bouillon de (contre) culture hallucinant dont sont sortis la plupart des grands auteurs de SF actuels. Je n’ai pas lu cette collection à l’époque et les romans qui en sont issus sont très rares à avoir fait partie de ma « littérature de formation », (C’est le cas de certains ouvrages d’Ayerdhal, mais je suis passée totalement à côté de Roland C. Wagner en ces temps anciens. Je le regrette profondément. Du coup, les œuvres de Wagner me sont parvenues trop tard pour me marquer à ce point. Elles l’auraient fait, pourtant). J’ai donc le sentiment profond, récurrent, d’avoir raté quelque chose. Métaphysique est sans doute ma solution intime à ce regret.
 
 
Actusf : Est-ce qu’il y aura une suite ? (parce que bon, avec plaisir quoi ).
Jeanne-A Debats : Navarre est clairement un perso de série. Nous avons prévu d’abord une trilogie avec les éditions Ad Astra, même format ou à peu près pour chaque tome. Les deux prochains seront appelés à paraître tous les 31 mai, chaque année. Après nous verrons si les aventures de Navarre intéressent toujours (et les lecteurs et moi), et nous repartirons, si c’est le cas, pour une autre trilogie. Ensuite, on verra. Ce qu’il y a, c’est que je ne veux pas faire une série interminable, à rallonge et incohérente (ben tiens) parce qu’en tant que lectrice, ce genre de truc m’agace et qu’en tant qu’écrivain, je veux continuer à prendre du plaisir à ce que je fais.
 
 
Actusf : Sur quoi travailles-tu ? Quels sont tes projets ?
Jeanne-A Debats : Je dois rendre trois romans d’ici janvier.
 
D’abord Imajighane qu’un drame récent au sein de la communauté SF et connu de tous m’a empêchée de continuer quand je le devais. J’ai eu une monstrueuse panne d’écriture dont je me remets doucement depuis la rentrée.
 
Imajighane est un roman de SF destiné à l’Atalante dont le sujet est la passion, la culpabilité et la responsabilité.
 
Puis « Pixel » (titre de travail) un roman jeunesse pour Syros, il tournera autour du droit à mourir quand on le décide. (Si, c’est un roman jeunesse).
 
Ensuite, le deuxième tome de Métaphysique.
 
De plus, je dois rendre une nouvelle pour l’anthologie des Imaginales.
 
Ça suffira, je dois vivre aussi, pour écrire.

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