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Interview Martial Caroff
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Interview Martial Caroff

Actusf : Tout d’abord comment est née l’écriture chez vous ? Vous étiez un gros lecteur étant enfant ?
Martial Caroff : Oui, on peut dire ça. Bibliothèque rose, verte, puis je suis passé à la littérature blanche et à la noire. Pas mal de BD aussi (multicolores). Quant à l’apport de l’école, disons que je n’aimais pas trop les cours de français (c’est mon côté Antisthène), mais j’étais assez réceptif aux textes. Hors carcan scolaire, je me replongeais volontiers dans certains des livres étudiés en classe. C’est ainsi que je me suis découvert assez tôt un goût prononcé pour les auteurs des XVIe et XVIIe siècles (spéciale dédicace à Rabelais, mon chouchou). Je poursuis actuellement cette plongée dans les premiers classiques de notre littérature via la bibliophilie, une déclinaison « adulte » de la passion des livres née dans l’enfance. Quant à l’envie d’écrire, elle est apparue aussi assez précocement. Mais curieusement, je n’ai pas fait d’essais avant mon premier roman. Je me suis jeté dans le bain tout sec, à 35 ans. Avant ça, pas de journal intime, pas de nouvelles (ou presque pas), pas de poésie. Ma technique d’écriture, je l’ai acquise essentiellement à travers la rédaction d’articles scientifiques. Mes bouquins sont le produit de la rencontre entre rigueur scientifique et imagination débridée.
 
 
Actusf : Votre premier roman est paru il y a une douzaine d’années maintenant. Quels souvenirs gardez-vous de cette première aventure dans l’édition ?
Martial Caroff : Un très bon souvenir. Forte émotion lorsque j’ai tenu mon premier livre dans les mains. C’était un roman policier (Ys en Automne, éds Terre de Brume, 2000), d’abord paru en poche, réédité plus tard en intégrale (Les cinq saisons d’Ys, éds Terre de Brume, 2007). Un truc assez dingo, inclassable : une sordide histoire de meurtres en série dans une ville imaginaire, le tout baignant dans une ambiance de légende et de fantastique. Premier tome d’une pentalogie. Avec Exoplanète (éds Terre de Brume, 2009), c’est à ce jour le texte qui a le plus fait réagir.
 
 
Actusf : Le deuxième roman sur « Les enquêtes d'Antisthène » (Les Profanateurs, éds Gulf Stream) vient de paraître. Comment est née cette série ?
Martial Caroff : D’une grande passion pour la Grèce antique. Tout est né d’un texte de Rabelais : la lettre de Gargantua à son fils Pantagruel, véritable manifeste de l’humanisme, publiée en 1532. En pleine crise d’adolescence, je relis ce texte pour la énième fois et – révélation ! – je décide de suivre sur-le-champ les préceptes de l’auteur. Enfin, certains d’entre eux. Je décrète – après d’autres – que la Grèce est le berceau des lettres et des arts et, dès le lendemain, j’achète un dictionnaire de grec ancien, un lexique, une grammaire et un recueil de textes. Voilà. La suite, c’est plus de trois ans de grec, en parfait autodidacte, à raison d’environ six pages de traductions par semaine. Et aussi la découverte, après Rabelais, d’un second auteur fétiche : Platon. Lire Platon dans le texte est un bonheur. Je n’ai hélas plus le temps de le faire… Mais cette passion ne m’a pas conduit à des études de lettres. J’ai préféré faire de la science. Les auteurs grecs, je voulais les vivre à ma façon et ne surtout pas entendre de discours académique – si j’ose dire – à leur sujet, ça aurait tué le charme… Et maintenant, cette construction personnelle, j’essaie de la faire partager à travers mes romans.
 
 
Actusf : Qu’est-ce qui vous a donné envie de situer vos deux intrigues dans cette période de l’antiquité ?
Martial Caroff : La période classique (fin du Ve siècle avant J.-C.) est celle qui m’intéresse le plus. On assiste là à un phénomène remarquable, sans doute unique dans l’Histoire, du moins à ce degré : la concentration en un même lieu – Athènes –, durant une brève période – une trentaine d’années, – de personnalités exceptionnellement puissantes et créatives – Socrate, Sophocle, Aristophane, Thucydide, Alcibiade… – dans des domaines aussi variés que la philosophie, la tragédie, la comédie, l’Histoire, la politique… Tous ces gens-là se connaissent, s’aiment ou se détestent, et surtout, ils écrivent les uns sur les autres. Ainsi Socrate, qui – fait exceptionnel – n’a rien écrit lui-même, est à la croisée de trois projecteurs : ceux d’Aristophane, qui se moque de lui, de Platon, son disciple, qui le vénère, et de Xénophon, un soldat-écrivain qui le décrit comme un bon sage de bourgade. Et Platon fait aussi parler Aristophane dans l’un de ses dialogues. Ainsi qu’Alcibiade, qui est par ailleurs présenté par Aristophane et Thucydide… Bref, en lisant tous ces textes croisés et contrastés, on apprend à connaître ce beau monde mieux que pas mal de nos contemporains célèbres (qui sont, il est vrai, moins intéressants…). Je trouve ça fascinant.
 
 
Actusf : Comment voyez-vous Antisthène ? Quelle sorte de personnage est-il ?
Martial Caroff : Un rebelle haut en couleur, comme je les aime ! C’est un individualiste forcené, mais qui a le sens de l’intérêt commun. Il est curieux de tout, fureteur. Il adore le scandale. Il est assez violent, de mauvaise foi, pas toujours très sympa. Allez, si. On va dire qu’il est sympa, même si ce n’est pas facile d’être son ami. (Demandez à Hiéron.) L’Antisthène historique est assez mal connu. Il est réputé être le fondateur de la secte des Cyniques. En fait, on ne connaît que les grands traits de sa philosophie et les dates approximatives de sa naissance et de sa mort. Xénophon le fait apparaître dans son Banquet et quelques bribes de ses écrits ont été conservées. Son disciple, Diogène – un sacré farceur, celui-là ! –, est plus connu. Outre le délicieux caractère provocateur d’Antisthène, ce qui m’a fait le choisir comme personnage récurrent, c’est le fait qu’il a vécu en plein dans l’époque que je voulais traiter.
 
 
Actusf : Dans le deuxième tome, vos personnages croisent des célébrités comme Socrate ou Sophocle. Est-ce que c’est un plaisir pour l’auteur que vous êtes de mettre en scène de tels personnages historiques ? Ou plutôt une petite pression ?
Martial Caroff : Dans le premier tome aussi (Sanglante Comédie, éds Gulf Stream, 2011) presque tous les personnages sont non seulement historiques, mais célèbres. Oui, c’est un plaisir… qui met la pression. Je ne peux pas écrire n’importe quoi. Antisthène était un familier de Socrate – il a même brièvement été son disciple – et des autres personnages dont l’Histoire a gardé le nom. Marginal et sans-gêne, c’est la personne idéale pour nous introduire dans le petit cercle des célébrités athéniennes. L’auteur suit son exemple : il agit au culot !
 
 
Actusf : Vos deux tomes parlent beaucoup d’art et de théâtre. Qu’est-ce qui vous plaît dans ces domaines ? Pourquoi y avoir placé une partie de vos intrigues ?
Martial Caroff : Comment faire un roman sur la Grèce antique sans parler du théâtre ? Je l’ai fait dans le premier volume via la comédie, qui est moins connue que la tragédie. Je voulais surtout aborder le problème de la véritable identité de Socrate. Comme Aristophane a écrit une pièce très drôle où le philosophe est le personnage central (Les Nuées), je m’en suis servi et toute l’intrigue en a découlé. Dans le second tome, je me suis plutôt intéressé au fonctionnement de la première démocratie du monde, dont les mœurs n’étaient pas très éloignées de celles que nous connaissons de nos jours. Et dans les deux livres, il y a une part non négligeable dédiée à la présentation de la ville d’Athènes, de ses monuments, de l’environnement artistique. Je veux essayer de faire prendre conscience aux jeunes lecteurs de l’importance de ce patrimoine, sans les barber.
 
 
Actusf : Parlez-nous de la « Trilogie noire » à paraître chez l’Archipel. De quoi s’agit-il ? Quel est le lien entre ces trois romans dont vous dites sur votre site qu’il s’agit d’un roman noir, d'un roman policier et d'un roman d'aventure ?
Martial Caroff : Alors là, on change radicalement d’univers. Trilogie Noire, c’est un projet que j’ai soumis il y a environ deux ans à Thierry Lefèvre – directeur du label jeunesse Galapagos à L’Archipel, également directeur de la collection « Courants Noirs » chez Gulf Stream – et qui s’est récemment concrétisé pour donner naissance à un premier tome à paraître en mars, Karl. L’idée, c’est de décliner trois romans autour de trois lycéens dont la personnalité, le lieu de vie et les conditions sociales sont on ne peut plus contrastés. Chaque tome portera le nom de l’un des personnages, chaque histoire se déroulera dans son lieu de vie et illustrera un sous-genre de la littérature noire : thriller dans le Val-de-Marne en automne pour Karl ; enquête policière dans les 1er et 5e arrondissements de Paris, en hiver de la même année, pour Layla ; roman d’aventure l’été en Bretagne pour Ronan. J’aimerais qualifier ces romans de pseudo-réalistes. La réalité d’aujourd’hui sera traitée en léger décalage, avec systématiquement des translations ou même des inversions de codes par rapport aux clichés attendus : les couvertures seront claires au lieu d’être noires ; Karl est un scarla, mais il s’habille comme un loubard des années 80 ; le personnage d’origine arabe est une chrétienne appartenant à un milieu extrêmement aisé de Paris ; etc.
 
 
Actusf : Qui sont les trois héros, Karl, Layla et Ronan ? Comment les voyez-vous ?
Martial Caroff : Je les vois d’abord en moi : il y a en l’auteur un soupçon d’Antisthène, un peu de Karl et pas mal de Ronan (je ne suis pas sûr des proportions). Karl est un lycéen de dix-huit ans, vivant à Vaison-sur-Marne dans le 9-4 (une ville dont on parle peu, mais ça va changer…). Flirtant avec la délinquance, il a pourtant d’ambitieux rêves d’avenir. Il est intelligent, assez cultivé, mais cause verlan et racaille. Il vit seul dans un petit appartement avec sa mère barmaid. Layla, dix-sept ans, est la fille d’un richissime marchand d’art parisien et d’une sculpteuse d’origine libanaise. Elle est belle et très sophistiquée, chrétienne pratiquante. Elle est scolarisée dans l’un des plus prestigieux lycées parisiens. Le troisième personnage, Ronan, également âgé de dix-sept ans, est son camarade de promo. D’origine bretonne, un peu naïf, solitaire, il est le fils d’un policier, commandant à la Brigade criminelle, séparé de sa femme retournée vivre en Bretagne. Ronan ne rêve qu’à la mer et à sa région natale. La trilogie raconte la naissance et le renforcement de l’amitié entre ces trois personnages, au travers de terribles épreuves.
 
 
Actusf : De quoi parlera le premier des trois tomes ?
Martial Caroff : Karl zone en compagnie de ses potes Tony et Mo. Tony fait une bêtise qui le conduit au commissariat avec ses deux copains. Là, ils rencontrent Ronan, fils de flic. Encore quelques péripéties et la route de Karl croise celle de Layla. Le hasard mènera ensuite ces trois-là dans les rues de la cité des Houx, à Vaison. Dans un piège mortel où ils se heurteront à de redoutables caïds, à leurs terribles lieutenants et à une nuée de jeunes démons. Ils n’auront que quelques heures pour en sortir… Voilà. C’est un texte dur – mais très jubilatoire – qui donne une vision noire – mais pas désespérante – de certains quartiers de la petite couronne. Tout y est plus intense : l’obscurité comme les flashs de lumière.
 
 
Actusf : Pour finir, quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Martial Caroff : 2012 est une année plutôt chargée, puisque j’ai cinq bouquins qui doivent sortir. En mai, c’est un livre documentaire pour les enfants sur les roches et les minéraux (je suis géologue de profession) : Les pierres qui brûlent, qui brillent, qui bavardent, collection « Dame Nature », éds Gulf Stream, en collaboration avec deux dessinateurs. Puis je retrouve mon éditeur d’origine, Terre de Brume, pour la publication en octobre du troisième et dernier tome de la trilogie de SF « Intelligences », dans laquelle je traite le thème de l’intelligence non-humaine de trois manières différentes. Je suis actuellement en train d’écrire Layla, le deuxième tome de « Trilogie Noire », éds L’Archipel, à paraître fin 2012. Ronan devrait sortir début 2013. Après, on verra… Peut-être Antisthène à Samos, qui sait ?
 
 

 

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